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III

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Table des matières

Le lendemain matin, la plupart des artistes se trouvaient réunis au foyer du théâtre, salle assez vaste, fort nue et fort malpropre, située à proximité des coulisses, meublée de quelques banquettes éventrées et boiteuses et ornée d’une grande glace au cadre dédoré.

La répétition n’était pas encore commencée. En attendant le coup de cloche du régisseur, les artistes devisaient entre eux. Quelques-uns formaient un groupe où l’on s’entretenait de l’incident de la rue Blatin.

–C’est égal, disait la soubrette, une rude chance tout de même. Nous revenions de Royat où nous avions fait un dîner. je ne vous dis que ça, mes enfants..,

–Vous aviez un plumet à rallonges, interrompit Launay.

–Les cochers eux-mêmes étaient tellement en verve que c’est un miracle que nous n’ayons pas versé dix fois en route.

–Il y a un dieu pour...

–Tout juste, mon petit. Nous roulions avec une vitesse d’un tas de kilomètres à l’heure quand, tout à coup, nous nous trouvions alors dans une diablesse de rue qui n’en finit pas, une secousse épouvantable,–les brancards se brisent et nos chevaux s’abattent sur le sol. Nous poussons un cri et nous apercevons deux hommes qui venaient de se jeter à la tête des attelages.

–Quel drame! fit l’amoureux.

–Ne blaguez pas, mes enfants, ces deux hommes venaient tout simplement de nous sauver la vie.

–Ah çà! dit Christiany, c’est un prologue de Bouchardy que tu nous racontes là.

–Nous étions sur le bord d’un grand trou. Il paraît que la ville fait par là des réparations aux tuyaux à gaz. Bref, un pas de plus, et nous faisions une de ces culbutes.

–Comme on n’en fait qu’en province, ajouta l’amoureux.

–Nous étions sauvées.

–Merci, mon Dieu! acheva Christiany.

–Avec tout ça, reprit l’amoureux, tu ne nous dis pas ce que sont devenus vos sauveurs.

–Est-ce que je sais? Ils ont disparu.

–A la bonne heure, voilà des amateurs modestes et qui travaillent pour l’amour de l’art!

–Tout ce que je peux dire, fit la jeune première, c’est qu’ils étaient fort bien tous deux, le jeune homme surtout.

A ce moment, la porte du foyer s’ouvrit: un homme, au visage sévère et doux à la fois, encadré de longs cheveux grisonnants parut sur le seuil.

La jeune première poussa un cri de surprise:

–Qu’est-ce qui te prend? firent les comédiens.

–On dirait que c’est lui! dit-elle à voix basse.

Tous portèrent les yeux sur le nouveau venu.

–Certainement que c’est lui, s’écria la soubrette, mais se reprenant aussitôt, n’est-ce pas, monsieur, ajouta-t-elle, en allant vivement à lui, que c’est vous?

L’interpellé s’inclina.

–De quoi est-il question? demanda-t-il en souriant.

–N’est-ce pas vous qui, hier soir, dans la grande rue, avez arrêté avec une autre personne deux voitures?

–Fort bien, dit le nouveau venu, en riant cette fois tout à fait, j’y suis. Vous ne vous trompez pas, mademoiselle, c’est bien moi, en effet, qui.

–Ah! monsieur, que de remerciements!... firent en chœur toutes les dames en l’entourant.

–Ne parlons pas de cela. C’était la chose la plus simple, et tout le monde en eût fait autant à ma place.

–Oh! non, pas tout le monde, fit la jeune première en jetant un regard sur les comédiens, mais vous n’étiez pas seul. Ne verrons-nous pas la personne qui vous accompagnait, car nous lui devons aussi des remerciements?

Herbelot, ouvrant la porte avec fracas, fit tout à coup irruption dans le foyer.

–Messieurs, s’écria-t-il l’œil enflammé.

Il s’arrêta à la vue du nouvel arrivé.

–Tiens, fit-il, en changeant subitement de ton, c’est vous, Desroches. Je ne vous savais pas au théâtre. Depuis quand à Clermont?

–Depuis hier soir.

Les comédiens se regardèrent surpris.

–A la bonne heure! reprit Herbelot. Je ne doutais pas de votre exactitude. Vous êtes un homme sérieux, vous. Je n’en dirai pas autant, de ce misérable Mardoche, par exemple. En voilà un que j’aurais bien fait de ne pas engager. On m’avait pourtant prévenu à Paris; mais je suis toujours dupe de mon cœur...

–Qu’y a-t-il donc? demanda Desroches.

