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CHAPITRE III.

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Table des matières

Bagarre d’Annecy. — Maximum du prix des denrées. — L’abbé Panisset, évêque intrus. — Réaction du 21 août 1793. — Le commandant de La Fléchère. — Elargissement des prisonniers. — Nouveaux proscrits. — Assassinat de M. de La Fléchère. — Frédelane Decoux, dite Boname.

LA Convention avait créé, le 11 mars 1793, sur la proposition de Cambacérès, un tribunal révolutionnaire qui devait être et fut composé de jurés et de juges nommés par la Convention. La terrible juridiction s’étendait sur tout le territoire français et les pays envahis par ses armées. Ses condamnations emportaient confiscation des biens des condamnés. La peine de mort fut portée contre les émigrés et les prêtres déportés sur le territoire français, et devait être appliquée dans les vingt-quatre heures, sur l’attestation d’identité donnée par deux bons citoyens. Les jeunes filles même qui seraient prévenues d’avoir émigré avec leurs parents et qui seraient rentrées en France devaient être déportées, et, dans le cas où elles rentreraient encore, elles étaient passibles de la peine de mort .

Les Girondins avaient fait passer, à la Convention, le 8 avril, un décret en vertu duquel les députés convaincus d’un délit national seraient sur-le-champ traduits devant le tribunal révolutionnaire, et ils furent les premiers à en subir l’application. En effet, les Girondins, les justes-milieu de ce temps-là, aidèrent merveilleusement la Révolution à marcher, mais ils furent impuissants pour arrêter sa course désordonnée. Ils sentirent trop tard la vérité de ces mots du féroce Collot-d’Herbois: «En révolution, quiconque s’arrête est écrasé.» Une guerre sourde existait entre eux et la Montagne, et comme dit encore le conventionnel Danton: «En révolution, l’autorité appartient aux plus scélérats.» A ce titre, les Montagnards remportèrent la victoire, et, le 2 juin, «vingt-deux Girondins sont mis en état d’arrestation chez eux, où ils resteront sous la sauvegarde du peuple français, de la Convention nationale et de la loyauté des citoyens de Paris.»

On sait que cette sauvegarde et cette loyauté les conduisirent sur l’échafaud, récompense immanquable des opinions qui vaguent d’un parti à l’autre.

Le 8 juin, une loi condamne à la déportation les personnes dont l’incivisme serait un sujet de trouble.

Le 4 mai, on avait enjoint aux municipalités de fixer un maximum du prix des grains et farines. Cette loi ôtait au commerce, à l’industrie et à l’agriculture la liberté sans laquelle ces trois nourrices de la société ne peuvent vivre. Mais on voulait atteindre, ruiner et mettre au niveau des prolétaires les hommes de la classe moyenne que les Jacobins désignaient sous les dénominations d’aristocratie bourgeoise, d’aristocratie mercantile et de négociantisme.

Ce qu’on appelait maximum était un tableau officiel qui fixait le prix de vente, en gros et en détail, de toutes les productions de la terre et des matières premières, depuis le blé jusqu’au coton des Indes, la soie et la laine, l’indigo, le café et tous les objets de fabrication. Or, comme ces tableaux étaient dressés par des ignorants, incapables de coter exactement les prix si variables de transport, les intérêts des capitaux avancés, la plus-value acquise par le travail, les profits légitimes du négociant, de l’entrepreneur, de l’ouvrier et du vendeur, on comprend aisément que le maximum ait jeté dans les affaires une perturbation qui fut la ruine de tous.

Un loi du 20 mai avait établi un emprunt forcé d’un milliard sur les riches, désignation qui fut d’une élasticité merveilleuse, pour épargner les amis de la révolution et écraser ses ennemis en les ruinant.

Les jurés chargés d’appliquer les lois étaient la plupart des gens sans instruction. Ils étaient payés à dix-huit sols par jour pour condamner, car les agents nationaux ne leur laissaient pas la liberté d’absoudre. Leurs jugements étaient sans appel, exécutés sur l’heure et avec la dernière rigueur. La condamnation emportait la confiscation des biens, et l’on ruinait la famille entière en frappant le chef.

