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XXXIE NUIT

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Schahriar ayant témoigné à la sultane qu'elle lui ferait plaisir de continuer le conte du premier Calender, elle en reprit le fil dans ces termes:

Madame, dit le Calender à Zobéide, je ne pus tirer autre chose du prince mon cousin, et je fus obligé de prendre congé de lui. En m'en retournant au palais du roi mon oncle, les vapeurs du vin me montaient à la tête. Je ne laissai pas néanmoins de gagner mon appartement et de me coucher. Le lendemain, à mon réveil, faisant réflexion sur ce qui m'était arrivé la nuit, et après avoir rappelé toutes les circonstances d'une aventure si singulière, il me sembla que c'était un songe. Prévenu de cette pensée, j'envoyai savoir si le prince mon cousin était en état d'être vu. Mais lorsqu'on me rapporta qu'il n'avait pas couché chez lui, qu'on ne savait ce qu'il était devenu et qu'on en était fort en peine, je jugeai bien que l'étrange événement du tombeau n'était que trop véritable. J'en fus vivement affligé, et me dérobant à tout le monde, je me rendis secrètement au cimetière public, où il y avait une infinité de tombeaux semblables à celui que j'avais vu. Je passai la journée à les considérer l'un après l'autre; mais je ne pus démêler celui que je cherchais, et je fis, durant quatre jours, la même recherche inutilement.

Il faut savoir que, pendant ce temps-là, le roi mon oncle était absent. Il y avait plusieurs jours qu'il était à la chasse. Je m'ennuyai de l'attendre, et, après avoir prié ses ministres de lui faire mes excuses à son retour, je partis de son palais pour me rendre à la cour de mon père, dont je n'avais pas coutume d'être éloigné si longtemps. Je laissai les ministres du roi mon oncle fort en peine d'apprendre ce qu'était devenu le prince mon cousin. Mais, pour ne pas violer le serment que j'avais fait de lui garder le secret, je n'osais les tirer d'inquiétude et ne voulus rien leur communiquer de ce que je savais.

J'arrivai à la capitale où le roi mon père faisait sa résidence, et, contre l'ordinaire, je trouvai à la porte de son palais une grosse garde, dont je fus environné en entrant. J'en demandai la raison, et l'officier, prenant la parole, me répondit: Prince, l'armée a reconnu le grand vizir à la place du roi votre père, qui n'est plus, et je vous arrête prisonnier de la part du nouveau roi. A ces mots, les gardes se saisirent de moi et me conduisirent devant le tyran. Jugez, madame, de ma surprise et de ma douleur.

Ce rebelle vizir avait conçu pour moi une forte haine qu'il nourrissait depuis longtemps. En voici le sujet: Dans ma plus tendre jeunesse, j'aimais à tirer de l'arbalète; j'en tenais une, un jour, au haut du palais sur la terrasse, et je me divertissais à en tirer. Il se présenta un oiseau devant moi, je mirai à lui, mais je le manquai, et la flèche, par hasard, alla tomber droit contre l'œil du vizir qui prenait l'air sur la terrasse de sa maison, et le creva. Lorsque j'appris ce malheur, j'en fis faire des excuses au vizir et je lui en fis moi-même; mais il ne laissa pas d'en conserver un vif ressentiment, dont il me donnait des marques quand l'occasion s'en présentait. Il le fit éclater d'une manière barbare, quand il me vit en son pouvoir. Il vint à moi comme un furieux d'abord qu'il m'aperçut, et enfonçant ses doigts dans mon œil droit, il l'arracha lui-même. Voilà par quelle aventure je suis borgne.

Mais l'usurpateur ne borna pas là sa cruauté. Il me fit enfermer dans une caisse, et ordonna au bourreau de me porter en cet état fort loin du palais, et de m'abandonner aux oiseaux de proie, après m'avoir coupé la tête. Le bourreau, accompagné d'un autre homme, monta à cheval, chargé de la caisse, et s'arrêta dans la campagne pour exécuter son ordre. Mais je fis si bien par mes prières et par mes larmes, que j'excitai sa compassion. Allez, me dit-il, sortez promptement du royaume, et gardez-vous bien d'y revenir; car vous y rencontreriez votre perte, et vous seriez cause de la mienne. Je le remerciai de la grâce qu'il me faisait, et je ne fus pas plutôt seul, que je me consolai d'avoir perdu mon œil, en songeant que j'avais évité un plus grand malheur.