–Ce qu’il y a? Il y a, messieurs, reprit Herbelot d’une voix tonnante, que M. Mardoche est à l’heure présente au poste, où il s’est fait fourrer cette nuit comme un vulgaire vagabond, comme un ignoble pochard. Le commissaire de police vient de me le faire savoir.

Et, ce disant, Herbelot, brandissait une feuille de papier marquée du timbre de l’administration.

–Oui, messieurs, continua Herbelot sur un ton de réquisitoire, à deux heures du matin, cet être répugnant chantait à tue-tête dans les rues de Clermont. C’est en vain que des agents ont voulu le faire taire. Ils durent l’arrêter sous l’inculpation de tapage nocturne. Et voilà comment ce cynique personnage pose la troupe dès le premier jour, je devrais dire dès la première nuit, voilà comment il débute: par un horrible scandale qui va rejaillir sur nous tous!

L’entrée de Jacquin, le régisseur, interrompit Herbelot dans sa tirade, tandis qu’un bruit de cloche fêlée retentissait dans les couloirs du théâtre.

–Ah! ah! fit Herbelot, nous y sommes? Allons, tout le monde en scène pour la Closerie des Genêts.

On se rendit sur le théâtre et la répétition commença.

C’est toujours un spectacle curieux que celui d’une répétition en province.

Dans la demi-obscurité qui règne sur la scène, tremblote la lueur d’un lumignon accroché à un support près du trou du souffleur. Tout à côté se trouve une table devant laquelle se tient assis le régisseur, prenant des notes, suivant la pièce sur une brochure et consignant en marge et au fur et à mesure les passades et les indications de mise en scène. Les acteurs lisent ou récitent leurs rôles, rompant de temps en temps la monotonie de leur débit par de grands éclats de voix ou par des coups de talon à défoncer le plancher. A l’autre extrémité du théâtre, assis en rang d’oignons près de la toile de fond, les camarades inoccupés se livrent aux douceurs d’une conversation qui, quoique chuchotée, n’en est pas moins vive et animée. On rit, on blague, on s’égaie surtout aux dépens des pauvres diables qui «sont sur le tremplin». Le jeune premier parodie à mi-voix le premier rôle et ses trémolos à la Dumaine, la soubrette, tout en faisant du crochet, raconte une histoire graveleuse dont l’ingénue a été l’héroïne à Carcassonne, le comique fait une déclaration d’amour à la duègne qui tricote gravement, le grime évoque ses souvenirs de cabotinage et rappelle ses nombreux succès à Péronne, la jeune première «casse du sucre» sur tout le monde, sur le directeur, sur le troisième rôle, sur le concierge du théâtre, sur sa propriétaire et sur le préfet qu’on lui a montré le matin même et qui a une verrue sur le nez.

–Taisez-vous donc là-bas dans le fond, s’écrie parfois le régisseur, on ne s’entend pas, ma parole d’honneur!

–Zut! répond une voix.

–Qui est-ce qui a dit zut? Je lui colle vingt sous d’amende.

Cris, protestations, tumulte.

La répétition est interrompue.

–Messieurs, tonitrue le régisseur, je vais prévenir le directeur.

Cette menace a généralement le don de ramener le calme dans les esprits. La répétition continue, mais il est rare qu’elle s’achève sans de nouveaux accrocs. Il arrive quelquefois que deux de «ces dames» se prennent au chignon et s’administrent une maîtresse volée, mais les incidents de ce genre sont de moindre importance.

La répétition n’était commencée que depuis un quart d’heure et déjà les pensionnaires de M. Herbelot donnaient les marques d’un esprit d’indiscipline remarquable.

–C’est insensé! vociférait Michal, . voilà dix ans que je joue Dominique, et jamais je ne me suis trouvé à droite dans cette scène.

–Tu t’y trouveras, cette année, voilà tout, répliqua Jacquin, qu’est-ce que ça te fait?

–Ça me fait que ça me gêne d’avoir Madeleine à ma gauche.

–Pourquoi donc ça? reprit à son tour la seconde soubrette chargée du rôle de Madeleine. Est-ce que je louche?

–En voilà assez! intervint Herbelot. Pas d’observations à l’avant-scène. Enchaînons, enchaînons.

–Moi, je veux bien, maugréa Michal, à droite ou à gauche, je m’en fiche. C’est le même prix. Seulement c’est idiot.

Un instant après, c’était l’acteur chargé du rôle d’Ali, qui voulait occuper le milieu du théâtre.

–Pas du tout, dit Jacquin, tu dois être à gauche.

–Jamais de la vie! la scène est à moi. D’abord a Lyon, on ne joue pas la pièce autrement.

