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CHAPITRE III
ОглавлениеÉtat de la vallée de Chamonix
au XIe siècle.
CONDITION DES PERSONNES. DÉVELOPPEMEMT DE LA FÉODALITÉ
L’acte de donation de la vallée de Chamonix à Saint-Michel de la Cluse assurait à l’abbé et, après l’établissement du prieuré, au prieur, la possession du sol, soit la directe seigneurie sur tout le territoire. Celui-ci était partiellement tenu à titre de fief, sous une redevance annuelle par des possesseurs résidant pour la plupart hors du territoire et par les hommes libres, ou à titre de colonat ou de servage pour les hommes taillables et les serfs attachés à la terre. Par l’acte de donation, le prieur de Saint-Michel de la Cluse étant devenu propriétaire du sol grevé de charges variables, il ne resta que fort peu d’hommes jouissant de leur héritage avec une liberté complète. Il n’y eut que quelques propriétaires de fiefs qui reconnaissant seulement la justice du seigneur du territoire, n’avaient aucune redevance, cens ou charges de fiefs à payer. Quelques familles propriétaires à Vaudagne et au Lac se trouvaient dans ce cas, nous étudierons leurs droits et les rapports qu’ils eurent avec le prieur au chapitre Y relatif à cette partie de la vallée.
Les bons hommes (boni, probi, homines) qui avaient été auparavant de véritables hommes libres (Arimani) se trouvèrent, par suite de la donation, détenteurs de terres grevées d’un cens et de prestations particulières qui leur enlevaient le caractère de franc-alleu. Leur condition d’hommes libres était comme entachée de dépendance par les servis attachés aux biens et non aux personnes, mais ils pouvaient toujours s’en libérer par la vente ou l’abandon du fonds qu’ils cultivaient, gardant entière la liberté personnelle.
Quoique devenu patrimonial, le fief ou la possession du sol ne comprenait que le domaine utile, le domaine éminent appartenait au prieur. C’est pour cela qu’à la mort du vassal et du père de famille, la concession était censée lui faire retour, mais il était tenu d’en investir l’héritier naturel. Celui-ci devait foi et hommage au prieur qui pouvait réduire le domaine en sa main lorsqu’il ne les avait pas prêtés dans un délai déterminé, sauf dans le cas de minorité, les tuteurs n’y étant point tenus pour leurs pupilles.
Le territoire de Vaudagne et du Lac, où la plus grande partie du sol était possédée par des étrangers, nous fournira de nombreuses discussions et transactions relatives au droit d’investiture du fief. Relatons seulement ici un cas particulier: Falconet de Darbelet et Belone, son épouse, prétendaient avoir le droit de succéder aux biens immobiliers de Pierre Bezer, frère de Belone, son héritière directe; ce droit fut contesté par le prieur (1297), se déclarant propriétaire ensuite d’une donation. Une transaction intervint entre eux, et le prieur consentit à les investir comme héritiers pour le prix de 6 livres genevoises, sous réserve de ses droits. Falconet et Belone déclarent tenir ces immeubles en fief et au nom de fief sous les charges et servis dus au prieur. Cette clause spéciale s’explique par ce fait que cette famille était taillable de la famille Botollier qui la vendit au prieur avec son tènement en 1300.
Les habitants de Vallorsine jouissaient d’une liberté complète à l’époque de la donation; les prieurs n’exigèrent d’eux que des censes pour les terres qu’ils avaient défrichées et dont la propriété leur fut reconnue à titre d’albergement. Ils pouvaient librement disposer de leurs biens mobiliers et ne furent soumis à aucune charge spéciale; meynaides, tailles, corvées, etc. Ce ne fut que très longtemps après que l’hommage fut étendu aux personnes comme pour Chamonix. Dans les reconnaissances d’hommage et de fidélité passées par les habitants de Chamonix, les hommes de Vallorsine ne figurent pas. Ce n’est que dans une injonction adressée, en 1489, par Guillaume de la Ravoire, ancien prieur, aux syndics et procureurs de la vallée de faire hommage et fidélité à Jacques de la Ravoire, prieur moderne et seigneur temporel, que figure Jean du Nant de Vallorsine. Cette transition d’un état de libre possession du sol à un emphythéore grevé de charges diverses, se fit lentement et par suite de transactions et de concessions que nous analyserons dans le chapitre spécial relatif à cette vallée.
