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UNE SEMAINE DE JUILLET (JUILLET 1830.)
(26 JUILLET.)

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Le lundi 26 juillet 1830, je me trouvais seule de ma famille à Paris où je faisais arranger un logement dans la rue d'Anjou. Je parlais à des ouvriers, lorsque, sur les premières heures, on vint me dire, que le duc de Raguse était dans mon cabinet.

Je ne le voyais jamais le matin; cependant, comme il était établi à Saint-Cloud, cela ne m'inspira aucun étonnement. «Eh bien, me dit-il, on nous fait de belle besogne!» Je crus à une plaisanterie sur les grogneries qu'il pouvait m'avoir entendu faire aux ouvriers. Je répondis en riant, et nous échangeâmes quelques phrases sans nous comprendre. Mais, bientôt, je reconnus mon erreur. Il avait la physionomie altérée. Il me dit ces folles ordonnances. Il me rapporta comment la nouvelle lui en était parvenue, à dix heures, par un de ses aides de camp qui avait rencontré, dans la cour de Saint-Cloud, un officier arrivant de Paris et exprimant une joie extravagante.

Étonné, mais incrédule, le maréchal avait envoyé chercher le Moniteur à l'état-major, on ne l'y avait pas reçu, puis chez le premier maître d'hôtel, il n'y était pas arrivé. Enfin il avait écrit au duc de Duras pour lui demander le sien. J'ai vu la réponse. Elle portait qu'un seul exemplaire du Moniteur était arrivé à Saint-Cloud; le Roi l'avait reçu et envoyé, sans l'ouvrir, à madame la duchesse de Berry.

Le maréchal avait ensuite appris que cette princesse avait rapporté ce fatal Moniteur au Roi lorsqu'il montait en voiture, s'était presque mise à ses genoux, lui avait baisé les mains en disant: «Enfin vous régnez! mon fils vous devra sa couronne, sa mère vous en remercie.» Le Roi l'avait embrassée fort tendrement, avait mis la gazette dans sa poche et était parti pour Rambouillet sans dire un mot aux autres.

À Saint-Cloud, on ne savait ce qui se passait que par les survenants de Paris. Le maréchal, fort en peine, était venu chez lui rue de Surène, avait fait demander le Moniteur à monsieur de Fagel, le ministre de Hollande, son voisin, et il venait d'en achever la lecture lorsqu'il accourut chez moi. (J'entre dans ces détails parce qu'il est curieux de voir l'incurie avec laquelle on laissait dans l'ignorance l'homme destiné in petto à soutenir le coup d'État.)

Après ce récit, il ajouta: «Ils sont perdus. Ils ne connaissent ni le pays, ni le temps. Ils vivent en dehors du monde et du siècle. Partout ils portent leur atmosphère avec eux, on ne peut les éclairer, ni même le tenter; c'est sans ressource!

– Mais vous êtes perdu aussi, monsieur le maréchal! Vous allez vous trouver horriblement compromis dans tout ceci. Vous perdez par là votre seule explication pour 1814. Vous compreniez, dites-vous, qu'il fallait vous sacrifier pour obtenir au pays des institutions libérales! Où sont-elles maintenant?»

Le maréchal soupira profondément: «Sans doute ma position est fâcheuse, reprit-il; mais, tout en me désolant de ce qui arrive, en regrettant surtout avec le bien si facile à faire les maux qui vont tomber sur nous, je suis personnellement plus tranquille depuis la lecture du Moniteur. Certes, je ne me mêlerai de rien à moins d'y être forcé par mon service militaire. Or la résistance sera toute constitutionnelle et morale; on refusera l'impôt… le gouvernement croulera si le ministère n'est pas chassé, et je n'ose l'espérer. Mais, en admettant même qu'une résistance ouverte appelât l'intervention des troupes, ce ne serait jamais qu'à l'époque des élections; elles sont fixées au 3 septembre; mon service finit le 31 août. Dès le lendemain, j'aurai fait vingt postes sur la route d'Italie et j'y resterai au moins tout l'hiver. Je ne veux pas me retrouver une seconde fois dans une situation où les devoirs sont complexes. N'ayez donc aucun souci particulier pour moi; il n'y en a que trop à prendre de ce qui se passe!»

