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Table des matières

Il était une heure de l’après-midi lorsque de Vandannes se présenta chez la Florval.

Madame Denis qui cumulait les fonctions de souffleuse au théâtre avec celles de camériste chez la Florval, vint lui ouvrir et l’introduisit.

–Madame achève de s’habiller, dit-elle. Veuillez attendre, je vais la prévenir.

De Vandannes resta fiché sur le parquet du salon, étonné, ahuri du spectacle qui s’offrait à ses yeux.

Dans la pénombre des persiennes mi-closes, il apercevait de vagues entassements: un fouillis de robes, de costumes, de rubans, de dentelles, un chaos de fourrures, de tapis series, de corsages, de livres et de brochures, gisant pêle-mêle sur les fauteuils, sur le guéridon, sur le piano, puis des malles, des coffres entr’ouverts; l’aspect d’un déballage incohérent, d’un bric-à-brac de marchande à la toilette surprise en plein inventaire. De grands paniers en osier semblaient défendre les portes; un placard ouvert montrait la nudité de ses rayons. Des cadres, renfermant des gravures ou des photographies, avaient été décrochés et s’empilaient dans des coins au milieu de paquets de cordes, de liasses de papier et de bibelots de toutes sortes. Seules, d’immenses couronnes en paillon doré, miroitant à la muraille, au-dessus du piano, n’avaient pas été déplacées.

De Vandannes regardait sans comprendre.

Il s’était assis, le coude appuyé à une console sur laquelle un papier bleu, en forme de télégramme, se trouvait déplié. Machinalement, il y porta les yeux et lut ces mots:

«Liquidation désastreuse. Dix mille francs indispensables. Reviens de suite. THÉODORE.»

Un éclair passa dans l’esprit de de Vandannes. Ce télégramme n’était-il pas celui qu’il avait aperçu, la veille, dans la loge de la Florval et qui, sans aucun doute, avait causé la crise nerveuse de la comédienne? Il venait à peine de s’arrêter à cette pensée qu’une porte s’ouvrit, jetant brusquement dans le salon un flot de lumière blonde, et la Florval, très pâle dans son peignoir de dentelles, parut sur le seuil, à la manière d’une reine de féerie surgissant dans un nimbe lumineux.

De Vandannes se leva.

–Cher monsieur, dit-elle en avançant d’un pas, pardonnez-moi de vous avoir fait attendre et surtout au milieu de ce capharnaüm. Je vous en prie, veuillez passer par ici. je suis vraiment confuse de vous recevoir ainsi.

De Vandannes se disposa à enjamber un coffre qui lui barrait le passage.

–Donnez-moi votre main, reprit-elle en riant, vous allez faire un faux pas.

La pièce dans laquelle de Vandannes entra était une sorte de petit boudoir dont les murs disparaissaient sous les tulles et les mousselines. On y respirait un air tiède et alourdi par des odeurs de poudre de riz et de verveine. Un épais tapis qui s’écrasait sous les pas recouvrait le parquet. Au-dessus d’une cheminée vêtue de velours bleu et sur laquelle s’ébattaient de délicieuses figurines en Saxe, s’inclinait, appendue à la muraille, une glace de Venise entre deux girandoles en cristal. En face, dans un cadre d’ébène fileté d’or, un portrait de la Florval signé Beyle..

Dans l’embrasure de la fenêtre dont les rideaux en guipure tamisaient la lumière qui venait du dehors, quelques plantes grasses au milieu de palmiers nains émergeaient d’une jardinière en thuya. Dans un coin, un chiffonnier japonais; une causeuse en reps bleuté, deux crapauds et quelques chaises de bambou doré complétaient l’ameublement de ce délicieux sanctuaire plein d’une mystérieuse volupté.

La Florval s’était assise sur la causeuse. De Vandannes, sur un signe qu’elle lui fit, prit place sur une chaise à côté d’elle.

–Je suis heureux de voir, commença-t-il, que vous ne vous ressentez plus de votre indisposition d’hier soir.

–Je vais mieux, en effet, interrompit la Florval, et je vous remercie de votre aimable sollicitude Une émotion subite, au moment d’entrer en scène. mais c’est fini, n’en parlons plus.

–Parlons-en au contraire. Vous avez éprouvé, dites-vous, une émotion subite, . me parmettrez-vous d’insister et de vous demander?

–La cause de cette émotion?... Que vous importe?. Laissons cela, mon cher comte, et causons d’autre chose. Vous ne m’avez pas encore dit si vous êtes content de moi, ô mon juge, car vous êtes de mes juges–et de ceux que je redoute le plus, vous ne l’ignorez pas. Là, franchement, comment m’avez-vous trouvée, hier soir?.

–Les applaudissements du public.

