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PRÉFACE

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Je suis de ceux qui pensent, avec Bayle, que l’esprit humain ne peut jamais abdiquer; je suis de ceux qui croient que son examen est de tous les temps, de tous les pays, de toutes les matières, qu’il est perpétuel, permanent, imprescriptible.

LIOUVILLE.

Le progrès de la science est compromis si nous ne revenons aux longues réflexions, si chacun croit remplir les devoirs de la vie en ayant, à l’aveugle, sur toutes choses, les opinions d’un parti; si la légèreté, les opinions exclusives, les façons tranchantes et péremptoires viennent supprimer les problèmes au lieu de les résoudre.

Ernest RENAN, membre de l’Institut. (1862.)

Il y a une vingtaine d’années, un des princes de la science officielle entra dans un salon au moment où je venais d’y produire et d’y expliquer des phénomènes de magnétisme humain que je dégageais, autant que possible, du merveilleux dont on aime trop à les entourer. Je saisissais alors toutes les occasions d’étudier, par des expériences personnelles, cette science occulte dont tout le monde parlait et que, contrairement à tant d’autres, je n’avais point voulu juger sans connaissance de cause.

— Vous croyez au magnétisme? me dit le savant.

— Oui et non, répondis-je; je crois aux phénomènes que je produis: sommeil, insensibilité, somnambulisme, transmission de pensées et de sensations, catalepsie, etc.; je ne crois point à tout ce que disent et prédisent les somnambules impressionnés par des idées et des images que des personnes dans l’erreur peuvent leur communiquer, même à leur insu.

Mon interlocuteur m’avoua franchement alors. que, ne pouvant admettre ce qu’il savait impossible et ne voulant pas douter de ma bonne foi, il était obligé de croire que mon imagination me rendait visionnaire.

— Les découvertes les plus importantes, lui dis-je alors, sont souvent celles qu’on admet le plus difficilement. Si la science de Galilée a pu, sans danger pour le triomphe de la vérité, se répandre malgré ceux qui la condamnèrent, il n’en serait pas de même du magnétisme qui, mal étudié, mal enseigné, pourrait produire de faux miracles, de nouvelles superstitions dangereuses, difficiles à déraciner. Permettez-moi, monsieur, de prouver cette assertion en répétant devant vous des expériences assez remarquables sur une somnambule que ces dames m’ont présentée et dont elles viennent d’admirer la lucidité.

Mais avec un air de supériorité, que jusqu’à ce moment il n’avait pas cru devoir prendre devant des femmes de son intimité, au milieu desquelles nous nous trouvions, le savant prononça ces paroles significatives: Monsieur, je ne veux point voir, parce que je ne veux point croire.

Je compris alors combien de vérités utiles pouvaient languir dans les cachots d’un despotisme qu’un instant auparavant, respectueux et timide, je croyais impossible.

A partir de ce jour, je me vouai à l’examen des sciences repoussées par l’Académie et je commençai ma révolte, avec plus de courage peut-être que de force, par l’étude de la phrénologie, que, malgré de nombreux partisans, malgré le succès du cours fait en 1836 par le célèbre Broussais, professeur à la Faculté de médecine de Paris, les immortels avaient la prétention de faire mourir en lui refusant leurs lumières.

Le cours de Broussais, imprimé en 1836, m’apprit ce qui suit: il y a vingt-trois siècles, Pythagore enseignait que l’âme végétative et l’âme sensitive étaient dans le corps, mais que dans la tête était la partie la plus sublime de l’homme, l’âme rationelle. Ce fut aussi l’opinion de Démocrite, et de Platon, qui pensa que la puissance agissant sur le cerveau était tirée du ΠNEΥMA, âme universelle, mouvement de vie animant la nature entière.

Aristote considérait le ventricule antérieur du cerveau, qu’il supposait correspondre au front, comme le siège du sens commun. Il plaçait ensuite l’imagination, le jugement et la réflexion dans le second ventricule, communiquant avec le premier par une petite ouverture donnant passage aux impressions transmises par les cinq sens.

Ces notions passèrent de siècle en siècle jusqu’à l’école d’Alexandrie.

