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PORTÉ PAR LES RAILS

Quatorze ans et en bonne santé, j’étais prêt – un Whittington américain qui avait mieux à faire pour se déplacer que de marcher. Le sifflet qui disait « libérez la voie » d’un train de marchandise traversant le passage à niveau au loin m’appelait comme une sirène. Un soir, je me suis enfui de la ferme familiale et je me suis rendu à la cour de triage lointaine. Me faufilant entre deux trains le long d’un sentier qui semblait sans fin, je me suis rendu à l’extrémité de la cour. Parfois, je passais devant une ombre silencieuse, immobile. Plus loin, un petit groupe qui discutait. Me rapprochant, j’ai écouté avec attention. Je venais de faire connaissance avec mes premiers clochards. Ils parlaient d’endroits qui m’étaient inconnus. Cette ville était bien. On pouvait se débrouiller sur le Bowery tout l’hiver si on savait s’y prendre ; cette autre ville était « hostile » ; trente jours pour « vagabondage » vous attendaient si vous ne descendiez pas du train avant que les « bœufs » ne passent le train au peigne fin.

C’est alors qu’ils m’ont aperçu. Un p’tit nouveau est toujours intéressant pour les aventuriers du rail. « Où tu vas, le jeune ? »

Je les avais entendus parler de « Dee-troit » et cela m’a semblé une bonne réponse. Je n’avais pas fait de plan, je voulais seulement partir, n’importe où, mais partir !

« Le Michigan Manifest ne devrait pas tarder ; je crois qu’il s’apprête à partir. » Le grand clochard qui m’avait parlé a saisi mon bras. « Arrive, le jeune, nous allons t’aider. »

Soudain, je me suis senti important. Je m’étais échappé ! Les deux clochards discutaient, le plus grand à propos du travail qu’il trouverait à Détroit, l’autre préférant rester sur la route. Tout à coup, celui qui m’avait soulevé a commencé à me poser des questions. Je lui ai dit que j’avais fui la ferme. De façon un peu hésitante, il m’a mis en garde contre l’habitude des trains car elle m’ensorcellerait jusqu'à ce que je ne désire que bouger. Le balancement du wagon à mesure que le train prenait de la vitesse eut sur moi l’effet d’une berceuse. Je me suis endormi.

Je me suis éveillé, il faisait jour. Mes deux compagnons étaient déjà en train de discuter. Le temps a passé. Nous avons traversé des villages. Bientôt, le train serpentait entre les usines et les énormes entrepôts, croisant les rails dans un cliquetis sonore et il est entré dans une cour de triage. Ils m’ont aidé à descendre. Nous étions à Détroit.

Mes amis clochards se sont séparés à une intersection. Le plus grand m’a emmené avec lui en ville et nous a pris une chambre chez la « Mère Kelly », une gentille propriétaire irlandaise. « Prends patience, le jeune, a-t-il dit. Je t’aiderai de mon mieux. Je vais me trouver du travail. »

Il a trouvé du travail. Pendant près de deux ans, il s’est occupé de moi. Il était toujours vigilant, me guidant au travers des pièges et des embûches qui guettent toujours un jeune garçon. Ce clochard, Tom Casey, qui ne parlait jamais de sa vie sauf comme exemple de « ce qu’il ne faut pas faire », m’a fait ouvrir un compte à la banque et m’a forcé à le faire profiter. C’est grâce à lui que je ne suis pas devenu un « enfant des rues », que je ne suis jamais devenu clochard. Puis, un jour, il est parti. La route l’appelait, m’a-t-il expliqué, même si cela ne m’a pas semblé la vraie raison. Je n’ai jamais revu Tom Casey depuis, mais cet homme m’a donné ma première leçon concernant le principe directeur et obligatoire pour une Bonne Vie. « Aime ton prochain comme toi-même. »

À ce moment, j’étais devenu assez familier avec la ville, je n’étais pas contaminé, grâce à mon ami. Je n’étais plus le « jeune rural perdu en ville ». Je me suis rapidement trouvé du travail, mais Tom me manquait. J’ai commencé à fréquenter les salles de billard et il était évident que j’apprendrais rapidement à gérer un bock de bière et un « coup » occasionnel. Le travail ne manquait pas. Quand je ne me sentais pas bien le ma-tin, après une nuit avec les « copains du coin », je n’allais pas travailler. J’ai perdu des emplois. Mon compte en banque s’est vidé. Mes nouveaux amis des salles de billard n’étaient pas d’un grand secours. J’étais lessivé.

