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V
COMMENT JENNY APPRIT QU’ELLE ÉTAIT VEUVE.

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Table des matières

Jenny, lorsque Ripai l’avait laissée seule dans sa chambre de la rue de la Juiverie, s’était d’abord installée; elle n’eût pas été femme si elle n’avait immédiatement fouillé un peu partout, sous prétexte de s’habituer à son nouveau logis. Lorsque son enfant fut endormi et chaudement couché dans le lit, la jeune femme, calme, s’assit près de la fenêtre, par laquelle on voyait les pointes aiguës des vieux toits tout blancs de neige. Elle pensa; tous les événements de la terrible nuit défilèrent devant ses yeux, elle eut peur d’abord, puis les larmes coulèrent sur ses joues.

La pauvrette, depuis presque deux ans, s’était fait une famille; elle avait construit son avenir sur son mari, puis sur son enfant. Mais, que faire? elle regrettait alors de n’avoir pas pris le gros rouleau de papier.

C’était un paquet des reconnaissances des objets de ménage qu’on avait dû engager au Mont-de-Piété: à cette heure, elle aurait pu avoir quelque argent en vendant tout cela.

Elle se souvint alors de ce que lui avait dit celui qu’elle avait sauvé, Gaston Rosay. Il l’avait suppliée d’accepter un prêt; la pauvre enfant avait tant souffert, que haussant légèrement les épaules et secouant la tête, elle dit tout bas:

–Il sera comme les autres; il est sauvé maintenant, il oubliera.

Disons bien vite que ce n’était pas absolument sa pensée.

Le soir, Ripal la surprit pleurant. Tout attristé, le brave garçon lui dit:

–Voyons, ma mie, puisque tu le quittes à cause qu’il est un mauvais gars. Tu vas pas le pleurer.

–Ce n’est pas lui que je pleure, Ripai.

–Allons, ma belle, faut pas de larmes; il faut être gaie pour le petit. J’apporte pour le dîner, mangez bien, ne pleure plus. Moi, c’est l’jour du coulage, je retourne. A demain.

On se figure aisément la nuit que passa la pauvre Jenny.

Depuis la veille, elle n’avait pas fermé l’œil; la fièvre de terreur qui l’avait soutenue était tombée avec ses larmes.

A peine couchée, un sommeil de plomb l’envahit; elle ne s’éveilla qu’au grand jour, le lendemain, au cri de son enfant éveillé par les heurtements qui secouaient la porte.

Elle se leva vivement, se vêtit à la hâte et ouvrit.

C’était Ripai, pâle et tout tremblant, qui rit en la voyant, et dit:

–Ah! que j’ai eu peur!.

–Peur, fit Jenny, inquiète, et de quoi?

–Et sang-Dieu, ma mie, voilà un grand quart d’heure que je cogne et que tu ne réponds pas. J’ai cru que t’avais fait des bêtises. avec ta tête sens dessus dessous et tes larmes. et te voilà. que je te coque, et il l’embrassa.

–Et le gône, il piaule. et bonjour, petit. Attends un peu, il veut la bouteille, donne lui, ma mie, pendant que je vas te chercher le pain. Je déjeune avec toi ce matin et ne veux pas que tu sois triste comme ça. Ah! bon Dieu, qu’il piaille, fais-le déjeuner, vite, il est pressé le gône!. Je descends et je reviens.

Jenny toute gaie de son réveil, donna à son enfant son sein laiteux; elle se plaça près de la fenêtre dans le rayon d’un jaune pâle du soleil d’hiver, échangeant avec son bébé le bon sourire franc de ceux qui s’aiment.

Quand Ripai remonta, voyant l’enfant au sein de sa mère, il dit gaiement:

–Ah! le gourmand, il s’en donne: t’inquiète pas, ma mie, je regarde pas. je mets le couvert. Tiens, pour te distraire, j’ai acheté le journal.

–Ah! fit vivement Jenny, qui le prit et, craignant d’y trouver quelques faits relatifs au crime de la nuit, lut aussitôt les faits divers.