–Oh! de grâce, faites-moi l’honneur de m’estimer un peu plus qu’une vulgaire cabotine pour qui le succès est la suprême loi et la raison dernière. Ne parlons point des applaudissements de la foule. Vous savez que mon ambition vise plus haut et que l’assentiment d’un homme de goût a pour moi plus de prix que toutes les ovations du parterre.

–Ma chère Esther, vous voulez que je vous dise franchement, nettement mon opinion?.

–Je vous en prie.

–Eh bien, vous avez été adorable, divine.

–Là! j’en étais sûre, encore des lieux communs. Eh quoi! pas la moindre critique, pas une ombre au tableau!... Savez-vous que si j’étais sensible à la flatterie.

–Je ne vous flatte pas, vous le savez bien, interrompit vivement de Vandannes. Il se peut que d’autres trouvent en vous des défauts, quant à moi, je ne les vois pas. Est-ce ma faute, si vous me semblez parfaite?

–Ayez donc des amis!... fit la Florval avec un petit rire.. On n’en peut rien tirer. Mais, si vous êtes sincère, ne vous paraît-il pas étrange qu’avec le talent que vous voulez bien me reconnaître, je ne sois en somme qu’une cabotine de province, alors que la logique voudrait que je fusse à Paris, et classée au rang des étoiles de notre firmament théâtral?

–Je vous l’avoue, en effet, cela me paraît étrange. Nos théâtres de province sont indignes de vous et je ne m’explique pas que les directeurs parisiens..

–Cela tient peut-être à ce que je n’ai jamais rendu visite à aucun d’eux, dit la Florval en riant.., Mais, ajouta-t-elle, s’il ne faut que cela, soyez satisfait, mon cher comte, l’occasion et le temps ne me manqueront plus désormais. Je retourne à Paris.

–Vous retournez à Paris? répéta de Vandannes atterré.

–Hélas! oui.

–Et quand partez-vous?

–Ce soir même.

–Eh quoi! ces malles que j’ai vues tout à l’heure dans votre salon.

–Voilà, mon cher comte, l’explication et l’excuse du désordre au milieu duquel je vous ai reçu.

–Et. vous ne reviendrez pas à Clermont?

–Hélas! non, fit la Florval avec un soupir. Il m’en coûte, croyez-le bien, au lendemain d’un succès, de quitter une ville où je comptais déjà des amis, mais des raisons majeures. Je paierai à Herbelot le dédit de deux mille francs qui est stipulé dans mon engagement. A ce prix-là, cet excellent homme sera trop heureux de me rendre la liberté.

–Soit, dit Vandannes, je vous suivrai à Paris.

La Florval eut un geste d’effroi.

–Y songez-vous? s’écria-t-elle. Vous oubliez que je suis mariée? Et d’ailleurs, ne vous ai-je pas dit que je ne saurais accepter de vous autre chose que l’amitié que vous m’avez loyalement offerte?

De Vandannes lui prit les mains.

–Je vous suivrai, lui dit-il, avec un accent d’âpre résolution, et, à moins que vous ne me repoussiez comme un chien, à moins que vous ne me crachiez au visage.

–Vous me faites mal, dit la Florval en se dégageant doucement. Mon cher Henri, reprit-elle d’un ton attristé, je paie cruellement les libertés que je vous ai laissé prendre. Je vous croyais plus généreux. Je suis mariée, je vous le répète; je suis et je veux être fidèle à mon mari.

–Mais vous ne l’aimez pas?

–Il se peut, et je vois combien j’ai eu tort de laisser surprendre ce secret de mon cœur, puisque vous en abusez. D’ailleurs, n’êtes-vous pas marié vous-même?

–Vous savez bien que je n’aime pas ma femme, répondit brusquement de Vandannes.

–A merveille. Quoi qu’il en soit, il ne me convient pas plus de tromper mon mari qu’il ne me convient de vous aider à tromper votre femme. Un pareil langage dans la bouche d’une femme de théâtre vous surprend peut-être. Que voulez-vous? Il en est parmi nous qui valent mieux que leur réputation. Je me flatte d’être du nombre de ces dernières. Ah! si j’avais su.

–Que voulez-vous dire?

–Rien. Tout ceci arrive par ma faute, et je ne puis accuser que moi. J’aurais dû refuser l’engagement qui m’était offert dans cette ville, sachant que je devais vous y retrouver, j’aurais dû.

–Je vous en conjure, Esther, ne parlez pas ainsi. Vous me rendez fou. Je vous aime, est-ce ma faute, à moi? d’un amour contre lequel il m’est impossible de lutter. Je n’ai rien d’autre à dire pour ma défense. Vous voulez que je maudisse le jour où je vous vis pour la première fois? Soit, mais sachez aussi que le jour où il me faudra vous quitter pour ne plus vous revoir, ce jour-là, je me tuerai.

