Читать книгу Jean Tout-Petit : à la ville et à la campagne - Antoine Alhix - Страница 5
LA PREMIÈRE CULOTTE
ОглавлениеJean Tout-Petit ne tirait plus le nez des gens, il ne zézayait plus comme les bébés et ne prononçait de travers que les mots très difficiles, par exemple: cacophonie ou «perspicacité » ; il apprenait à lire,... il était arrivé à la veille de ses quatre ans.
Il fit, la nuit qui précéda ce beau jour, des rêves extraordinaires.
Il faut vous dire qu’on l’avait mené, durant l’après-midi, dans un immense magasin très curieux. On n’y voyait, du haut en bas, que des vêtements d’homme: des piles de pantalons, de jaquettes, de vestons; des chapeaux ronds, en tuyau de poêle, aplatis, à visière, ou en cloche à melon... On y voyait aussi des chaussettes de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel; et des chemises, bien empesées, se tenaient si raides, sur les tringles des étalages, qu’on aurait pu croire qu’un monsieur était logé dans leur plastron, rentrant les jambes et la tête pour jouer à cache-cache.
Jean Tout-Petit s’était beaucoup amusé de tout cela. Puis, un personnage très imposant, avec une fort belle cravate et un toupet pommadé qui embaumait, lui avait essayé un beau costume de marin: culotte, blouse et maillot rayé, qui, tout de suite, lui avait été comme un gant. On y avait ajouté un béret orné d’une ancre brodée en or, et le tout fut mis dans un carton à l’adresse de M. Jean Peyrolle, Avenue de Paris, Versailles.
Or M. Jean Peyrolle c’était, ne vous en déplaise, Jean Tout-Petit en personne; et, ce superbe costume de marin, il devait l’inaugurer le jour de ses quatre ans. Jusque-là, il n’avait porté que des blouses russes, avec des ceintures de cuir, qui commençaient à l’humilier n’étant ni des robes de fille ni des vêtements de garçon; mais sa maman ne pouvait pas se résigner à le voir grandir si vite, et avait voulu attendre ses quatre ans pour l’habiller tout à fait en homme.
Vous jugez de l’événement: une première culotte!...
Jean rêva donc; et de quoi aurait-il rêvé si ce n’est de cette culotte?
Il la vit flotter dans les nuages, entourée de rayons d’or comme un soleil... Il la vit faisant des entrechats sur la pelouse du jardin, et lui, en chemise, courait après elle sans pouvoir l’attraper... A un autre moment, tandis qu’il l’enfilait, les jambes de cet intéressant vêlement s’allongeaient, s’allongeaient! si bien que ses pieds ne pouvaient pas arriver à sortir par le bout!.. Ou bien, elle était en papier et, quand il se croyait confortablement logé dedans, elle se déchirait, en mille morceaux qui s’envolaient au vent!... Puis, devenue culotte magique, elle le transportait, par-dessus les mers et les monts, dans des contrées inconnues, comme Mimi, qui aimait tant lire les voyages, lui en avait parfois décrit; là, des sauvages n’ayant en guise de pantalon que des ceintures de plumes de serin, tombaient en admiration devant lui et le plaçaient sur un trône en forme de vol-au-vent, en le saluant roi, sous le nom de Tout-Petit Ier. Soudain, le couvercle du vol-au-vent craquait et Jean tombait à l’intérieur dans une crème au chocolat...
Il en fut tiré par une voix criant à tue-tête:
— Monsieur Jean! Monsieur Jean! vous êtes donc encore si tout petit que vous ne pouvez pas vous réveiller le jour de vos quatre ans?
C’était sa bonne qui tirait ses couvertures et secouait ses rideaux.
Jean se mit sur son séant et se frotta les yeux: — C’était donc toi qui criais si fort, Marie? Je croyais que c’étaient les sauvages.
— Monsieur Jean, dit Marie offusquée, ce n’est guère poli ce que vous dites là : me traiter de sauvage! Si c’est comme cela que vous commencez vos quatre ans, ça promet!
Mais, Jean, au lieu d’écouter ces reproches, était tout entier à la contemplation de sa belle culotte de marin étalée sur une chaise.