Les églises avaient été profanées, dépouillées, quelques-unes renversées, et celles qui restaient debout étaient souillées par les clubs. Les prêtres étaient en fuite et le mourant implorait en vain leur ministère consolateur ; les réquisitions avaient enlevé la fleur de la jeunesse, et l’on était menacé d’une levée en masse ; les troupes de passage étaient logées et nourries aux frais des habitants, et les vivres étaient rares et chers; les meilleurs citoyens étaient en prison ou en fuite; enfin l’occupation française pesait lourdement sur la Savoie, qui, alors comme aujourd’hui, ne soupirait qu’après le moment où elle serait délivrée du joug de la Révolution.

Indépendamment des maux réels, les craintes les plus vives sur la vie et sur les propriétés étaient surexcitées par les vociférations des agents révolutionnaires qui colportaient, en les amplifiant et en les commentant, les affreuses menaces prononcées dans les clubs français contre tout ce que cette nation avait d’hommes honorables et possédant quelque chose.

Un apostat, nommé Lausset, de Clignac, département de l’Hérault, avait fait pendant longtemps, dans les clubs de Lyon, les motions les plus sanguinaires, et ses paroles étaient fidèlement colportées dans toutes les communes de nos montagnes. Voici un curieux échantillon de l’éloquence de cette époque néfaste et du style de cet orateur furibond:

«Les temps sont proches, frères, préparez-vous donc aux devoirs que vous inspire votre beau titre de citoyen! Il faut du sang à la régénération politique de la nation; il faut des cadavres à l’arbre de la liberté ; car il convient de noyer dans le sang des aristocrates le souvenir d’un esclavage de treize siècles; car l’arbre de la liberté doit nécessairement jeter ses racines dans les cadavres des ennemis de la liberté. Courage donc, frères, serrez vos rangs; étouffez dans vos cœurs tous les germes de toutes les divisions; les temps sont proches, ralliez-vous dans une seule et même pensée, sous un seul et même cri: Mort aux tyrans! Aux armes, frères! les ennemis sont à nos portes, aux armes! massacrons tous les ennemis de la liberté. Allons, s’il le faut, pour accomplir l’œuvre de la régénération sociale, allons chercher jusqu’aux seins des femmes le fruit des aristocratiques amours; livrons ensuite leurs cadavres impurs à la voracité des sinistres corbeaux; faisons plus, frères, en l’honneur de la chose publique, parons-nous de leurs dépouilles, portons leurs boyaux en bandouillères et buvons dans le crâne des victimes à la santé de l’avenir des hommes qui doivent tous être égaux devant la loi de la terre, comme ils le sont devant la loi de Dieu.»

Lausset, en s’arrogeant le droit de mort sur des victimes qu’il choisissait, prouvait sans s’en douter que tous les hommes n’étaient pas égaux devant la loi de la terre. Mais, dans ce temps de cahos, qu’importe une inconséquence de plus? Ce qui est avéré, c’est que ce langage, colporté dans notre honnête et religieuse Savoie, déjà avant l’occupation française, y avait répandu un juste effroi.

Cependant les troupes austro-sardes présentaient sur les Alpes une armée à laquelle la France ne pouvait opposer une force suffisante. Mais l’Autriche s’amusa encore à jouer son vieux jeu avec le roi de Sardaigne, c’est-à-dire à le secourir assez pour l’empêcher d’être écrasé, mais trop peu pour le faire triompher. Il y avait pourtant la mort d’un roi à venger et une princesse autrichienne à sauver! Mais il était écrit que l’Autriche paierait cher un jour la lâcheté qui hésite quand l’honneur commande. Si l’héroïque ville de Lyon et la fédération du Midi avaient été appuyées par les 80,000 hommes qui étaient campés sur les Alpes, nul doute que la révolution eut été arrêtée dans ses violences. Mais l’héroïsme de la noble cité ne put la sauver, et il paraît que rien, dans ce moment fatal, ne pouvait empêcher le triangle d’acier de travailler dans toute la France.

Dans le mois d’août, un faible corps piémontais pénétra en Faucigny jusqu’à Cluses, en Tarentaise jusqu’à la Roche-Cevins et Beaufort, et en Maurienne jusqu’à Saint-Jean.

