Читать книгу Le Visage de la Folie - Блейк Пирс - Страница 9
CHAPITRE SIX
ОглавлениеLe bureau du coroner aurait pu être celui de n’importe quelle petite ville américaine, pensait Zoe. Une chambre froide avec des plateaux-lits en acier, seulement deux car cet endroit n’était pas particulièrement fréquenté. Un mur orné de neuf poignées de tiroirs inoffensives, qui néanmoins contenaient des horreurs indicibles – du moins, pour la plupart des gens. Pour Zoe et Shelley, c’était un dimanche comme tous les autres jours de la semaine.
« C’est elle. » Le coroner, un homme bedonnant avec des lunettes pour myope, qui donnaient à son visage l’aspect d’un hibou, sortit un des plateaux avec une apparente force disproportionnée. Zoe sentit ses muscles se raidir à l’idée d’attraper un corps en vol, mais celui-ci ne se balança que légèrement sur le plateau.
Le corps était recouvert d’un simple drap blanc, qui se terminait par un creux vide et écœurant à l’endroit où la tête aurait dû se trouver. Zoe tendit la main et le souleva, sachant que Shelley commençait déjà à verdir.
La vue était saisissante. Le corps nu ne portait aucune marque ou signe de lutte qu’elle pouvait distinguer, quel qu’en soit le degré, exception faite du moignon de chair coupée et de fibres en désordre, qui autrefois avait été le cou. L’os blanc de la colonne vertébrale était tout juste visible sous de la viande rouge et crue, coupée net et pourtant selon une série d’angles contradictoires. Chacun d’entre eux avait dû faire l’objet d’un coup unique.
« Qu’en pensez-vous ? » demanda doucement Shelley, sa voix basse en signe de respect pour un corps qui n’aurait pas pu l’entendre même s’il était encore vivant, à défaut d’oreilles.
« Plusieurs coups dans le cou, » dit le médecin légiste, en repoussant ses lunettes sur le nez avec un doigt épais tandis que l’autre traçait des entailles dans l’air. « Probablement une lame fine. Je ne peux pas m’avancer avec certitude, mais je dirais une machette. C’est ce qu’on s’attendrait normalement à voir.
– Normalement ? » demanda Zoe.
Le coroner roula les épaules de façon inconfortable. « Eh bien, je n’ai jamais rien vu de tel moi-même, dit-il. Mais j’ai lu les statistiques. C’est plus probablement une machette que, disons, un sabre de samouraï. Bien qu’ils soient probablement en deuxième position. Les gens se les procurent au Japon, ou les trouvent sur internet. »
Zoe résista à l’envie de lui dire qu’on les appelait des katanas, revenant plutôt sur le corps. Elle compta les angles du cou. Deux de plus que ce qu’elle avait vu sur la scène de crime, les deux premiers n’ayant pas été assez profonds pour avoir pu toucher le sol. « Pouvez-vous dire quel a été le degré de force utilisé pour les quatre coups ?
– Pas suffisant pour trancher la tête en une seule fois, c’est certain, dit le médecin légiste. Vous pouvez voir les trajectoires divergentes ici et ici : à chaque fois qu’il a frappé, c’était selon un angle légèrement différent, ce qui a causé le bord rugueux et la surface inégale que vous voyez… quatre fois, oui, comme vous dites.
– Pensez-vous que c’était quelqu’un dépourvu de force ? » demanda Shelley, s’étant suffisamment habituée à la vue pour pouvoir poser une question.
Le coroner haussa les épaules. « Faute de pouvoir monter dans une machine à remonter le temps, c’est difficile à dire. Tout ce que je sais, c’est le niveau de force. Cela aurait pu être une femme âgée qui hache de toute ses forces sous l’emprise de l’adrénaline, ou bien Arnold Schwarzenegger dans un mauvais jour. Je ne peux pas le dire.
– Même pour nous indiquer si nous devons rechercher un homme ou une femme ?
– À ce stade, votre hypothèse est aussi tangible que la mienne, répondit le coroner. Vos gens seraient plus qualifiés pour répondre à cette question, de ce côté-ci de l’enquête. Le motif, l’opportunité, etc. »
Cela ne les aidait pas beaucoup, mais c’était imparable. « Nous avons vu tout ce dont nous avions besoin, » dit Zoe, en reculant pour permettre au coroner de refermer le tiroir.
« Merci, » lui dit Shelley, avant de quitter la pièce en suivant Zoe.
