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III
L’AUBERGE DE LA. POMME D’AMOUR

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Table des matières

Le surlendemain du jour où le voyage d’Auxerre avait été décidé entre Charles et Henri, les deux amis se mirent en route. Ils avaient d’abord fait porter au chemin de fer leurs bagages qu’ils envoyaient directement à Auxerre, bureau restant; puis cette formalité accomplie, ils s’étaient élancés gaiement à travers la campagne, lestes et joyeux comme deux pinsons en rupture de cage.

Le soleil resplendissait dans le bleu firmament, les oiseaux égrenaient leurs chansons dans le feuillage des arbres, et les jardins étaient remplis de fleurs odorantes qui brillaient sous la rosée, car c’était le matin, le matin étincelant et embaumé d’un beau jour d’été. Les deux amis cheminaient allègrement sous le charme de cette saison brillante, exaltant leur esprit en voyant la grandeur de la création, et jetant aux échos leurs gais propos et l’admiration que leur arrachait le spectacle de la nature, où tout était harmonie et splendeur.

C’est ainsi qu’ils traversèrent Charenton, Villeneuve-Saint-Georges, Montgeron, et qu’ils arrivèrent à Brunoy à l’heure du dîner, avec un appétit bien légitimement motivé par une étape de six lieues et pouvant rivaliser sans désavantage avec l’appétit de la baleine qui avala Jonas à son souper, ou avec celui d’Ésaü, célèbre dans l’histoire pour avoir échangé son droit d’aînesse contre un plat de lentilles.

Mourant de faim, le nez en l’air et les narines dilatées, nos voyageurs se mirent à la recherche d’une auberge, recherche qui n’est ni longue ni difficile, car Brunoy est très sensiblement moins grand que Paris, qui est moins grand que Londres, qui est moins grand que Pékin. à ce qu’on dit du moins, l’auteur de cette histoire n’ayant jamais eu l’occasion de vérifier le fait par lui-même et n’osant par conséquent absolument rien affirmer.

C’est Charles qui le premier découvrit l’enseigne d’une auberge où l’on sert à boire et à manger aux voyageurs à pied et à cheval, et faisant de grands gestes avec son bâton, il s’écria:

–Une auberge! A la Pomme d’amour, cela promet. Sauvés, merci, mon Dieu! Je rêvais déjà du radeau de la Méduse.

Et, suivi d’Henri, il entra dans la salle commune de l’auberge en chantant à pleine voix ce couplet d’une scie d’atelier bien connue:

On tira z’à la courte paille,

On tira z’à la courte paille

Pour savoir qui… qui… qui… s’rait mangé,

Pour savoir qui… qui… qui… s’rait mangé.

Puis il continua par ce couplet improvisé pour la circonstance:

J’ erois qu’ça va-t-être la volaille,

J’ crois qu’ça va-t-être la volaille

De l’aubergiss… t’hos… t’hos… t’hospitalier,

De l’aubergiss… t’hos… t’hos… t’hospitalier…

Henri, râclant un violon imaginaire en frottant son bâton sur son bras gauche, accompagnait son ami en faux-bourdon et exécutait en même temps une danse étonnante.

L’aubergiste ne parut nullement surpris de cette invasion musicale; il vit de suite à qui il avait affaire. –Brunoy, jolie petite ville située à vingt-deux kilo mètres du théâtre des Folies-Dramatiques et remarquable par la magnifique propriété qu’y posséda jadis le grand Talma, Brunoy n’est pas tellement enfoncé dans l’intérieur d’une terre déserte qu’on n’y connaisse les artistes et leurs joyeuses allures. En aubergiste civilisé et qui sait son munde, le maître de la maison se mit de suite au diapason des arrivants et leur répondit sur le même air:

Messieurs, si la faim vous tenaille.

Messieurs, si la faim-vous tenaille,

Vous n’êtes ja… ja… ja… mais mieux tombés,

Vous n’êtes ja… ja… ja… mais mieux tombés.