C’était l’été, et les bancs de parc, même durs et inconfortables, m’attiraient plus que les sordides « planques » des quartiers défavorisés de la ville. J’ai donc passé quelques nuits à la belle étoile. Jeune et plein d’énergie, je me suis cherché du travail. C’était la guerre et il y avait beaucoup de travail. Je suis devenu manœuvre dans un atelier d’usinage et j’ai rapidement progressé de la perceuse à colonne, à la machine à fraiser, au tour. Je pouvais quitter un emploi un jour et en trouver un mieux rémunéré le lendemain. Bientôt, j’avais une nouvelle pension, des vêtements neufs et de l’argent. Cependant, je n’ai jamais ouvert un nouveau compte en banque. « J’ai bien le temps pour cela », pensais-je. Je passais mes week-ends selon ma conception du « bon temps », qui se sont finalement transformés en beuveries et en débauches le samedi et le dimanche. J’ai été victime moi aussi de la boisson droguée, j’ai été battu et dépouillé de mon argent. Cela n’a eu aucun effet de dissuasion. Je pouvais toujours me trouver un autre emploi pour vivre confortablement en quelques semaines. Cependant, je me suis rapidement lassé de la routine épuisante de la consommation et du travail. J’ai commencé à détester la ville. À bien y penser, mon adolescence à la ferme ne me semblait pas si mauvaise.

Non, je ne suis pas rentré à la maison ; j’ai plutôt trouvé du travail pas trop loin. Je buvais toujours. Incapable de rester en place, j’ai emprunté un train de marchandise vers une ville du Michigan où je suis arrivé sans le sou tard dans la nuit. Je me suis mis à la recherche d’amis. Ils m’ont aidé à trouver du travail. Lentement, j’ai commencé à progresser de nouveau dans l’échelle industrielle pour atteindre finalement un poste de responsabilité comme ajusteur de machinerie dans une grande usine. J’étais de nouveau au sommet. La satisfaction de la réussite me faisait croire que j’avais désormais le droit de m’amuser de nouveau pendant les week-ends. Les week-ends se sont étendus au mardi et au mercredi, jusqu’à ce que je ne travaille plus que du jeudi au samedi, en pensant constamment à la bouteille. D’une certaine façon, j’avais fixé le moment où j’arrêterais de boire, mais c’était dans une bonne quinzaine d’années et je me disais : « Au diable ! Je vais m’amuser pendant que je suis jeune. »

Puis, j’ai été congédié. Dans un accès de dépit, j’ai bu mon dernier chèque. Quand j’ai dessaoulé, j’ai trouvé un autre travail, puis un autre, et un autre coup sur coup. J’étais bientôt de nouveau sur les bancs du parc. Une fois de plus, j’ai eu de la veine quand tout semblait bien sombre. Un vieil ami a offert de me trouver du travail comme chauffeur d’autobus. Il a dit qu’il paierait mon uniforme et m’accueillerait chez lui si je promettais d’arrêter de boire. J’ai, bien sûr, promis. Après trois jours en fonction, le superviseur de la ligne d’autobus m’a convoqué à son bureau.

« Jeune homme, a-t-il dit, dans votre demande d’emploi vous dites ne pas consommer d’alcool. Comme nous vérifions toujours les références de nos candidats, trois des entreprises où vous avez travaillé nous ont dit que vous étiez compétent mais que vous aviez un problème de boisson. »

Je l’ai regardé. Tout cela était vrai, ai-je admis, mais il y avait si longtemps que je cherchais du travail que je considérais ce poste comme l’occasion de me racheter. Je lui ai répété ce que j’avais promis à mon ami, que je faisais sérieusement des efforts et que je ne buvais pas une goutte. Je lui ai demandé de me donner une chance.