Il se laissa faire très sagement sa toilette, sans grogner, sans trouver l’eau trop froide, ni les dents du peigne trop pointues, suivant sa coutume.
— A quoi pensez-vous, Monsieur Jean? demanda la bonne, inquiète de sa sagesse; — vous n’êtes pas malade, au moins, pauvre Tout-Petit?
— Non, répondit Jean, je ne suis pas malade du tout. Je pense qu’avec une culotte on peut faire tout ce qu’on veut, grimper partout...
— Excepté dans les endroits défendus, corrigea Marie; si vous grimpez sur la rampe de l’escalier, votre papa vous donnera bien le fouet, malgré votre culotte!
Jean fit semblant de n’avoir pas entendu. Il continua:
— Et puis, tu sais, il y a deux poches, deux grandes poches, très profondes, où on peut mettre des tas d’affaires, tout ce qu’on veut!...
— Allons bon! fit encore Marie, voilà qui va être amusant! Enfin, quand on aura perdu quelque chose on saura où aller le chercher! C’est des poches que je fouillerai tous les soirs...
Jean fut révolté de cette prétention de Marie: — Fouiller mes poches! Tu ne fouilleras pas mes poches; elles ne sont pas à toi!
— C’est pas ça qui me gênera.
— Les gens qui fouillent dans les poches sont des gens très malhonnêtes, déclara-t-il, de plus en plus indigné, — et si tu le fais, je te ferai arrêter par les gendarmes.
— Très bien! vous irez chercher les gendarmes, Monsieur Tout-Petit; mais si les gendarmes trouvent mon dé ou mes ciseaux ou ma pelote d’épingles dans vos poches, c’est vous qu’ils mettront en prison.
Jean, très fâché contre Marie, sortit de la chambre et courut dans celle de sa mère. Mme Peyrolle, un peu souffrante, se trouvait encore dans son lit; elle tendit les bras à son petit garçon:
— Voilà donc mon Tout-Petit devenu un homme! Ah mon Dieu! mon Dieu! que j’ai donc du chagrin! je n’ai plus de bébé !
Jean s’accrocha aux couvertures et grimpa comme un chat sur le grand lit; puis, croyant vraiment sa maman très malheureuse, il l’embrassa, l’embrassa pour la consoler, jusqu’à presque l’étouffer, si bien qu’elle finit par demander grâce en riant.
Puis, les grandes sœurs, arrivèrent et ce fut des cris d’admiration à n’en plus finir. Chacune lui apportait un cadeau en souvenir du grand jour. Blanche lui donna un fouet avec des pompons rouges au manche; Jeanne lui offrit un sifflet qu’on aurait cru en argent, tant il brillait, et Mimi une balle en celluloïde de toutes les couleurs.
Sa mère glissa dans, le gousset de sa blouse une montre et une chaîne en or! ou du moins qui en avait tout l’air, et cela suffisait à Jean.
Son père lui remit un alphabet neuf; ce dernier cadeau fut moins de son goût; cependant, comme il y avait de belles images coloriées et qu’il n’était pas question de prendre une leçon tout de suite, Jean remercia son papa d’assez bon cœur.
Après toutes ces expansions, les grandes sœurs s’en allèrent faire leurs devoirs dans la chambre qui servait de salle d’étude, et comme, à ces moments-là, Jean était toujours mis à la porte sans rémission, il se dirigea vers la cuisine, afin de se montrer à Eulalie, la cuisinière.
Eulalie était en train d’arranger quelque chose dans un plat; en voyant entrer Jean, elle jeta bien vite une serviette dessus, de sorte qu’il ne put pas voir ce qu’elle préparait de si mystérieux. Il allait le lui demander, mais Eulalie ne lui en laissa pas le temps et s’écria, avec son drôle d’accent alsacien qui changeait les b en p et les v en f et les d en t, etc.:
— Mon Tieu! Monsieur Tout-Betit que vous êtes donc peau!
Et Eulalie joignait les mains et écarquillait les yeux, d’une façon qui ne pouvait que flatter Jean; aussi, se tenait-il droit et fier devant elle.
— Fous me rappelez mon bauvre oncle qu’était tans la marine, continua Eulalie.
