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CHAPITRE IV

Table des matières

«QUI DORT DINE»... MAIS DINE MAL

Jean Tout-Petit avait un affreux défaut... Il était paresseux!

Une fois réveillé, il était bien réveillé et faisait assez de bruit dans la maison pour que tout le monde s’en aperçût; mais la grosse affaire c’était de le tirer du lit.

Tous les matins, recommençait une nouvelle scène avec Marie.

— Allons! monsieur Jean, réveillez-vous, réveillez-vous! J’ai ouvert les rideaux, voyez le beau soleil.

Jean, avec ses couvertures montées jusqu’aux sourcils, ne faisait pas un mouvement pour regarder le beau soleil.

— Allons! monsieur Jean, voilà que j’ai versé l’eau; voici la brosse et le peigne; tout est prêt, il faut sortir du lit!

Jean ne bougeait pas plus qu’une marmotte endormie pour tout un hiver.

Alors, Marie commençait à perdre patience:

— Vous n’avez pas honte, Monsieur Jean, de dormir comme cela quand tout le monde est réveillé et au travail, dans la maison! Voilà plus d’une heure que vos frères sont partis pour le collège. Et lorsque, Mlle Mimi est venue vous embrasser, avant d’aller à sa pension, vous ne lui avez seulement rien dit!... Elle aurait aussi bien fait d’embrasser votre polichinelle, il a même l’air plus réveillé et plus aimable que vous!

Et Marie tirait les couvertures; mais Jean s’y cramponnait, en poussant des grognements inarticulés qui auraient permis de le prendre pour un très vilain animal (que je ne nommerai pas), et non pour un petit garçon bien élevé. Marie, finalement, était obligée de l’enlever de force, entraînant en même temps l’oreiller et les draps.

Un matin, son père qui traversait le corridor, entendit tout ce bruit.

— Que se passe-t-il donc ici? demanda-t-il en ouvrant la porte.

— C’est, monsieur Jean que je ne peux pas sortir du lit, répondit la bonne; c’est tous les jours la même histoire!

— J’ai encore sommeil! pleurnicha Jean sous ses couvertures.

— Très bien! dit son père; vous voyez, Marie, que Jean est encore trop petit pour se lever comme un grand garçon. Il faut le laisser dormir tout son content. Je vous défends même de venir l’habiller avant midi. Refermez les rideaux et dites que personne ne doit entrer ici ni le déranger.

Marie fit aussitôt ce que lui ordonnait M. Peyrolle, et tous deux sortirent, refermant soigneusement la porte.

Jean demeura très étonné de cette décision de son père et un peu humilié, aussi, qu’on ne le traitât pas en grand garçon; mais son lit était tiède, son oreiller très doux, et, se pelotonnant comme un chat, il reprit son somme, sans plus s’inquiéter de rien.

Marie avait soigneusement refermé les rideaux, aussi la chambre était dans l’obscurité. Jean ne se rendit pas compte de la longueur du temps écoulé pendant qu’il dormait ainsi; tout à coup, il eut la sensation que quelqu’un lui posait quelque chose de très chaud sur le nez et s’amusait à passer une lumière devant ses yeux.

Il ouvrit les paupières, en grognant d’avance:

— Non! je ne veux pas! J’ai encore sommeil!

Il fut très étonné dé constater qu’il n’y avait personne dans la chambre. Ce qu’il avait senti c’était un grand rayon de soleil, brillant et chaud, qui avait trouvé moyen de se glisser par une fente des rideaux et se promenait sur son lit.

Jean se retourna pour lui échapper et essaya de se rendormir; mais il entendait, au dehors, dans les arbres du jardin, les oiseaux qui chantaient comme des fous, sans crainte de s’égosiller, et le jardinier qui promenait son râteau dans les allées en faisant crier le sable: crreu!... crreu!... crreu!...

Jean Tout-Petit s’amusait beaucoup à ratisser avec le jardinier; il avait un petit râteau à lui qui fonctionnait dans la perfection. Il commença à regretter un peu de ne pas s’être levé quand Marie le lui avait dit.

— Elle va venir bientôt, sans doute, pour m’habiller, se dit-il, en guise de consolation; et j’aurai encore le temps de ratisser avant le déjeuner.

Mais Marie ne venait pas, personne n’entrait dans la chambre qui restait fermée et sombre.