Il a dit : « Quelque chose me fait croire que vous êtes sérieux. Je crois que vous êtes sincère. Je vais vous donner une chance et vous aider à vous rétablir. »

Il m’a serré la main en forme d’amitié et d’encouragement. J’ai quitté son bureau rempli d’espoir. « John Barleycorn* ne me conduira jamais plus à ma perte », me suis-je dit, bien déterminé.

Pendant trois mois, j’ai fait mon trajet régulièrement sans problème. Mes employeurs étaient satisfaits. Je me sentais bien. Cette fois, j’avais vraiment cessé de boire, non ?

En effet, j’avais bien arrêté de boire.

J’ai rapidement remboursé mon ami qui m’avait avancé de l’argent et j’ai même fait quelques économies. Je me sentais de plus en plus en sécurité. C’était l’été et, épuisé de fatigue et de chaleur, j’ai commencé à fréquenter un bar clandestin en rentrant à la maison. À cette époque, la bière était bonne à Détroit, presque comme avant la Prohibition. Je me disais : « Voilà comment il faut faire. Me limiter à la bière. Après tout, c’est vraiment une nourriture et ça fait du bien après avoir manœuvré cet engin dans les rues de la ville. C’est l’alcool qui abat l’homme. Ce sera la bière pour moi. »

Malgré les dures leçons que l’expérience m’avait enseignées, je n’ai pas compris que cette façon de penser était un feu rouge dans ma vie, une véritable alerte au danger.

Comme d’habitude, le verre de bière du soir s’est allongé jusqu’à la nuit alors que je ne quittais pas le bar avant minuit. Je commençais à avoir besoin du verre du matin. Je savais d’expérience que la bière n’était pas un verre du matin – c’était bon pour se désaltérer, mais cela manquait d’effet et d’autorité le lendemain matin. J’avais besoin d’un remontant.

Mon remontant du matin est devenu une habitude. Bientôt, il m’a fallu plusieurs remontants jusqu’à ce que je sois plutôt bien « parti » en arrivant au travail. En espaçant bien mes verres au cours de la journée, je réussissais à ne pas avoir l’air ivre, seulement à l’aise en conduisant dans les rues encombrées de la ville. C’est alors qu’est survenu l’accident.

Dans une rue, un homme est sorti rapidement entre deux voitures stationnées en coupant ma route. J’ai viré brusquement pour éviter de le heurter, mais je n’ai pas réussi à l’éviter. Il est mort à l’hôpital. Les passagers et les témoins sur le trottoir m’ont totalement excusé. Même complètement sobre, je n’aurais pu l’éviter. L’enquête de la compagnie qui a suivi l’accident m’a exonéré, mais mes patrons savaient que j’avais bu. Ils m’ont congédié – pas à cause de l’accident – mais pour avoir bu au travail.

Ainsi donc, une fois de plus, je sentais que j’en avais assez de vivre en ville et je me suis trouvé du travail dans une ferme. C’est là que j’ai fait la connaissance d’une jeune enseignante, que je suis tombé amoureux d’elle, et elle de moi. Nous nous sommes mariés. Le travail à la ferme n’était pas très rémunérateur pour un jeune couple. Nous sommes allés à Pontiac, Michigan, puis dans une ville industrielle de l’Ohio. Par économie, nous vivions chez les parents de ma femme, mais pour quelque raison, nous n’arrivions pas à progresser. Je buvais toujours, mais pas autant qu’autrefois, du moins selon moi.

Le nouvel endroit semblait idéal – nous ne connaissions personne, pas d’aventures, pas de joyeux compères pour me tenter. J’ai décidé de mettre l’alcool de côté et de vivre. Cependant, j’avais oublié un compagnon de virée qui était toujours à mes côtés, qui m’avait suivi de la ville à la ferme et de nouveau à la ville. J’avais oublié John Barleycorn.

