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XXXIIE NUIT

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Le premier Calender, reprit la sultane, continua de raconter son histoire à Zobéide.

Je ne puis vous exprimer, madame, poursuivit-il, quel fut mon étonnement lorsque je vis le roi mon oncle maltraiter ainsi le prince son fils après sa mort. Sire, lui dis-je, quelque douleur qu'un objet si funeste soit capable de me causer, je ne laisse pas de la suspendre pour demander à Votre Majesté quel crime peut avoir commis le prince mon cousin, pour mériter que vous traitiez ainsi son cadavre. Mon neveu, me répondit le roi, je vous dirai que mon fils, indigne de porter ce nom, forma le projet de me détrôner; il a entraîné dans ce complot sa jeune sœur, et c'est dans ce lieu qu'ils tramaient leurs abominables desseins. Mais Dieu n'a pas voulu souffrir cette abomination, et les a justement châtiés l'un et l'autre. Il fondit en pleurs en achevant ces paroles, et je mêlai mes larmes avec les siennes.

Quelque temps après, il jeta les yeux sur moi. Mais, mon cher neveu, reprit-il en m'embrassant, si je perds un indigne fils, je retrouve heureusement en vous de quoi mieux remplir la place qu'il occupait. Les réflexions qu'il fit encore sur la triste fin du prince et de la princesse sa fille nous arrachèrent de nouvelles larmes.

Il n'y avait pas longtemps que nous étions de retour au palais, sans que personne se fût aperçu de notre absence, lorsque nous entendîmes un bruit confus de trompettes, de timbales, de tambours et d'autres instruments de guerre. Une poussière épaisse, dont l'air était obscurci, nous apprit bientôt ce que c'était et nous annonça l'arrivée d'une armée formidable. C'était le même vizir qui avait détrôné mon père et usurpé ses États, qui venait pour s'emparer aussi de ceux du roi mon oncle, avec des troupes innombrables.

Ce prince, qui n'avait alors que sa garde ordinaire, ne put résister à tant d'ennemis. Ils investirent la ville; et comme les portes leur furent ouvertes sans résistance, ils eurent peu de peine à s'en rendre maîtres. Ils n'en eurent pas davantage à pénétrer jusqu'au palais du roi mon oncle, qui se mit en défense; mais il fut tué, après avoir vendu chèrement sa vie. De mon côté, je combattis quelque temps; mais voyant bien qu'il fallait céder à la force, je songeai à me retirer, et j'eus le bonheur de me sauver par des détours, et de me rendre chez un officier du roi dont la fidélité m'était connue.

Accablé de douleur, persécuté par la fortune, j'eus recours à un stratagème, qui était la seule ressource qui me restait pour me conserver la vie. Je me fis raser la barbe et les sourcils; et ayant pris l'habit de Calender, je sortis de la ville sans que personne me reconnût. Après cela, il me fut aisé de m'éloigner du royaume du roi mon oncle, en marchant par des chemins écartés. J'évitais de passer par les villes, jusqu'à ce qu'étant arrivé dans l'empire du puissant Commandeur des croyants, le glorieux et renommé calife Haroun-al-Raschid, je cessai de craindre. Alors me consultant sur ce que j'avais à faire, je pris la résolution de venir à Bagdad me jeter aux pieds de ce grand monarque, dont on vante partout la générosité. Je le toucherai, disais-je, par le récit d'une histoire aussi surprenante que la mienne; il aura pitié, sans doute, d'un malheureux prince, et je n'implorerai pas vainement son appui.

Enfin, après un voyage de plusieurs mois, je suis arrivé aujourd'hui à la porte de cette ville; j'y suis entré sur la fin du jour; et m'étant un peu arrêté pour reprendre mes esprits, et délibérer de quel côté je tournerais mes pas, cet autre Calender que voici près de moi arriva aussi en voyageur. Il me salue, je le salue de même. A vous voir, lui dis-je, vous êtes étranger comme moi. Il me répond que je ne me trompe pas. Dans le moment qu'il me fait cette réponse, le troisième Calender que vous voyez survient. Il nous salue, fait connaître qu'il est aussi étranger et nouveau venu à Bagdad. Comme frères, nous nous joignons ensemble, et nous résolvons de ne nous pas séparer.

Cependant il était tard, et nous ne savions où aller loger dans une ville où nous n'avions aucune habitude, et où nous n'étions jamais venus. Mais notre bonne fortune nous ayant conduits devant votre porte, nous avons pris la liberté de frapper; vous nous avez reçus avec tant de charité et de bonté, que nous ne pouvons assez vous en remercier. Voilà, madame, ajouta-t-il, ce que vous m'avez commandé de vous raconter, pourquoi j'ai perdu mon œil droit, pourquoi j'ai la barbe et les sourcils ras, et pourquoi je suis en ce moment chez vous.

C'est assez, dit Zobéide, nous sommes contentes: retirez-vous où il vous plaira. Le Calender s'en excusa, et supplia la dame de lui permettre de demeurer, pour avoir la satisfaction d'entendre l'histoire de ses deux confrères, qu'il ne pouvait, disait-il, abandonner honnêtement, et celle des trois autres personnes de la compagnie.

Sire, dit en cet endroit Scheherazade, le jour que je vois m'empêche de passer à l'histoire du second Calender; mais si Votre Majesté veut l'entendre demain, elle n'en sera pas moins satisfaite que de celle du premier. Le sultan y consentit, et se leva pour aller tenir son conseil.

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