A Chamonix, les bons hommes devaient au prieur reconnaissance pour leurs personnes et pour leurs biens qu’ils déclaraient avoir reçu et tenir du prieur et de ses successeurs en fief lige et censat dans les limites de la vallée, à quel titre qu’ils leur appartinssent
Les diverses formes d’hommage suivant le mode de possession sont les suivantes: en 1278, Rodolphe et Amédée Métrai de Passy passent reconnaissance et déclarent tenir en fief du prieuré tout ce qu’ils possèdent en hommes, terres, dîmes, etc., à Vaudagne, sans préjudicier à la fidélité qu’ils doivent au seigneur de Charosse, s’obligeant à prêter l’hommage quand l’occurence l’exigera. En 1366, Humbert Marchiant, de Chamonix, prête hommage lige et censat, et fidélité manuelle pour sa personne et ses biens, les genoux fléchis, la tête nue, les mains placées entre les mains du prieur qui l’embrasse sur la bouche en signe de perpétuelle fidélité et d’amour. Il lui promet de faire et d’observer ce à quoi sont tenus les autres hommes de même condition, d’après les chapitres des coutumes et les déclarations. Aimon Métral de Chamonix prêtant hommage à la même date, promet de faire et d’observer tout ce qui est contenu dans les chapitres ou franchises d’abord gardées dans la mémoire des bons hommes et écrites ensuite dans les actes de reconnaissance accordés par le prieur. Celui-ci jure sous le serment religieux (more religiosorum) d’être bon seigneur, de défendre et de conserver ses droits comme doit le faire un seigneur pour son homme.
La condition d’homme lige et censat du prieuré était relativement plus douce que celle des hommes soumis à des seigneurs laïcs, ainsi que nous le montre le progrès et le développement rapide des villages placés sous la juridiction des couvents. Une preuve particulière pour Chamonix nous est fournie par les reconnaissances passées au prieur par des habitants établis hors de la vallée pour se soustraire à d’autres juridictions. En 1434, Hugues, fils de Guillaume Gaudin Oncey d’Argentière établi à Fully en Valais, déclare, pour lui et ses enfants qu’ils sont hommes liges et censats du prieur de Chamonix, leur seigneur temporel et de ses successeurs, soit qu’ils résident en ville franche ou non, dans un château ou dans un bourg. Il lui reconnaît sur ses biens tous droits de successsion et d’écheute comme sur ceux des habitants de Chamonix; il prête hommage en plaçant ses deux mains sur les évangiles. Une semblable reconnaissance fut passée, en 1462, par Pierre fils de feu Vuillelme Gay dit Pontinier de Servoz, habitant à Mondon (Suisse).
Dans le cas où ils quittaient la vallée, les bons hommes ne pouvaient prêter hommage au seigneur du lieu de leur nouvelle résidence sans avoir d’abord été affranchis par le prieur. Aynard de Montbel dans un acte de 1345, muni de son sceau, déclare accorder à Aymon Berthod, licence et autorité pour lui et les siens de prêter, s’il le veut, hommage et fidélité à un autre seigneur, l’absolvant et le quittant de ceux qu’il lui doit ainsi qu’à ses successeurs comme son homme.
Dans tous les actes de vente et de transmission, le cédant reconnaît tenir en fief du prieur, les biens, objets de la vente ou donation, et indique les redevances incombant au bénéficiaire. Des habitants de Passy vendent (1296) à Vuillelme Métrai, de Chamonix, deux hommes leur appartenant à chacun pour un tiers, plus la huitième partie du quart et le quart du quart de la montage d’Arlevé. Le prix est de 16 sols 6 deniers pour le premier lot, et 30 sols pour le second; ils reconnaissent tenir le tout en fief du prieur pour 46 sols 6 deniers genevois. Précédemment, tous les possesseurs de cette montagne avaient à la réquisition du prieur reconnu tenir de lui toute cette montagne en fief, sous le servis annuel de 12 deniers, déclarant qu’il y avait ban et juridiction et droit sur les ours et les chamois que l’on y pouvait prendre. Le prieur reconnaît la leur avoir accordée en fief pour inalper, pâturer, faire le foin et user du bois.