–Nous ne sommes pas à Lyon. Et puis Léona va faire son entrée. Il faut dégager la scène.

–C’est bien, je dégage, mais c’est absurde!

–Monsieur, éclata Herbelot, j’ai déjà dit que je ne voulais pas d’observations à l’avant-scène. Ne m’obligez pas à sévir. Enchaînons, enchaînons.

–Léona! appela le régisseur.

Personne ne répondit.

–Est-ce que madame Florval n’est pas là? reprit le régisseur.

–Pas vue, dit un des acteurs dans le fond.

–Ni moi, fit un autre; elle attend peut-être qu’on lui envoie une voiture.

–En voilà une poseuse!

–Dame! dit aigrement la duègne, quand on est du grand théâtre de Nîmes!...

–Où est le garçon d’accessoires? s’écria Jacquin. Qu’il aille chercher madame Florval.

A ce moment, Esther Florval émergeant de l’ombre des coulisses apparut sur la scène.

–Me voici, monsieur, dit-elle simplement. Désolée de vous avoir fait attendre.

Herbelot courut à elle et lui prit les mains:

–Il n’y a pas de mal, ma chère enfant, il n’y a pas de mal, lui dit-il avec empressement. Vous arrivez à temps. Allons, messieurs, ajouta-t-il en frappant dans ses mains, voilà Léona, enchaînons.

Et, couvant de l’œil celle qui dans ses prévisions, devait être la poule aux œufs d’or de son théâtre, Herbelot se campa à l’avant-scène, attentif et souriant.

La répétition reprit son cours.

Esther Florval fit son entrée.

Aux premiers mots qu’elle prononça, chacun comprit qu’il se trouvait en présence d’une artiste, sinon complète, tout au moins hors de pair avec les autres pensionnaires de M. Herbelot. Celui-ci joyeux se frottait les mains et s’adressait mentalement les plus vives félicitations pour le flair dont il avait fait preuve en traitant avec la Florval. C’était à première vue et sans audition qu’il l’avait engagée. Quoique ignorant et imbécile, si l’on veut, Herbelot possédait un sens très juste et très sûr du théâtre. Son instinct le trompait rarement.

–Elle a l’œil et la ligne, avait-il dit à l’agent dramatique qui lui avait présenté Esther, ça me suffit.

Ce n’est pas sans une certaine satisfaction d’amour-propre qu’il constatait une fois de plus la justesse de ses pronostics.

La Florval brillait du reste autrement que par ces qualités physiques qui avaient séduit Herbelot tout d’abord. A un organe chaud et vibrant, fait pour traduire tous les cris de la passion, elle joignait, chose rare en province, une diction correcte et savante. Il était évident qu’à l’encontre de bon nombre de ses camarades, elle avait sérieusement étudié son art. Herbelot avait pris la pie au nid. Il tenait son «étoile.»

La joie de ce fortuné directeur devait s’accroître encore. Dès que Desroches, qui jouait Kérouan, eut paru à son tour et qu’il eut donné ses premières répliques, l’enthousiasme d’Herbelot ne connut plus de bornes. Incapable de maîtriser plus longtemps les sentiments qui l’agitaient, il s’oublia,–chose grave pour un entrepreneur de spectacles, –jusqu’à décerner à son pensionnaire un témoignage public de son admiration.

–Bravo! s’écria-t-il, comme c’est ça!

Puis, se penchant à l’oreille de son régisseur:

–On ne jouerait pas mieux la Closerie des Genêts à la Comédie-Française.

Un murmure se fit entendre au fond du théâtre.

–Mes enfants, dit Christiany aux cabotins qui l’entouraient, nous aurons du fil à retordre avec le Desroches et la Florval. Le patron les gobe, ça ne sera pas tout rose pour nous cet hiver.

–Laissons pisser le mérinos, fit sentencieusement l’amoureux.

Lorsque Desroches revint à sa place, chacun s’éloigna de manière à faire le vide autour de lui.

–Diable! se dit-il en souriant, on me met en quarantaine. Cela promet.

Il aperçut Esther Florval qui, assise sur une chaise près d’un portant, se trouvait isolée comme lui.

Il s’approcha d’elle.

–Voulez-vous me permettre de vous tenir compagnie? lui dit-il.

–Volontiers, répondit la Florval.

Ils causèrent.

–Il paraît que nous déplaisons fort à ces messieurs et à ces dames, dit Desroches, puisqu’ils affectent de nous tenir à l’écart.

–Qu’importe? fit la Florval.