–Vous dites des folies, mon cher Henri, restons-en là, je vous en prie.

Elle fit mine de se lever. De Vandannes la retint.

–Encore un mot, dit-il. Vous ne m’avez pas fait connaître le motif de votre brusque départ pour Paris. Vous m’avez parlé tout à l’heure de raisons sérieuses.

–Que je ne puis confier à personne, dit gravement la Florval. De grâce, mon cher Henri, n’insistez pas, ce serait peine perdue.

–C’est donc un secret?

–Vous l’avez dit.

–Eh bien! ce secret, je le connais. La Florval fit un mouvement.

–Vous? dit-elle.

–Ne cherchez pas à nier. C’est au reçu d’un télégramme qu’hier soir vous vous êtes évanouie. Ce télégramme était de votre mari. Il vous annonçait des pertes d’argent, une spéculation malheureuse, que sais-je? Il faut à votre mari dix mille francs que vous seule, paraît-il, pouvez lui procurer.

–Mais comment savez-vous?... fit la Florval comme frappée de stupeur.

–Tout à l’heure, dans votre salon, j’ai vu ce télégramme sur une console. Il était déplié. Le hasard m’y a fait jeter les yeux et j’ai lu.

–Vous avez lu? reprit la Florval. Avouez, mon cher comte, continua-t-elle en se mordant les lèvres, que voilà une indiscrétion.

–Vous ne me répondez pas? interrompit de Vandannes.

–Puisque vous savez tout, fit la Florval avec un sourire légèrement ironique, j’aurais mauvaise grâce à vous rien cacher. Eh bien! il est vrai que mon mari a perdu à la Bourse des sommes importantes. il est vrai que dix mille francs lui sont nécessaires pour le sauver, qui sait? du déshonneur peut-être, et comme moi seule, je peux les lui trouver en m’adressant à ma famille.

–Voilà donc le motif de votre départ! C’est pour une misérable somme de dix mille francs dont votre mari a besoin sans retard.

–Vous en parlez bien à votre aise, mon cher comte, dit la Florval, avec un sourire singulier et en jouant de son pied mignon avec sa mule qui venait de glisser sur le tapis. Dix mille francs sont pour vous peu de chose sans doute, pour moi c’est différent.

–Le ciel soit loué! ma chère Esther, s’écria de Vandannes, si votre voyage à Paris n’a pas d’autre but, vous ne partirez pas. Vous me défendez de vous parler d’amour. Soit! Je vous obéis. Mais vous ne refuserez pas d’entendre le langage d’un ami. Il vous faut dix mille francs. Enchanté de vous rendre ce léger service. Ce soir même, vous les aurez.

–Je n’attendais pas moins de votre générosité, mon cher Henri, et je vous remercie, mais vous oubliez une chose, c’est que je ne puis accepter.

–Vous ne pouvez accepter?

–Non.

–Pourquoi?

–Parce que je tiens à votre estime, Henri, et qu’à aucun prix je ne consentirai à devenir l’obligée, que dis-je? la débitrice d’un homme qui m’aime et dont je ne puis être la femme, ni ne veux être la maîtresse.

–C’est donc ainsi que vous me jugez! dit de Vandannes avec une sorte de tristesse. Eh quoi! vous me croyez assez vil, assez bas pour spéculer sur un misérable service d’argent que je suis à même de vous rendre. Vous me faites cette injure de me soupçonner de je ne sais quel calcul aussi méprisant pour vous qu’il serait honteux pour moi! Vous avez bien raison de me dédaigner et de repousser mon amour si vous m’avez jugé ainsi. Mais je veux croire, puisque vous m’avez permis d’être votre ami, que vous avez meilleure opinion de moi. Je me suis mis tout à l’heure à votre disposition, sans la moindre arrière-pensée, je le jure; j’espère donc que vous accepterez de même le léger service que je vous offre. En persistant dans votre refus, vous me feriez une offense grave et permettez-moi de vous le dire, imméritée.

–Mon ami!

–Un calcul de ma part! Ah! oui, il y en a un, et un bien simple. C’est que je ne veux point que vous partiez. Vous ne m’aimerez pas, soit! Mais au moins je pourrai vous voir, vous entendre, admirer l’artiste, adorer la femme malgré ses rigueurs et ses dédains. En vous offrant le moyen de rester ici, j’obéis, vous le voyez, à un sentiment purement égoïste.

–Je vous ai compris, Henri, interrompit la Florval, mais c’est vous qui ne me comprenez pas. Je n’ai eu l’intention ni de vous blesser, ni de suspecter votre loyauté généreuse, c’est moi-même, au contraire, que j’ai voulu garantir du soupçon. Je sais trop bien, hélas! de quelles préventions on nous accable, nous autres femmes de théâtre, et c’est un scrupule dont vous apprécierez, je n’en doute pas, la délicatesse qui a dicté mes paroles de tout à l’heure.

