Читать книгу Jean Tout-Petit : à la ville et à la campagne - Antoine Alhix - Страница 9
«L’HABIT NE FAIT PAS LE MOINE» NI LE KÉPI LE SOLDAT
ОглавлениеQuand on n’a pas encore cinq ans, et même plus tard, il y a toujours, parmi les joujoux préférés, un jouet en particulier auquel nous donnons toutes nos faveurs, parce qu’il répond le mieux à nos aspirations. Celui-là, pour Jean Tout-Petit, c’était une panoplie de cuirassier que lui avait donnée son parrain, au jour de l’an. Elle se composait d’un casque avec des crins noirs qui formaient, derrière, une superbe queue de cheval, d’une cuirasse à la taille de Jean, et d’un sabre avec son ceinturon.
Lorsque Jean sortait au jardin dans cet attirail, les moineaux épouvantés s’envolaient; s’il allait du côté du poulailler, les poules s’enfuyaient devant lui, et le coq lui-même ne savait où se cacher.
Les jours où Jean avait bien lu, et fait une bonne page d’écriture, sans trop de pâtés, on lui donnait une croix qu’il attachait sur sa cuirasse. Alors, il était encore plus fier et disait à qui voulait l’entendre:
— J’ai la croix parce que je suis un soldat et j’ai été tué au Transvaal.
Mimi lui expliquait, chaque fois, que quand on avait été tué on ne pouvait plus porter sa croix, et s’efforçait de lui persuader qu’il n’avait reçu au Transvaal qu’une simple blessure; mais Jean tenait à son idée: blessé, ce n’était pas assez beau, il voulait avoir été tué !
Ce ne sont pas les soldats qui manquent à Versailles! Jean, qui les aimait tant, était bien dans la ville qu’il lui fallait. Sans cesse, on en rencontre dans les rues,: des chasseurs, des cuirassiers, des artilleurs, des dragons, des soldats du génie et du train des équipages.....
A tout moment, leurs sonneries résonnent dans l’air, trompette ou clairon: «turlutu... tu... tu... tu... tu!» C’est le boute-selle, ou la soupe, ou la manœuvre, ou le couvre-feu. Puis, le tambour roule: «ran plan... plan... ran plan plan... plan! plan! plan!... Fermez le ban!»
Jean connaissait tout cela mieux que moi, mieux que vous peut-être. Et il n’était jamais si content que lorsqu’il rencontrait quelque troupe défilant au pas, bien en ordre. Le plaisir était encore doublé, quand il s’agissait de canons qui faisaient sur les pavés un grand bruit de tonnerre, où d’une longue suite de dragons à cheval, leur lance appuyée fièrement à la botte.
Ce qui affligeait Jean Tout-Petit, c’était que son papa ne fût pas militaire: — Papa, pourquoi n’es-tu pas officier?
— Mon petit garçon, si tout le monde était officier, comment ferait-on? Il n’y aurait plus ni médecins, ni juges, ni avocats, ni notaires, ni banquiers, ni professeurs, ni peintres, ni sculpteurs, ni architectes...
— Qu’est-ce ça ferait qu’il n’y ait plus de tout cela? répliquait Jean.
Jean était donc très désolé de ne pas voir son papa en pantalon rouge, avec des bottes et un casque ou un képi; mais il le regrettait surtout parce que, dans son idée, si son père avait été officier, lui, Jean, aurait pu pénétrer dans les casernes où vivaient les soldats... C’était là son rêve!
Passer sous l’une de ces grandes portes, gardées par un soldat l’arme au bras; se promener dans ces grandes cours pleines d’hommes en uniforme et de chevaux; monter les grands escaliers où les sabres des militaires font un bruit de ferraille en traînant sur les marches; enfin visiter les chambrées où les soldats dorment dans des lits qu’ils appellent leurs «porte-feuilles», voilà ce que Jean Tout-Petit aurait voulu. Quand il en parlait, on lui répondait: — Tu verras tout ça quand tu seras grand.
Cela l’ennuyait d’attendre si longtemps. Quelquefois, lorsqu’en se promenant, il passait devant une caserne ou un quartier de cavalerie, il disait à sa bonne:
— Marie, si tu demandais bien poliment, bien gentiment, au soldat qui est dans la guérite de nous laisser entrer, peut-être qu’il voudrait bien.
Marie, pourtant toujours si polie et si aimable avec tout le monde, ne voulait jamais parler à la sentinelle; elle se récriait: — On ne fait pas ces choses-là, Monsieur Jean! Pour qui me prendrait-il, ce militaire?
— Il te prendrait pour Marie, ma bonne, répondait Jean, et il pensait — Marie ne veut pas le dire, mais elle n’ose pas lui parler de peur qu’il ne la pique avec sa baïonnette. Moi, je n’aurais pas peur!...