Ripal chantonnant dressait son couvert, l’enfant s’endormait sur le sein de sa mère. Ripai ayant tout préparé, se retournait pour inviter Jenny à se mettre à table, il la vit livide, prête à défaillir, il courut à elle.

En le voyant la jeune femme se leva, plaça son enfant sur le lit, et lorsque Ripai lui dit:

–Eh! mon Dieu, qu’est-ce que tu as donc, ma mie?

Elle répondit en tendant le journal:

–Ripai, je suis veuve!

–Hein!

–Voyez.

Le Lyonnais prit le journal et lut:

«Hier soir, on a trouvé sur le bas-port du Rhône, près du pont Morand, un chapeau dans lequel une lettre était fixée avec une épingle. Cette lettre portait l’adresse de, Mme Herquin, rue d’Aguesseau, et contenait ces quelques lignes:

«Je meurs parce que j’ai perdu le pain de ma famille, parce que j’ai été chassé de la maison où j’occupais la place qui nous faisait virve. Que ma Jenny, ma femme, me pardonne; Dieu ait pitié d’elle et de notre enfant, je me jette dans le Rhône.

«Adieu!

«Clément HERQUIN, «rue d’Aguesseau, no»

«Des recherches faites dans le|Rhône, il n’est rien résulté jusqu’à cette heure. L’enquête a révélé que le malheureux Clément, qui occupait une place de confiance dans une des grandes maisons de soieries de notre ville, avait été chassé, le jour même, à la suite de la constatation d’un déficit relativement considérable dans ses comptes.

«Le malheureux était joueur; de plus, il n’était pas heureux en ménage: sa femme avait quitté, la veille, le domicile conjugal emportant avec elle leur unique enfant.

«On suppose que Clément, rentrant chez lui après avoir été chassé par son patron, trouvant la maison vide, s’enfuit désespéré et se jeta dans le Rhône.

«On ignore ce que sont devenus la femme et l’enfant.»

Ripal, après avoir lu, se découvrit en disant:

–C’est un pas grand’chose, dis-tu, ma mie, il n’est plus! Il faut oublier tout ça. Il est mort!. et devant la mort, silence et pardon!

Jenny, sombre, les yeux fixes, pensait; les incidents de la nuit traversaient son cerveau; elle se demandait quelle raison avait pu pousser au suicide l’homme qu’elle avait vu dormir si calme, les mains encore humides du sang de sa victime; la logique–la grande force de la jeune femme–se refusait à admettre cette abnégation après une si grande dépense de cruelle volonté.

Tout à coup, s’étant assurée que son enfant dormait profondément, elle dit à Ripal:

–Mon ami, il faut que vous m’accompagniez.

–Où donc, demanda le brave garçon, obéissant et essuyant sa bouche pleine du revers de sa manche.

–Nous allons aller à Bellecour. Là, je saurai tout; si c’est vrai, il aura renvoyé l’argent.

–Qu’est-ce que tu dis? fit Ripal.

–Rien, rien, répondit vivement Jenny en se mordant les lèvres.

Jenny avait pensé tout haut.

Elle se disait: Il est impossible que l’homme que j’ai vu froidement accomplir son crime, que celui que j’ai vu aussi insouciant de ce qu’étaient devenus sa femme et son enfant, que celui-là ait tout à coup renoncé au bénéfice des crimes qu’il avait eu la lâcheté de commettre.

Clément avait tué pour voler, il avait volé douze ou quatorze mille francs. Qu’était devenu cet argent? Si le remords déchirant sa conscience l’avait obligé à penser au suicide, il avait dû d’abord penser à racheter sa faute par la restitution.

Il connaissait sa victime, il avait dû alors renvoyer à la famille de Gaston Rosay l’argent qu’il lui avait volé. C’est sous l’influence de cette pensée qu’elle avait demandé à Ripal stupéfait de la conduire à Bellecour.

Ripal, tout bouleversé par l’allure et l’énergie de la jeune femme, n’osait l’interroger; il lui offrit son bras et, silencieux, il la conduisit jusqu’au bureau de la place Bellecour.