Jean la regarda attentivement:
— Est-ce qu’il te ressemblait ton oncle, Eulalie?
— Peut-être, Monsieur Tout-Bedit; bourquoi me demantez-vous ça?
— C’est qu’il devait être bien laid, Eulalie, — répondit avec gravité Jean, sans quitter des yeux le gros nez rouge et la grande bouche de la cuisinière. Celle-ci rit aux éclats, sans se fâcher comme bien d’autres auraient pu le faire, du mauvais compliment que lui servait là le petit garçon.
— Alors, Monsieur Tout-Betit, vous aimez mieux ne bas ressembler à mon oncle?
— Oui, Eulalie, j’aime mieux ressembler à papa.
— Pon! je ne beux pas fous dire que fous ayez tort, bour sûr!
— Dis donc, Eulalie, questionna Jean de plus en plus curieux en voyant que la cuisinière avait l’air de chercher à lui cacher la table, qu’est-ce que tu as là, sous cette serviette?
— Oh! ça, Monsieur Tout-Betit, répondit-elle sans ranger sa grosse personne qui empêchait Jean d’approcher, ça, c’est des mystères! Il y en a ce matin, tans ma cuisine, foyez-fous! je ne sais plus qu’en tire!
Jean réfléchissait:
— Qu’est-ce que c’est des mystères, Eulalie? Est-ce que ça se mange?
Eulalie se mit à rire si fort que ses casseroles en résonnèrent.
— Oui, Monsieur Tout-Betit, ça se mange quelquefois; mais, si on feut les foir avant qu’ils ne soient prêts, fruout!... ils s’en font par la cheminée, et on n’en entend blus barler, on n’en sent pas même le fumet!... Fous foyez, Monsieur Tout-Betit, qu’il faut mieux fous en aller de ma cuisine, de beur de les effaroucher.
En disant cela, Eulalie le poussait tout doucement vers la porte, et elle la referma à clef, derrière lui.
Un peu désappointé, il gagna le jardin.
Ce jardin était divisé en deux parties; la plus grande se trouvait derrière la maison, l’autre, placée devant, ne contenait que des petits arbustes et des corbeilles de rosiers; une grille assez haute la séparait de la rue.
Jean alla de ce côté, pour voir revenir ses frères du collège. Comme Louis et Pierre partaient de très bonne heure, il ne les avait pas encore vus ce matin-là. Bientôt, il les aperçut de loin, à travers les barreaux de la grille. Il se planta au milieu de l’allée sablée, les mains dans ses poches, et ne bougea plus. Quand les deux grands furent tout près de la grille et sur le point d’entrer, Louis s’arrêta le premier et, retenant Pierre par le bras, avec une exclamation:
— Ah!!... Dis donc Pierre, qu’est-ce c’est que cet homme qui est là dans le jardin? Le connais-tu?
— Mais non, je ne l’ai jamais vu! — répondit Pierre en prenant un air effrayé : — Il a une culotte bouffante, c’est peut-être un Turc!
— N’aie pas peur, reprit Louis; je crois plutôt que c’est un marin, qui passe par ici en revenant de Chine. Nous allons lui demander ce qu’il fait là dans notre jardin.
Jean ne bougeait pas, mais il avait bien envie de rire. Aussi, quand ses deux frères eurent poussé la grille, Louis criant: — Dites donc, Monsieur le marin... — il se précipita vers eux, en criant:
— Je ne suis pas un marin, je suis Jean!...
Pierre fit semblant de tomber assis par terre de frayeur, et Louis attrapant son petit frère au vol, le lança en l’air, tout au bout de ses bras:
— Jean!... Comment, c’est ce coquin de Tout-Petit! En voilà une farce!... Attends, polisson, on t’apprendra à faire peur à tes grands frères!
Et le jetant sur ses épaules, il fit, au triple galop, le tour de la pelouse; puis, il l’envoya comme une balle entre les bras de Pierre qui le lui retourna de même, tout cela à la plus grande joie de Jean.
