Читать книгу Les Noces de Coquibus - Albert Humbert - Страница 7

IV
OU L’ON VERRA LES CONSÉQUENCES INATTENDUES D’UNE LUTTE TERRIBLE QUI EUT LIEU LA NUIT ENTRE UNE SERVANTE D’AUBERGE ET UNE ARAIGNÉE.

Оглавление

Table des matières

L’obscurité qui règne dans la chambre ne nous permet pas de définir d’une manière bien exacte ce qui s’y passe; le lecteur aura donc l’indulgence de ne pas se montrer plus curieux que nous et voudra bien ne pas pousser l’exigence jusqu’à demander que nous soulevions le sombre voile de la nuit.

On peut toutefois affirmer en toute sûreté de conscience qu’il y a quelque chose d’insolite, car bientôt le lit de sangle, qui n’était peut-être pas déjà bien solide, se brise, manque des quatre pieds et tombe par terre avec un fracas épouvantable.

A quelle cause attribuer cet accident? Il arrive tant de choses dans le monde dont on ne songe pas à rechercher les causes, qu’il serait bien futile de s’égarer ici dans des recherches profondes pour essayer d’augmenter d’une simple unité le nombre des causes dont on a trouvé la source. L’auteur déclare donc qu’il accepte l’événement tel qu’il se produisit, sans explications comme sans commentaires.

Tout ce qu’il importe au lecteur de savoir, c’est que l’aubergiste, qui dormait maritalement à côté de sa femme, au-dessous de la chambre de leur servante, fut brusquement réveillé par l’écroulement du lit de sangle et qu’il poussa sa femme en lui disant:

–Catherine, as-tu entendu? ça vient de là-haut.

Mais il faut croire que Catherine avait beaucoup besogné dans la journée et qu’elle était accablée de fatigue, ce qui rendait son sommeil d’autant plus lourd, car elle n’avait pas entendu le bruit d’en haut et ne répondit pas davantage à l’appel de son mari; de sorte que celui-ci, sans essayer à nouveau de réveiller sa femme, sauta en bas du lit en se disant:

–Ce bruit-là, ça n’est pas naturel; je vas savoir ce que c’est.

Là-dessus, il alluma sa chandelle, s’arma d’un gourdin et se dirigea vers les hauteurs de la maison.

–Que diable ça peut-il être? faisait-il tout en montant l’escalier; un voleur, sans doute… dans le grenier… ah! par exemple, je voudrais bien voir ça… Attends un peu, mon bonhomme, attends! tu vas voir de quel bois je me chauffe… Pourtant le bruit s’est fait au-dessus de ma tête, comme si ça venait de la chambre de Francine. Nous allons voir un peu.

En monologuant de la sorte, l’aubergiste atteignit la porte de la mansarde.

Disons tout de suite que Charles, après la mésaventure du lit de sangle, à laquelle il n’était peut-être pas tout à fait étranger, n’avait pas songé à quitter la chambre assez tôt pour éviter l’aubergiste qui montait; quand celui-ci fut arrivé aux dernières marches, il n’eut que le temps de se blottir sous un grand rideau, derrière lequel étaient pendues les robes de la petite servante, et il se dissimula de son mieux au milieu des jupons, immobile et silencieux.

L’aubergiste, coiffé d’un bonnet de coton colossal et couvert pour tout vêtement d’une petite chemise qui descend à peine au milieu de ses grosses cuisses, tenant une chandelle d’une main et son bâton de l’autre, entre dans la chambre de Francine pour s’informer.

–Vous n’avez rien entendu? crie-t-il dès le seuil de la porte.

Mais il change bientôt d’intonation.

–Bon sang! s’écrie-t-il en voyant le lit de sangle qui gît à terre et comprenant dès lors la nature du bruit qui l’a réveillé. Quel mic-mac avez-vous fait? demande-t-il à Francine qui était restée aussi tranquillement couchée que si rien ne lui fût arrivé. Quel mic-mac avez-vous fait pour flanquer votre lit les quatre fers par terre et faire un tapage à réveiller tout le département?

–Ma foi! je ne sais pas, moi, monsieur, répond la petite rouée avec un air d’ingénuité à lui mériter un certificat de rosière. Je dormais, et puis j’ai eu le cauchemar. J’ai rêvé que je nettoyais le grand chaudron de cuivre rouge, et le chaudron avait un œil dans le fond, qui grandissait en me regardant, et que plus il me regardait et plus, il grandissait. Tout d’un coup, comme je venais de tomber dans le chaudron à cause de son œil qui m’attirait, voilà le chaudron qui s’est changé en une grande, grande araignée qui m’entortillait avec ses grandes pattes et qui voulait m’emporter; etmoi je me débattais, je gigottais avec mes bras, avec mes pieds, et tout d’un coup j’ai entendu un grand coup sur le fond du chaudron, qui était revenu à la place de l’araignée, et je me suis réveillée, comme ça, par terre, sur mon lit brisé. Oh! j’ai eu bien peur, allezJ

–En effet, reprend l’aubergiste, il est bien extraordinaire, votre rêve! Mais ce qu’il y a de plus clair dans tout ça, c’est que le lit est cassé. Il faut que vous vous soyez joliment donné du mouvement avec cette araignée.