Dehors, le soleil s’était enfin totalement levé, une luminosité qui obligea Zoe à sortir ses lunettes de soleil de sa poche. La chaleur était forte elle aussi, pesant sur elles tel un lourd fardeau. Zoe s’attarda à l’ombre du bureau du coroner, zieutant vers leur voiture sur le parking et estimant très exactement la chaleur qu’il allait y faire à l’intérieur. Cette information ne lui apporta aucun réconfort.
« Où allons-nous maintenant ? » demanda Shelley.
– Chez la famille de Lorna Troye, dit Zoe. Voir s’ils peuvent nous orienter dans la bonne direction. Peut-être qu’ils savent quelque chose qui la relie à Michelle Young.
– D’après le dossier, elle n’a plus beaucoup de famille, » dit Shelley. C’était de mémoire. Elle devait déjà avoir lu cette section. Du fond de son ventre, Zoe ressentit la culpabilité de ne pas l’avoir également lu. « Ses parents ont été tués dans un accident de voiture il y a environ dix ans. Il ne lui reste plus qu’une sœur. »
Zoe hocha la tête. « Très bien, alors. » Elle y réfléchit un moment. Aucune des deux ne bougea. Soit Shelley avait tout aussi hâte que Zoe de rejoindre la voiture brûlante, soit elle lui laissait la parole. « On ne sait pas encore vraiment ce qu’on cherche.
– Homme ou femme, fort ou pas, aucune idée des attributs physiques. Shelley soupira. Ce serait bien qu’un témoin se manifeste rapidement. Qu’en penses-tu ? Des idées pour entamer notre profil ? »
Zoe secoua légèrement la tête. « Ça pourrait aller dans les deux sens. La férocité de l’attaque serait associée à la masculinité dans la plupart des circonstances. Les femmes, comme nous le savons, ont tendance à opter pour des méthodes d’attaque moins brutales. Mais là encore, Lorna Troye était plutôt à l’aise lorsqu’elle s’est fait attaquer. Elle a peut-être même fait confiance à l’agresseur, ou s’est sentie en sécurité avec lui. Cela pourrait suggérer que l’agresseur était une femme.
– Ce qui me frappe le plus dans tout ça, c’est l’idée de le faire au grand jour.
– Ça sent la confiance, dit Zoe. C’est ça ou la folie. Une sorte de sentiment qu’il n’allait pas se faire prendre. Peut-être que les coups ont manqué de puissance parce qu’il n’était pas pressé. Il se sentait invincible à ce moment-là. Comme si le monde entier s’était arrêté pour lui permettre de frapper.
– Mm, » convint Shelley, s’appuyant sur la pierre froide du bâtiment. « Nous devons trouver un moyen de limiter encore davantage les possibilités. Nous faire une idée de ce qui se passe ici.
– Espérons dans ce cas que la sœur de Lorna Troye pourra nous aider, » dit Zoe, se dirigeant à reculons vers la voiture, sous la chaleur écrasante du soleil.
***
La sœur de Lorna Troye vivait dans un petit appartement près du centre-ville, au-dessus d’une quincaillerie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’entrée de l’appartement – qui offrait une belle vue sur une vitrine de marteaux – les fit déboucher sur un couloir peint en jaune vif, puis dans un salon de différentes nuances de rose et principalement en velours.
« Vous êtes sûres que je ne peux rien vous offrir ? » demanda Daphne Troye, la grande sœur de Lorna, pour la sixième fois au moins.
« Vraiment, Mlle Troye, tout va bien, » l’assura Shelley, en lui adressant un sourire éclatant.
« Oh, c’est Mme Troye » Daphne sourit en retour, en tournant la main pour leur montrer une bande dorée aux reflets ternes. « Ma femme a pris mon nom quand nous nous sommes mariées.
– Mme Troye, reprit Shelley. Je sais que ça doit être une période stressante pour vous. Nous voulons simplement vérifier quelques petites choses auprès de vous afin de voir si nous pouvons attraper celui qui a fait ça à votre sœur. »
Le sourire, déjà fragile, sur les lèvres de Daphne, se décomposa. « Oui, » dit-elle, s’affalant complètement sur sa chaise, acceptant visiblement qu’elle n’aurait pas à se lever pour aller chercher quoi que ce soit. « Bien sûr. Je vous en prie, demandez-moi.
– Que pouvez-vous nous dire à propos d'hier ? demanda Shelley. Étiez-vous en contact avec Lorna ?
– Un peu. » Les yeux de Daphne glissèrent brièvement en direction d’une pièce fermée, de l’autre côté du couloir de la porte ouverte, puis revinrent en place. « Lorna et Rhona – ma femme – ne s’entendent pas vraiment. Nous ne nous parlions plus trop, ces derniers temps. Du moins, pas en personne. Mais je lui ai envoyé un texto le matin.