Jean se tournait et se retournait dans son lit, il n’avait plus du tout envie de dormir et il aurait bien voulu qu’on vînt le tirer de là.

Il appela timidement: — Marie! Marie!... Maman!... — Personne ne lui répondit.

Il se souvint, alors, que son père avait commandé à sa bonne de ne pas rentrer dans la chambre avant midi? Est-ce que ce serait encore long à venir midi? Il regarda la pendule, mais, comme il ne savait pas lire l’heure sur le cadran, cela ne l’avança pas du tout.

Il attendit encore un temps qui lui parut très long, puis la pendule se mit à sonner: un coup, deux coups, trois coups... Jean en compta dix. Il se sentait des tiraillements au creux de l’estomac, ce qui n’était pas bien étonnant, puisque Marie ne lui avait pas apporté la tasse de lait et le morceau de pain qu’il mangeait chaque matin, une fois sa toilette terminée.

Jean s’assit sur le bord de son lit, les jambes pendantes, espérant que cela ferait passer les moments plus vite et amènerait sa bonne. Un long moment s’écoula ainsi; Marie ne paraissait pas.

Il entendit Pierre et Louis rentrer du collège. Puis, la petite voix de Mimi qui chantait dans l’antichambre, en déposant son chapeau et son carton plein de livres, cria tout à coup:

— Où donc est Jeannot Tout-Petit?

Et la voix de M. Peyrolle répondit:

— Jean doit dormir jusqu’à midi; surtout qu’on ne le réveille pas!

Jean avait bien envie de courir à la porte et de crier:

— Je ne dors pas du tout! je suis réveillé ! Je ne veux plus dormir!

Il n’osa pas; il se sentait si honteux de sa paresse et de sa sottise!

Bientôt, des bruits de fourchettes et d’assiettes remuées montèrent jusqu’à lui, et il comprit que la famille s’était mise à table pour déjeuner. A cette découverte, les tiraillements de son estomac devinrent de plus en plus forts, et Jean Tout-Petit se sentit sur le point de pleurer:

— On m’oublie! se disait-il, combien de temps va-t-on me laisser comme ça? Quand donc sera-t-il midi! J’ai si faim!

Les tiraillements augmentaient toujours, exaspérés par certains fumets de cuisine qui lui arrivaient en bouffées savoureuses:

— Ça sent les pommes de terre frites! Il doit y avoir du bifteck!...

N’y tenant plus, Jean résolut de s’habiller tout seul, puisque Marie ne venait pas.

— Quand je serai prêt, je descendrai dans la salle à manger, et ils seront bien étonnés en me voyant!

Il ne trouva pas facile de s’habiller sans l’aide de Marie. En passant son éponge sur son cou, il se fit couler un ruisseau dans le dos et mouilla toute sa chemise. Puis, il avait beau donner des coups de brosse dans tous les sens, ses cheveux, qui étaient un peu longs et frisés, ne voulaient pas se mettre en ordre; plus il brossait plus les mèches s’ébouriffaient, et il savait que son père et sa mère ne voulaient pas qu’on se présentât à table mal peigné et en désordre!

Lorsqu’il s’agit d’enfiler ses vêtements, ce fut bien une autre affaire! Jean s’embrouillait dans les jambes de son pantalon; il y en avait toujours une à l’envers quand l’autre se. trouvait à l’endroit. Pour les manches de sa blouse, même difficulté... Il y passa un temps interminable, et, ne sentant plus monter la bonne odeur des pommes de terre frites, il se disait avec inquiétude:

— Pourvu qu’ils ne les aient pas mangées toutes!

Enfin, Jean parvint à enfiler son pantalon, seulement une jambe tombait sur sa cheville, l’autre toute tirebouchonnée, s’arrêtait au milieu de sa cuisse, et il était attaché tout de travers. A grand’peine il passa aussi sa blouse, mais il ne put s’en tirer qu’en mettant par derrière l’ouverture qui aurait dû se trouver par devant.

Il enfila ses souliers, et, ne sachant pas nouer les lacets, il les laissa traîner.

Sa toilette ainsi terminée, il monta sur une chaise pour se regarder dans la glace, et se trouva si mal tourné qu’il avait l’air d’un vrai carnaval!

— Papa ne voudra jamais me laisser me mettre à table comme ça! se dit-il avec une forte envie de pleurer.