Un jour que Jean attendait le retour de ses frères, et se promenait, vêtu de son costume de cuirassier, dans l’allée du jardin qui longeait la grille donnant sur la rue, il aperçut un soldat qui passait en faisant sonner ses bottes sur le pavé. Il courut bien vite se coller à la grille pour le voir de plus près. Le soldat l’aperçut à son tour et, aussitôt, joignant les talons avec grand bruit de sabre et d’éperons, il fit à Jean le salut militaire. Jean, étonné, resta contre la grille, tout fier et tout rêveur.
— Je crois bien qu’il m’a pris pour un officier, pensait-il.
Alors, il lui vint à l’esprit une idée qu’il ne confia à personne, et se jura bien de mettre le plus tôt possible à exécution.
Quand Marie n’avait pas le temps d’aller jusqu’au parc, elle promenait Jean au plus près, sur l’une des grandes avenues de la ville. La place ne lui manquait pas, là non plus; il pouvait courir, sauter, jouer aux billes ou faire rouler son cerceau. Mais il oubliait tout cela pour regarder les soldats entrer et sortir du quartier de cavalerie voisin.
Un après-midi, sa bonne lui dit qu’elle ne pouvait pas le mener au parc, et qu’on ne ferait qu’un tour sur l’avenue. Jean parut enchanté. Il déclara qu’il allait mettre son costume de cuirassier. Marie fit quelques difficultés, d’abord, lui observant que son père ne lui permettait pas d’habitude de le porter en dehors du jardin; puis elle finit par y consentir, car, elle aussi, gâtait, à l’occasion, le Tout-Petit.
Bien mal lui en prit cette fois-là !
Au début de la promenade, Jean marcha près d’elle avec un air songeur et préoccupé qu’elle ne remarqua pas. Dès qu’elle se fut assise sur un banc, munie de son ouvrage, à côté d’une nourrice qui commença aussitôt à bavarder, le petit garçon s’éloigna sans qu’elle y prît garde.
La porte du quartier était là tout proche, et la sentinelle montait la garde, le fusil sur l’épaule. C’était un grand et gros soldat, avec des moustaches terriblement longues. Il n’avait pas l’air commode du tout, et Jean ayant fait mine de s’avancer trop près de la porte, il le regarda de travers, d’une certaine façon qui le fit reculer.
Mais comme la sentinelle faisait les cent pas, il y avait des moments où, nécessairement, elle tournait le dos; Jean choisit un de ces moments là, et, prestement, se glissa sous le porche. Il le traversa très vite et se trouva à l’entrée de la vaste cour intérieure du quartier. Deux soldats, qui se tenaient près de là, le regardèrent avec étonnement, mais ne lui dirent rien, s’imaginant sans doute qu’il était le fils de quelqu’un des officiers.
Cependant Jean s’étant avancé un peu dans la cour, ne savait de quel. côté poursuivre son chemin. Il apercevait des écuries où des soldats astiquaient les harnais et pansaient leurs chevaux; puis, dans une seconde cour, moins grande, d’autres militaires qui lavaient leurs gros pantalons de toile grise, dans de larges auges de pierre. Tout cela était tentant à voir de près; mais, tout d’un coup, il se sentit intimidé, un peu effrayé même, et il eut presque envie de se sauver par où il était venu... Pourtant, au dehors, la sentinelle à l’air farouche continuait sa promenade devant la porte, que dirait-elle en voyant ressortir le petit curieux entré sans sa permission? — Et Jean Tout-Petit croyait sentir déjà, dans le dos ou par devant, la pointe si pointue de la baïonnette!
Pendant qu’il se livrait à ces réflexions un peu tardives, les deux soldats qui l’avaient vu entrer, chuchotaient en le regardant. Jean réunit tout son courage, se tourna vers eux et leur fit le salut militaire. Les deux hommes le lui rendirent en riant, puis l’un d’eux l’interpella:
— Dites donc, mon officier, qu’est-ce que vous cherchez par ici? Voulez-vous quelqu’un ou quelque chose?
Jean, enhardi par ce titre d’officier, répondit avec la même gravité :
— Je ne cherche personne; je voudrais voir une revue.
A cette déclaration, les deux hommes rirent encore plus fort:
— Une revue, mon officier!... C’est qu’on ne nous avait pas prévenus qu’un si grand général viendrait nous voir, et rien n’est prêt; nos pantalons sont tous à la lessive, et nos chevaux crottés jusqu’aux oreilles!..
— Nous sommes sûrs, continua le second, d’attraper de la salle de police, tous! depuis le colonel jusqu’au dernier homme!
— Je voudrais voir les chevaux, dit Jean.
— On va vous les montrer tout de suite, affirma l’un des soldats en clignant de l’œil; en voilà justement deux, les plus beaux, qu’on vous amène. Hé ! Chapulon! cria-t-il à un homme qui traversait la cour et tenait par la bride deux chevaux tout sellés; arrive ici! Il y a un petit général qui veut passer tes bêtes en revue.