Charmés de cette réception si parfaitement en harmonie avec leur entrée, les deux affamés reprirent en chœur:

Nous allons donc faire ripaille,

Commençons vite la bataille.

Mettons à sac… sac… sac… le poulailler,

Mettons à sec… sec… sec… tout le cellier.

L’aubergiste appelle sa femme, belle et forte luronne dans toute la brillante maturité de ses charmes puissants, et sa servante, jolie petite brunette à l’air éveillé, dont les lèvres rieuses semblent ébaucher d’elles-mêmes les savoureux baisers que promettent éloquemment deux grands yeux chargés à mitraille.

On s’occupe vivement des apprêts du repas; on s’agite, on se trémousse; la marmite, au milieu des flammes, chante les bruyants cantiques du pot-au-feu, pendant que les casseroles, entonnant à leur tour les réjouissants alleluias du ventre, mêlent leurs ronronnements dans un joyeux concert de haute-graisse, sous la vapeur qui plane au-dessus d’elles, tout imprégnée des odeurs nourrissantes de la cuisine.

Bientôt un confortable dîner est offert à l’appétit formidable des deux amis, qui s attablent jusqu’au menton et dont les mâchoires, avides d’activité, engagent une lutte terrible, mais noblement soutenue avec les plats étalés devant eux.

–Dis donc, Henri, fait observer Charles entre deux bouchées, sais-tu qu’elle est diablement affriolante, la petite bonne?

–Oui, c’est un beau brin de fille; elle vous a des yeux.

–Nom d’un chien, oui! à faire cuire dans son jus un régiment de ligne tout entier. Elle me plaît beaucoup, cette petite.

–Tu n’es pas difficile,

–Et, ma foi! si je pouvais la rencontrer dans.

Quelque endroit écarté,

Où de batifoler on eût la liberté.

–Est-ce que tu voudrais?

–Eh! eh! répliqua Charles avec un sourire de jubilation anticipée, j’avoue que je ne serais pas fâché de savoir si la friponne est femme à tenir toutes les alléchantes promesses de ses grands yeux noirs.

Charles et Henri quittent la table et sortent pour aller prendre l’air dans la cour. La nuit vient rapide-ment. Charles, tout entier aux idées folâtres qu’ont suscitées en lui les yeux ardents et les lèvres engageantes de la jolie brunette, se tient attentif à toutes les allées et venues qui se font dans la cour, et il ne tarde pas à apercevoir la petite servante qui se dirige vers un hangar où il y a des fagots.


Charles et Henri sont reçus par l’aubergiste de la Pomme d’amour (CH. III)

Aussitôt il la rejoint, et tandis qu’Henri continue sa promenade, il entame avec elle un entretien fort animé.

Cependant, comme un hangar ouvert à tout venant dans une cour d’auberge n’est pas absolument le dernier mot du confort pour un amoureux en quête de silence et de mystère, Charles revient au bout de quelques minutes et dit à Henri:

–Enlevée d’assaut, la forteresse! Hourra! la ville est prise.

–Comment, déjà!

–Oh! pas comme tu l’entends; mais du moins la capitulation est signée. En un mot, je sais où est la porte de la petite, et ce soir elle sera ouverte.

–La petite?

–La porte, mauvais plaisant, la porte. Alors, quand Morphée aura secoué ses pavots sur les habitants de cette folle terre. tu comprends? En avant, Fanfan la Tulipe, en avant, nom d’une pipe, en avant!

Les deux amis se promènent quelques instants encore, puis ils rentrent et montent dans la chambre qui leur a été préparée. C’est une chambre à deux lits dont nous croyons superflu de faire la description, cette pièce ne devant être le théâtre d’aucun événement de quelque nature qu’il soit, mais étant destinée uniquement, du moins dans les prévisions de l’aubergiste, à protéger le sommeil de nos deux voyageurs.