Qu’à cela ne tienne, j’ai respecté mon engagement pendant un certain temps – nouvel emploi, maison confortable et une partenaire compréhensive, tout cela a aidé. Nous avons eu un fils, suivi, bientôt, d’un deuxième. Nous avons commencé à nous faire des amis et nous avions un petit cercle de compagnons de travail, leurs femmes et leurs familles. Nous étions toujours à l’époque de la contrebande d’alcool. Il y avait toujours de l’alcool, mais personne ne se saoulait vraiment. Nous avions du plaisir, un répit apprécié après une dure semaine de travail. Ici, il n’y avait pas de ces débauches bruyantes que j’avais connues. J’avais découvert la « consommation sociale », comment « boire comme un gentleman sans être déplacé ». Inutile de parler du retour des expériences dont j’ai déjà parlé. La « consommation sociale » n’a pas duré. Je suis devenu le premier client du matin du bootlegger. Je ne sais pas comment j’ai réussi à conserver mon emploi. Mes patrons ont commencé à me donner les avertissements d’usage. Sans effet. J’avais maintenant compris que j’étais un ivrogne, que rien ne pouvait m’aider.

J’en ai parlé à ma femme. Elle a demandé conseil à ses amis et aux miens. Ils sont venus me parler. Des messieurs respectables, qui ne connaissaient rien à mon problème, m’ont orienté vers la vieille formule de la religion. Je ne voulais rien entendre. Cela me laissait froid. Sans espoir, j’errais dans les artères du quartier des bars clandestins, ne pensant à rien d’autre qu’à mon prochain verre. Je réussissais à travailler tout juste assez pour m’accrocher à mon emploi. C’est alors que je me suis mis à me parler.

« Tu es un bon à rien ! me disais-je. Ta femme et tes enfants seraient bien mieux s’ils ne te voyaient plus jamais. Pourquoi ne pars-tu pas pour ne jamais revenir ? Il faut qu’ils t’oublient. Pars, pars n’importe où, c’est la chose à faire. »

Ce soir-là, sans chapeau ni manteau, j’ai sauté dans un train de marchandises en route pour Pittsburgh. Le lendemain, j’ai erré dans les rues de la « ville enfumée ». J’ai offert mes services dans un stand au bord de la route en échange d’un repas. J’ai eu mon repas, j’ai poursuivi ma route et je me suis assis sur le bord du chemin pour réfléchir.

« Quel salaud je suis devenu ! me disais-je. Ma femme et mes deux enfants sont à la maison, sans argent, que peuvent-ils faire ? Je devrais faire une nouvelle tentative. Je ne guérirai peut-être jamais, mais au moins, je pourrais faire quelques dollars de temps à autre pour eux. »

J’ai pris un autre train de marchandises pour rentrer à la maison. Malgré mon absence, mon travail m’attendait. J’allais au travail, mais rien ne marchait. Je jetais quelques dollars à ma femme les jours de paie et je buvais le reste. Je haïssais mon décor, je haïssais mon travail, mes compagnons de travail – la ville entière. Je suis parti une nouvelle fois pour Détroit où je suis arrivé avec un bras cassé. Je n’ai jamais su comment c’était arrivé car j’étais complètement saoul à mon départ. La famille de ma femme m’a ramené à la maison pour quelques jours. Je suis devenu morose, rêvassant seul à la maison. Quand ma femme me voyait arriver, elle me laissait un peu d’argent sur la table, prenait les enfants et s’enfuyait. Je devenais de plus en plus menaçant. J’avais désormais perdu tout espoir. J’ai attenté plusieurs fois à ma vie. Ma femme a dû cacher les couteaux et les marteaux. Elle se sentait menacée. J’avais peur de devenir fou – j’allais craquer, j’allais finir par devenir débile. Finalement, la peur était si terrible que j’ai demandé à ma femme de « m’interner » légalement. Puis, un matin, seul dans ma chambre, j’ai commencé à tout détruire, les meubles et tout ce qui me tombait sous la main. Désespérée, ma femme a dû employer le moyen que je lui avais suggéré au plus profond de mon désespoir alcoolique. Non disposée à me faire interner dans un asile d’État, tentant une fois de plus de sauver quelque chose de sa vie et de la mienne, elle m’a placé dans un hôpital, espérant malgré tout me sauver.

