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CHAPITRE III

Table des matières

«ON A SOUVENT BESOIN D’UN PLUS PETIT QUE SOI»... ET AUSSI D’UN PLUS GRAND

Très souvent, Jean allait se promener avec sa bonne dans le grand parc du château de Versailles.

Il y a, là, des allées qui n’en finissent plus, si longues, si longues qu’on croirait, en les suivant, gagner le bout du monde! Et puis, des bosquets ornés de grottes, parsemés de statues à pied et à cheval, qui représentent des personnages faisant toutes sortes de choses singulières comme on n’en voit faire à personne: les uns soufflent dans de gros coquillages, les autres tirent de l’arc ou bien portent de grands cornets de marbre qu’ils tiennent à l’envers, semblant vouloir verser sur la tête des passants les pommes, les poires et les fleurs, en marbre, qui les remplissent.

A tous les tournants d’allées on rencontre un bassin, et, au milieu de l’eau, se trouvent encore des groupes de statues: tantôt de gros poissons bronzés ou dorés portant des enfants sur leur dos, ou encore des hommes. et des chevaux qui, au lieu de jambes ont des nageoires! Un autre bassin est rempli de grosses grenouilles d’or qui ouvrent des bouches énormes et ont l’air prêtes à sauter. Jean était brave; il aimait beaucoup à les regarder de près, et à leur jeter des petits cailloux, pour se moquer d’elles.

Les arbres bordant les allées du parc sont si gros qu’il faudrait souvent se mettre plusieurs, les bras écartés, pour arriver à en mesurer le tour; ils sont si hauts, si touffus, que leurs branches en se rejoignant semblent former des voûtes qui font penser à celles des églises. A l’automne, quand les feuilles tombent toutes à la fois, il y en a de telles épaisseurs dans les allées, qu’on ne peut plus y courir, car on y enfonce jusqu’aux genoux, et il était arrivé à Jean Tout-Petit d’en avoir par-dessus la tête.

Jean aimait beaucoup à se promener dans le grand parc, mais ce qui l’ennuyait, c’est que sa bonne, Marie, voulait toujours retourner dans les mêmes endroits: ou bien sous les quinconces où l’on jouait de la musique, ou bien au jardin du Roi, tout plein de grandes corbeilles de fleurs auxquelles il était défendu de toucher.

La musique ennuyait Jean, et, quand il voyait des fleurs, il avait tout de suite envie d’en faire un bouquet pour sa maman, de sorte qu’il préférait ne pas en voir que de ne pas pouvoir les cueillir à sa guise. De plus, Jean, tout petit qu’il était, avait déjà l’esprit aventureux, il aurait voulu entraîner Marie au fond des grandes allées, «si loin, si loin, disait-il, qu’on aurait mis des jours pour revenir!»

— Et que dirait votre maman de ne pas vous voir, tout ce temps-là ? observait Marie.

— On lui écrirait des lettres, — répondait Jean, — et, quand nous reviendrions, elle serait bien contente, comme la maman du petit Poucet lorsqu’elle revoyait ses petits enfants perdus dans la grande forêt.

Marie n’avait pas du tout l’esprit aventureux, et préférait de beaucoup s’asseoir tout bonnement sur son pliant, au pied d’un arbre, en compagnie des autres bonnes qui gardaient des enfants de tout âge dans le parc.

Jean s’en consolait, tant que Mimi put venir à la promenade avec lui; ils s’amusaient si bien ensemble! Mais, maintenant, ce n’était plus que le jeudi et le dimanche; car Mimi était grande et allait en pension.

Tout-Petit n’aimait pas beaucoup à jouer avec les enfants, bien nombreux, pourtant, dans le parc; ses sœurs et ses frères l’avaient tant gâté qu’il ne trouvait plus les autres assez complaisants à son gré. C’était lui, au contraire, qui était trop exigeant et ne voulait jamais que des jeux à son goût; il ne comprenait pas encore qu’il faut accepter quelquefois ce qui nous ennuie, pour faire plaisir aux autres.

Un après-midi, peu de temps après le jour de ses quatre ans, Jean était avec sa bonne, sous les quinconces. Très fier de son beau costume d’homme, il regardait de haut en bas les bébés qui faisaient des pâtés de sable.

— Jean Tout-Petit, lui crièrent trois fillettes, nous voulons jouer au chat-perché, venez-vous avec nous?

— Je veux bien, dit Jean, mais je ne veux pas être au milieu.

— Bon! fit l’une des petites filles, vous n’y serez pas pour commencer; mais si on vous prend votre place...

— Je ne veux pas qu’on me prenne ma place! déclare Jean.

— Alors, ce n’est pas jouer au chat-perché, observe la plus jeune.


— Bah! venez toujours, dit une autre, entraînant Jean.

Le jeu commença; mais Jean était un peu lourd, et les trois fillettes, plus grandes que lui, couraient mieux; aussi, il se trouva bientôt seul au milieu, n’ayant plus de perchoir. Il fut très vexé. Il essaya un peu de rattraper une place, mais il arrivait toujours trop tard.

— Je ne veux plus jouer! déclara-t-il, ce n’est pas amusant.

— Mais, c’est le jeu! dirent les petites filles, et l’une d’elles fit exprès de laisser son perchoir vide pour que Jean pût le reprendre. Cette complaisance ne fit que l’humilier:

— Je ne veux plus jouer, répéta-t-il, ce n’est pas un joli jeu.

— Le jeu est joli, c’est vous qui n’avez pas un joli caractère! cria une brunette, l’aînée de la bande.

Jean leur tourna le dos:

— Je suis un garçon, je ne joue pas avec des petites filles.

Et il commença à se promener de long en large, au milieu des bébés; il ne voulait pas en avoir l’air, mais il s’ennuyait beaucoup.

