Читать книгу Un semestre en Suisse - André Laurie - Страница 10
ОглавлениеSURTOUT, PAS DE CHICORÉE!
Jacques s’était couché, partagé entre les regrets de la maison paternelle et le sentiment tout nouveau pour lui d’une indépendance complète dans une maison et dans un pays étrangers.
Il dormait encore du profond sommeil de son âge, lorsque deux coups frappés à sa porte le réveillèrent.
«Entrez,» dit-il machinalement, puis, la mémoire lui revenant, il réitéra son invitation en allemand.
Il vit alors pénétrer dans sa chambre un homme de trente et quelques années, vêtu de la tenue des employés de chemin de fer.
«Monsieur Schmid, sans doute?
— Oui, monsieur, répondit très simplement son hôte. Vous m’excuserez de vous avoir dérangé, continua-t-il en excellent français, mais je pars à six heures dix pour la gare et je ne reviens que tard. J’ai pensé que je serais trop longtemps à faire votre connaissance, si j’attendais un de mes jours de congé, c’est pourquoi je me suis permis de venir vous présenter le bonjour.»
Touché de cette cordialité, Jacques s’excusa à son tour de recevoir son visiteur au lit, et se déclara heureux de faire sa connaissance.
Ici, le brave Schmid clignant de l’œil:
«Je vais vous dire, reprit-il. Mon grand-père, Frantz Schmid, a servi la France du temps que notre pays lui fournissait des soldats, et j’ai gardé très vivant le souvenir des récits qu’il aimait nous faire à la veillée. Aussi, est-ce un véritable plaisir pour moi d’avoir un Français dans ma maison.»
Puis avec une sorte d’hésitation:
«... Il faut que je vous avertisse. La bourgeoise —Mme Schmid — est une brave et digne femme, certes. Elle est de Fribourg, eL un peu entêtée comme ceux de son pays. Il faut la mettre au pas, en douceur, vous m’entendez?...
— Pas du tout, pour le moment, répondit Jacques, ne sachant où son hôte voulait en venir.
— Voici: elle a des idées à elle, qu’il faut tout de suite lui faire passer. Je vous dis cela entre nous, bien entendu... Vous pensez que je la connais, puisqu’il y a déjà huit ans que nous sommes mariés... Par exemple, pour le déjeuner, elle a dans la tête que le café n’est pas bon à moins qu’on n’y ajoute de la chicorée!... Oh! oui. Mais il faut prendre le dessus dès le premier moment. Il faut lui dire:
«Madame Schmid, je n’aime pas la chicorée dans le café ;» là, nettement!... Elle résistera. Oh! c’est sûr; mais, après trois ou quatre matins que vous lui aurez répété la même chose, elle comprendra: c’est des idées de Paris; ils n’aiment pas la chicorée dans ce pays-là, et elle fera ce que vous voulez... Voilà ! C’est comme cela qu’elle a besoin d’être menée, la bourgeoise.»
«VOUS ÊTES ICI POUR PARLER ALLEMAND.» (PAGE 31. )
M. Schmid accompagna ces dernières paroles d’un rire silencieux et diplomatique, convaincu qu’il venait d’articuler quelque chose de très profond.
Sur quoi, il prit congé de son pensionnaire, après avoir échangé avec lui une solide poignée de main.
Jacques, complètement réveillé par la singulière confidence de son hôte, se leva et s’habilla.
Son premier soin fut d’aller à la fenêtre, d’où il put constater avec plaisir qu’il jouissait d’une vue splendide sur les montagnes de dernier plan et les sommets du Rigi.
Après un moment donné à cette contemplation, il s’occupa de mettre dans sa serviette d’écolier les livres dont il supposait avoir besoin en classe, un cahier de notes et tous les accessoires habituels.
Il terminait lorsque Mme Schmid entra, à son tour, pour le prévenir que le café était servi dans la salle à manger.
Jacques y trouva son camarade anglais, descendu avant lui, et qui, le voyant entrer, s’avança, le visage souriant et la main ouverte, en lui souhaitant le bonjour en anglais.
Et comme Jacques s’empressait de lui répondre dans sa langue maternelle, Mme Schmid intervint, les morigénant gaiement:
«Qu’est-ce que c’est que cela? De l’anglais à présent?... Sachez, messieurs, que vous êtes ici pour parler allemand!...»
Les deux écoliers se prirent à rire et recommencèrent leurs compliments respectifs dans le pur idiome germanique, que chacun prononçait avec son accent particulier.
Ces préliminaires les ayant mis mutuellement à l’aise, Archibald et Jacques échangèrent quelques questions touchant leurs éludes et les usages des établissements d’enseignement de leurs pays respectifs, avec un peu d’embarras néanmoins et la gaucherie des garçons de leur âge.
Jacques remarqua bientôt que son nouveau camarade s’efforçait de vaincre sa timidité afin de mettre toute la cordialité possible dans leur premier entretien. Il lui en sut gré et attribua, à juste titre d’ailleurs, cet effort de bienveillance aux exhortations de Mme Schmid.
A Paris, au lycée, dès la présentation, le tutoiement est de rigueur, aussi fut-il un peu surpris qu’Archibald lui dit «vous», oubliant qu’en le saluant d’un bonjour anglais il en avait fait autant par habitude.
Lorsqu’il y pensa, celte réflexion amena le rire sur ses lèvres. On a le rire si facile à quinze ans!
Le jeune Anglais lui en demanda la cause. Il ne crut pas devoir en faire un mystère, et ce fut pour les deux écoliers un sujet de s’égayer, avec force barbarismes allemands que Mme Schmid corrigeait au passage, leur donnant la véritable prononciation de Fribourg, — la meilleure de toute la Suisse, prétendait-elle.