J’ai été attaché. Le traitement était pénible – pas d’alcool – seulement du bromure et des potions pour dormir. Les nuits étaient une succession d’agonies physiques et mentales. Il a fallu des semaines pour que je puisse m’asseoir sans bouger pendant quelque temps. Je ne voulais parler à personne, et encore moins écouter. Graduellement, j’ai changé et un jour, j’ai entrepris une conversation avec un autre patient, alcoolique lui aussi. Nous avons comparé nos notes. Je lui ai franchement avoué que j’étais désespéré, que tous mes efforts pour trouver une issue avaient échoué, que mes efforts de volonté n’avaient rien donné (des gens bien intentionnés m’avaient dit « C’est une question de volonté, fais un effort ! » – comme si la volonté était une faculté qu’on pouvait activer et arrêter comme un robinet !).

Je lui ai dit amèrement : « Être ici pour un rétablissement temporaire n’a pas de sens. Je le sais trop. Je n’entrevois rien d’autre qu’une répétition du passé. Je suis simplement incapable d’arrêter de boire. En sortant d’ici, je quitte la ville. »

Ma nouvelle connaissance m’a regardé longuement avant de parler. Dans cet endroit le plus inattendu, un homme qui était dans la même position que moi, un autre alcoolique, m’a montré le premier signe d’espoir.

« Écoute bien, mon ami, » dit-il en me regardant avec dix fois plus de sérieux que tous les bons citoyens et autres personnes bien intentionnées qui avaient fait de leur mieux pour m’aider. « Écoute-moi. Je connais une solution. Je connais la seule réponse. Et je sais que cela fonctionne. »

Je l’ai regardé avec étonnement. Il y avait plusieurs débiles légers dans l’institution et, même si je connaissais peu de choses sur leur comportement, je savais que même dans une conversation normale, il pouvait se glisser des idées étranges. Cet homme était-il un peu fou, un peu dérangé ? Cet homme, un alcoolique confirmé comme moi, essayait de me dire qu’il connaissait le remède à mon mal. Je voulais entendre sa suggestion, mais je pensais qu’il était un peu « fêlé ». En même temps, j’étais prêt à l’écouter, comme tout homme en train de se noyer tentant de s’agripper à n’importe quoi.

Mon ami a souri, il connaissait ma pensée. « Oui, a-t-il poursuivi. Oublie que je suis ici. Oublie que je ne suis qu’un autre ‘saoulard’. J’ai déjà connu la réponse

– la seule solution. »

Il semblait parler d’un passé récent. Me regardant avec conviction, la voix impressionnante de sincérité, il a poursuivi. « Pendant plus d’un an avant d’arriver ici, j’ai été un homme sobre, totalement abstinent. Je n’étais pas seulement au régime sec, j’étais abstinent ! Et je le serais toujours si j’avais suivi le plan qui m’a permis d’être abstinent pendant tout ce temps. »

Permettez-moi d’ajouter ici qu’il est retourné à ce plan dont il me parlait et qu’il est abstinent depuis plus d’un an pour la deuxième fois.

Il m’a brièvement raconté sa vie avant de me parler d’un remède pour l’alcoolisme – le seul qui fonctionne vraiment. Je m’attendais à entendre parler d’un nouveau traitement quelconque, d’une panacée nouvellement découverte dont je n’avais pas entendu parler, de quelque chose qui serait sans doute une combinaison de médicaments et de traitement mental. Mais, rien de cela, ce n’était certes pas un mélange de différents éléments.

Il m’a parlé d’un groupe d’une trentaine d’hommes de ma ville prêts à me prendre par la main et à m’appeler par mon prénom. Ils seraient mes amis indéfectibles. Il m’a dit qu’ils se réunissaient une fois par semaine pour parler de leur expérience, de la façon dont ils essayaient de s’aider les uns les autres, du temps qu’ils passaient à aider des hommes comme moi.

« Je sais que cela peut paraître étrange, dit-il. J’ai rechuté, je me suis saoulé après un an d’abstinence, mais je vais retourner à ce groupe. Je sais que ça marche. »

Démuni, sans aucune confiance en moi ni en personne d’autre, ne croyant absolument pas que cet homme avait vraiment trouvé quelque chose, je lui ai posé des questions. Il fallait que je m’informe avant de devenir fou.

