Читать книгу Un semestre en Suisse - André Laurie - Страница 7

CHEZ LE VICE-RECTEUR

Оглавление

Le lendemain matin, Jacques fut sur pied de bonne heure. Il s’agissait, avant de se rendre à l’école, d’assister à ce spectacle si justement vanté d’un lever de soleil sur les montagnes couvertes de neige.

L’aube blanchissait à peine le faîte des toits, que déjà le sommet de Uetliberg s’entourait d’une teinte pourprée. Puis, soudain, les premiers rayons du soleil s’élancèrent comme des flèches d’or qui valurent son surnom au divin archer, colorant de rose tendre les neiges du Pilate et du Rigi, qui s’embrasèrent bientôt, lorsque surgit le disque flamboyant, balayant les vapeurs, gaze diaphane qui flottait sur les vallées.

Jacques fut tenté d’applaudir l’astre-roi, qui, depuis des milliers de siècles, remplit avec la même conscience et le même éclat son grand premier rôle.

«C’est splendide, déclara M. Ambert; mais, mon cher enfant, il ne faut pas oublier que nous devons nous trouver à neuf heures chez le vice-recteur, et qu’avant tout il faut te lester de ton déjeuner matinal: ta mère ne te pardonnerait pas de le négliger.

— Je l’oublierai d’autant moins, répondit le lycéen, dont s’éveillait déjà le juvénile appétit, qu’en passant devant la porte de la salle à manger, un arome sui generis, comme disent les chimistes, m’a prévenu que le café au lait était prêt.

— J’espère bien, reprit l’excellent père, lorsqu’ils furent tous deux attablés devant leur bol fumant, que tu ne vas pas te laisser intimider, en présence du pro-recteur.

— Tu seras là, cela me donnera de l’aplomb.

— Puis, continua M. Ambert, il faut faire honneur à ton lycée, et montrer que tu as profité des leçons que tu y reçois.

— Est-ce que tu crois que, de but en blanc, il va me pousser une colle?

— D’abord, renonce pour le moment à cet argot scolaire qui n’a probablement pas cours ici; puis, il est vraisemblable, d’après ce que nous a dit hier le vieux professeur, que le pro-recteur t’examinera assez à fond pour savoir dans quelle classe il devra te placer.

— Enfin, reprit l’élève de Condorcet, je répondrai le mieux possible.

— C’est tout ce que je te demande. Maintenant, comme nous aurons peut-être à marcher dans la journée, nous prendrons le tramway électrique qui longe la Ramistrasse, afin de ne pas nous fatiguer et d’arriver à l’heure.

— La station est près de la Tonhalle; je l’ai vue hier soir sur l’Uto-Kuai.

— Toi qui es fort en allemand, qu’est-ce que cela veut dire, Uto?

— Je ne veux pas me donner pour plus savant que je ne suis; j’ai lu dans le Guide que c’est un diminutif d’Uetliberg.

— C’est juste, au fait; le quai se trouve au pied de cette montagne.»

Quelques instants après, les deux voyageurs montaient dans le tramway électrique qui, après avoir dépassé la grande brasserie Kroneneballe et le monument de Nageli, le compositeur zurichois, les déposait au coude que fait la rue, précisément en face de l’École cantonale.

Jacques remarqua que deux jeunes gens à peu près de son âge descendaient du tramway au même instant, et, les voyant s’acheminer vers l’édifice où ils se rendaient eux-mêmes, regarda avec une certaine curiosité ceux qui allaient vraisemblablement être ses camarades.

Ils marchaient très vite et disparurent dans l’atrium comme neuf heures sonnaient.

M. Ambert et son fils, pénétrant à leur tour dans l’école, demandèrent au portier où ils pourraient trouver le pro-recteur.

«Ces messieurs veulent parler à M. le professeur docteur Otto Schurli? M. le pro-recteur se tient salle n° 6, au fond du couloir.

— Merci,» répondit Jacques qui, toujours accompagné de son père, le cœur lui battant un peu, se dirigea vers le sanctuaire.

Le bureau du docteur Schurli est d’une extrême simplicité. On y chercherait vainement ces tentures, ces meubles d’une sévère élégance qui ornent les cabinets des proviseurs parisiens. Un bureau modeste, des chaises, c’est tout l’ameublement de la pièce où le vice-recteur de l’École cantonale passe, chaque jour, trois ou quatre heures.

