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LE DUC DE SAVOYE.

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Table des matières

Par ces patentes signées de notre main, nous avons donné et donnons ample sauf-conduit, passeport et assurance aux ministres des païs du canton de Berne et ville de Genève qui voudront entrer en dispute avec le Père Chérubin, mesme à Herman Lignarius, de pouvoir venir en toute seureté rière le païs de Chablais pour parachever la conférence qu’il a commencée avec ledit Père Chérubin, selon les conventions et promesses mutuelles de part et d’autre; ayant très-agréable qu’on vaque à ce saint exercice de chercher la vérité avec douceur et bénignité pour l’instruction des peuples; promettant qu’il ne leur sera fait aucun déplaisir, et moins donné aucun mécontentement en leurs personnes, leurs serviteurs, ny autrement; commandons à tous nos officiers et sujets d’observer cesdites patentes en tant qu’ils craignent de nous désobéyr: car ainsi nous plaît. Donné à Chambéry, le 24 juillet 1598.

CHARLES-EMMANUEL.

Et plus bas: Roncaz.

( Scellées du grand sceau. )

1598.

Toutes ces tentatives furent inutiles; l’on ne put jamais disposer le professeur à vouloir rentrer en dispute avec le Père Chérubin. Les seigneurs de Genève, qui voyoient que cela donnoit un grand échec à leur religion, pressèrent en vain les ministres d’envoyer les plus habiles de leur collége pour soutenir le professeur; ces lâches mercenaires aymèrent mieux abandonner la cause commune que de l’exposer au péril d’une seconde confusion dans une conférence publique. Ils s’avisèrent, pour éluder ce coup, de faire guerre de loin: ils firent un traitté manuscrit contre l’article du purgatoire, signé Herman Lignarius et De Brune, qu’ils envoyèrent au ministre Viret, luy recommandant expressément de le faire passer dans les mains des principaux calvinistes de Tonon et de le semer par tout le Chablais. Le Père Chérubin s’en étant aperceu, fit agir le procureur fiscal de S. A. R. pour obliger le ministre à luy délivrer une copie correcte de cet escrit, afin qu’il pût le réfuter; le ministre obéyt, mais il ne voulut nullement s’engager à soutenir ce qu’elle contenoit, disant que c’étoit aux ministres de Genève, qui en étoient les autheurs, à le défendre. Nous avons entre les mains le verbal du magistrat, signé Charles Dorlié, et plus bas David, greffier.

1598.

Ce pitoyable artifice ne leur ayant pas réussi, il fallut un autre party pour effacer leur ignominie; un ministre de Genève s’offrit d’aller à Tonon pour venger ses confrères vaincus. Celuy-cy fit connoître par hazard son air et son génie; il déclara qu’il souhaitoit que cette action éclatât et fit du bruit; il proposa plusieurs conditions pour une dispute réglée et solemnelle, et, pour mieux prendre ses seuretés, il demanda que S. A. R. envoyât des otages dans Genève pour la seureté des ministres, de sa personne et de ceux qui l’accompagneroient. Le Père Chérubin accorda toutes les conditions qu’il demandoit; il escrivit à S. A. R. et à Mgr le Nonce Ottenelli, Evêque de Fano, nepveu du Révérend Père Roger de la Province de la Marque d’Ancône, Prédicateur Capucin, pour avoir leur agrément. S. A. R. promit d’envoyer les otages pour la seureté des ministres; Mgr le Nonce apostolique répondit du consentement de Sa Sainteté. Toutes choses étant ainsi disposées, l’on somma le ministre de venir à Tonon pour commencer la dispute. Il sembloit, à l’entendre parler, qu’il devoit abbattre tous les Capucins; mais quand il se vit pressé de tenir la parole qu’il avoit donnée pour la dispute, il entra dans une juste défiance de ses forces; il tâcha d’esquiver par des fuites artificieuses, en recourant à de honteuses finesses. Le Père Chérubin, voyant qu’on luy manquoit de parole, s’en plaignit aux seigneurs de Genève et s’offrit d’aller dans leur ville avec deux autres Capucins prédicateurs pour faire cette dispute, si les ministres ne vouloient pas venir à Tonon.

