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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL REYNIER SUR LES OPÉRATIONS DE L'ARMÉE D'ORIENT, OU DE L'ÉGYPTE APRÈS LA BATAILLE D'HÉLIOPOLIS
DE L'ÉGYPTE APRÈS LA BATAILLE D'HÉLIOPOLIS
PREMIÈRE PARTIE.
DEPUIS LE MOIS DE FLORÉAL AN VIII, JUSQU'AU MOISDE BRUMAIRE AN IX
CHAPITRE II.
ASSASSINAT DE KLÉBER. – LE GÉNÉRAL MENOU PREND LE COMMANDEMENT. – SA CONDUITE DANS LES PREMIERS TEMPS, ET JUSQU'EN FRUCTIDOR

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Le 25 prairial, le général Kléber, après avoir passé, dans l'île de Raoudah, la revue de la légion grecque, vint au Caire voir les réparations qu'on faisait à sa maison. Il se promenait sur la terrasse de son jardin avec le citoyen Protain, architecte, lorsqu'il fut frappé de plusieurs coups de poignard. L'assassin, arrivé au Caire à la fin de floréal, avait suivi Kléber depuis Gisëh, s'était introduit dans la maison avec les ouvriers, et avait saisi le moment où ce général, occupé de sa conversation, ne pouvait l'apercevoir. Les généraux se réunirent dès qu'ils apprirent cette nouvelle. On fit la recherche de l'assassin, qui fut arrêté bientôt après, et on l'interrogea.

Les cheiks et les agas de la ville avaient été mandés; on voulait examiner si cet attentat n'était pas lié à quelque conspiration plus étendue. Un aide-de-camp vint demander s'ils devaient être introduits. Le général Reynier, à qui il porta la parole, lui dit de s'adresser au général Menou, qui le lui renvoya, et il s'établit entre eux une discussion sur le commandement de l'armée.

Le général Menou protesta que ce commandement ne lui convenait pas; que n'ayant pas fait la guerre activement, il était moins connu des troupes que le général Reynier, et qu'il l'avait déjà refusé dans d'autres occasions; il prodigua sa parole d'honneur qu'il donnerait plutôt sa démission d'officier-général que de l'accepter, et que même, si on l'y forçait, il s'en servirait pour ordonner au général Reynier de le prendre. Ce général lui observa qu'en pareilles circonstances les lois ordonnaient au plus ancien de grade de prendre le commandement provisoire, en attendant les ordres du gouvernement, et que s'il désirait avoir le temps de faire ses réflexions avant d'accepter, il ne pouvait du moins se dispenser de donner des ordres en sa qualité de commandant du Caire; que quant à lui, il croyait ce commandement trop délicat pour s'en charger légèrement. Voyant qu'il ne se décidait pas, il le prit à part, renouvela ses observations, en ajoutant qu'une pareille discussion devait être renvoyée à un moment plus calme.

Le général Menou répéta encore qu'il ne pouvait prendre le commandement; qu'il n'avait pas fait la guerre, et n'était pas connu des soldats, peut-être prévenus contre lui par son changement de religion. Le général Reynier lui dit qu'il ne devait point regarder ce changement comme un obstacle; que même il le rendrait plus agréable aux habitans du pays; qu'enfin, tous les généraux, et lui en particulier, l'appuieraient de tous leurs moyens et de leurs conseils. Il l'invita à répondre au moins comme commandant du Caire, et se retourna du côté de l'aide-de-camp; la discussion finit alors. On continua de faire des informations sur l'assassinat, et, dès le lendemain, le général Menou prit le titre de commandant l'armée par intérim. Il nomma le général Reynier président de la commission chargée de juger l'assassin.

Après les funérailles de Kléber et l'exécution du coupable, le général Menou prit le titre de général en chef. L'armée le vit avec beaucoup de peine succéder à ses anciens chefs. Plusieurs corps élevèrent des murmures; mais les généraux les apaisèrent; ils espéraient que son habitude des affaires suffirait pour bien diriger l'administration du pays, et qu'au moment du danger ils pourraient l'aider de leur expérience.

Le général Menou chercha pendant les premiers jours à se concilier les esprits: généraux, administrateurs, il les accueillit tous, leur fit de fréquentes visites; il sembla même aller au-devant de leurs avis. Mais bientôt des traits d'animosité contre son prédécesseur, des tracasseries pour sa succession, commencèrent à dévoiler au moins sa maladresse. Les murmures de l'armée et les reproches adressés au général Reynier de l'avoir engagé à prendre le commandement, excitèrent sa jalousie, quoique la conduite franche de ce général fût bien propre à le rassurer sur les suites de cette rivalité.

Le commandement de l'Égypte pouvait procurer à la fois les plus brillantes réputations, celles de militaire, de législateur et d'administrateur. Pour se les assurer, il fallait être confirmé par le gouvernement, et effacer le souvenir de la gloire de Kléber. Des partis coloniste et anti-coloniste furent inventés. Le général Menou se mit à la tête au premier, et proclama l'engagement de conserver l'Égypte. On répandit en France l'opinion que les autres généraux formaient le second, et voulaient renouveler le traité d'El-A'rych21. À cette époque l'Osiris fut expédié secrètement.