«Monsieur le pro-recteur, dit M. Ambert en prenant la parole, j’ai tenu à vous présenter moi-même mon fils, Jacques Ambert, élève de troisième au lycée Condorcet, à Paris.»

Le docteur Schurli s’inclina poliment.

«... Je désire, poursuivit le père de Jacques, que cet enfant se perfectionne dans la pratique de la langue allemande, dont on n’enseigne guère que la théorie au lycée.

— C’est très sagement raisonné.

— Mais, continua M. Ambert, comme je le laisserai seulement un semestre à Zurich, je voudrais qu’il pût également poursuivre le cours de ses études classiques au Gymnase. On m’a affirmé que cela est possible.

— Certainement, monsieur. Les méthodes peuvent différer, et, dans les premiers jours, le jeune homme sera peut-être un peu dépaysé, mais il s’y fera vite.

«... Je vais lui adresser quelques questions, et, suivant les réponses qu’il y fera, je verrai à quelle classe il convient que je le destine...

«Voyons, mon ami, continua M. Schurli, en prenant la main de Jacques, qui devint très rouge, puis-je vous interroger en allemand?

— Je craindrais de ne pas beaucoup vous satisfaire...

— Le manque d’habitude, intervint le père.

— Oui, je comprends, reprit le vice-recteur, on ne sait pas assez chez vous que le meilleur moyen d’apprendre à nager, c’est de se jeter à l’eau, quitte à patauger un peu. Eh bien, monsieur Jacques Ambert, nous allons, pour aujourd’hui, parler français.»

Alors commença entre le docteur et le candidat une série de demandes et de réponses auxquelles Jacques, un peu remis de son émotion, répondit d’une façon qui parut donner pleine satisfaction à l’examinateur.

«Votre fils, dit-il à M. Ambert, est un garçon intelligent, et je suis sûr qu’il doit être un bon élève.

— En effet, monsieur, s’empressa de répondre M. Ambert, chatouillé dans son amour-propre paternel, il a toujours de bonnes notes.

— Cela facilitera singulièrement l’accomplissement de votre désir. D’après ce que je viens de constater, votre fils peut entrer tout de suite dans la première division de seconde. Il y retrouvera à peu près les auteurs qu’il était en train d’expliquer à son lycée.

— Vous ne pensez pas que la nécessité d’écouter une leçon faite en allemand soit pour lui une cause d’infériorité trop marquée?

— Si, les premiers jours, mais il s’y fera très vite; d’ailleurs, on l’aidera. Qu’il vienne cet après-midi; M. Grüter, son professeur, sera averti.

— N’aura-t-il que celui-là ?

— Il en aura d’autres pour les sciences; mais M. Grüter est le plus important. Dans notre système suisse, chaque classe a un maître principal enseignant toutes les matières littéraires, et ce maitre suit généralement ses élèves pendant plusieurs semestres de suite, en changeant de classe avec eux... On peut discuter les avantages et les inconvénients de ce régime; nous le trouvons bon et nous nous y tenons. Dans le cas particulier de votre fils, il n’aura que des avantages, puisque son but spécial est de bien apprendre l’allemand, en utilisant son séjour ici de manière à ne pas interrompre ses autres études.

— Je n’ai qu’à m’incliner devant votre compétence, monsieur le pro-recteur, et la réputation de votre Gymnase est pour moi une garantie que Jacques ne pourra que profiter des leçons qu’il va y recevoir... Avant de prendre congé de vous, j’aurais pourtant un autre renseignement à vous demander.

— Parlez, monsieur, je suis à votre disposition.

— Voici: l’école étant un externat, il faut que je choisisse une pension pour mon fils. Il est très raisonnable, mais encore bien jeune, et si vous vouliez bien me guider dans ce choix...

— Très volontiers. Il y a deux systèmes en vigueur: vous pouvez le placer chez un professeur ou un répétiteur; il y en a plusieurs à Zurich qui prennent des pensionnaires. Mais, étant donné votre objectif particulier, qui est la pratique de la langue allemande, je crois qu’il vaudrait mieux confier ce jeune homme à quelque famille respectable où il puisse vivre de la vie courante.

— Effectivement, il s’y familiarisera plus aisément avec beaucoup d’expressions pratiques qui ne sont pas d’usage dans les leçons.

— C’est cela même; vous m’avez parfaitement compris.

