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XVII

Table des matières

D’une femme à fon mari..

Un certain homme avoit épousé une femme étrangement obstinée. Revenant du marché le jour du mardy gras, elle aporta un petit oiseau à son mari, qu’elle fit cuire pour son souper. Et se mettant à table, elle lui dit: Mon ami, voici un morceau bien friand que j’ai aporté pour faire notre carême-prenant; il y a peu à manger, mais il eft bon, c’eft un merle; le mari le regardant, dit: Si c’étoit un merle, qu’il étoit bon, mais que c’étoit une merleffe & que cela étoit trop amer. La femme repart tout à l’heure que c’étoit un merle & qu’elle en étoit bien assurée, que le marchand lui avoit vendu pour cela, & qu’il ne l’auroit pas voulu tromper. Que sert tout ce discours? lui dit le mari, je fçai bien que c’eft une merleffe, je m’y connois fort bien. Mais voyez un peu l’obstination de cet homme! dit-elle, je fçai bien que c’eft un merle, moi, a-t-on jamais ouï parler de choses pareilles? Oui, c’eft un merle, je le fçai bien. Taisez-vous, lui dit le mari, ce discours m’importune, car je fçai bien que ce que je dis eft vrai. Moi, dit-elle, que je me taise! non ferai-je, je ne me tairai pas, je fçai bien que c’eft un merle. Soit ce que foit, dit le mari, laisse–moi souper en repos & ne me dis plus mot. Cette femme qui vouloit avoir le dernier dit en tranchant toujours cet oiseau: Mais voyez un peu l’obstination de l’homme, c’eft un merle, vous dis-je, oui, c’eft un merle, en dussiez-vous crever de dépit. Au diable foit la carogne! dit-il, si tu ne te tais, je te baillerai sur les oreilles. Pourquoi me tairai-je? dit-elle, si je fçai bien que c’eft un merle, tu me bailleras sur les oreilles? Merci Dieu, ne t’y joue pas, je te dévifagerois. Oui, c’eft un merle, en dépit de toi, c’eft un merle. Elle le repeta si souvent que le mari n’en pouvant plus endurer, lui baille un beau soufflet; elle se met à crier & à le vouloir égratigner. Il prend un bâton & de ruer dessus, de forte qu’il la fit sortir à la ruë, toujours en criant que c’étoit un merle; voilà comme leur souper s’acheva. Le lendemain il n’y paroiffoit plus & pafferent le reste de l’année affez paisiblement. L’année suivante le même jour du mardy-gras, elle aporte un bizet pour leur souper. Or çà, mon ami, dit-elle, voilà un bon morceau que je vous aporte pour faire notre carême-prenant. Je prie Dieu que nous passions cette soirée mieux que nous fîmes l’année passée, il faut av üer que vous étiez en une fort mauvaise humeur. C’eft ton obstination qui en eft cause, répondit le mari, & ne t’ai-je pas dit mille fois que tu ne me repliques jamais, il semble que tu prends ton contentement à me mettre en colere. Oui, dit-elle, il y avoit bien de ma faute, fçavois-je pas bien que c’étoit un merle? Eh bien, dit le mari, voudrois-tu point recommencer encore? Oui, dit-elle, car je fçai bien que c’étoit un merle, je me ferois crucifier pour cela. Veux-tu te taire? te dis-je encore un coup. Pourquoi me tairai-je? dit-elle, oui c’étoit un merle. Or fus, je le fçai bien, c’étoit un merle. Si tu ne t’en tais, ce lui dit-il, je t’étrillerai aussi bien que je fis l’année passée. Oui, je me tairai? Non ferai, je ne me tairai pas, c’étoit un merle. Il leve la main pour lui bailler un beau soufflet; elle se leve de table, lui jette une assiette à la tête & lui dit: Tu auras menti, vilain, c’étoit un merle, je le fçai bien. Il se leve, court après elle, la bat tout son saoul, elle appelle les voisins à son aide, qui viennent de tous côtez & sans leur donner loisir d’ouïr aucunes raisons, elle ne faifoit que dire tout haut que c’étoit un merle &, parce que le mari la vouloit assommer, on la lui ôte des mains & on l’enleve du logis chez un des voisins où elle fut coucher, qui la ramena le lendemain & refit la paix avec son mari, qui dura jusques à l’année suivante, le propre foir encore du mardy-gras, où le merle fut encore ramené & où elle fut encore battue comme les deux autres années & pour le faire court, tous les ans qu’elle vécut du depuis, qui furent au nombre de quatorze, elle renouvelloit cette vieille querelle, foûtenant toujours que c’étoit un merle & tant qu’elle fut en vie, elle ne coucha jamais cette nuit-là chez elle, car par force, il falloit que les voisins vinssent toujours faire le holà & qu’ils la menassent coucher chez eux pour la sauver de la furie de son mari .

L'élite des contes du sieur d'Ouville

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