–Peut-être bien, monsieur. Pensez donc quand on a le cauchemar!…

–Vous n’êtes pas blessée, au moins?

–Non, monsieur, je ne crois pas.

–Voyons… Laissez, que je regarde.

L’aubergiste, dont le cœur vient d’être subitement enflammé, d’une part par les yeux noirs de Francine qui ne lui avaient jamais paru briller d’un aussi vif éclat qu’en ce moment, d’autre part par le commencement d’une gorge appétissante que la couverture indiscrète ne voile pas suffisamment, tenté surtout par l’occasion, l’aubergiste, disons-nous, a senti des idées folles lui tourbillonner dans la tête; et maintenant qu’il a reconnu la cause du bruit de tout à l’heure, le voilà qui veut s’assurer si la jolie brunette n’a rien eu d’endommagé dans sa terrible lutte avec l’araignée.

Francine le prie de s’en aller et proteste que l’aubergiste n’a besoin de rien voir, puisqu’elle ne se plaint pas et qu’elle n’a aucun mal; mais c’est en vain. L’aubergiste a la ténacité des gens qui veulent profiter de l’occasion, et sans écouter les supplications de sa servante, qui le menace de sa femme,– ce qui produit sur l’esprit de l’entreprenant aubergiste juste autant d’effet que si sa femme fut accrochée depuis des siècles à une des cornes de la lune,– il pose sa chandelle à terre, se met à quatre pattes, et s’avance en murmurant d’une voix qu’il s’efforce de rendre pleine de séduction:

–Ma jolie petite Francine, je te dis que tu dois avoir du bobo; laisse que je voie.

A ce moment, Charles, qui sent que le danger devient pressant, se dégage tout doucement du rideau derrière lequel il s’est abrité, se glisse à petits pas derrière l’aubergiste, se saisit du bâton que le brave homme a laissé contre une chaise, en donne un premier coup sur la chandelle qui s ’éteint, un second sur les fesses de l’aubergiste qui pousse un hurlement de douleur et d’effroi, tout cela en moins de temps qu’il n’en faudrait à un homme d’âge pour cligner un œil; puis il franchit ia porte d’un bond, donne un tour de clef à la serrure et retourne tranquillement se fourrer dans son lit.

: En se recouchant, il jette un regard sur le lit d’Henri et s’aperçoit que son ami n’est plus là. Il pense qu’il aura été appelé au dehors par un de ces besoins naturels suffisamment justifiés par l’abondance de la nourriture prise au repas du soir, et, sans s’en préoccuper autrement, il se met en devoir de se rendormir.

Toutefois, que le lecteur ne partage pas l’erreur de Charles touchant l’absence d’Henri.

Ce dernier était en effet sorti, mais nous allons voir que c’était une autre cause que celle que soupçonnait son ami qui le retenait loin de son lit.

Un peu après le départ de Charles pour son expédition nocturne, Henri s’était éveillé à son tour; il avait vu vide le lit de son ami et il s’était tenu ce raisonnement:

–Ce farceur-là est allé courir après la petite brunette, c’est certain. Mais puisque me voici éveillé, il faut que je lui joue un bon tour… Oui, une bonne idée! je vais tâcher de les surprendre pour leur faire peur.

Cela dit, il s’était levé pour essayer de rejoindre Charles; mais, dans son ignorance de la position topographique de la chambre de la servante, il avait été forcé de chercher au hasard.

En sortant de chez lui, il avait enfilé le corridor, à l’extrémité duquel il avait trouvé, guidé par le pâle reflet de la lune, une porte entre-bâillée.

–C’est ici, s’était-il dit. Cet étourneau de Charles a oublié de fermer la porte sur lui. Attention aux, tourtereaux!

Et il était entré dans cette chambre ouverte, où" la femme de l’aubergiste dormait paisiblement, pendant que son mari cherchait à s’assurer si Francine n’avait pas reçu quelque blessure dans sa bataille avec l’araignée.

C’était à ce moment même que l’aubergiste recevait un vigoureux coup de bâton sur la croupe et poussait son hurlement.

