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MARIE
ОглавлениеLes petites filles ont un desir naturel de cueillir des fleurs et des etoiles. Mais les etoiles ne se laissent point cueillir et elles enseignent aux petites filles qu'il y a en ce monde des desirs qui ne sont jamais contentes. Mlle Marie s'en est allee dans le parc avec sa nourrice; elle a rencontre une corbeille d'hortensias et elle a connu que les fleurs d'hortensia etaient belles; c'est pourquoi elle en a cueilli une. C'etait tres difficile. Elle a tire la plante a deux mains et elle a couru grand risque de tomber sur son derriere quand la tige s'est rompue. Aussi est-elle tres fiere de ce qu'elle a fait. Elle est tres contente aussi, car la fleur est admirable a voir: c'est une boule d'un rose tendre trempee de bleu et c'est une fleur composee de beaucoup de petites fleurs. Mais la nourrice l'a vue: elle s'elance. Elle saisit Mlle Marie par le bras; elle gronde, elle s'ecrie, elle est terrible. Mlle Marie regarde etonnee, de son regard encore flottant, et songe dans sa petite ame confuse. Vous ne sauriez imaginer combien c'est difficile, a sept ans, d'interroger sa conscience. Elle reste candide entre la faute commise et le chatiment prepare. La nourrice la met en penitence, non dans le cabinet noir, mais sous un grand marronnier, a l'ombre d'un vaste parasol chinois. La, Mlle Marie pensive, surprise, etonnee, est assise et songe. Sa fleur a la main, elle a l'air, sous l'ombrelle qui rayonne autour d'elle, d'une petite idole etrange.
La nourrice a dit: "Maintenant, mademoiselle, donnez-moi cette fleur." Mais Mlle Marie a serre dans son petit poing la tige fleurie et ses joues ont rougi et son front s'est gonfle comme si elle allait pleurer. Et la nourrice n'a pas voulu causer des larmes. Elle a dit: "Je vous defends de porter cette fleur a votre bouche. Si vous desobeissez, mademoiselle, votre petit chien Toto vous mangera les oreilles."
Ayant ainsi parle, elle s'eloigne. La jeune penitente, immobile sous son dais eclatant, regarde autour d'elle, et voit le ciel et la terre. C'est grand, le ciel et la terre, et cela peut amuser quelque temps une petite fille. Mais sa fleur d'hortensia l'occupe plus que tout le reste. C'est une belle fleur et c'est une fleur defendue. Voila deux raisons pour s'y plaire. Mlle Marie songe: "Une fleur, cela doit sentir bon!" Et elle approche de son nez la boule fleurie. Elle essaie de sentir, mais elle ne sent rien. Elle n'est pas bien habile a respirer les parfums: il y a peu de temps encore, elle soufflait sur les roses au lieu de les respirer. Il ne faut pas se moquer d'elle pour cela: on ne peut tout apprendre a la fois. On apprend d'abord a boire du lait. On n'apprend que plus tard a respirer des fleurs: c'est moins utile. D'ailleurs, aurait-elle, comme sa maman, l'odorat subtil, elle ne sentirait rien. La fleur d'hortensia n'a pas d'odeur. C'est pourquoi elle lasse malgre sa beaute. Mais Mlle Marie est ingenieuse. Elle se prend a songer: "Cette fleur, elle est peut-etre en sucre." Alors elle ouvre la bouche toute grande et va porter la fleur a ses levres … Un cri retentit: Ouap!
C'est le petit chien Toto qui, s'elancant pardessus une bordure de geraniums, vient se poser, les oreilles toutes droites, devant Mlle Marie, et darde sur elle le regard de ses yeux vifs et ronds. La nourrice, qui veille cachee derriere les arbres, l'a envoye. Et Mlle Marie reste stupefaite.