C’est par le payement du cens que fut diminuée la liberté des possesseurs du sol, devenant par là attachés en quelque sorte, au domaine. Mais l’assimilation de l’homme libre au colon, funeste au premier, releva la position du second; il se fit une moyenne entre la franchise et le colonat, aussi ne trouvons-nous pas à Chamonix de distinction marquée entre les colons et les bons hommes. Les chartes ne mentionnent que des censitaires avec des charges variables, la possession du sol donna de la stabilité au colonat, la censive fut pour lui la transition du servage à la condition d’homme libre par la transformation des coutumes en franchises qui protégèrent la possession de la terre.
Vallorsine et le Lac ne figurent point dans les premières franchises de Chamonix (1292), résultant d’une sentence arbitrale rendue entre le prieur et les syndics sur des points controversés. Il semble en résulter que la vallée proprement dite se trouvait soumise à un régime plus dur qu’à Vallorsine, mais moins qu’au Lac où la taillabilité était l’état presque général de la population bien que quelques actes nous démontrent l’existence d’hommes taillables à Chamonix. Dans les préliminaires de cet acte, les syndics, pour eux et leurs commettants s’engagent à être bons hommes et fidèles au prieur. Dès lors, à chaque changement de prieur, les chefs de famille lui rendent hommage et se reconnaissent hommes liges tant pour les personnes que pour les choses et déclarent lui devoir fidélité lige en imposant leurs mains entre les mains du prieur et l’embrassant sur la bouche les genoux fléchis. La reconnaissance de 1326 mentionne 76 chefs de famille; celle de 1361, 134, dans lesquels sont compris un certain nombre d’hommes de Mont-Vauthier et du Lac, mais point encore de Vallorsine.
Les serfs ou hommes de glèbe, placés au dernier rang de la hiérarchie sociale, étaient attachés à certaines terres à la condition de les cultiver et avec le droit de jouir des fruits en provenant moyennant le cens convenu. Ils étaient vendus comme faisant partie inhérente de la terre avec la terre elle-même et même séparément. Jacques Botollier (1283) donne en aumône au prieuré, Nicolas de Chamonix dit de la Bezery et ses descendants, ordonnant à lui et à ses fils d’être hommes du prieur et du prieuré et de lui rendre fidélité. Léonarde, veuve de Jacques Botollier et ses enfants (1385) vendent, pour 55 sous genevois, trois fils de Guillaume Bezer qui étaient leurs hommes liges et qu’ils tenaient en fief du prieuré.
Ils ne pouvaient se marier qu’avec des taillables ou sujets du même maître et avec son autorisation. Jacquemete fille de feu Michaël, s’étant mariée (1334) avec un étranger non sujet du prieur sans demander son consentement, de son aveu et en conformité de l’usage de la vallée, toutes les choses immobilières qu’elle avait, tenait et possédait furent commises au prieur qui les vendit de son consentement et en sa présence à Micholod de Lorney. Les fils, il est vrai, succédaient à leur père dans la tenue des terres qu’ils cultivaient, mais tous les autres parents étaient exclus de la succession et pouvaient être renvoyés.
Le taillable ne pouvait abandonner la terre à laquelle il était attaché. Dans un acte de 1288, Béatrix de Faucigny ordonne à Monteret, de Mont-Vauthier, son homme lige et taillable, de remettre un de ses fils comme homme lige au prieur de Chamonix, pour le ténement qu’il possède du chef de Géraude, sa femme, relevant du prieuré. De plus elle l’autorise à répondre pour son fils jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité, sous la réserve de la fidélité et de l’hommage qu’il lui doit.
La succession des taillables dépendait du droit de mainmorte par lequel le prieur succédait à leurs biens, meubles et immeubles ainsi qu’aux immeubles de l’homme lige qui ne laissait pas de descendants directs. Ce droit de succession le suivait hors du territoire; l’un deux étant mort sur les terres de Faucigny (1300) sans laisser de postérité, le juge de Montjoie s’était emparé de ses biens. Des arbitres reconnurent que la commise devait revenir au prieur de Chamonix, la succession de ses hommes mourant sans postérité lui appartenant, dès qu’il était notoire que le défunt était fils naturel d’une bonne femme du prieuré. Le prieur était tenu en cas d’écheute aux obligations des héritiers, c’est-à-dire de payer les dettes du défunt et de régler les contrats entre vifs ne présentant aucun caractère de fraude.