« Comment fait-on ? Où dois-je aller ? » lui ai-je demandé.

« Tu ne vas nulle part, dit-il. Quelqu’un viendra à toi. » Il n’a pas donné plus de détails, il n’a presque rien ajouté. Cet après-midi-là, j’ai bien réfléchi. J’ai demandé à une infirmière d’appeler ma femme et lui demander de venir me rendre visite dans la soirée.

Elle est arrivée pendant les heures de visite. Je sais qu’elle s’attendait à ce que je la prie de me faire sortir le plus rapidement possible de cet endroit. Je n’ai rien fait de cela. Faible, je lui ai raconté la chose. Elle n’a pas été impressionnée.

« Ça ne marche pas, dit-elle. Si ce programme – et Dieu sait si je comprends quelque chose à ce que tu m’as raconté – si ce programme marche, pourquoi cette personne est-elle de retour ici ? »

Je ne savais quoi répondre. Je ne connaissais pas assez la chose pour être capable de lui donner une explication. « Je ne sais pas, lui dis-je. J’admets que cela semble étrange, compte tenu de l’état de cet homme, mais pourtant, je sens qu’il y a quelque chose là. De toute façon, je veux en savoir plus. »

Elle est partie peu convaincue. Pourtant, le lendemain, j’ai reçu une visite. C’était un médecin, alcoolique lui-même. Il m’a parlé un peu plus du programme. Il était aimable et ne m’a pas imposé une façon rigide de surmonter mon problème. Il ne m’a pas parlé de remède religieux universel, ne m’a pas parlé de mon salut. Plus tard, il a demandé à d’autres anciens alcooliques de venir me rendre visite.

Quelques jours plus tard, mon copain alcoolique a été libéré et peu après, on m’a permis de rentrer à la maison. Par l’entremise de l’homme qui m’avait parlé du programme la première fois, j’ai fait la connaissance de plusieurs autres membres du groupe d’anciens alcooliques. Ils m’ont raconté leur expérience. Plusieurs avaient été des gens fortunés et en vue. Certains étaient même tombés plus bas que moi.

Le mercredi soir suivant mon congé, je me suis re-trouvé, un peu honteux mais très intéressé, à une réunion dans une maison privée de cette ville. Il y avait une quarantaine de personnes. Pour la première fois, j’ai vu un mouvement que je ne connaissais pas en pleine action. On le sentait. J’ai appris que je pouvais, moi aussi, en faire partie, que je pouvais obtenir l’abstinence et la santé mentale si je suivais quelques préceptes, simples dans leur énoncé, mais qui avaient des conséquences profondes si on les suivait. Au fond de moi, j’ai compris qu’il ne suffisait pas d’y manifester un intérêt que pour la forme. Encore ignorant, encore un peu sceptique, mais très sérieux, j’ai décidé d’essayer honnêtement.

C’était il y a deux ans. Ça n’a pas été facile. Le nouveau mode de vie était étrange au début, mais je ne pensais qu’à cela. Parfois, les progrès étaient lents ; j’avançais avec hésitation entre les difficultés du chemin. Cependant, chaque fois que j’ai douté et que la tentation a été forte et que le vieux désir revenait, je savais où aller pour obtenir de l’aide. En aidant les autres, j’ai aussi pris de la force et j’ai fait des progrès.

Aujourd’hui, en suivant ce programme, j’ai atteint un niveau de bonheur et de satisfaction que je n’avais jamais connu auparavant. Le succès matériel n’est pas important. Je sais par contre que je pourrais faire face à mes besoins.

Je m’attends à rencontrer des difficultés chaque jour de ma vie ; je m’attends à rencontrer des obstacles, mais aujourd’hui, les choses sont différentes. J’ai découvert une nouvelle façon de vivre chaque jour qui a fait ses preuves.

* NdT : Terme utulisé à l’époque pour désigner l’alcool.

Expérience, force et espoir

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