–Moi, vous soupçonner1s’écria de Vandannes.

–Et puis, vous n’y pensez pas? Comment expliquerais-je à mon mari le service que vous me. que vous voulez lui rendre?

–N’est-ce que cela? Vous lui ferez tenir la somme par un de vos parents qui vous gardera le secret.

–Vous avez réponse à tout. J’aurais mauvaise grâce à résister plus longtemps. Il faut donc vous céder. Vous m’avez dit tout à l’heure que vous m’offriez ce service sans arrière-pensée, dans l’espérance que je l’accepterais de même. Eh bien, soit. Je n’ai pas le droit de douter plus longtemps de 5 votre parole et, pour vous le prouver, j’accepte. oui, j’accepte la somme que vous m’offrez comme un prêt loyal, comme un service d’ami.

Elle appuya sur ce dernier mot en lui tendant la main.

–Et vous restez? dit de Vandannes.

–Je reste.

–Merci! fit de Vandannes, en portant à ses lèvres la main qu’on lui tendait.

La Florval se leva,

–A partir d’aujourd’hui, dit-elle en riant, me voilà votre débitrice, mon cher Henri.

–Ne parlons point de cela, je vous en prie.

Il appuya sur un timbre.

Madame Denis accourut.

–Tenez, lui dit-il, en écrivant quelques mots sur une carte qu’il venait de tirer de son portefeuille. Ceci à son adresse.

Il plaça la carte sous enveloppe et la remit à la matrone qui tourna sur ses talons.

–Dans deux heures, dit de Vandannes, en s’apprêtant à sortir, mon banquier vous fera tenir la somme.

A cet instant un coup de sonnette retentit.

Madame Denis réapparut.

–C’est l’ingénuité, dit-elle. Madame veut-elle la recevoir?

–. Cette bonne Miette! je crois bien, dit la Florval, faites entrer.

On entendit un petit rire dans l’antichambre, un froufrou de robe et mademoiselle Miette, toute pimpante et souriante, entra dans un envolement de jupes, avec des airs de moineau échappé de sa cage.

Elle s’arrêta brusquement et comme effarouchée à la vue de de Vandannes.

–Monsieur de Vandannes! dit la Florval.

–Monsieur... fit mademoiselle. Miette, rougissante et confuse comme une écolière surprise en flagrant délit d’espièglerie.

–Remets-toi, ma chère petite, dit la Florval en l’embrassant, monsieur est de mes amis. Et ton joli docteur? ajouta-t-elle avec une pointe de malice; conte-nous cela, voyons, qu’en fais-tu?

Mademoiselle Miette eut une petite moue dédaigneuse.

–Prends garde, ma chère, dit la . Florval, avec une gravité enjouée, ne dis pas de mal de lui. Je te préviens que Monsieur est de ses intimes.

–Ah! fit mademoiselle Miette, légèrement surprise, Monsieur connaît le docteur Ancelin?

–Oui, mademoiselle, répondit de Vandannes.

–Charmant garçon!... très gentil!. je l’aime beaucoup!... dit mademoiselle Miette. Voulez-vous? ajouta-t-elle, en présentant à de Vandannes une boîte de pastilles qu’elle venait de tirer de sa poche. Oh! ne vous gênez pas, c’est un cadeau qu’il m’a fait ce matin.

–Je vous remercie, mademoiselle, fit de Vandannes.

–Vous n’en usez pas? Vous n’aimez pas ça? Très drôle. Moi, je raffole de ces machines-là. Et toi, Esther? tiens, pige à volonté. Voila le bibelot.

Elle jeta la boîte sur la cheminée.

–Petite folle! dit la Florval en lui ôtant son chapeau. Ne faites pas attention, mon cher comte, reprit-elle en s’adressant à de Vandannes, c’est une enfant.

De Vandannes ne put s’empêcher de sourire.

–Ma chère amie, dit-il, permettez-moi de prendre congé de vous. Quand vous reverrai-je?

–Quand il vous plaira. Vous savez bien que j’y suis toujours pour vous.

–Mille fois aimable. A bientôt.

Il lui baisa la main, salua la petite Miette qui lui rendit son salut cérémonieusement et sortit.

–En voilà un type! s’écria la petite Miette quand elle fut seule avec la Florval. Il n’a pas l’air drôle du tout, ce bonhomme-là.

–Tais-toi, mignonne, fit la Florval en l’embrassant et en l’attirant près d’elle sur la causeuse. Tu ne sais pas ce que tu dis. C’est un homme charmant au contraire.

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