Lorsque le jeu eut assez duré, les grands frères remirent Jean sur ses pieds et lui offrirent, en l’honneur de ses quatre ans, un sac plein de billes de toutes les couleurs. Jean, aussitôt, en bourra ses poches, et pendant, toute la journée, ils firent avec Mimi des parties interminables.
Le soir, le mystère d’Eulalie fut dévoilé. Elle apporta sur la table, au dessert, un monstrueux «koukelouf», un gâteau de son pays, tout farci de fruits confits. Sur la croûte, on lisait, en lettres de sucre: «Jean Tout-Petit, quatre ans» et quatre bougies flambaient autour.
— Les quatre pouchies, expliqua Eulalie, sont bour les quatre ans de Tout-Betit; c’est un gâteau de naissance, comme on fait chez nous.
Le gâteau était aussi bon que beau; tout le monde trouva l’idée des bougies très jolie. Eulalie rayonnait; sa joie fut à son comble lorsque Jean, quittant sa place, courut se jeter à son cou et l’embrassa en lui disant:
— Je t’aime bien, Eulalie! Ça ne fait rien, va! que tu ne sois pas jolie.
Il y avait au dîner, le parrain de Jean, un vieil oncle tout ridé, tout blanc, avec une voix qui craquait, quand il parlait, ainsi qu’une noix dans une pince. Au moment où on allait boire à la santé de Jean, le vieil oncle fit signe qu’il voulait parler. On arrêta les conversations, et le parrain, ayant fait venir Jean près de lui, lui tint ce langage:
— Mon garçon, te voilà donc un homme; personne ne peut en douter puisque tu portes culotte, mais il ne faut pas te figurer que cela suffise. Il s’agit maintenant de marcher dans la vie, non pas comme un oison qui ne sait où il va, mais à la façon d’un être raisonnable. Désormais, quand tu commettras une sottise, au lieu de pleurnicher comme un bêta, observe un peu de quelles manières les choses se sont passées, afin de ne plus recommencer. C’est ainsi que les peuples ont acquis la sagesse et que nos pères nous ont laissé les proverbes pour... Sais-tu ce que c’est qu’un proverbe?
Jean resta la bouche ouverte, sans répondre, car il s’embrouillait un peu dans le discours de son oncle.
— Et toi, Mimi? dit le parrain, sais-tu ce que c’est qu’un proverbe?
LE SOIR, LE MYSTÈRE D’EULALIE FUT DÉVOILÉ.
Mimi, qui n’était jamais embarrassée, répondit très vite:
— Un proverbe, c’est une phrase que tout le monde sait par cœur et qu’on apprend dans les fables.
— Et toi, Jeanne? demanda encore le parrain.
Jeanne réfléchit: — Un proverbe, c’est des mots qui veulent dire beaucoup de choses sans en avoir l’air.
— Ce n’est pas mal, reprit l’oncle. Les proverbes sont des paroles très sages que les gens qui vivaient avant nous ont dites, pour que nous nous en souvenions et que nous ne fassions pas les mêmes sottises qu’eux. Tâche de les apprendre et de te les rappeler au bon moment, tu entends, Jean? ramasse beaucoup de proverbes, cela te fera un bagage de sagesse.
— Oui, parrain, dit Jean que tout cela ennuyait un peu; — mais les autres se fâchent quand je prends leurs affaires, alors, si je ramasse leurs proverbes, ils ne seront pas contents.
Tout le monde se mit à rire.
Le vieil oncle faisait mine de recommencer un discours, Jean, qui était pressé de manger son gâteau, dit bien vite: — Ça ne fait rien, parrain, j’en aurai tout de même des proverbes, je m’en ferai à moi, va! sur mon établi de menuisier.
On applaudit à cette idée de Jean Tout-Petit, et il alla grimper sur les genoux de sa maman, pour boire avec elle à sa propre santé. Là, il se sentait dans une forteresse où il était bien sûr que le vieux parrain ne viendrait pas le chercher pour continuer son sermon.
Le vieux parrain n’avait pas tort: les proverbes sont des maximes de sagesse fort utiles. La suite de cette histoire nous fera connaître comment Jean Tout-Petit en apprit un grand nombre, à ses dépens, quoiqu’il ne les fabriquât pas sur son établi de menuisier.