Il l’attendait discrètement à la porte. Mais Jenny lui dit:

–Venez avec moi.

Un peu embarrassé, tout gauche, gêné par les regards d’admiration qui suivaient la jeune femme sur son passage, Ripal entra tortillant dans ses mains son petit chapeau de feutre mou.

Jenny se dirigea vers le guichet sur lequel était écrit:

«Poste restante.»

Elle demanda:

–Monsieur, avez-vous une lettre pour mademoiselle Nini?

L’employé chercha et lui remit la lettre.

On juge facilement du regard hébété de Ripal, qui restait la bouche ouverte, se refusant à croire qu’une lettre avec une semblable suscription pût arriver à destination.

C’était donc véritablement le nom de la jeune femme. Lorsque Jenny lui avait dit qu’elle se nommait ainsi, il avait pensé que des raisons particulières, toutes naturelles en pareille circonstance, l’obligeaient à se cacher sous un nom d’emprunt. Une lettre portant le même nom en était l’affirmation.

Ripal n’en revenait pas et Jenny, pressée de sortir, fut obligée de lui prendre le bras et de lui dire:

–Vite, venez.

Ils sortirent; dans la rue de la Charité, la jeune femme brisa l’enveloppe. Elle en sortit un billet de banque de mille francs. Jenny devint rouge.

Ripal écarquillait les yeux, émerveillé par le chiffre et disant:

–On m’avait bien dit qu’ils étaient bleus.

Jenny lisait un petit mot qui accompagnait le billet.

«Jenny, je vous dois la vie. Ma mère, à qui j’ai tout raconté, vous bénit et vous prie, pour votre enfant, d’accepter ce billet. Elle veut que vous lui écriviez. Jenny, je vous en supplie, répondez-lui. Gaston.»

D’abord un sourire vint sur les lèvres de Jenny, et une larme glissa sur ses joues. Puis son regard brilla; elle pensa:

«Clément n’a pas renvoyé l’argent. C’est une comédie! Il vit!.

–Et qu’est-ce que tu dis, ma mie! fit Ripal en serrant précieusement le billet. Prenez ça! et tant mieux! s’il vit!.

–Je dis, Ripai, que demain tu quitteras ta place.

–Hein!

–Demain, tu vas t’occuper de me chercher une situation.

–Moi!

–Oui, tu es seul, sans amis, sans famille. moi aussi! tu me l’as dit! eh bien, tu seras mon. mon père, ta famille c’est moi et mon enfant.

–Et qu’est-ce que tu veux faire de moi?

–J’ai maintenant des amours et des haines.

–Ah! bon Dieu! tu parles comme une folle. C’est l’argent qui te tourne la tête.

–J’ai un but qu’il faut que j’atteigne.

–Qu’est-ce que tu veux?

–Je veux me venger. Je veux dévouer ma vie à punir les traîtres. Je veux sacrifier tout à ma vengeance. Je veux lutter contre un monstre qui, je le sens, n’a qu’un but: mal faire. Je veux enfin, que le sacrifice de l’âme et de la vie de la mère, efface sur le front de son fils la souillure de son père.

–Il y aura de l’honnêteté?

–Toujours!

–Du danger?

–Souvent!

–Mais tu seras heureuse?

–Oui!.

–Eh bien, ça y est!. Rentre à la maison, fit Ripal. Je cours à la plate, et je dis que les vapeurs de la lessive, ça me donne des rhumatismes. Va vite et je te rejoins.

Le soir même, Ripal, obéissant, accompagnait Jenny et son fils à Saint-Étienne.

Nous devons raconter vivement ce qui se passait à Genève.

Le jour même, Clément avait été prendre, à la poste, la lettre chargée qu’il s’était adressée. En arrivant à l’hôtel, il avait trouvé, sous enveloppe, deux cartes d’entrée pour des cercles de Genève, où l’on jouait la roulette et le trente et quarante. Il s’y était rendu. On juge de l’ardeur qu’il mit à jouer, à satisfaire la passion qui le dévorait tout entier.

