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ORGANISATION PHYSIQUE.

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Table des matières

L'Égypte est comme isolée du reste de la terre par des obstacles naturels: séparée de l'Asie par des déserts, un petit nombre de lieux bas, où l'on trouve de l'eau saumâtre, déterminent la route qu'une armée peut prendre pour venir l'attaquer. La côte plane de l'Égypte sur la Méditerranée, et les bouches du Nil, embarrassées par des bancs de sable, permettent seulement de débarquer sur quelques points connus. Bornée à l'ouest par des déserts immenses, elle est seulement exposée, de ce côté, aux émigrations des tribus arabes de la Barbarie. Séparée de la mer Rouge par un désert, elle craint peu d'être attaquée de ce côté: ses deux ports sur cette mer, n'offrent aucune ressource; à peine peut-on s'y procurer de l'eau; les vivres et les chameaux nécessaires pour passer le désert y doivent être envoyés d'Égypte.

Deux chaînes de montagnes arides bordent le Nil dans la Haute-Égypte; elles laissent entre elles une vallée de quatre à cinq lieues de largeur, dans laquelle le fleuve coule, et qu'il couvre lors de ses débordemens périodiques. C'est la seule partie cultivée et habitée. La chaîne orientale, qui sépare le Nil de la mer Rouge, est la plus élevée; elle se termine au bord de la vallée par un escarpement, qui, dans beaucoup d'endroits, a l'apparence d'une muraille fort élevée, interrompu de distance en distance par des ravins, ou quelques vallons étroits formés par les torrens éphémères de l'hiver, et qui servent de route pour gravir ces montagnes. La chaîne occidentale, qui sépare la vallée du Nil de celle des Oasis, se termine généralement en pente douce; elle devient cependant plus escarpée vers Siout; et depuis le coude que forme le Nil vers Kenëh, elle est taillée à pic, ainsi que la chaîne orientale jusqu'à Sienne, où les montagnes s'élèvent davantage et ne laissent qu'un passage étroit aux eaux du fleuve.

Près du Caire, ces deux chaînes s'écartent: l'orientale se termine vers l'extrémité de la mer Rouge, sans présenter aucune apparence de liaison avec les montagnes de l'Arabie, qui se terminent de même.[2]

L'occidentale s'abaisse aussi vers le Fayoum, prend, près du Caire, sa direction vers le nord-ouest, ensuite à l'ouest, où elle forme la côte de la Méditerranée. Les rochers qu'on trouve vers Alexandrie et Aboukir, paraissent une île qui a été détachée de cette chaîne.

Dans l'espace compris entre ces deux chaînes et la mer, est la plaine de la Basse-Égypte, formée en grande partie par les alluvions du Nil: elle est coupée par les branches de ce fleuve et par de nombreux canaux d'irrigation.

Les sept branches par lesquelles le Nil se dispersait autrefois dans le Delta, pour aller se jeter dans la mer par sept embouchures, sont actuellement réduites à deux principales, celle de Rosette et celle de Damiette. Quelques canaux navigables une partie de l'année sont les restes encore existans des autres branches. Le canal de Moez est l'ancienne branche Tanitique; celui d'Achmoun, la Mendésienne: leurs embouchures se retrouvent encore à Omfaredje et à Dibëh, au-delà du lac Menzalëh. Les canaux de Karinen et de Tabanieh, qui tombent dans la mer à Bourlos, sont l'ancienne branche Sébennitique.

On trouve moins de traces des branches Pélusiaque et Canopique, qui, rapprochées du désert, donnaient plus de développement au Delta; cependant celles de la Pélusiaque sont bien prononcées dans la province de Charkiëh, et on retrouve son embouchure à Tineh, vers les ruines de Péluse.

Il est probable que lorsqu'elles existaient toutes ensemble, ces branches recevaient un volume d'eau à peu près égal. La répartition inégale des eaux, des canaux dérivés mal à propos ou mal entretenus, et diverses autres causes, ont pu diminuer leur volume dans l'une de ces branches; alors l'équilibre a été rompu à l'embouchure; les eaux de la mer ont remonté dans le lit du fleuve, ont refoulé les eaux douces, et se sont mêlées avec elles. Leur salure a dû nuire à la culture des terres arrosées par les branches du fleuve où elles ont pénétré: l'abandon de ces terres en a été l'effet; l'inculture a augmenté tant que l'ignorance de la cause ou l'intérêt des cantons plus favorisés, ont empêché de rétablir l'équilibre, et réciproquement l'entretien des canaux a été abandonné à mesure que la population qui en cultivait les rives est allée s'établir dans des contrées plus fertiles.