L’un des petits, un gros joufflu, de moins de trois ans, se tenait, avec sa petite pelle et son seau, accroupi au milieu d’un cercle de superbes pâtés de sable qu’il semblait tout fier d’avoir confectionnés.

— Ils sont zolis, dis? demanda-t-il à Jean, au moment où celui-ci passait près de lui.

Jean regarda avec une moue dédaigneuse et ne répondit pas.

— Veux-tu zouer avec moi? demanda encore le gros joufflu qui le regardait, tout étonné, aller et venir d’un pas plein de dignité.

— Non, répondit Jean.

— Pourquoi? Est-ce que tu es en pénitence?

— Je ne suis pas en pénitence, fit Jean de plus en plus digne, mais tu es trop petit pour que je joue avec toi.

Le gros joufflu n’était pas orgueilleux sans doute, il ne se blessa pas des grands airs de Jean, et, lui tendant son seau et sa pelle, d’un geste engageant, il insista:

— Viens! tu vas faire un pâté aussi.

Jean s’éloigna, dédaigneux, et le pauvre bébé resta tout triste.

Un peu plus loin, des petits garçons sautaient à la corde. Jean s’approcha et, appuyé contre un arbre, il les regarda.

— Tiens! voilà Jean Peyrolle! dit l’un d’eux, — Jean Tout-Petit! Je ne le reconnaissais pas; il est en culotte, maintenant; ça le change.

— Tiens! c’est vrai; il paraît bien plus grand, le Tout-Petit!

Jean se redressait, très flatté de ces remarques.

— Veux-tu sauter avec nous proposa l’un des garçonnets?

— Je veux bien, dit Jean, et il jeta un regard derrière lui, espérant que les petites filles qui jouaient au chat-perché verraient qu’il savait bien - s’amuser sans elles. Mais elles avaient changé de jeu et étaient loin de là.

Quand le tour de sauter vint pour Jean, il eut les pieds pris dans la corde, dès le second coup, et faillit tomber.

Les autres rirent, cela le vexa, il se fit prier pour recommencer.

— Faisons pour lui comme pour les tout petits, dit un des enfants! En une, en deux, en trois!...

En une! en deux! en trois! Jean Tout-Petit parvenait à s’enlever, mais ce n’était pas très légèrement ni très gracieusement, et l’on croyait toujours que la corde allait l’accrocher. Ses camarades riaient:

II. FIT UNE CULBUTE ET TOMBA SUR LE NEZ.


— Il saute comme un éléphant, le Tout-Petit! Il a sûrement du plomb dans ses poches... ou dans le fond de sa culotte!

Jean n’était pas content, car il n’aimait pas du tout qu’on se moquât de lui. La dernière plaisanterie le fâcha.

— Ce n’est pas vrai! je n’ai pas de plomb dans le fond de ma...

Il n’eut pas le temps d’achever. La corde attrapa son pied droit, il fit une culbute et tomba sur le nez.

Le sable était épais à cet endroit-là ; il ne se fit aucun mal, mais les rires des autres le mirent tout à fait en fureur. Il se releva d’un bond.

— Je ne veux plus jouer! puisque c’est comme ça!

— Mais si! viens donc, Tout-Petit; tu sautes très bien! personne n’avait encore fait une aussi belle culbute!

Jean rabattit son béret sur ses yeux:

— Je ne veux plus sauter!

— Tant pis pour toi! va-t’en, alors, puisque tu te fâches pour si peu.

Et on ne s’occupa plus de lui. Il retourna auprès de sa bonne et la tira par sa manche:

— Allons-nous-en autre part, Marie.

— Voyons, monsieur Jean, je suis bien établie ici, à travailler, je ne vais pourtant pas me déranger et aller je ne sais où.

Jean, voyant qu’il n’emmènerait pas sa bonne, sortit trois billes de sa poche et les fit rouler dans un coin. Ce n’était pas très amusant de jouer ainsi tout seul; au bout de quelques minutes, M. Tout-Petit bâillait à se décrocher la mâchoire.

Il regardait de loin les petites filles qui dansaient des rondes, les petis garçons qui s’étaient mis à jouer au loup, et il commençait à se repentir d’avoir montré si mauvais caractère, comprenant que lui seul était puni, tandis que les autres se passaient fort bien de sa présence.

Il se rapprocha, tourna autour des joueurs; mais personne ne s’occupait de lui.

Il revint du côté de Marie, et s’adossa penaud contre un arbre.

Il avait bien envie de pleurer, quand une petite voix dit tout à coup dans son oreille:

— Veux-tu faire des pâtés avec moi, maintenant? Dis, veux-tu?

C’était le gros joufflu qui revenait à la charge, sans rancune. Il offrait encore son seau et sa pelle et, de plus, un beau crible en fil de fer, pour passer le sable. Tous ces objets, dédaignés la première fois, parurent très séduisants à Tout-Petit, il s’ennuyait depuis si longtemps! Il était trop heureux de rencontrer un camarade qui voulût bien de sa compagnie, et il ne songeait plus à lui dire qu’il le trouvait trop petit.


Tous deux exécutèrent de magnifiques pâtés; puis, Jean imagina de planter dessus des feuilles de marronnier, cela faisait un effet superbe! le gros joufflu applaudissait de ses grosses mains potelées.

La dernière heure passa ainsi très vite. Jean constata qu’on peut s’amuser en amusant les autres, et, quand le pauvre gros joufflu lui demanda d’un air inquiet, au moment du départ: — Tu zoueras encore avec moi, une autre fois, dis? — il répondit de très bon cœur: — Oui, nous jouerons encore ensemble, — et il choisit la plus belle de ses billes pour la lui donner.

Jean Tout-Petit : à la ville et à la campagne

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