Entre temps, Jacques avait commencé à boire son café, qu’il jugeait des meilleurs. Était-ce l’effet d’un lait crémeux, dont on n’a pas l’équivalent à Paris, ou le talent de celle qui l’avait préparé ?... toujours est-il que le jeune Ambert trouvait son café excellent et était fort empêché de le critiquer.
Néanmoins, pour se conformer aux prescriptions de Schmid, il déclara à la digne femme, aussi stupéfaite qu’indignée, qu’il n’aimait pas la chicorée dans le café.
«De la chicorée! s’écria l’hôtesse en levant les bras au ciel, mais il n’en est jamais entré ici, monsieur Jacques! C’est encore une idée de mon mari, qui se figure que j’en mets en cachette...
— Je n’en doute pas, puisque vous le dites, madame Schmid, s’empressa de répondre le jeune Parisien. Aussi, n’était-ce pas une critique que je formulais, car je trouve votre café délicieux...
— Sehr gut, confirma l’Anglais avec le plus grand flegme.
— Vous dites cela pour me faire plaisir, objecta leur hôtesse.
— Non, madame, et la meilleure preuve que je vous puisse donner, c’est d’en reprendre.
— S’il en reste, dit Archibald, qui avait remarqué que la cafetière était vide.
— Ah! mon Dieu! s’écria Mme Schmid, je n’ai pas l’habitude d’en faire pour trois personnes, voilà ce qui m’a trompée; mais si vous voulez attendre un instant...
— Non, mille fois merci, répondit Jacques, en forçant à s’asseoir l’excellente femme, qui s’était déjà levée. Je n’aurais repris du café que pour vous ôter de l’idée qu’il ne m’avait pas plu.
— Autrement, ce serait bien vite fait...
— Non, répéta le jeune lycéen. D’ailleurs, ajouta-t-il en consultant sa montre, voici l’heure d’aller au Gymnase.
— Nous ne sommes pas en retard, dit Archibald, mais il est temps de partir.»
L’instant d’après les deux écoliers descendaient côte à côte la Zurichbergstrasse en causant familièrement... en français.
«Est-ce qu’il y a longtemps que vous êtes à Zurich? demanda Jacques à son compagnon.
— Un an bientôt.
— Vous parlez très bien allemand, si j’en juge par ce que j’ai entendu hier à l’École.
— Je le parlais un peu avant de venir ici. Puis l’allemand est plus facile à apprendre pour nous, Anglais, que pour vous. Il y a beaucoup de mots qui sont communs aux deux langues, ou qui ont au moins beaucoup de ressemblance.
— Tant mieux, car je parle un peu l’anglais.
— Oui, je m’en suis aperçu à votre prononciation dans les quelques mots que nous avons échangés; cela vous sera très utile.
— Vous plaisez-vous ici?
— Assez; n’était le système d’enseignement que je trouve monotone, parce qu’on a trop affaire au même professeur; et aussi parce qu’ils ont la manie de parler tout le temps de la même chose.
— Est-ce possible?
— A coup sûr. N’avez-vous pas remarqué, durant la leçon d’hier, qu’après quelques minutes d’explication il n’a été tout le temps question que de lapins?
— Il est certain qu’il en a été parlé longuement.
— A propos des habitants des Baléares, M. Grüter a été jusqu’à demander à un de nos camarades si les Romains mangeaient du lapin!
— Oui, je me le rappelle, c’était à Disler, il a répondu qu’il n’en savait rien.
— Et le professeur en a profité pour faire une dissertation sur l’alimentation ancienne et moderne.
— C’est vrai. Encore qu’il ait dit des choses intéressantes, et qui prouvent une grande lecture, je trouve comme vous que c’est donner beaucoup de temps aux lapins. Je me demande pourquoi tant insister sur cet animal?
— C’est un principe de pédagogie helvétique, dont je trouve qu’on abuse, reprit Archibald. Il s’agit de fixer l’attention des élèves pendant toute une journée sur un sujet déterminé, en le tournant et le retournant sous tous ses aspects. Car, hier, vous n’avez avalé que la moitié du lapin, nous en avions eu déjà le matin à une autre sauce... Donc, pour atteindre le but qu’on se propose, on prend un sujet pour thème pendant tout un jour. C’est un régime qui peut avoir de bons effets à l’Ecole primaire, mais qui me semble puéril au Gymnase. D’autant qu’on n’approfondit guère le sujet du jour, on se contente de l’effleurer à tout propos et même hors de propos.
— A part cela, l’enseignement est sérieux?
— Eh! sans doute, mais il manque de variété. Heureusement, ajouta le jeune Anglais, que le sport est bon, ici.
— Quel sport? demanda Jacques.
— Tous les genres de sport: l’aviron, la pêche, la chasse, la marche... Il n’y a que le cricket auquel ces gaillards-là n’entendent rien. Est-ce que vous y jouez, vous?
— Non, répondit Jacques; ce jeu n’est guère pratiqué à Paris. A mon lycée, Condorcet, nous avions quatre ou cinq équipes de ballon au pied, un assez grand nombre de coureurs, mais nous nous adonnions surtout à l’escrime.
— L’escrime de l’épée? demanda Forbes très intéressé.
— Naturellement; nous laissons le sabre aux Allemands. L’épée est une tradition chez nous.
— C’est un genre d’escrime que j’aimerais bien pratiquer!... Si vous voulez, nous pourrons à cet égard faire l’échange de notre acquis?
— Bien volontiers, répondit Jacques. Mais voici le Gymnase. Nous reprendrons plus tard cet entretien.
— Oh! oui, avec plaisir!...»