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DE L'ÉGYPTE
APRÈS
LA BATAILLE D'HÉLIOPOLIS. PREMIÈRE PARTIE.
DEPUIS LE MOIS DE FLORÉAL AN VIII, JUSQU'AU MOIS
DE BRUMAIRE AN IX. CHAPITRE PREMIER.
ОглавлениеSITUATION DE L'ARMÉE D'ORIENT, ET PROJETS DE KLÉBER AVANT SA MORT.
Après la bataille d'Héliopolis et le siége du Caire, l'armée se trouva dans la situation la plus brillante. Les troupes, bien habillées, bien nourries, et payées régulièrement, étaient satisfaites de leur sort. La mauvaise foi des Anglais, lors de la rupture du traité d'El-A'rych, avaient excité leur indignation; les Turcs n'étaient point pour elles des ennemis redoutables. Depuis le 18 brumaire, leur confiance dans le gouvernement ajoutait au désir de conserver une conquête dont elles sentaient toute l'importance, et qui leur plaisait depuis qu'elles y jouissaient de quelque agrément et supportaient moins de privations.
Les habitans, étonnés de voir le visir de la Porte (le plus grand personnage que leur ignorance leur permît de connaître) battu par les Français, étaient persuadés que tous les efforts des Turcs seraient désormais inutiles; ils regardaient l'Égypte comme la propriété de leurs nouveaux maîtres, et prenaient une grande confiance en eux. Ils avaient éprouvé dans plusieurs occasions combien leurs révoltes avaient été facilement dissipées par un petit nombre de troupes. Les charges de guerre auxquelles les rebelles avaient été imposés les avaient pour toujours dégoûtés de semblables soulèvemens. La paix avec Mourâd-Bey contribuait encore à maintenir les Égyptiens dans ces sentimens.
Les contributions extraordinaires imposées au Caire, en punition de la révolte, donnaient les moyens de payer l'arriéré, qui s'élevait alors à onze millions, y compris la solde, et d'attendre la saison où l'on perçoit les impositions ordinaires, pour fournir aux dépenses courantes. Les améliorations que l'état de guerre et les difficultés inséparables d'un nouvel établissement avaient empêché Bonaparte d'effectuer dans un pays où la langue, les mœurs, les usages, tout élevait des obstacles, Kléber pouvait les faire après la bataille d'Héliopolis; celles qu'il ordonna dans toutes les parties de l'administration apportèrent beaucoup d'économie dans les dépenses, diminuèrent les frais de perception, et mirent un frein à beaucoup de vexations et de dilapidations.
Le général Kléber voulant profiter des dispositions générales des habitans, fit sentir particulièrement aux Cophtes que s'ils avaient été armés pendant la révolte du Caire, leur quartier n'aurait pas été pillé par les Turcs, et qu'il était de leur intérêt de concourir, avec les Français, à la défense commune. Il les engagea à former un bataillon de cinq cents hommes, qu'il fit habiller à la française: il comptait l'augmenter autant que les circonstances le permettraient.
Cette formation d'un corps était un moyen de développer le goût du service militaire; mais il était encore plus avantageux d'engager les habitans du pays, chrétiens et musulmans, à s'enrôler dans les demi-brigades, où ils pouvaient prendre plus facilement le moral du soldat français. Kléber encouragea ces recrutemens. Ils réussirent dans la Haute-Égypte; la 21e demi-brigade fit, en très peu de temps, trois cents recrues, qui se formèrent assez vite. Les habitans de la Basse-Égypte y paraissaient moins disposés; cependant on aurait pu vaincre leur répugnance.
Les Grecs, d'un caractère plus belliqueux, se présentaient avec bien plus de zèle. Deux compagnies avaient déjà été formées précédemment par Bonaparte; celle qui se trouvait au Caire lors du siége s'était fort bien battue. Kléber forma une légion où l'on engagea beaucoup de Grecs nouvellement arrivés dans les ports: elle fut bientôt d'environ quinze cents hommes.
L'armée avait éprouvé beaucoup d'obstacles pour les transports dans les momens difficiles, parce qu'alors les Arabes qui louaient leurs chameaux s'éloignaient. Afin d'assurer ce service important, Kléber fit établir un parc de cinq cents chameaux toujours disponibles, et qu'on employait, en temps ordinaire, aux différens services; il ordonna une levée des chevaux et des chameaux nécessaires pour remonter la cavalerie et l'artillerie; il fit établir des ponts volans, pour faciliter les passages du Nil aux troupes qui auraient à marcher de la côte sur les frontières de Syrie, et ordonna des reconnaissances pour organiser des communications entre les divers postes occupés par l'armée.