Toutes les troupes françaises coururent, les unes aux Alpes, pour arrêter les progrès des armées austro-sardes, les autres pour former le corps avec lequel Kellermann devait faire le siège de Lyon. La ville d’Annecy, au mois d’août, fut tout à coup dégarnie de soldats français et livrée à elle-même. Les amis dévoués du roi faisaient courir des bruits sur la prochaine arrivée de ses troupes; cependant la population se tenait forttranquille, lorsqu’une circonstance insignifiante mit toute la ville en ébullition, comme une étincelle fait sauter un magasin de poudre .

Le mercredi 21 août 1793, un charriot très chargé de blé sortait par la porte du Sépulcre, lorsque quelques femmes affamées, croyant que ce grain était conduit dans les magasins des troupes françaises, s’opposèrent à son départ. Au bruit de la querelle de ces femmes avec le conducteur, la populace accourut de toutes les extrémités de la ville; puis, l’exaltation croissant avec la foule, on finit par piller la voiture. En vain des personnes sensées essayèrent-elles de faire comprendre la gravité de cet acte de violence; leurs sages conseils furent rejetés. Etait-ce hasard, était-ce crainte de l’arrivée des troupes sardes; mais, ce jour-là, toutes les autorités républicaines se trouvaient en villégiature, de sorte que le peuple put agir en toute liberté.

Au milieu de la surexcitation causée par un tel acte, arrivèrent en foule les commentaires sur la rareté et la cherté des vivres, sur la misère qu’on éprouvait, sur les proscriptions dont tant de parents et d’amis étaient victimes, sur les dépenses causées par l’occupation, et, de ce tableau peu riant, on en vint tout naturellement aux souvenirs d’un temps encore peu éloigné, où l’abondance faisait vivre avec peu, où le travail donnait aux ouvriers une aisance honorable, où la religion et ses ministres étaient vénérés, les temples ouverts à la prière pour les grands comme pour les petits, où la liberté des citoyens était respectée, les levées d’hommes insensibles, les impôts si modérés, et où les prisons n’étaient ouvertes que pour les accusés de cette sorte de délits que toute société poursuit et condamne.

De propos en propos, les esprits s’échauffèrent, et la question alimentaire se transformant insensiblement en question politique, les cris de: A bas les républicains, les impies! Vive le roi! sortirent de toutes les poitrines féminines: bientôt les hommes se laissèrent entraîner et la ville entière fermenta comme une ruche qui va essaimer.

On se livra d’abord aux plus vifs transports de joie; on se félicitait d’une délivrance en laquelle on mettait une foi bien aveugle, puisqu’elle n’était appuyée sur aucun indice certain; on s’embrassait tous dans les rues, riches et pauvres; le bonheur avait rapproché les distances, et il n’y avait plus en ce moment dans notre ville qu’un peuple de frères.

On évita de molester les agents un peu trop dévoués à la république et ses partisans; mais on se jeta sur les insignes révolutionnaires. Les arbres de la liberté qui portaient aux nues le bonnet rouge furent renversés, les drapeaux tricolores lacérés et traînés dans les ruisseaux; des banquets et des danses furent improvisés. Le soir il y eut illumination, et on se livra sans inquiétude à tous les élans d’une joie à laquelle on ne prévoyait pas de terme.

La prison de l’Isle renfermait alors un bon nombre de nos concitoyens, arrêtés pour les causes futiles dont nous avons donné la curieuse énumération. Mais tout grotesques qu’étaient les motifs consignés dans les mandats d’arrêts, ceux-ci n’en étaient pas moins redoutables et exécutés avec rigueur.

Le peuple est ainsi fait qu’il est prompt à se soulever, mais aussitôt que l’émotion publique est maîtresse, elle comprend qu’il lui faut des chefs pour la diriger, et elle avait pourvu au milieu de la place publique à l’administration de la ville. Le commandant de La Fléchère vivait alors très retiré dans sa maison située au bas de la côte Saint-Maurice, lorsque le flot populaire alla le chercher dans sa retraite et le força de prendre la direction du mouvement. On conçoit qu’aucun acte administratif ne fut possible au milieu de cette agitation. Mais le soir, à la tête de toute la population, il se porta à la prison de l’Isle et mit en liberté les prisonniers politiques.