Chapulon s’avança aussitôt, tirant ses deux chevaux. Il regardait Jean avec étonnement, mais ses camarades lui firent des signes et il demanda, en clignant de l’œil:
— C’est-y le général commandant la place?
— Pour sûr que c’est lui! T’as qu’à te bien tenir, Chapulon! c’est peut-être aujourd’hui que tu vas décrocher ton bâton de maréchal... de logis!
Chapulon fit le salut militaire à Jean Tout-Petit, et commença du ton d’un dompteur d’animaux féroces exhibant sa ménagerie:
— Voilà, mon général, les deux plus belles bêtes du régiment, les plus douces et les mieux dressées. Celui-ci, Coco, mord quand on lui étrille la queue, celle-ci, Cocotte, rue quand on lui débarbouille le museau...
— Tiens, interrompit à mi-voix l’un de ses camarades, je vois le capitaine Guébin qui nous regarde par la fenêtre là-bas, c’est sans doute son petit garçon. Mets-le donc à cheval, Chapulon, ça va flatter le capitaine.
— Mon général, fit Chapulon empressé, si vous voulez essayer Cocotte...
Et prenant Jean dans ses bras, il le plaça sur la selle du plus grand des chevaux. Jean, tout fier, se redressait déjà comme un paon, quand, soudain, une grosse voix éclata en vrai coup de tonnerre:
— Qu’est-ce que ça signifie? Avez-vous fini vos balivernes là-bas! Attendez-moi un peu!
Presque aussitôt, on vit déboucher, par une porte, le capitaine qui observait la scène, depuis quelques minutes, d’une des fenêtres du quartier. En quelques enjambées, il traversa la cour et se trouva au milieu du groupe consterné. Chapulon et ses deux camarades étaient de grands paresseux qui savaient bien le sévère capitaine peu disposé à l’indulgence à leur égard; très penauds, ils se mirent en ligne, tous les trois, la main sur la couture du pantalon.
PENAUDS, ILS SE MIRENT EN LIGNE TOUS LES TROIS.
— Qu’est-ce que vous me fichez-là avec ce gamin, au lieu d’être au travail? Les enfants ne doivent pas entrer au quartier! déclara le capitaine de sa voix effrayante.
— Mon capitaine, nous ne savons pas... il était là dans la cour... nous avons cru que c’était à vous.
— A moi? ce n’est pas à moi du tout!... Qui est cet enfant-là ?
Il regardait Jean d’un œil furibond. Jean se sentait tout intimidé ; il essaya de faire bonne contenance sur son cheval, et balbutia:
— Je suis soldat... J’ai la croix parce que j’ai été tué au Transvaal...
Mais la phrase qui avait tant de succès dans sa famille ne lui réussit pas du tout. Le capitaine tonna, roulant de gros yeux:
— Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie? Je n’aime pas les plaisanteries, monsieur!... Tournez-moi les talons, vous autres! vous aurez, chacun, quatre jours de salle de police. Quant à toi, marmot, entré ici sans permission...
— Je suis Jean Peyrolle!.. cria le malheureux Tout-Petit épouvanté, en mettant ses poings dans ses yeux.
— Peyrolle? connais pas ça. Mettez-le à la salle de police.
Sans plus de façon, il empoigna Jean et l’enleva de la selle.
— Mon capitaine, faites excuse, dit un brigadier qui venait d’arriver par le grand porche; — mais il y a sur l’avenue une bonne qui pleure, parce qu’elle dit comme ça qu’elle a perdu un petit cuirassier; c’est peut-être celui-ci.
Le terrible capitaine, tenant Jean par le fond de son pantalon, traversa le porche. A peine débouchait-il sur l’avenue, que Marie, éplorée, se précipita vers lui:
Ah! le voilà ! Ah mon Dieu! je le croyais perdu! Monsieur Jean, c’est-y possible de faire des coups pareils!
— Mademoiselle, je vous le rends, dit le capitaine adoucissant un peu sa grosse voix, — mais qu’il n’y revienne plus! sans quoi il tâtera de la salle de police, il peut en être sûr! Et vous ne serez pas près de le revoir, je vous en avertis!
— Oh! monsieur l’officier, il ne recommencera - plus! protesta Marie.
Tandis que le capitaine rentrait au quartier, elle entraîna vers la maison Jean Tout-Petit, honteux, étouffant ses sanglots sous son casque.
A la suite de cette fâcheuse aventure, Jean garda rancune pendant quelque temps à son costume de cuirassier. Il l’avait caché au fond de l’armoire aux robes de sa maman et ne voulait plus le voir. Mais, peu à peu, des idées plus raisonnables lui vinrent, et il comprit qu’on peut très bien jouer au soldat, mais que pour en être un vrai, il ne suffit pas d’un casque et d’une cuirasse.