Dans l’ancienne Grèce, ces tendances à la localisation n’étaient pas bornées aux philosophes; les sculpteurs et les peintres les avaient aussi. Ils représentaient le génie, la science, la sagesse avec un front saillant et élevé ; quand ils n’avaient pour but que de montrer la force musculaire, ils faisaient de gros muscles et une tête petite.

Gall encore enfant remarqua que, parmi ses camarades d’école, ceux qui avaient les yeux gros apprenaient plus facilement leurs leçons que ceux dont la configuration était opposée. Lorsque plus tard il étudia l’anatomie, il constata qu’il y avait un rapport entre les saillies de la surface du crâne et celles de la substance cérébrale. (Voir p. 79, SINUS FRONTAUX.) Il étudia toutes les opinions déjà émises sur les fonctions du cerveau, et bientôt il conçut la possibilité de rectifier les théories régnantes sur les facultés intellectuelles et morales.

Lorsqu’il eut réuni un assez grand nombre de faits, il harmonisa son système, qu’il vint enseigner à Paris.

Basés sur l’anatomie, appuyés par une dissection du cerveau plus significative que celle qu’on avait faite avant lui, ses enseignements frappèrent les savants. Il démontra qu’il faut suivre le cerveau dans la direction de ses fibres et ne pas se borner à décrire ce qu’on observe dans des coupes arbitraires. Il insista surtout sur la nécessité de suivre le développement du cerveau depuis l’état d’embryon jusqu’ à celui d’adulte.

Toutes les idées de Gall furent adoptées.

Mais, dit Broussais, le grand guerrier, le grand politique, le grand administrateur qui gouvernait alors la France montra quelques répugnances pour les travaux qui tendaient à analyser les facultés de l’homme et à les réduire à des éléments simples. Craignant pour son époque les conséquences de ces sortes de travaux, il supprima l’Académie des sciences morales et politiques, rétablie depuis, et prononça la proscription du système de Gall.

Je laisse parler Broussais:

«On a cherché à vérifier si les assertions de Gall étaient justes, et en le faisant on a découvert quelques organes que Gall n’avait pas aperçus ou sur lesquels il était resté en doute.

«Gall était parti des faits les plus vulgaires; ainsi, en observant des gens qui retenaient bien leurs leçons, il avait dit: mémoire des mots ; en remarquant des gens qui avaient de la tendance à établir des comparaisons, il avait dit: sagacité comparative. En observant que les voleurs déterminés, ceux qui offraient le penchant à un point très-éminent, au point de ne pouvoir le comprimer, avaient une certaine portion du cerveau très-développée, il avait nommé cette partie: organe du vol ; il en avait fait autant pour l’organe qui paraît souvent saillant chez les assassins, et il l’avait appelé : organe du meurtre. Il créa ainsi plusieurs dénominations qui furent prises en mauvaise part, et d’autres qui paraissaient détruire tout le mérite des bonnes actions; par exemple, il admit un organe pour la bonté.

«On s’écria de plus d’un lieu: Que veut cet homme avec ses organes de vices et de vertus? Il nous considère donc comme des victimes destinées tantôt à commettre des crimes inévitables, tantôt à faire de bonnes actions sans aucun mérite. Que devient notre libre arbitre? Il prêche le fatalisme, il détruit tous les fondements de la morale, il attaque la justice des lois, il avilit la dignité de l’homme.

«Ce fut précisément à corriger ces vices de la

nomenclature que Spurzheim, élève et collaborateur

de Gall, s’attacha. Il dit: Le vol n’est qu’une

«application de l’organe. On peut très-bien avoir

«de la tendance à acquérir, à posséder, sans être

«voleur. On peut être disposé à combattre dans

«certaines circonstances, même à verser du sang,

«sans être un criminel.»

«Il alla plus loin, car il prouva que les organes qui avaient été dénommés d’une manière si défavorable étaient des mobiles nécessaires pour donner de l’activité aux autres organes. Cette remarque s’appliquait très-bien au besoin de la propriété, qui est une des bases de l’état social, à ceux de la rixe et de la destruction, où l’on trouve les éléments du courage militaire, de la défense du pays, de la résistance à l’oppression, etc.