Il s’y trouvait alors Joseph Duret, d’Aviernoz, hameau du Vuard, comme prévenu cfaristocratie et d’incivisme marqué ; Claude Avrillier, cordonnier; Claude Laffin, maire de Thorens, prévenu d’avoir flétri une liberté constitutionnelle; Antoine Favre. procureur de la commune de Thorens, prévenu d’incivisme; Jean-Joseph André, Pierre-François Avet et Jean-François Missilier, de Thônes; Joseph Bochet, du Villard-sur-Thônes; Michel Morand, de Charvonnex, prévenu d’avoir troublé l’assemblée populaire de Pringy; Guillaume Dumolard, d’Annecy, convaincu de s’être porté à des propos desorganisateurs; Fortunat Mécour, de Champ (Isère), émigré ; Eloi Derriey, du Jura, prévenu de la plus forte suspicion; Vincent Valentin, ci-devant de Fésigny, pour cause de suspicion; Claude Fagot; Constant Valentin, garçon tailleur, prévenu d’avoir tenu des propos inciviques et tendant à la désorganisation.

Remarquons, en passant, avec quel zèle ceux qui avaient tout désorganisé invoquaient l’ordre et s’élevaient contre les désorganisateurs, chaque fois qu’on touchait à la boutique révolutionnaire.

Enfin, M. de La Fléchère eut le bonheur de rendre à la liberté son frère François-Marie, arrêté depuis trois jours, comme prévenu de correspondance contre la sûreté publique. En tout quinze détenus furent délivrés par la force du peuple, ayant à sa tête le citoyen La Fléchère, comme disent les actes publics du temps.

Mais la nuit dissipa les illusions de la veille. Les individus envoyés dans diverses directions n’avaient apporté le lendemain matin aucune nouvelle de l’armée savoyarde. L’inquiétude gagna bientôt la ville. Le soir, on apprit que des détachements de troupes françaises arrivaient de plusieurs côtés. Les autorités républicaines, qui avaient disparu la veille, reviennent en ville. Les délivrés de la veille gagnent la campagne et fuient. Tous ceux qui s’étaient distingués dans l’émeute en font autant, et la ville n’est bientôt plus qu’un désert.

A Annecy, on attendait d’un moment à l’autre d’y voir arriver les troupes royales, lorsque l’avocat Burnod, procureur-syndic du district, franc-maçon dévoué, patriote acharné, terroriste enragé, qui était d’Annecy, revint pour aller arrêter les troupes sardes.

Un faux avis avait prévenu M. de La Fléchère que les troupes piémontaises arriveraient pendant cette même nuit; en sa qualité d’ancien militaire, et commandant de place d’Annecy, il crut de son devoir d’aller au devant des soldats du roi.

Mais arrivé aux Marquisats, près de l’endroit où est maintenant élevée la croix blanche, il s’aperçut qu’au lieu de soldats, il avait devant lui une troupe de bourgeois commandés par Burnod. Il se cacha derrière une haie, avec le charpentier (J. Clarin), qui l’avait accompagné. Mais un reflet de lumière sur ses armes le trahit, il fut saisi et barbarement mis à mort par Burnod, qui le frappa le premier. Le pauvre charpentier voulut fuir, mais il fut atteint et assassiné . Il était 2 heures après minuit. Ce n’était pas assez pour Burnod d’avoir ôté la vie à M. de La Fléchère. Il va faire des motions au club, fait décréter la confiscation de ses biens, et mettant en réquisition des maçons et des charpentiers, se faisant appuyer par la garde nationale, avec ses deux pièces de canon chargées, il fait raser la maison de La Fléchère située au bas de la rampe du château, rue de l’Isle . C’est à l’emplacement de cette maison que nous avons fait allusion.

Aussitôt que les autorités républicaines eurent repris le pouvoir, on se mit à faire des enquêtes pour trouver les coupables. Pendant longtemps, on ne découvrit rien; les fugitifs prirent peu à peu confiance et rentrèrent successivement chez eux, où leurs affaires et les besoins de leurs familles les forçaient de revenir.