— Et, demanda M. Ambert, vous pourriez m’indiquer quelqu’une de ces familles?

— Immédiatement,» répondit le docteur Schurli, en mettant la main sur un des casiers de son bureau.

«Tenez, reprit-il en tendant un papier au père de Jacques, voici les adresses de deux familles également recommandables, vous n’aurez que l’embarras du choix.»

Le docteur Schurli s’était levé. M. Ambert comprit que l’audience était terminée; il se retira en adressant ses remerciements au pro-recteur, qui reconduisit les deux visiteurs jusqu’à la porte de son cabinet, sans se départir de l’air bienveillant qui lui était habituel.

LE GÉRANT EXPLIQUA A JACQUES... (PAGE 31.)


Une fois dans la Ramistrasse, le père et le fils s’empressèrent de lire les adresses, que M. Schurli avait eu la précaution d’écrire en caractères français.

La première était celle de M. Schmid, employé du chemin de fer, 7, Freiestrasse.

«Où cela peut-il être? demanda Jacques.

— Informons-nous.»

Un passant arrivait près d’eux. Jacques s’avança vers lui en levant son chapeau, et, tant bien que mal, demanda en allemand le renseignement désiré.

«Rien de plus facile, répondit en français le passant interpellé. C’est à deux pas d’ici. Vous n’avez qu’à prendre la Zurichbergstrasse, qui monte en face de vous, puis la première rue à droite.

— Commençons donc par la famille Schmid, — opina M. Ambert, après avoir remercié l’obligeant Zurichois, —puisque nous sommes dans son voisinage.»

C’était une des premières maisons de la Freiestrasse, dont la façade regardait le lac et les montagnes. On y fut bientôt. Un petit jardin très bien tenu précédait l’entrée. Les deux Ambert durent le traverser et trouvèrent, à la porte du rez-de-chaussée, une femme, jeune encore, d’apparence robuste, et dont le visage assez coloré était animé par un air de bonne humeur.

«M. Schmid? demanda Jacques.

— C’est ici, messieurs, mais il n’est pas chez lui.

— Nous le regrettons, reprit le lycéen; mon père aurait voulu s’entendre avec lui.

— Vous êtes peut-être envoyés par le docteur Schurli?

— Précisément, madame, c’est M. le vice-recteur qui nous a donné son adresse.

— Et vous venez sans doute pour nous confier ce jeune monsieur? questionna la brave femme en se tournant vers M. Ambert.

— Vous êtes madame Schmid, alors?

— Pour vous servir, messieurs. Mon mari, qui est employé de chemin de fer, fait son service en ce moment. Il part de bonne heure et rentre tard, aussi est-ce moi qui m’occupe de ces questions.

— Est-ce que vous avez d’autres pensionnaires? demanda le père de Jacques.

— Un seul, monsieur, un jeune Anglais, qui suit les cours du Gymnase, et qui sera bien content, j’en suis sûre, d’avoir un camarade. Mais, entrez, je vous en prie, messieurs; ne restez pas à la porte.»

L’intérieur de la maison, bien que modeste, répondait pour la propreté à l’extérieur. Mme Schmid fit visiter la chambre qu’elle destinait à son futur pensionnaire, et Jacques, séduit par les manières engageantes de la ménagère, déclara tout de suite que la maison était à son goût.

«Il ne reste plus alors, reprit son père, qu’à nous entendre sur les conditions.

— Ce seront les mêmes que celles faites à mon premier pensionnaire,» répondit la femme de l’employé, et elle tira d’un coffret un papier qu’elle tendit à M. Ambert.

Celui-ci le parcourut et parut satisfait.

«Alors, dit-il en s’adressant à Jacques, tu te plairas ici? la chambre te convient?

— Oui, père.

— Je dois ajouter, monsieur, dit Mme Schmid, que nos pensionnaires sont traités comme les enfants de la maison, et que mon devoir est de leur rendre agréable le séjour de notre modeste intérieur. Mon mari, qu’on ne voit guère qu’à ses jours de repos, est la bonté même, un brave homme, très rangé, que tout le monde aime et respecte.

— Allons, fit M. Ambert, en ouvrant son portefeuille, veuillez me donner un reçu du premier trimestre de la pension de mon fils; je vois à qui j’ai affaire, et n’ai pas besoin d’autre garantie.