On observe quelquefois cet effet sur les branches de Rosette et de Damiette; lorsque la rupture de quelques digues ou d'autres circonstances augmentent le volume d'eau d'une des branches aux dépens de l'autre, la mer pénètre dans celle-ci, imprègne les terres de sel, et force d'abandonner la culture, jusqu'à ce que l'équilibre étant rétabli, les eaux douces aient pu les laver suffisamment pour les rendre fertiles.

D'autres causes ont encore contribué à détruire la branche Pélusiaque; les Croisés, en ruinant et brûlant la ville de Péluse, ainsi que les principales villes de ce canton, déterminèrent les habitans à fuir cette province frontière, exposée à tous les malheurs de la guerre. La branche Pélusiaque ne fut plus entretenue; les riverains des autres branches, toujours avides de s'emparer des eaux du Nil, les détournèrent; les eaux de la mer remontèrent dans cette branche, les terres abandonnées s'imprégnèrent de sel, et des cantons considérables devinrent déserts et stériles.

On ne peut douter que la Basse-Égypte n'ait dû son existence, en grande partie, aux alluvions du Nil. Les troubles que le fleuve ne déposait pas sur ses rives, devaient s'en séparer à l'endroit où les mouvemens opposés du fleuve et de la mer étaient en équilibre. Ces dépôts y ont formé une barre ou banc de sable, que les divers mouvemens des eaux ont dû étendre à droite et à gauche: augmentés successivement par l'action des vents et des eaux, ils ont dû former la chaîne de dunes et de bancs de sable qui existe entre les diverses embouchures.

Ces bancs ont pu rester long-temps séparés des attérissemens directs du fleuve, par des intervalles ou lacs formés par les eaux de la mer, mais qui recevaient celles du fleuve lors des débordemens: ces lacs ont pu diminuer, à mesure que les attérissemens se sont augmentés et ont comblé leurs communications avec la mer.

Comme le limon est déposé naturellement dans les endroits les plus voisins du fleuve, ses rives ont dû s'exhausser les premières. Les attérissemens ont été plus tardifs dans les parties éloignées, et il s'est conservé des lacs vers les côtes les plus distantes des points où le Nil se séparait en plusieurs canaux; aussi, dans tous les temps il a existé des marais près de Péluse, et le terrain du lac Maréotis est resté fort bas.

Les alluvions du Nil devaient remplir ces lacs, étendre encore la Basse-Égypte, et suivre leur disposition à envahir sur la mer; mais elle lutte continuellement pour arrêter ces conquêtes. Les attérissemens du Nil sont peut-être arrivés à une période où ils ne peuvent gagner d'un côté qu'en perdant de l'autre. On observe que depuis plusieurs siècles les terrains envahis par la mer sont plus considérables que les attérissemens. On peut même prévoir que si des ouvrages d'art ne dirigent pas le travail de la nature; si on laisse le volume des eaux se disperser, et les branches principales s'élargir; si on n'entretient pas l'équilibre des eaux aux embouchures, la mer enlèvera de nouveaux terrains à la culture, au lieu d'en céder. C'est le sort qui menace l'Égypte, si elle reste entre les mains d'un peuple ignorant.

Lorsque, comme nous l'avons vu ci-dessus, la diminution du volume des eaux dans une branche, permet à celles de la mer d'y remonter, ces dernières se répandent dans les lieux bas, et dans les lacs voisins du fleuve; leurs mouvemens, aidés quelquefois par les orages qui élèvent momentanément les eaux de la mer, ont pu étendre ces lacs, détruire les attérissemens qui les séparaient des branches du fleuve, et faire abandonner la culture des terres imprégnées de leur salure.

C'est ainsi qu'on peut expliquer la formation des lacs marécageux et peu profonds qui existent vers les côtes d'Égypte. Le plus considérable, le lac Menzalëh, a envahi une grande partie du terrain qu'arrosaient les branches Pélusiaque, Tanitique et Mendésienne; le lac Bourlos est vers l'embouchure de l'ancienne branche Sébennitique et des canaux dérivés de la branche de Rosette; le lac de Maadiëh est vers l'ancienne bouche de Canope. Le lac d'Edko, nouvellement formé pendant l'inondation de l'an IX, a été causé par l'ouverture du canal de Deyrout, ordonnée légèrement par le général Menou: les eaux répandues en abondance dans les terrains bas, se sont frayées, à travers les dunes, une communication avec la mer. Après l'inondation, lorsque le niveau des eaux douces a baissé, elles n'ont plus eu d'écoulement par le canal qu'elles avaient formé près de la Maison carrée; la mer y a pénétré et a formé ce nouveau lac.