Cependant il avait si grand faim que, malgré la honte de paraître dans cet état aux yeux de sa famille, il descendit l’escalier et alla jusqu’à la porte de la salle à manger.

Il écouta et n’entendit rien. Alors il ouvrit la porte tout doucement et allongea sa tête ébouriffée par l’entrebâillement:

— C’est moi,... Tout-Petit...

Personne ne lui répondit, pour la bonne raison qu’il n’y avait personne dans la salle à manger depuis longtemps.


Toutes traces du déjeuner avaient également disparu: plus d’assiettes, ni de verres, ni de fourchettes; la table était essuyée et les chaises rangées contre les murs. Quant au bifteck et aux pommes de terre frites, on n’en sentait plus même le parfum!


Jean resta un instant consterné, la bouche ouverte...

Soudain il lui vint l’espoir qu’on eût gardé son déjeuner au chaud, dans la cuisine.

Il s’y rendit, et trouva Eulalie en train de laver sa vaisselle.

A la vue du petit garçon, elle éclata de son gros rire plein de bonne humeur:

— Ah! là là ! Monsieur Tout-Betit, comme fous foilà fait!... N’y a blus qu’à fous mettre dans le cerisier, bour faire beur aux oiseaux qui viennent crignoter les cerises!

Un autre jour, Jean n’aurait pas manqué de se fâcher, en s’entendant traiter ainsi d’épouvantail, mais, il avait si faim que tout le reste lui était égal.

AH! LA LA! MONSIEUR TOUT-BETIT, COMME FOUS FOILA FAIT.


— Je me suis habillé seul, dit-il piteusement, — c’est pour cela que mes affaires sont un peu de travers.

— Un beu! répéta Eulalie en se tenant les côtes; — mais vous avez mis votre blouse son tevant terrière et votre bantalon comme le roi Tagobert,.. Attendez, je vas vous remettre dout ça comme y faut.

— Non Eulalie! dit Jean, — donne-moi mon déjeuner d’abord; ça ne me fait rien de le manger avec mon pantalon à l’envers, j’ai trop faim!

— Votre técheuner! mon pauvre betit monsieur Tout-Betit? Mais je n’ai pas de técheuner à vous tonner, il est mangé le técheuner.

— Comment, Eulalie! il n’y a plus de bifteck? Plus de pommes de terre frites?...

— Non mon bauvre Tout-Betit, plus de pifteck! plus de bommes frites!... Dame! Monsieur fotre baba a dit que fous fouliez tormir jusqu’à midi et plus; on a pensé que vous ne fouliez pas de fotre técheuner. Si vous avez faim, je vais vous tonner le reste de ma soupe de ce matin; c’est de la panade que fous n’aimez pas, par exemple.

— Donne-la moi tout de même! dit Jean avec un soupir.

— Je fais foir dans mon garde-manger, continua Eulalie, mais je crois bien que je n’ai blus rien... Ah! foici un morceau d’omelette froide... fous n’en foudrez pas, c’est trop mauvais! Bourtant, je n’ai pas autre chose, excepté du pain tant que fous en foudrez.

— Donne l’omelette! soupira encore Jean.

Il se mit à manger.

Quoiqu’il eût bien faim, il trouvait son déjeuner de panade et d’omelette froide très mauvais, et il avait la larme à l’œil en songeant aux pommes de terre frites et au bifteck.

Eulalie le regardait et disait en hochant la tête!

— Dame! foyez-fous, Monsieur Tout-Betit: le proverbe dit: «Qui tort tine,» mais il ne dit pas qu’on tine pien!...

Comme Jean achevait son triste repas, il entendit chuchoter derrière lui; il se retourna et aperçut, à la porte donnant sur le jardin, toute une rangée de têtes qui l’observaient en riant sous cape: ses frères, ses sœurs, Mimi, l’air consterné, sa bonne Marie, et le jardinier qui faisait tant d’efforts pour ne pas éclater tout haut qu’il en devenait rouge comme une tomate.

Jean fut si honteux qu’il se sauva en courant... et ne s’arrêta qu’entre les bras de sa maman.

Quand il en sortit, son pantalon n’était plus à l’envers, ni sa blouse le devant derrière, ni ses cheveux dans tous les sens; il avait l’air d’un garçon sage et raisonnable, et était bien résolu à ne plus jamais se montrer paresseux pour se lever le matin.


Jean Tout-Petit : à la ville et à la campagne

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