Mais, quelque temps après, une trentaine de personnes furent arrêtées. On remarque dans ce nombre André Rassat, prévenu d’attaque contre les conducteurs du charriot pillé à la porte du Sépulcre; André et Marie Godet, François Collomb, François Montréal, Jean Barut, Ambroise Décisier, Joseph Lance, prévenus d’avoir répandu le bruit de l’arrivée de 40,000 Piémontais, avec 40 pièces de canon; la nommée Désirée du Bellair, Parent père, Guillot, aubergiste, Fournier père, horloger, Antoinette Rivollet, femme Quintel, Françoise Falconnet, François Gurret, Jean Ailloud, de Grenoble, prévenu d’avoir porté la hache sur l’arbre de la liberté ; Claude Chagnon, Claude Dechosal, Christine Dubouloz, Françoise Lacombe, Jeanne Vibert, Etiennette et Françoise Abé, Marie Guillot, Aimée Chapelle, veuve Depassieux, Aimée Guerra et François de Coussy.

Le tribunal criminel du département du Mont-Blanc, siégeant extraordinairement à Annecy, et présidé par Gauthier, le 16 ventôse (6 mars 1793), élargit la plupart de ces détenus et condamna les autres à quelques mois de prison.

François de Coussy fut conduit à Paris. Un bon nombre des inculpés, entre autres Collomb de Bovagne, s’échappèrent dans la nuit du 21 au 22 décembre suivant, par une brèche pratiquée dans les latrines de la prison.

La plus cruellement punie des personnes arrêtées à l’occasion de l’émeute du 21 août fut la femme Fredelane Decoux, dite Boname, qui, le 11 septembre, fut «conduite sur la place de la Liberté (place Notre-Dame) pour y être attachée au pilori, qui sera placé à ses frais, où elle restera pendant deux heures, après quoi, elle sera relâchée et mise en liberté, le tout en exécution de l’arrêté du représentant du peuple Simon».

De toutes les femmes qui prirent part au soulèvement national du 21 août 1793, une seule parvint à échapper aux nombreux ordres d’amener qui furent lancés contre elle.

Plutôt que de se rendre, elle préféra le séjour de la montagne, l’habitation des grottes, la solitude et le froid. C’est qu’elle était tout particulièrement poursuivie, car elle était coupable et bien coupable; écoutez plutôt.

Il y avait, au sommet de l’arbre de la liberté planté place Notre-Dame, un superbe bonnet républicain. Lorsque la hache eût fait tomber l’arbre, tous se précipitèrent sur la dépouille républicaine; mais une jeune fille s’empara du bonnet sacré, et le passant sous elle, avec une liberté tant soit peu trop démocratique, il en sortit dans un état difficile à décrire.

On conçoit bien qu’un tel crime de lèse-majesté phrygienne fut dénoncé avec indignation, et que la plus grave peine pouvait seule l’expier. Aussi, pour échapper à une punition trop certaine, l’insolente jeune fille gagna la montagne. Fille d’un serrurier du faubourg de la Perrière, elle avait parcouru en tous sens le crêt du More et en connaissait les moindres anfractuosités. Elle alla y demander un asile aux souvenirs de son enfance, et elle se condamna volontairement à une vie d’isolement, de privations, de souffrances et de terreurs, car elle avait à craindre à la fois les hommes et les bêtes féroces.

En ce temps-là, le crêt du More, actuellement si nu et si chauve, était encore couvert d’une forêt, mélange gracieux de sapins, de fayards, de myrtilles et de bruyères. Au-dessus, est une plaine hérissée de pointes de rochers dont les bancs perpendiculaires sont découpés par des fissures plus ou moins profondes, creusées par la nature ou par les chercheurs de minerai de fer. C’est dans ce labyrinthe de creux qu’elle trouva un asile assuré, où elle échappa à toutes les recherches. Des parents et quelques amis sûrs allaient pendant la nuit déposer sa nourriture dans des endroits convenus. Pendant plus de quatre longues années, elle brava la chaleur et le froid des saisons, et gagna l’époque où la tempête révolutionnaire étant moins violente, elle put enfin reprendre sa place au foyer paternel.

Le palais de l'Isle à Annecy

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