Convaincu qu'il ne pouvait pas aspirer à une réputation militaire, le général Menou tourna ses vues vers la carrière administrative; il affecta de s'occuper de tous les détails, et cherchant à donner une grande idée de sa moralité et de sa probité, il cria fortement contre les dilapidations; il promit enfin de détruire tous les abus, et cependant Bonaparte et Kléber en avaient peu laissé subsister. Pressé de donner des espérances favorables de son administration, et d'y intéresser l'armée, il publia l'engagement de tenir toujours la solde au courant, avant d'avoir assez étudié les finances de l'Égypte, pour en assurer les moyens; il mit beaucoup d'ostentation à créer une commission chargée de surveiller la fabrication du pain. Lorsqu'il crut apercevoir qu'on lui obéissait avec moins de répugnance, il changea de genre de vie, devint moins accessible; entouré de liasses de papiers, il avait l'air de travailler beaucoup, mais les affaires les plus pressées restaient en souffrance.

Sous Bonaparte et sous Kléber, l'armée d'Orient n'avait qu'un même esprit; tous étaient unis par les mêmes dangers et les mêmes espérances: un nouveau chef créa un nouvel esprit. Aisément il aurait pu se concilier l'armée, secondé par tous les généraux, qui, pénétrés de la nécessité d'être unis, agissaient de cœur; pour lui, il préféra de se faire quelques partisans par des menées sourdes; mais leur développement fut long-temps couvert d'un voile que ses démarches ostensibles rendaient plus difficile à soulever.

21

La différence entre ces deux époques était bien appréciée par tous les individus de l'armée. Lors du traité d'El-A'rych, elle ne recevait de la France que des nouvelles affligeantes: les armées étaient battues, les frontières entamées. Les déclamations que le Directoire autorisait contre l'expédition d'Égypte faisaient regarder l'armée comme en exil. Ignorant encore le sort de Bonaparte et l'heureuse révolution qui rendit à la France son énergie et sa gloire, elle brûlait de porter ses armes victorieuses dans sa patrie. Kléber avait continué des négociations, afin d'éclairer les Turcs sur leurs véritables intérêts, de retarder leurs opérations et de gagner du temps, en attendant les ordres du gouvernement et des secours: n'ayant plus d'autre moyen de les prolonger, il avait proposé des conférences et une suspension d'armes. Les Anglais, qui avaient dû intervenir, surent retarder l'annonce de la suspension d'armes et le transport des plénipotentiaires envoyés à la conférence, de manière qu'El-A'rych fut attaqué et livré par surprise, tandis que les Français se reposaient sur la foi de l'armistice.

El-A'rych pris, le général Desaix au pouvoir de l'armée turque, une partie de l'Égypte insurgée, on ne pouvait plus avoir que difficilement l'argent et les vivres nécessaires à l'armée; les villes des côtes étaient dans une situation à faire craindre des événemens semblables à celui d'El-A'rych. L'armée turque allait se répandre en Égypte; des corps de Russes et d'Anglais devaient se joindre à elle: l'armée d'Orient pouvait ne pas être victorieuse, ses victoires même devaient l'épuiser; ne recevant pas de secours, elle pouvait prévoir qu'elle succomberait après quelques attaques successives, et des auxiliaires européens, en aidant les Turcs, auraient acquis chez eux me influence politique dangereuse pour la France. Kléber, persuadé que le Directoire abandonnait tout projet sur l'Égypte, et que les vieilles bandes de l'armée d'Orient, arrivant en Europe au commencement de la campagne, pouvaient sauver leur pays, fit le sacrifice de la gloire qu'il pouvait acquérir contre les Turcs dans l'espoir d'être plus utile. Il voulait, par ce traité, séparer les Turcs des Russes et des Anglais, les déterminer à faire la paix avec la France, et à lui assurer dans le commerce des avantages équivalens à la restitution de l'Égypte. Mais le visir dépendait trop des Anglais pour y consentir ostensiblement; il ne donna que des assurances verbales que cela s'arrangerait après l'évacuation. Les négociations étaient trop avancées pour reculer, et le traité fut conclu: son exécution était commencée lorsqu'on apprit la révolution du 18 brumaire. L'armée pouvait alors espérer que le gouvernement s'occuperait d'elle, si elle restait en Égypte; mais Kléber était trop loyal et trop esclave de sa parole pour rompre un traité qu'il avait signé. Les faux calculs du gouvernement anglais, la mauvaise foi jointe à l'insulte, tournèrent contre lui; ils rendirent à l'armée d'Orient ses armes, et lui valurent une nouvelle conquête de l'Égypte.

Lorsqu'on aurait cherché les circonstances les plus favorables pour procurer à cette armée une victoire complète, on n'aurait pu les mieux préparer qu'elles ne le furent par l'évacuation de la partie orientale de l'Égypte, la marche des Turcs et la réunion de l'armée française. Si, au lieu de signer la convention, on avait ouvert la campagne, il y aurait eu beaucoup d'affaires partielles, de privations, de marches pénibles, et on aurait peut-être fini par succomber. À Héliopolis les deux armées étaient réunies; aussi la victoire fut-elle brillante et décisive.

Après cette bataille et la nouvelle de la révolution de 18 brumaire, la situation de l'armée était bien changée. Assurée au moins pour un an de la possession paisible de l'Égypte, elle pouvait espérer que le gouvernement, qui alors méritait toute sa confiance, veillerait sur elle. Les derniers dangers avaient attaché tous les individus de l'armée à la conservation de l'Égypte; et si on avait voulu y chercher des anti-colonistes, l'armée entière aurait désigné l'homme seul qui passait à Rosette, à déclamer contre les opérations de son chef, les époques où elle scellait de son sang cette nouvelle conquête.

Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

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