Charles et Henri se couchent, échangent quelques dernières phrases, puis s’endorment, Henri comme un garçon qui a vingt-deux kilomètres dans les mollets, et Charles comme un général d’armée qui se hâte de prendre rapidement quelques instants de repos avant les grands combats de tout à l’heure.

Pendant ce temps, l’heure passe, la nuit est venue, noire et profonde, le bruit s’est éteint peu à peu dans l’auberge, qui demeure maintenant ensevelie dans un calme absolu; tout le monde est couché et dort, et le silence, comme un épais manteau de plomb, couvre tout de sa lourde immobilité.

Charles, qui ne dormait que d’un œil, à la façon des gendarmes et des amoureux, se réveille bientôt en fredonnant ce passage des Noces de Figaro:

Mon cœur soupire

La nuit, le jour.

Qui peut me dire

Si c’est l’amour?

La respiration calme et régulière d’Henri annonce un sommeil profond. Charles se lève doucement, passe à la hâte quelques vêtements indispensables, ouvre la porte sans bruit et il s’éloigne sur la pointe du pied.

Quand il est dans le corridor, il cherche à s’orienter conformément aux indications que lui a fournies la petite bonne.

–C’est bien cela, murmure-t-il. Voilà ici, au bout du corridor, la chambre de l’aubergiste et de safemme; la chambre de la petite se trouve directement au-dessus. Bon! je n’ai qu’à monter cet escalier.

Charles monte en s’entourant de mille précautions, tourne à droite et arrive devant une porte sous laquelle passe un mince filet de lumière.–La clef est sur la porte, qui d’ailleurs n’est que poussée.

–Bon! fait-il, on m’attendait.

Et il entre.

La chambre de la petite, nous l’avons dit, est située juste au-dessus de celle de l’aubergiste. C’est une petite pièce mansardée et ornée, pour tous meubles, d’un lit de sangle, d’une table et d’une chaise imparfaitement gernie de paille.

La servante est au lit; une chandelle brûle auprès d’elle.

–Qui est là? demande-t-elle par manière d’acquit, en voyant sa porte céder sous la pression de la main de Charles, car elle a parfaitement deviné le jeune homme.

–C’est moi, charmant petit séducteur d’œil! ne craignez rien.

–Comment! c’est vous, monsieur?

–Ne m’attendiez-vous pas, mon délicieux sirop de groseilles? J’ai beaucoup tardé, c’est vrai.

–Vous avez osé venir?

–Ne me l’avez-vous pas permis?

–Mais que voulez-vous?

–Vous dire que je vous aime, que je vous adore, que vous êtes une femme divine, une céleste créature, un joli petit séduisant poulet d’amour.

–Non, monsieur, allez-vous-en; si on savait que vous êtes ici, qu’est-ce qu’on dirait? Allez-vous-en!

Mais la petite servante prononce ces paroles avec une expression si peu farouche, qu’il n’est pas permis de croire sérieusement à sa résistance; ce qui fait que le jeune homme, au lieu de se retirer, va simplement s’asseoir sur le bord du lit. Il prend une main qu’on lui abandonne sans trop de résistance, il prend un baiser, il en prend deux, il en prend énormément; on dirait qu’il veut en faire une collection, et, ma foi! on ne sait où s’arrêteraient ses folles entreprises, si la jeune fille ne le repoussait à la fin en lui disant:

–Mais, monsieur, qu’est-ce que vous faites?

–Vous le voyez, ô bonheur de mes sens, adorable… Comment vous appelez-vous?

Francine, pour vous servir!

–Vous le voyez, adorable Francine, ma tulipe chérie, je bois à la coupe du bonheur.

–Finissez, je vous en prie!

–Comment, que je finisse! quand je commence à peine!

–Si l’on vous voyait!

–Mais qui voulez-vous qui nous voie?

–Je ne sais. mais. cette chandelle.

–Ah! c’est juste, fait Charles en riant; je l’avais oubliée.

Aussitôt il souffle la chandelle, et les ténèbres couvrent tout dans la chambre de leur sombre épaisseur,

Les Noces de Coquibus

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