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UNE SEMAINE DE JUILLET (JUILLET 1830.)
(27 JUILLET.)

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Le mardi vingt-sept, j'appris, par une trentaine d'ouvriers de diverses professions, qui travaillaient chez moi et venaient de différents quartiers, l'agitation répandue dans la ville. J'en trouvai beaucoup parmi eux, mais fondée sur des raisonnements si sages que j'en fus surprise.

Je ne puis m'empêcher de consigner ici une remarque faite à cette époque. J'avais arrangé une maison en 1819 et employé les mêmes sortes d'ouvriers qu'en 1830; mais, dans ces dix années, il s'était établi une telle différence dans les façons, les habitudes, le costume, le langage de ces hommes, qu'ils ne paraissaient plus appartenir à la même classe. J'étais déjà très frappée de leur intelligence, de leur politesse sans obséquiosité, de leur manière prompte et scientifique de prendre leurs mesures, de leurs connaissances chimiques sur les effets des ingrédients qu'ils employaient. Je le fus encore bien davantage de leurs raisonnements sur le danger de ces fatales ordonnances. Ils en apercevaient toute la portée aussi bien que les résultats.

Si ceux qui nous gouvernaient avaient eu la moitié autant de prévoyance et de prudence, le roi Charles X serait encore bien paisiblement aux Tuileries.

Sans doute une population ainsi faite était impossible à exploiter au profit d'une caste privilégiée; mais, si on avait voulu entrer dans le véritable intérêt du pays, elle se serait montrée facile autant que sage; et on aurait trouvé secours et assistance dans le bon sens des masses contre l'effervescence de quelques brouillons. Malheureusement, le Roi et la nation se tenaient mutuellement pour incompatibles.

Les récits qu'on m'avait faits ne m'avaient cependant pas suffisamment alarmée pour me décider à rester chez moi. À quatre heures, je montai en voiture avec le projet d'aller chez des marchands de la rue Saint-Denis.

Un de mes gens prétendit qu'il y avait du bruit de ce côté. Je me décidai à utiliser ma sortie en allant faire ma visite à Neuilly. J'étais depuis peu de semaines en grand deuil de mon mari et, avant de retourner à la campagne, je voulais aller remercier des bontés que les princesses m'avaient témoignées à cette occasion.

Madame la duchesse d'Orléans se promenait dans le parc; je n'avais rien d'assez intéressant à lui dire pour l'y suivre.

Je trouvai Mademoiselle chez elle, désolée des ordonnances, très inquiète de l'effervescence populaire dont je lui parlai, et fort impatientée surtout de la crainte que le nom de son frère fût compromis. Elle me dit ces propres paroles: «Sans ces deux cérémonies de la messe du Saint-Esprit et de l'ouverture des Chambres où il nous fallait assister et la misérable attrape qu'on nous a faite, nous serions partis samedi pour Eu et en dehors de toute cette bagarre. Quand j'y pense, je suis prête à m'en arracher les cheveux.»

Si son intention était de me mystifier, elle y a parfaitement réussi; car, encore à l'heure qu'il est, je suis persuadée de sa bonne foi. Elle admettait que les ordonnances devaient amener des catastrophes; mais, comme tout le monde, elle prévoyait la résistance dans une classe qui ne la proclame pas à coups de pierres. Le refus de l'impôt, l'impossibilité de gouverner contre une opposition générale, manifestée par tous les moyens légaux, lui semblait le danger de la situation où le Roi venait de s'engager. Nous en causâmes longuement; mais il ne fut point question du remède que Neuilly pouvait éventuellement fournir à une position devenue si critique.

De chez Mademoiselle, je passai chez madame de Montjoie. Je la trouvai aussi fort agitée, fort inquiète et désespérée qu'on ne fût pas à Eu. Cela me parut tout à fait l'impression de la maison.

Je m'avançai davantage avec elle, et nous parlâmes des chances possibles que tant de fautes pouvaient amener. Elle me répéta ce qu'elle m'avait mille fois dit: Monsieur le duc d'Orléans était le plus fidèle sujet du Roi en France, mais il ne le suivrait plus à l'étranger.

Il nous fallait bien admettre l'impossibilité que son nom ne fût pas mis en avant, dans de pareilles conjonctures, même à son insu et malgré lui. Vingt fois depuis un an j'avais entendu dire, en parlant du Roi et de ses ministres, «Ils travaillent à faire le lit des Orléans.»

Elle me raconta à ce sujet ce qui s'était passé le mercredi précédent. Monsieur le duc d'Orléans, étant fort enrhumé et se plaçant sur le perron à la sortie d'un grand dîner, avait mis son chapeau. Il en avait fait une façon d'excuse. Monsieur de Sémonville avait répondu tout haut:

«Nous vous le passons, Monseigneur, en attendant la couronne.