–Vous avez parfaitement raison. C’est sans conséquence et, pour ma part, je me soucie assez peu de frayer avec ces gentilshommes. Ils ont prévenu mon désir en s’éloignant de ma personne; je leur sais gré de cette attention délicate.

–Vraiment? dit Esther, en le regardant en face. Cela ne m’étonne pas, ajouta-t-elle, après un moment de silence, vous êtes un artiste, un véritable artiste et vous devez vous sentir déplacé au milieu de ces cabotins.

–Mais vous-même?

–Oh! moi. répondit-elle, avec un accent indéfinissable. Bah! laissons cela. Je n’ai pas le droit d’être exigeante d’ailleurs. J’ai quelques qualités pour le théâtre, je le sais, mais je ne m’illusionne pas, et il y a loin de mon mince mérite au véritable talent.

–Vous êtes modeste. Bravo! Voilà qui est rare. surtout parmi nous. La modestie n’est pas le talent, mais elle y contribue. Au demeurant, laissez-moi vous dire que je vous trouve severe et injuste envers vous-même; la façon dont vous jouez Léona.

–Ne me faites pas de compliments immérités. Je n’aime ni la flatterie, ni les flatteurs. Si vous m’accordez un peu d’estime, si vous pensez qu’une femme comme moi peut croire à la sincérité d’un artiste comme vous, dites-moi la vérité, rien que la vérité. J’ai souvent et beaucoup entendu parler de vous en province comme d’un homme de mérite, je serai donc heureuse d’être jugée par vous. Ce n’est pas de l’indulgence que je vous demande, ce sont des conseils et je vous promets de les suivre. Voulez-vous, ajouta-t-elle, en lui tendant la main, me rendre ce service d’artiste et d’ami?

–Savez-vous que vous êtes une femme point banale et tout à fait exceptionnelle? Je me disposais à vous adresser les éloges qui vous sont dus et voilà que vous exigez que je commence par des critiques! Je connais peu d’hommes qui seraient capables d’en faire autant.

––C’est bien possible, mais il ne me déplaît pas d’être, comme vous dites, une femme exceptionnelle.

–Je vous obéis donc, mais je ne vous garantis que ma sincérité et nullement l’infaillibilité de mes opinions.

–Je vous écoute.

–Eh bien! dit Desroches, il est visible que vous avez souvent joué le rôle de Léona. Vous y avez eu du succès et vous en aurez certainement encore. Ce rôle est bien dans vos cordes et vous y faites preuve d’un réel talent. Laissez-moi vous dire cependant que vous n’obtiendrez pas, dans certaines scènes, tout l’effet désirable. Et cela tient à un rien, mais à un rien qui est tout dans notre art.

–Voyons!

–Au théâtre, où tout est convention, la vérité qu’on doit s’attacher à rendre ne peut jamais être que relative. Dans ce royaume de la fiction, l’illusion seule est souveraine. Voulez-vous des preuves? Regardez ce décor. De quelle couleur sont les arbres? Ils sont bleus, n’est-ce pas? Eh bien! le soir, à la lumière de la rampe, ils seront verts ou du moins ils paraîtront tels aux spectateurs. Le peintre, . vous le voyez, ne s’est préoccupé que de l’effet à obtenir. Est-ce que les personnages que je coudoie dans la rue et que j’incarne souvent sur le théâtre mettent du rouge et du blanc? Assurément non. Je suis cependant obligé de me grimer pour jouer mon personnage. C’est donc par un artifice, par un mensonge de toutes les minutes que nous parvenons à faire croire au public que nous lui représentons la réalité, alors que nous ne lui en offrons que l’apparence.

–Eh bien?...

–Eh bien, ce que je vous reproche, c’est d’être trop vraie, dans le sens absolu du mot. Vous êtes la Léona que tout le monde reconnaîtrait, s’il la rencontrait dans la vie réelle; vous n’êtes pas, à proprement parler, la Léona du théâtre. Votre personnage ne se trouve pas suffisamment mis au point pour l’optique de la scène. Il semble que vous jouiez le rôle trop avec votre nature, et pas assez au moyen des artifices de composition indispensables au théâtre. Sans doute, les créations de l’artiste doivent porter l’empreinte de son tempérament, mais il est nécessaire que l’art vienne corriger à propos les brutalités de l’expression.

–Vous avez peut-être raison, répondit la Florval. Je réfléchirai à cette observation qui me paraît très juste et je vous promets d’en faire mon profit.

–En scène pour le troisième tableau! cria Paumier, le second régisseur.

A ce moment une certaine rumeur se fit entendre dans un groupe de cabotins qui se trouvaient à l’avant-scène.