Henri entend ce cri. qui retentit au-dessus de sa tête, il entend une porte qu’on ferme à clef, puis un pas rapide qui descend l’escalier et passe devant la porte qu’il vient de franchir lui-même, et, tout de suite après, le bruit d’une porte qu’on ferme et qui paraît être celle de la chambre où lui et son ami sont censés goûter les douceurs du sommeil. Il devine alors qu’il n’est pas dans la chambre de la servante, comme il le supposait, et que le pas qu’il vient d’entendre doit être celui de Charles, qui retourne se mettre au lit; et sa position lui semble d’autant plus scabreuse qu’il entend la respiration de quelqu’un qui dort dans la chambre où il s’est si malencontreusement aventuré.

–Diable! fait-il; tâchons de nous sortir d’ici tout doucement, sans réveiller celui qui dort là.

Mais l’opération n’était pas aussi simple qu’il semblait, car en entrant Henri avait tiré la porte derrière lui et il s’était avancé assez loin déjà dans l’intérieur.

Pendant qu’il marchait à tâtons, dans la position ridicule d’un monsieur qui joue au colin-maillard, son pied butta contre quelque chose, qui fut renversé à terre avec un grand bruit de chaudron et de vaisselle cassée.

Aussitôt la personne qui dormait fut arrachée de son sommeil, et Henri l’entendit qui demandait:

–C’est toi, Joseph? Tu as besoin de quelque chose? Tu veux toujours te lever sans lumière, et tu as renversé la petite table. Mon Dieu! que tu es donc maladroit it!... Attends que j’allume la chandelle.

A cette annonce de chandelle, tout autre se serait hâté de se sauver au plus vite; mais le jeune homme a reconnu la voix de la femme de l’aubergiste, et il se rappelle alors que l’hôtelière est une appétissante créature, fort avenante, fraîche encore et surabondamment pourvue d’appas robustes.

En même temps, d’après les paroles de celle-ci, il comprend que Joseph, le mari de la séduisante hôtelière, n’est pas à côté de sa femme, et il n’en faut pas davantage pour décider notre téméraire à rester tranquillement où il était.

L’hôtelière frotte une allumette, cherche sur la table de nuit la chandelle qu’elle ne trouve pas, et aperçoit, appuyé contre le mur, un homme en chemise qui n’est pas son mari. Elle va crier, mais Henri l’arrête par ces paroles prononcées avec l’accent le plus douloureux qui ait jamais frappé une oreille de femme d’aubergiste:

–Ah! madame, je souffre comme un damné. Ne craignez rien, je venais demander du secours à votre mari… Je suis malade… malade… horriblement malade!

L’hôtelière reconnaît alors le jeune homme, elle se rassure, et comme elle est fort compatissante,– et quelle est la femme qui ne le serait pas en pareille circonstance?–elle s’approche du faux malade qui continue à gémir comme s’il était torturé par la plus atroce des maladies cataloguées dans la nomenclature médicale.

–Où souffrez-vous? demanda la compatissante hôtelière. Je vois que mon mari est sorti. S’il revenait bien vite, il m’aiderait à vous soigner. Mon Dieu! qu’est-ce qu’il faut donc vous faire?

Mais le jeune homme proteste qu’il s’en remet à elle seule pour les soins que son état exige, qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’autre chose, que du reste les femmes sont plus délicates que les hommes, pos sèdent une plus affectueuse douceur pour soulager ceux qui souffrent, et tout cela avec un accent plain tif et des paroles attendrissantes destinés à pro duire une grande impression sur l’âme de l’hôtelière.

Soit que cette dernière éprouvât ce sentiment de compassion que ressent tout être sensible quand il est en présence d’un autre être en proie aux cruelles étreintes de la souffrance, soit que la vue d’un beau jeune homme en chemise éveillât quelque chose en son cœur, ou que la nuit, l’obscurité, influât sur ses dispositions, elle s’abandonna à des élans de sensibilité prodigieuse, lesquels ne tardèrent pas à être interrompus par des coups répétés frappés sur le plancher de la chambre du dessus.

Le coup de bâton que le pauvre aubergiste avait reçu sur le derrière avait totalement renversé le lubrique échafaudage de ses folles intentions, et quand il fut revenu du saisissement et de la douleur qu’il avait éprouvés et qu’il eut reconnu l’impossibilité d’ouvrir la porte fermée en dehors, au lieu de rester auprès de sa servante pour reprendre la suite de son entreprise, il avait préféré frapper sur le plancher pour réveiller sa femme.