«Il réforma le mot ruse, qui avait été pris en mauvaise part, et fit voir qu’il est naturel et très-fréquemment nécessaire à l’homme de dissimuler sa pensée et ses intentions. La dissimulation est souvent de la prudence, il s’en faut qu’elle soit toujours un moyen de nuire; d’ailleurs elle peut nous rendre service en nous aidant à pénétrer un homme rusé qui nous veut du mal, et la finesse qu’elle nous procure n’a pas pour but nécessaire des actions blâmables; associée avec le jugement et avec des sentiments élevés, cette finesse prend le nom de sagacité et devient l’instrument de beaucoup d’actes utiles à l’état social aussi bien qu’à l’homme privé. Déterminé par ces importantes considérations, Spurzheim crut devoir substituer au mot ruse celui de sécrétivité, qui indique, chez les personnes douées de ce penchant, une tendance à se séparer, à se soustraire aux regards pour mieux observer.....

«Alors la science reprit vigueur. Aussitôt que l’importance en fut sentie, la phrénologie trouva de nouveaux adeptes: elle continua de progresser, et l’on comprit qu’il en pouvait sortir un nouveau système de philosophie, un système qui se substituait de lui-même aux théories métaphysiques qui avaient existé jusqu’alors. Or, c’est du moment où cette influence a été sentie qu’on a vu se former la grande levée de boucliers que nous observons maintenant contre Gall. Auparavant il n’y avait que quelques savants et quelques citoyens de bon sens et exempts de préjugés qui s’en occupassent dans un but d’instruction ou d’utilité particulière. Maintenant tout le monde semble vouloir prendre intérêt à la question phrénologique: les uns veulent s’en faire une juste idée, d’autres la condamnent d’avance et cherchent à comprimer l’essor qu’elle vient de prendre; il en est qui s’exercent à chercher les subtilités pour la combattre; on en voit d’autres qui s’attachent plutôt à ramasser les faits qu’ils croient les plus propres à la détruire. Tout cela se passe avec une espèce d’activité et même de passion qui n’existaient pas autrefois et qui marquent vraiment une époque scientifique.

«Voilà où nous en sommes; voilà ce qui rend la phrénologie extrêmement intéressante et en fait l’étude la plus importante du moment.»

Spurzheim, élève et collaborateur de Gall, en cherchant un organe pour chaque faculté, avait tellement augmenté le nombre des organes primitifs qu’il était devenu très-difficile de reconnaître sur un crâne la place de chacun d’eux.

Un Espagnol, don Mariano Cubi i Soler, continuateur de Spurzheim, porte ce nombre à quarante-huit dans un ouvrage très-étendu, dédié à Napoléon III, empereur des Français, approuvé par Mgr l’évêque de Barcelone, et intitulé : la Phrénologie régénérée, ou véritable système de philosophie de l’homme considéré dans tous ses rapports (1858).

J’explique dans les chapitres suivants comment, en étudiant ces doctrines d’après nature, c’est-à-dire en appliquant pendant plusieurs années les différents systèmes des phrénologistes sur un grand nombre d’individus, avec une incrédulité qui n’admet que les faits constants, j’ai reconnu: que, loin de multiplier les facultés primitives de l’homme découvertes par le grand maître, il fallait, au contraire, les réduire à quatorze: sept pour les instincts destinés à la conservation et à la reproduction, et sept pour la raison, guide naturel de ces instincts qui, sans cette direction, se vicient au lieu d’être des vertus indispensables; que ces organes reconnus certains, agissant comme des couleurs premières dans des proportions différentes, produisent des nuances innombrables parmi lesquelles se trouvent un grand nombre de facultés, dont les phrénologistes, en les croyant primitives, avaient souvent supposé l’organe entre ceux qui les produisent par leur combinaison. (Voir p. 53, COMPARAISON.)

Des hommes sérieux, partisans de la phrénologie ou gagnés à cette science par la simplification que je venais d’y apporter, m’engagèrent à publier ma doctrine nouvelle qui, disaient-ils, modifiait assez la phrénologie pour nécessiter un nom nouveau.

En 1851, je me décidai à faire acte de propriété en publiant une petite brochure intitulée: Nouvelle Organographie du crâne humain. Plus tard (1853) j’écrivis la Vérité, à propos de la tête d’une célèbre empoisonneuse que l’on avait soumise à mon examen. Je publiai aussi des tableaux synoptiques de céphalométrie.