Quatre jours après, Clément, sombre, traversait le pont des Bergues, se demandant ce qu’il allait faire, le cerveau bouleversé, les poches vidés, ayant emprunté, pour jouer, à des connaissances du jour, c’est-à-dire s’étant fermé l’entrée du cercle.

Enfin, absolument décavé, et ayant à payer son hôtel.

Il s’accouda sur le parapet du pont, regardant couler l’eau transparente, peut-être des idées de suicide passaient-elles dans son cerveau; mais l’eau est peu profonde au pont des Bergues.

Il se demandait ce qu’il allait faire. La pensée de son crime était loin de lui. En quittant Lyon et en changeant de nom, il lui avait semblé qu’il était un tout autre homme; et, à cette heure il regrettait son petit logement de la rue d’Aguesseau; il aurait voulu y être transporté, retrouver sa femme et son enfant.

Ceux-là qui. le fatiguaient dans la bonne fortune lui semblaient désirables à cette heure où il était abandonné par tous. Ce n’était pas pour eux qu’il désirait les retrouver, les pauvres gars. c’était pour lui, sans argent, sans ressources, dans un pays où il était inconnu, exposé, le lendemain, à être mis à la porte de l’hôtel où il vivait.

Cette petite fortune, acquise par un crime, il l’avait perdue en quatre jours.

Désespéré, cherchant vainement une issue à sa situation, il était accoudé sur le pont, lorsqu’on vint lui frapper sur l’épaule.

Il se retourna vivement; celui qui l’avait ainsi accosté était un homme d’une soixantaine d’années; il portait lunettes, un grand chapeau de feutre recouvrait son front, il était vêtu d’un gilet de tricot de laine à manches; l’extrémité de son pantalon de velours à côtes se perdait dans d’immenses galoches; il tenait d’une main un panier, de l’autre, un long scion autour duquel se tortillait une ligne de crin.

–Hé! l’ami, fit-il, vous savez que ça n’est pas profond là. il ne faut pas penser à s’y jeter.

En entendant la voix, Clément tressaillit.

–Vous! exclama-t-il.

–Ne vous ai-je pas dit que je serais là quand vous auriez tout perdu; je vous donnais dix jours. Vous n’en avez mis que quatre. Et bien, voulez-vous la somme égale à celle que vous avez perdue pour recommencer ce soir?

Clément s’était redressé.

–Donnez-moi le bras, fit-il, et marchez. je vais porter votre panier.

Le pêcheur glissa son bras sous celui de Clément, qui lui demanda:

–Et que faut-il faire pour cela?

–Mon cher ami, dînez avec moi, et je vous expliquerai ce que vous avez à faire. Êtes-vous décidé?

–Agent secret, n’est-ce pas?

–Public même, dit l’homme en riant.

–Tout ce que vous voudrez, répondit Clément, je vous appartiens; mais faites-moi vivre et bien vivre!

–C’est entendu. venez!

Le pêcheur entraîna Clément, et tous les deux entrèrent bientôt non plus à l’hôtel, mais dans une petite maison discrète de la rue du Rhône.

–Où allons-nous? demanda Clément.

–Chez moi.

–Mais vous étiez à l’hôtel?

–Pour vous attendre. Vous deviez venir avec nous, c’était fatal.

Clément le regardait abruti.

–Ah! j’oubliais, reprit le pêcheur; il faut déchirer le passeport du commis-voyageur. Tenez, voici votre nouvel état civil.

Et l’individu, que nos lecteurs ont reconnu, Isidore Bassier, lui donna le passeport.

–Vous vous nommez Hippolyte Coquelet; –c’est gentil.–Dans l’intimité, on vous nommera Coquo; et vous n’avez pas besoin de faire démarquer votre linge, les mêmes initiales, vous voyez: Clément Herquin, Coquelet Hippolyte, un C et un H. Vous ne vous figurez pas le travail agréable que nous vous réservons; c’est par les femmes que vous devez avoir vos renseignements: vous êtes bien décidé?

–Oui, montons.

Les deux hommes disparurent dans la petite maison du Rhône.

Le mouchard

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