Comme à la campagne les planchers sont simplement formés de planches ajustées et posées sur les poutres sans aucune espèce de revêtement, ce qui permet aisément la transmission du son d’un étage à l’autre, lorsque les coups eurent cessé, on entendit de la chambre, où l’hôtelière commençait à prêter une oreille peu rebelle aux audacieux propos du jeune homme, une voix qui passait à travers les fentes du plancher et qui criait:

–Catherine, Catherine, monte donc m’ouvrir! je suis enfermé dans la chambre de Francine.

En entendant la voix de son mari venant des hauteurs du plafond, la sensible hôtelière fut d’abord très surprise; mais son étonnement ne dura qu’un espace de temps excessivement limité. La certitude où elle était que son mari était monté dans la chambre de Francine dans un but coupable acheva bien vite de mettre en ébullition les torrents de sensibilité prêts à jaillir de son cœur; pressée par le jeune homme, qui parlait de toute autre chose que de sa maladie, sollicitée d’une part par le désir de se venger de l’infidélité de son criminel époux, de l’autre par l’occasion, par l’absence forcée de son mari et par les aspirations d’une âme trop passionnée, en un mot entraînée par une foule de raisons, toutes également puissantes, et dont une seule aurait suffi pour ébranler une résistance plus assurée que la sienne, elle ne fut pas cruelle… et on laissa le pauvre homme frapper sur le plancher et appeler sa femme aussi longtemps qu’il voulut.

Au petit jour cependant, et l’aubergiste ayant recommencé ses appels, la compatissante hôtelière, estimant que sa vengeance était suffisante, se décida enfin à monter à la chambre de la bonne.

Elle ouvre la porte et voit Joseph en chemise, assis piteusement sur une chaise, et Francine. entièrement vêtue, qui dort dans un coin, appuyée contre un sac de pommes de terre.

–Eh bien! monsieur, s’écrie Catherine, me direz-vous ce que vous faites ici, dans un pareil costume?

–Eh! ma bonne amie…

–C’est du propre! quitter sa femme pour aller en conter aux servantes! Fi, c’est dégoûtant!

–Mais, Catherine, je te jure, affirme le pauvre homme.

–Quand je vous le dis! je suis aveugle, n’est-ce pas, exclame l’irascible Catherine; et ce n’est pas vous qui êtes là, en chemise, comme un vieux polisson, dans la chambre de cette petite traînée?… Et vous, gourgandine, s’adresse-t-elle à la servante, vous n’êtes pas honteuse! Allons, en bas, et plus vite que ça!

Francine, que les éclats de voix de sa maîtresse ont tiré de son assoupissement, veut prendre la parole pour rétablir en partie la vérité des faits; mais Catherine lui montre la porte d’un geste impérieux, et la servante quitte la chambre en jetant un regard malicieux sur le bonhomme.

–Laisse-moi te dire, Catherine. poursuit le malheureux aubergiste.

–Mais, Jeanfesse que vous êtes, est-ce vous que je trouve ici en chemise, oui ou non? interrompit sa feemme.

–Mais, si tu parles toujours, sacrédié! tu auras toujours raison, objecta l’aubergiste; laisse-moi te raconter ce qui est arrivé.

L’affaire s’explique alors tant bien que mal: Joseph raconte comment il a été réveillé au milieu de la nuit par un bruit insolite, et comment il est monté, sans prendre le temps de se vêtir, pour reconnaître la nature de ce bruit. Bien entendu qu’il ne souffle pas mot de ses tentatives amoureuses sur Francine, ni du formidable coup de bâton qu’il a reçu sur les fesses et sur lequel jusqu’à présent il n’a encore pu se donner à lui-même aucune explication. Quant à la porte fermée à clef extérieurement, il lui est impossible d’expliquer à sa femme cette circonstance; toutefois il est bien évident que ce n’est pas lui qui s’est joué à lui-même ce mauvais tour.

Catherine veut bien accepter les explications fournies, et le bon accord renaît dans le ménage de l’aubergiste; on s’embrasse en signe de réconciliation et Joseph dit à sa femme:

–Tu peux me croire, va, Catherine; et bien que les apparences soient contre moi, je te jure que ma nuit a été aussi sage que la tienne.

–Oh! alors, je suis bien tranquille! réplique Catherine en étouffant un sourire.

Deux heures après, Charles et Henri se disposèrent à continuer leur route. Ils serrèrent amicalement la main de l’aubergiste; Francine jeta un long regard sur Charles, tandis que Catherine adressait à Henri un doux sourire.

–Quand vous repasserez par Brunoy, messieurs, fit la belle hôtelière en s’adressant aux deux amis, mais en dirigeant spécialement sur Henri un regard éloquent, j’espère que vous n’oublierez pas l’auberge de la Pomme d’amour.

–Etvous serez reçus à bras ouverts, ajouta Joseph.

Les Noces de Coquibus

Подняться наверх