— Monsieur votre fils peut venir quand il voudra, répondit Mme Schmid, après avoir libellé la quittance; il trouvera place à notre table et sa chambre sera prête.

— C’est entendu, madame; je crois superflu de vous le recommander, je suis sûr que vous serez pour lui une maman. Je vais vous envoyer ses bagages.

— Quand il vous fera plaisir, monsieur, je ne quitte pas la maison.

— Ma foi, dit M. Ambert à son fils, lorsqu’ils se retrouvèrent dans la rue, je suis sûr que Mme Schmid est une excellente femme, et je suis content de te laisser chez elle.

— Je partage ton sentiment. Je l’examinais pendant qu’elle te parlait; sa figure respire la franchise.

— Déjà physionomiste! répliqua le bon père en riant; on voit que tu es dans le pays de Lavater.

— Tu peux rire, répliqua Jacques avec un petit air important, mais je me trompe rarement sur le caractère de mes nouveaux camarades.

— Tant mieux, cher ami, c’est un don qui te servira dans la vie. Mais l’heure s’avance; il faut que nous déjeunions, que je fasse transporter tes malles chez Mme Schmid, et n’oublie pas que la classe du Gymnase est à une heure et demie.

— Eh bien, père, rentrons à l’hôtel; je ne crois pas nécessaire d’attendre le tramway électrique; c’est si près, que nous serons arrivés avant un quart d’heure.»

La Ramistrasse est une large rue bordée de belles maisons, le type des rues modernes à Zurich.

En passant devant la grande brasserie Kronenhalle, M. Ambert s’arrêta:

«Je vais te faire une proposition, dit-il à son fils.

— Je t’écoute.

— Au lieu d’aller tout de suite à l’hôtel, entrons dans cette brasserie et déjeunons à l’allemande. Ce sera une occasion pour toi de déployer tes talents.

— Entrons,» dit Jacques.

Lorsqu’ils furent assis à une table de marbre où traînait le menu:

«Kellner!» appela le nouvel élève du Gymnase d’une voix retentissante.

Un garçon vint prendre les ordres des deux Français.

«Père, dit Jacques à demi-voix, après avoir parcouru des yeux le menu, il y a là des plats que je ne connais pas du tout; si nous demandions tout simplement du poulet rôti?

— Comme tu voudras.»

Jacques s’empressa de commander.

Mais, au lieu de transmettre son ordre, le garçon se mit à rire.

«Nous n’en avons pas, répondit-il.

— J’en vois pourtant sur la carte!

— Non, monsieur, bien sûr,» ricana de nouveau le Kellner.

Par bonheur, le gérant de la brasserie passait entre les tables, inspectant le service et souhaitant à chaque convive le «bon appétit» (gut speis) traditionnel.

Le garçon le mit au courant du litige et la figure du gérant, à son tour, s’éclaira d’un sourire.

«Messieurs, dit-il en français aux deux Parisiens, il y a sûrement un malentendu. Le garçon a compris que vous demandiez... du chien rôti.

— Comment, s’écria Jacques, en devenant très rouge, j’ai bien demandé du poulet!»

Et le jeune homme répéta sa phrase en allemand, ce qui provoqua de nouveau l’hilarité de ses deux interlocuteurs.

Alors, au grand amusement de M. Ambert, le gérant expliqua à Jacques la confusion qui peut se produire entre les deux mots, lorsqu’ils sont prononcés par un étranger peu familiarisé avec l’allemand usuel.

L’incident vidé et le poulet apporté :

«Tu vois, dit le père à son fils, combien j’avais raison d’entrer ici; tu viens de recevoir gratis une excellente leçon de prononciation.

— C’est vrai, répondit Jacques, et cela confirme le précepte du docteur Schurli: se jeter en pleine eau pour apprendre à nager. Au surplus, j’ai moins de confusion en pensant que pareille mésaventure est arrivée, précisément dans la Suisse allemande, à Alexandre Dumas. Désirant manger des champignons, il s’avisa d’en dessiner un sur un papier, ne sachant comment demander ce cryptogame en allemand.

— Et alors?

— Le garçon considéra le dessin, fit un signe d’intelligence, accompagné d’un sehr gut, et revint... avec un parapluie ouvert!...

— Si l’histoire n’est pas vraie, fit en riant M. Ambert, elle est au moins bien imaginée. Maintenant, occupons-nous des choses sérieuses.»

Un semestre en Suisse

Подняться наверх