Nous continuâmes à nous lamenter, à craindre, à nous effrayer, à prévoir les malheurs du pays; mais assurément nos prévoyances étaient bien loin encore de la réalité. Il me quitta en promettant de venir passer le samedi suivant à ma campagne. Je ne l'ai pas revu depuis.

Je pensais bien à ce moment qu'il n'aurait pas dû retourner à Saint-Cloud; j'entrevoyais une belle et noble lettre à écrire en rappelant les événements de 1814. Mais il n'était pas assez indépendant de fortune pour que j'eusse osé la lui conseiller, lors même que ma liaison avec lui eût été aussi intime que l'absence et le malheur l'ont rendue depuis. D'ailleurs, ces choses-là, pour être bien faites, doivent être spontanées.

Je sortis selon mon habitude et je fus très frappée de l'aspect des physionomies: elles portaient une curiosité sombre. Les gens qui se connaissaient s'arrêtaient pour se parler. Les autres s'interrogeaient de l'œil en passant. Si un visage calme se rencontrait, on se disait: «Celui-là ne sait rien encore.»

Cela est si vrai que, lorsque, le lendemain, tout le monde a su, tout le monde s'est regardé, et tout le monde s'est entendu. Il n'y a pas eu de conspiration.

C'est même dans cette unanimité d'indignation qu'il faut chercher la cause de l'extraordinaire magnanimité de ce peuple soulevé. Il reconnaissait partout des complices et en voyait même dans ces soldats qui tiraient sur lui. Mais n'anticipons pas sur les événements; ils vont assez vite.

Le soir, je vis quelques personnes, dans l'opposition au ministère Polignac, mais attachées à la Restauration. Toutes étaient désolées. On se perdait en conjectures. On croyait à de grandes résistances, mais constitutionnelles. Les lettres closes ayant été envoyées aux députés; ils arrivaient de moment, en moment. Cet appel était-il la suite de l'impéritie accoutumée, ou bien les rassemblait-on dans des intentions hostiles et pour sévir contre eux? Il y avait matière à deviser, et nous n'y manquâmes point.

L'ambassadeur de Russie, le plus irrité, le plus véhément de nous tous, nous raconta avoir rencontré le comte Appony, sortant du cabinet du prince de Polignac, très satisfait, et allant expédier à Vienne un courrier porteur de ces bonnes nouvelles.

Pozzo ne partageait ni cette confiance ni cette joie. Il était entré à son tour dans le cabinet où il avait trouvé le ministre, calme et enchanté de lui-même, répétant qu'il était plus constitutionnel que personne, si ce n'était le Roi; tout irait à merveille, il ne comprenait pas même d'où pouvait naître l'inquiétude et il avait fini par dire: «Soyez tranquille, monsieur l'ambassadeur, la France est préparée à accepter tout ce que le Roi voudra et à l'en bénir.»

Dans la soirée, on jeta quelques pierres à la voiture vide du ministre; son cocher fut légèrement atteint, mais elle rentra à l'hôtel dont on ferma la porte cochère. Le groupe qui la poursuivait se dispersa; sans doute monsieur de Polignac triompha et crut l'orage dissipé. Nous nous séparâmes fort tard et bien tristes.

Si je voulais raconter tout ce qui est venu ensuite à ma connaissance et les détails appris depuis, il y aurait bien long à dire, mais je m'attache à écrire uniquement ce que j'ai vu, ou entendu moi-même, et dans le temps1.

1

Il y a pourtant un fait dont j'ai la certitude, il peint tellement le prince de Polignac que je ne puis résister à le citer. Le dimanche soir, les ordonnances étant signées et tandis qu'on imprimait le Moniteur, monsieur de Polignac dans son plus intime intérieur, entouré de gens sur lesquels il pouvait entièrement compter, mit la conversation sur les discours du trône pour l'ouverture des Chambres. Pendant une heure et demie, il en discuta chaque parole, accueillant les objections et les combattant ou les admettant, comme la plus sérieuse chose du monde.

On ne comprend pas comment, dans de pareilles conjectures, l'homme sur lequel pesait une si grande responsabilité pouvait avoir le sang-froid, ou plutôt la puérilité d'une telle comédie, ni ce qui pouvait l'amuser dans une mystification faite à des gens tout à fait dans sa dépendance.

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