– Saviez-vous qu’elle avait l’intention de faire une randonnée ?
– Oui. » Daphne saisit sa tasse remplie d’une substance laiteuse qui aurait pu être du thé ou du café, à en juger par sa dilution, et en prit une petite gorgée. » Elle me l’a dit. Elle devait sortir avec une amie, mais celle-ci a annulé à la dernière minute.
– Avez-vous le nom de cette amie ? » demanda Zoe, en ouvrant son carnet de notes.
« Euh, » Daphne fit une pause, pinçant l’arête de son nez et fermant les yeux tandis qu’elle réfléchissait. « Laissez-moi juste… Cora ! Elle s’appelait Cora.
– Nom de famille ? »
Daphne secoua la tête. « Non, désolée.
– Ce n’est pas grave, dit Shelley. « Cora » n’est pas un nom courant. Je suis sûre que nous allons la retrouver à partir de ça.
– J’aimerais vous montrer une photo, si vous le permettez, » dit Zoe. Voyant les yeux de Daphne s’élargir et sa main commencer à trembler, elle ajouta rapidement : « Pas de la scène de crime. Ne vous inquiétez pas. C’est la photo d’une femme. Nous voulons seulement vous demander si vous la reconnaissez, plus précisément si vous avez déjà vu Lorna avec elle. »
Elle sortit la photo imprimée de Michelle Young de l’arrière de son carnet et la fit glisser sur la table, laissant Daphne la regarder attentivement.
« Je… je ne pense pas, » dit Daphne, après un long moment, en levant les yeux. « Qui est-ce ?
– Elle s’appelle Michelle Young, dit Zoe. Ce nom vous dit-il quelque chose ? »
Daphne secoua la tête. « Est-ce que c’est… la personne que vous soupçonnez d’avoir fait ça ? »
Il y avait un filet d’angoisse dans sa voix, mais également d’espoir. Le fait de connaître l’auteur du crime serait sans doute un soulagement. Un pas de plus vers la compréhension des raisons de la disparition de sa sœur. Zoe était désolée de ne pas pouvoir lui répondre par l’affirmative.
« Non, Mme Troye, » dit Zoe en reprenant la photo. « Nous avons des raisons à croire que cette femme pourrait être une autre victime du même tueur. »
Daphne, quelque peu ébranlée, se figea un instant comme si on lui avait donné un coup de poing dans l’estomac. « Il n’y avait pas que Lorna ?
– On ne peut pas en être sûr à 100% pour l’instant, » dit calmement Shelley, une réponse automatique, fruit de ses jours d’entraînement. Ne jamais rien affirmer avant que l’affaire ne soit résolue. « Mais il y a certaines similitudes entre les scènes de crime. C’est une piste que nous explorons. »
Daphne déglutit bruyamment, ses yeux plongeant vers la tasse devant elle. Elle ne dit plus un mot. Elle semblait avoir du mal à digérer l’information.
Zoe échangea un regard avec Shelley. Elle pressentit que l’entretien devait toucher à sa fin, et lorsque Shelley lui fit un léger signe de tête, elle sut qu’elle avait raison. « Merci, Mme Troye, dit-elle. Nous allons vous laisser, maintenant. Si vous pensez à autre chose, n’hésitez pas à nous appeler. »
La femme assise devant elles ne réagit pas autrement que par un hochement de tête et un mouvement presque imperceptible de ses épaules, de haut en bas. Shelley et Zoe se levèrent, hésitant toutes deux à la quitter, mais elles savaient qu’elle n’était pas seule. Dans la pièce dont la porte était fermée, en guise d’intimité, devait s’y trouver sa femme ; elles s’en sortiraient ensemble.
Même si elles s’en sortiraient probablement plus vite, du moins d’après l’expérience de Zoe, si elles avaient obtenu des informations concrètes sur l’identité de la personne qui leur avait enlevé leur bien-aimée et la perspective que justice soit faite.
« Nous ferions mieux de nous rendre au bureau du shérif et de mettre en place une cellule d’enquête, » dit Zoe, s’arrêtant juste avant de monter dans leur voiture de location. « Plus vite nous aurons une piste, mieux ce sera. Il semble que nous avons quelqu’un par qui commencer : l’amie, Cora.
– Peut-être qu’on aura de la chance, » dit Shelley, d’un ton grinçant. « Peut-être que c’est elle qui l’a fait. »
Mais en prenant le volant, Zoe se dit intérieurement qu’il était très improbable qu’elles soient aussi chanceuses.