–Qui est-ce qui est poète ici? clamait Michal en brandissant un papier. Mes enfants, avant qu’on commence, laissez-moi vous lire ces vers que je viens de trouver sur le théâtre.

Et il se mit à déclamer avec emphase au milieu de tous les artistes qui s’étaient rangés en cercle autour de lui:

Ne me parlez plus de ces beaux mensonges

Que vous appelez la gloire et l’amour.

Les châteaux que j’ai bâtis sur ces songes

Se sont écroulés en moins d’un seul jour.

Ne me parlez plus de la Célimène

Qui, comme un comparse, a traité mon cœur.

La femme s’agite, un diable la mène,

Et Dieu bat des mains ainsi qu’un claqueur.

Ne me parlez plus des feux de la rampe,

Pauvre papillon, je m’y suis roussi.

Aussi nu qu’un ver, maintenant je rampe

N’ayant du succès gardé nul souci.

Ne me parlez plus des astres de flamme

Emaillant l’azur des immenses cieux.

Je vis dans la nuit blanche de mon âme

Et c’est en moi seul que s’ouvrent mes yeux

Ne me parlez plus de soleil, d’étoile,

Ni des bois qui vont reverdir encor:

Je rendrai mon rôle avant que la toile

Ne se lève sur un nouveau décor.

–L’auteur! l’auteur! crièrent les cabotins en chœur.

–Pas de signature, dit Michal, l’auteur désire garder l’anonyme. Cependant la mère Salomon prétend avoir vu tomber ce papier de la poche de M. Desroches.

–C’est parfaitement exact, dit froidement Desroches qui s’était approché: Cette pièce de vers m’appartient, veuillez me la rendre.

Et il l’arracha des mains de Michal.

–Allons, en scène pour le troisième, tonna Herbelot, nous ne sommes pas ici pour nous amuser.

La répétition touchait à sa fin quand on vit apparaître sur le théâtre une superbe et plantureuse créature. Son air imposant et l’énorme quantité de bijoux et de verroteries dont elle était surchargée des doigts à la tête, révélaient à n’en pas douter madame Herbelot, la femme du directeur. C’était bien elle, en effet. Cette majestueuse dondon, alors dans tout l’épanouissement d’une beauté parvenue à son été, eût fait pâlir un Rubens par l’éclat de son opulente carnation et l’efflorescence de ses joues. C’était, à vrai dire, un réjouissant spectacle que la contemplation de ce pur chef-d’œuvre de la chair d’où s’exhalaient nous ne savons quels effluves, quels parfums enivrants de volupté amoureuse et sensuelle. Et quel regard! quelle prunelle! Avec quelle virtuosité, elle en jouait! Comme ses yeux connaissaient bien le chemin du ciel! Hélas! il était permis de présumer que cette terrestre créature se vautrait plus volontiers dans des proses indignes qu’elle ne s’égarait dans le bleu des extases ou dans le firmament des rêves.

Les comédiens s’étaient précipités au-devant de leur directrice pour la saluer et lui présenter leurs hommages, mais Herbelot les écarta brusquement.

–C’est bon, plus tard. ce soir, leur dit-il d’un ton rogue. Madame n’a pas le temps en ce moment.

Les comédiens se replièrent en bon ordre, tandis que les femmes, enchantées d’éluder la présentation, prenaient en toute hâte leurs chapeaux et leurs manteaux et s’esquivaient dans les couloirs du théâtre.

Desroches et Esther Florval sortirent les derniers.

En apercevant celle-ci, madame Herbelot ne put s’empêcher de la toiser du regard. Prenait-elle déjà de l’ombrage de la beauté de sa pensionnaire? Il était permis de le croire, à en juger par la moue de dépit qui plissa légèrement sa lèvre.

Elle était fort coquette, madame Herbelot, et fort jalouse des prérogatives que lui assurait le prestige de ses charmes.

–As-tu vu le maire? lui demanda Herbelot, quand ils furent seuls sur la scène.

–Je le quitte à l’instant. Il a été très gentil. Nous aurons tout ce que nous voudrons.

–L’augmentation de la subvention?

–Il me l’a promise.

–Bon, ça. Mais comme tu es rouge, Hortense!

–Ce n’est rien, le grand air, et puis j’ai marché vite.

–Allons, tant mieux, tu n’es pas malade, tout va bien. Desroches et Florval ont répété comme des anges. La Closerie sera sûrement un succès.

Il offrit le bras à sa femme et appela le garçon de théâtre. Celui-ci accourut.

–Eteignez la servante, dit Herbelot.

Les coquines

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