Dans l'état où j'étais, je ne faisais pas beaucoup de chemin. Je me retirais en des lieux écartés pendant le jour et je marchais la nuit, autant que mes forces me le pouvaient permettre. J'arrivai enfin dans les États du roi mon oncle, et je me rendis à sa capitale.

Je lui fis un long détail de la cause tragique de mon retour et du triste état où il me voyait. Hélas! s'écria-t-il, n'était-ce pas assez d'avoir perdu mon fils? fallait-il que j'apprisse encore la mort d'un frère qui m'était cher, et que je vous visse dans le déplorable état où vous êtes réduit! Il me marqua l'inquiétude où il était de n'avoir reçu aucune nouvelle du prince son fils, quelques perquisitions qu'il en eût fait faire, et quelque diligence qu'il y eût apportée. Ce malheureux père pleurait à chaudes larmes en me parlant, et il me parut tellement affligé, que je ne pus résister à sa douleur. Quelque serment que j'eusse fait au prince mon cousin, il me fut impossible de le garder. Je racontai au roi son père tout ce que je savais.

Le roi m'écouta avec quelque sorte de consolation, et quand j'eus achevé: Mon neveu, me dit-il, le récit que vous venez de me faire me donne quelque espérance. J'ai su que mon fils faisait bâtir ce tombeau, et je sais à peu près en quel endroit: avec l'idée qui vous en est restée, je me flatte que nous le trouverons. Mais puisqu'il l'a fait faire secrètement, et qu'il a exigé de vous le secret, je suis d'avis que nous l'allions chercher tous deux seuls, pour éviter l'éclat. Il avait une autre raison, qu'il ne me disait pas, d'en vouloir dérober la connaissance à tout le monde. C'était une raison très-importante, comme la suite de mon discours le fera connaître.

Nous nous déguisâmes l'un et l'autre, et nous sortîmes par une porte du jardin qui ouvrait sur la campagne. Nous fûmes assez heureux pour trouver bientôt ce que nous cherchions. Je reconnus le tombeau, et j'en eus d'autant plus de joie, que je l'avais en vain cherché longtemps. Nous y entrâmes et nous trouvâmes la trappe de fer abattue sur l'entrée de l'escalier. Nous eûmes de la peine à la lever, parce que le prince l'avait scellée en dedans avec le plâtre et l'eau dont j'ai parlé; mais enfin nous la levâmes.

Le roi mon oncle descendit le premier. Je le suivis et nous descendîmes environ cinquante degrés. Quand nous fûmes au bas de l'escalier, nous nous trouvâmes dans une espèce d'antichambre, remplie d'une fumée épaisse et de mauvaise odeur, dont la lumière que rendait un très-beau lustre était obscurcie.

De cette antichambre, nous passâmes dans une chambre fort grande, soutenue de grosses colonnes et éclairée de plusieurs autres lustres. Il y avait une citerne au milieu, et l'on voyait plusieurs sortes de provisions de bouche rangées d'un côté. Nous fûmes assez surpris de n'y voir personne. Il y avait en face un sofa assez élevé où l'on montait par quelques degrés, et au-dessus duquel paraissait un lit fort large, dont les rideaux étaient fermés. Le roi monta et les ayant ouverts, il aperçut le prince son fils et la dame brûlés et changés en charbon, comme si on les eût jetés dans un grand feu, et qu'on les eût retirés avant que d'être consumés.

Ce qui me surprit plus que toute autre chose, c'est qu'à ce spectacle qui faisait horreur, le roi mon oncle, au lieu de témoigner de l'affliction en voyant le prince son fils dans un état si affreux, lui cracha au visage, en lui disant d'un air indigné: Voilà quel est le châtiment de ce monde; mais celui de l'autre durera éternellement. Il ne se contenta pas d'avoir prononcé ces paroles, il se déchaussa, et donna sur la joue de son fils un grand coup de sa pantoufle.

Comme cette histoire du premier Calender n'était pas encore finie, et qu'elle paraissait étrange au sultan, il se leva, dans la résolution d'en entendre le reste la nuit suivante.

Les plus beaux contes des 1001 nuits

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