« – Jamais, monsieur de Sémonville, à moins qu'elle ne m'arrive de droit.

« – Ce sera de droit, Monseigneur; elle sera par terre; la France la ramassera et vous forcera à la porter.»

«Concevez-vous monsieur de Sémonville? ajouta madame de Montjoie, de tenir de pareils propos, je les ai entendus; dix personnes ont pu les entendre comme moi.

– Je comprends, répondis-je, qu'il croit la partie perdue encore bien plus que nous.

– Mon Dieu, si le Roi voulait, pourtant, il y a encore de grandes ressources.

– Oui, mais, hélas! il ne voudra pas.

– Mais qu'arrivera-t-il alors?

– Qui peut le prévoir? beaucoup de malheurs sans doute!

– Et pensez donc s'il y a une guerre civile! et monsieur le duc de Chartres qui sert dans l'armée! que fera-t-il? C'est à tourner la tête!»

Notre causerie se prolongea. Madame la duchesse d'Orléans ne rentrait pas; l'heure avançait. Je chargeai madame de Montjoie de mes hommages respectueux et je revins à Paris.

Rien n'y annonçait, dans le quartier que je traversai, le tumulte de la soirée. Peut-être les rues étaient-elles moins populeuses que de coutume. Il y avait eu, me dit-on, du bruit à la porte Saint-Martin, et des groupes dans divers autres quartiers. Nous étions si persuadés que ce n'était pas là le genre de résistance à craindre que j'y attachai peu d'importance.

Aucun des ouvriers travaillant chez moi n'était revenu depuis l'heure du dîner. Un carrossier, un maréchal, un serrurier, logeant vis-à-vis de chez moi, étaient également privés de leurs ouvriers depuis trois heures. C'est la première chose qui me donna à penser.

Bientôt, chaque quart d'heure amena des révélations sur les événements si graves dont un avenir bien prochain était gros. Les mêmes personnes, qui s'étaient réunies la veille chez moi, arrivèrent successivement, et toutes apportaient des nouvelles prenant un caractère de plus en plus alarmant.

J'appris que le duc de Raguse était établi aux Tuileries. Vers les six heures, traversant un groupe en tilbury, il avait couru quelques risques sur les boulevards. Il y avait eu des barricades faites. À la vérité, elles avaient été détruites par la garde, mais le peuple n'en paraissait que plus animé. On disait même quelques coups de fusil tirés de part et d'autre.

Monsieur Pasquier alla aux nouvelles chez madame de Girardin où il y avait toujours assez de monde.

L'ambassadeur de Russie arriva. Un de ses secrétaires avait vu, sur la place de la Bourse, un homme mort autour duquel on haranguait. L'ambassadeur lui-même aurait pu servir d'orateur. Il s'anima et nous fit un morceau sur le droit imprescriptible des nations de s'opposer au renversement de leurs institutions et de châtier les rois parjures. Il s'étonna qu'on trouvât un seul homme à opposer à l'insurrection, lorsque la légalité était si évidemment de son côté, blâma le maréchal Marmont de chercher à la combattre, et fut d'une véhémence qui nous frappa tous.

Nous nous la sommes souvent rappelée depuis, en lui entendant tenir un langage si différent, et accuser le duc de Raguse comme coupable pour n'avoir pas, dès ce mardi où il n'y avait encore que de l'agitation et quelques groupes, mitraillé les habitants de Paris.

Monsieur Pasquier avait trouvé le ménage Girardin seul, la femme fort abattue et fort triste, le mari fort tranchant et fort jactant, disant qu'il fallait en finir avec toute cette canaille, imposer silence aux mécontents en leur inspirant la terreur, et gouverner par le sabre. C'était un petit moment d'effervescence à subir; il n'aurait pas de suite, etc. Cependant, il confirma la nouvelle que la gendarmerie avait chargé; il y avait eu quelques personnes tuées et blessées. Une barricade, formée avec un omnibus et quelques charrettes renversées à l'entrée de la rue de l'Échelle, avait été faite par le peuple et détruite par la garde. Le sang avait coulé à la place du Palais-Royal. Monsieur de Girardin en espérait les plus heureuses conséquences.

Nous apprenions, en même temps, que la place Louis XV, la place Vendôme et le Carrousel étaient remplis par l'artillerie canons en tête, mèches allumées. Cela ne m'effraya pas beaucoup. J'avais souvent entendu dire au maréchal que, dans les effervescences populaires, il fallait faire un grand développement de force pour frapper les imaginations et être dispensé d'user de rigueur.

Nous nous séparâmes sur les minuit, après avoir reçu le rapport de deux hommes envoyés, l'un à la place de Grève, l'autre à la porte Saint-Denis. Tout était tranquille. Sans doute nous étions très préoccupés, mais personne, je crois, ne s'attendait à là journée du lendemain.

Récits d'une tante (Vol. 4 de 4)

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