Pendant un voyage de Paris, que je fis en 1855 pour visiter l’exposition universelle, je rencontrai quelques partisans de ma doctrine chez M. Guy, anatomiste de l’École de Médecine, possesseur d’un grand nombre de têtes de personnages célèbres moulées sur nature, parmi lesquelles je faisais un choix pour enrichir ma collection.

On se félicita du hasard qui amenait là l’auteur de la Nouvelle Organographie du crâne humain précisément au moment d’une discussion sur le crâne d’une personne qui, disait-on, faisait mentir la phrénologie en ne présentant pas l’organe d’une faculté à laquelle elle avait dû une certaine célébrité.


L’épreuve que l’on me faisait subir me parut facile, car ce crâne avait une forme tout exceptionnelle et c’est dans ce cas, surtout, que l’on reconnaît sûrement les particularités frappantes d’un caractère.

Ce crâne, dis-je, bas et allongé, est celui d’une femme privée de toute élévation dans la pensée, qui avait assez de configuration (sens des formes) et d’harmonie pour aimer la parure, trop peu de pénétration, d’imagination, d’équité et de respect pour que la raison, qui est le résultat de l’action harmonisée des facultés de l’intelligence et de l’esprit, ait pu diriger des instincts très-développés, à l’exception de la persévérance presque nulle, et de l’amour qui est très-faible. Chez elle la circonspection a dû devenir la ruse, le mensonge, peut-être le vol. La fierté, qui est énorme, sans la raison, n’a pu produire que la vanité, l’envie, la coquetterie, la jalousie; la sympathie démesurément grande, sans la persévérance qui fait la constance, a pu entraîner cette femme dans la prostitution, quoique l’organe de l’amour soit très-petit, car ce n’est pas l’amour qui cause toujours ce vice, c’est l’absence de la raison et de la persévérance auxquelles on doit le courage de travailler pour vivre honorablement, et sans lesquelles on compte trop souvent sur le dernier venu.

Alors, avec un étonnement mêlé d’admiration, on me fit lire une inscription que jusqu’à ce moment on avait eu soin de tenir cachée: une des plus prostituées de Paris.

Comme on le voit par cet exemple, la céphalométrie ne cherche point de petites bosses pour reconnaître les penchants au vol, à la bonté, au meurtre, à la théosophie ou à l’inférioritivité, etc., etc.; elle voit des esprits élevés, larges, avancés dans les fronts élevés, larges, proéminents; elle reconnaît, par le développement du cerveau sous les temporaux, l’occipital et les pariétaux, la puissance des instincts de l’amour de la vie, des autres, de soi. Elle enseigne que la raison, fille de l’esprit et de l’intelligence (voir p. 38, RAISON et MORALE), doit grandir en l’homme pour compléter l’incarnation de l’esprit, qui vient continuer sur la terre, par les arts et les sciences, l’œuvre admirable et inachevée de la création. (Voir p. 158, NOTES.)

J’aurais désiré ne point entrer dans la grande lutte de la foi et de la raison; mais le connais-toi toi-même du temple de Delphes était une prophétie. C’était dans la science de l’homme expliqué par la connaissance de ses organes cérébraux, el non dans l’imagination, ou les besoins de la politique, que l’on devait trouver la psychologie, la morale, la loi naturelle pour l’éducation et la direction des hommes.

Heureusement la céphalométrie m’a démontré que la raison, lumière morale, comme la lumière physique, n’est point instantanée, et que c’était peut-être pour diminuer l’intensité des ténèbres qui devaient résulter de la non-instantanéité de cette lumière que Dieu nous a donné la foi, le croire avant le savoir, la lampe en attendant le jour, le pressentiment de la perfection, de l’infini, qui nous a fait reconnaître en nous l’esprit éternel, avant les démonstrations de la science que l’homme devait conquérir par le travail.

Puissions-nous tous bientôt, en comparant à la lumière, qui annihile les ténèbres, la raison, lumière morale, devant laquelle s’annihileront aussi les vices, les passions, les erreurs, comprendre la sainteté des efforts de la science et reconnaître enfin l’inutilité des luttes, puisqu’on ne se débat point contre la nuit quand on sait qu’il suffit d’allumer un flambeau.

Code naturel de la morale sociale expliqué par la céphalométrie et mis à la portée de tout le monde

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