Le lac Maréotis était trop éloigné du fleuve pour être comblé par ses attérissemens; les travaux pour le canal destiné à conduire les eaux à Alexandrie, et ensuite le défaut d'entretien des canaux du Bahirëh, qui s'y écoulaient, en ont écarté les eaux du Nil, et sa communication avec la mer ayant été fermée, l'eau s'en est évaporée. Il était à sec depuis long-temps; mais une vase salée et un sable mouvant, imbibés en hiver par les eaux de pluie et par celles de l'inondation qu'y portent encore quoiqu'en petite quantité les canaux du Bahirëh, le rendaient marécageux une grande partie de l'année. Les Anglais ayant coupé pendant la dernière campagne la digue du canal d'Alexandrie[3] qui le sépare du lac Maadiëh, il a été rempli de nouveau par les eaux de la mer. Ce lac s'étend dans un vallon parallèle à la mer, et qui n'en est séparé que par un coteau dont la largeur, dans quelques endroits, n'est pas de cinq cents toises; il dépasse la Tour des Arabes.

Il existe aussi quelques lacs formés par le superflu des eaux d'inondation, qui se répandent dans des endroits bas où elles n'ont aucun écoulement, et se dissipent par l'évaporation. Tels sont ceux de Fayoum, du Grarak, de Birket-El-Hadji, l'Ouadi-Tomlat, et ceux nommés Krah, par lesquels passait le canal de Suez: ces derniers ne reçoivent les eaux que lors des grandes inondations.

Outre les branches ou canaux principaux dont nous venons de parler, la Basse-Égypte est coupée par un nombre considérable de canaux d'irrigation, dérivés des grandes branches. Les eaux de l'inondation, conduites dans ces canaux et retenues par des digues dans divers arrondissemens, arrosent d'abord les terrains supérieurs, et après avoir servi successivement à fertiliser plusieurs cantons, s'écoulent dans les lacs ou dans la mer.

La crue du Nil commence au solstice d'été; il acquiert sa plus grande élévation à l'équinoxe d'automne, reste quelques jours étalé et diminue ensuite. Les eaux s'écoulent plus lentement qu'elles n'ont monté; au solstice d'hiver, le fleuve est déjà très bas, mais il reste encore de l'eau dans les grands canaux: à cette époque les terres sont mises en culture, et bientôt après deviennent praticables.

Les grands canaux d'irrigation commencent à se remplir à la fin de thermidor. Toute l'Égypte est inondée en vendémiaire. Les eaux s'écoulent plus ou moins rapidement dans différens cantons. Généralement les communications se rouvrent, pour les hommes à pied, à la fin de brumaire. Les terrains bas et les canaux sont encore remplis d'eau et de vase: ils se sèchent en frimaire. À cette époque, plusieurs canaux principaux sont encore impraticables pour un corps de troupes et pour l'artillerie, parce que les eaux y sont trop basses pour y faire usage de bateaux et la boue trop tenace pour les passer à gué. Comme en Égypte les ponts et les digues sont fort rares, et qu'aucune route n'est tracée pour les grandes communications, on ne peut bien traverser le Delta que dans le mois de pluviôse.

Ces époques avancent ou retardent de quinze jours, même un mois, selon l'élévation de la crue du Nil; mais on peut établir en général que la Basse-Égypte n'est praticable, dans tous les sens, que depuis les premiers jours de ventôse jusqu'à la fin de thermidor; les grandes branches seules conservent de l'eau, et on y trouve toujours des bateaux pour le passage. Les cantons qui reçoivent l'eau par des canaux dérivés, après l'inondation des terres supérieures, sont praticables plus tard: telle est une partie de la province de Charkiëh.

D'après cet aperçu, les opérations de la guerre ne sont possibles que pendant sept mois dans la Basse-Égypte. Le reste de l'année, on peut bien marcher sur la lisière du désert; mais les villages qui le bordent sont hors d'état de fournir les subsistances nécessaires à une armée qui manque de tout, après un passage de désert; et de là on ne peut point communiquer avec les villages de l'intérieur, pendant vendémiaire, brumaire et frimaire. Ainsi à cette époque, et même pendant les deux autres mois de l'inondation du reste de l'Égypte, il n'est guère possible d'entreprendre, sur cette frontière, que des opérations partielles.[4]

De même une armée qui, ayant débarqué sur les côtes, voudrait à cette époque agir dans l'intérieur de l'Égypte, ne pourrait le faire que par eau: elle aurait cependant quelque avantage à arriver dans cette saison, si elle voulait se borner à faire des établissemens sur quelques points de la côte, où elle pût difficilement être attaquée, afin d'y rassembler ses moyens pour agir dans la belle saison.

L'armée qui aurait à défendre l'Égypte serait aussi gênée, pour ses opérations, pendant l'inondation; une partie de ses mouvemens ne pouvant s'effectuer que par eau, ils seraient fort lents et fort difficiles; il est même quelques points de la côte où elle ne pourrait se rassembler qu'avec beaucoup de peine, s'ils étaient inopinément attaqués.

Mémoires du comte Reynier: Campagne d'Égypte

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