Il arrêta, pour le Caire, un plan de travaux simples qui remplissaient deux objets importans; celui de contenir les habitans de cette grande ville, et celui de la clore, de manière qu'aucun parti ennemi ne pût s'y introduire. Il ordonna aussi les travaux nécessaires pour la défense des côtes.
Il établit un comité administratif composé de cinq membres, chefs des principales administrations, qui discutaient avec lui les améliorations que les circonstances rendaient possibles. Il arrêta beaucoup de dilapidations; ôta le moyen de spéculer sur le bien-être du soldat, et améliora le sort des troupes en faisant payer les rations de viande et de fourrage, et en mettant une partie de l'habillement au compte des corps.
La flotte turque, commandée par le capitan-pacha, avait paru, dans les premiers jours de prairial, devant Alexandrie. Kléber, ignorant si elle portait des troupes et méditait quelque débarquement, partit, dès qu'il en eut la nouvelle, avec une partie des troupes qui étaient au Caire, et donna des ordres pour réunir à Rahmaniëh celles du Delta. Il quitta le Caire le 14 prairial, apprit à Rahmaniëh que le capitan-pacha était seulement venu parader devant Alexandrie, afin d'entamer quelques négociations, défendit de recevoir à terre aucun parlementaire, et revint au Caire laissant dans le Delta, vis-à-vis Rahmaniëh, un camp volant de deux demi-brigades et de deux régimens de cavalerie disponibles, pour aller sur tous les points de la côte qui pourraient être menacés, ou sur la frontière de Syrie.
Le général Menou était arrivé au Caire à la fin de floréal; depuis six mois il avait l'ordre de s'y rendre, d'abord pour être employé aux négociations avec les Turcs, ensuite pour la campagne qui se préparait, et après la prise du Caire, afin d'y commander. Mais en écrivant toujours qu'il allait partir, qu'il ne désirait rien tant que de combattre, il était resté paisiblement à Rosette, jusqu'au moment où les Osmanlis sortis du Caire et rejetés dans le désert, on n'eut plus qu'à jouir d'une tranquillité due aux victoires de l'armée. Arrivé au Caire, il fit des difficultés pour en prendre le commandement: celui de la Haute-Égypte, où il paraissait désirer de voyager, lui fut offert; mêmes obstacles. Enfin, Kléber lui écrivit qu'après lui avoir offert les plus beaux commandemens, il ne lui restait plus qu'à lui offrir celui de l'armée; le général Menou choisit celui de la Haute-Égypte; mais il ne partit pas.
Lorsque le général Kléber partit pour Rahmaniëh, il écrivit au général Reynier, qui était en tournée dans le Kalioubëh, de venir au Caire pour en prendre le commandement et surveiller la Haute-Égypte ainsi que la frontière de Syrie, tandis que lui serait sur les côtes. L'exprès s'égara, et le général Reynier ne put arriver qu'après son départ. Pendant ce temps, le général Menou sollicita ce commandement: Kléber le lui accorda en lui recommandant de se concerter avec le général Reynier pour les dispositions de défense, s'il y avait quelque mouvement du côté de la Syrie. Ce dernier, de retour au Caire, lui donna tous les renseignemens qui pouvaient lui être nécessaires sur les fortifications, les troupes, les habitans et la police de cette ville, qu'il connaissait peu.
Kléber fut de retour le 21 de Rahmaniëh; le 23, il montra au général Reynier la note qu'il faisait écrire en réponse à une lettre que Morier, secrétaire de lord Elgin, lui avait envoyée de Jaffa. Il entra dans quelques détails sur la conduite qu'il devait tenir avec les Turcs, et dont il l'avait déjà entretenu plusieurs fois. Il voulait profiter de la rupture du traité d'El-A'rych et des arrangemens pris alors par les Anglais, à l'effet d'occuper Alexandrie, Damiette et Souez, pour exciter le ressentiment des Turcs contre eux; il voulait aussi éviter les communications avec les chefs de ces deux armées, en même temps qu'il tâcherait d'établir une correspondance directe avec Constantinople. Par ce moyen, il espérait correspondre avec le gouvernement français, et faire consentir les Turcs à la neutralité jusqu'à la paix générale. Un arrangement aurait donné à l'armée française l'assurance de n'être attaquée que par une expédition maritime, que les Anglais n'auraient sûrement pas tentée sans l'appui des Turcs; il aurait augmenté les ressources en rétablissant une partie du commerce.