On ne voyoit que messagers de Genève à Tonon et de Tonon à Genève; les catholiques et les huguenots témoignoient désirer avec ardeur cette conférence; les calvinistes de Tonon formoient quantité de chimériques pensées sur cette dispute; mais l’espérance qu’ils en avoient conceue fut dissipée par la sentence du consistoire de Genève, qui condamna le ministre qui avoit proposé la dispute au bannissement, pour l’avoir fait sans l’authorité et la participation des seigneurs et du collége des ministres; mais cette grossière politique ne put pas les mettre à couvert d’un juste reproche de lâcheté.

1598.

Le ministre exilé se retira au pais de Vaud, sur les terres des Bernois. Ce bizarre procédé fut enregistré par l’ordre du magistrat de Tonon à l’instance du procureur fiscal, et le verbal est conservé dans les archives de la ville. Le Père Chérubin, de sa part, prit acte par-devant un notaire public de cette honteuse lâcheté qui passe tout ce qu’on peut dire.

Les ministres de Genève en furent si fort blâmés et en eurent tant de reproches que, s’abandonnant aux transports violents de leur passion, ils entreprirent de faire remuer les Bernois, croyant que leurs armes seroient plus favorables à leur party que la Bible et la théologie. Ils se plaignirent au canton de Berne que le Duc de Savoye avoit contrevenu aux traittés et trêves faittes avec eux, qu’il entretenoit à ses dépens des Prédicateurs Capucins dans les bailliages de Chablais et de Ternier, qui détruisoient entièrement leur religion, et qu’elle en seroit bientôt bannie s’ils ne faisoient un grand effort pour l’y conserver. Mais on n’étoit pas, grâces à Dieu, en état d’appréhender les Bernois; la paix de Vervins, qui fut conclue le 2 mai et publiée en Savoye le 14 juin, garantissoit assés nos Pères de leur violence, car il étoit porté dans l’un des articles de ce traitté que le Duc de Savoye seroit compris en la paix.

Histoire de Genève

Le sieur Spon, médecin, dans son histoire de la ville et de l’estat de Genève, tirée des manuscrits de Jacques Godefray, qui a été cinq fois syndic de la ville de Genève, dit que les Genevois goùtèrent peu la douceur de la paix de Vervins, par le retour de la peste, qui ne fit pas néanmoins grand ravage, et par le bruit que faisoit à Tonon un Capucin nommé Père Chérubin, qui pressoit les bourgeois de ce lieu et ceux de la campagne, remis sous l’obéyssance du Duc, de retourner à leur première religion; le Capucin défioit hautement les ministres à une dispute; ceux-cy ne vouloient consentir qu’à une par escrit; les seigneurs leur firent accepter une conférence verbale contre leur gré ; mais, dans cette entrefaite, le Duc étant venu luy-mesme à Tonon pour pousser cette affaire, la plupart retournèrent à la messe, ces peuples disant qu’on les avoit abandonnés, et sur quoy furent imprimés quelques disputes et libelles qui ne servirent qu’à aigrir les esprits.

1re oraison des 40 heures, à Thonon. 1598.

Il faudroit entièrement renoncer à l’équité si l’adveu de cet historien, qui a escrit sur les mémoires d’un syndic de Genève, ne donnoit une grande idée des victoires que le Père Chérubin a remportées sur les ministres. Après tant d’heureux succès, le Père Chérubin résolut de faire à Tonon l’oraison des quarante heures, pour remercier Dieu de la paix et de tous les avantages qu’il luy avoit donnés sur les ennemys de son Eglise; ce qui luy réussit si heureusement que messire Jean-François Berliet, Archevêque de Tarantaise, attribue l’entière conversion du Chablais à ces oraisons que le Père Chérubin fit exposer par deux fois dans Tonon, avec l’agrément de S. A. R., qui assista en personne à la seconde.

Lettre de Mgr Berliet archev. de Tarantaise au Pape Clémt VIII.

Ce prélat, escrivant par l’ordre du Duc au Pape Clément VIII, dit que le Père Chérubin, considérant les progrès que l’on faisoit dans Tonon parles prédications, fit exposer l’oraison des quarante heures, visâ tantâ propagatmie, reverendissimus Pater Cherubinus devotiones et preces Capucinorum more quadraginta horarum indixit. Il raconte ensuite comme il les fit publier en Savoye, puis en Bourgogne et dans les autres provinces voisines. Il marque l’arrivée de S. A. R. à Tonon pour ce sujet: Dux ad eam rem Thononium profisciscitur. Il s’étend sur les processions qui y arrivèrent de divers endroits pour satisfaire leur piété. Il remarque expressément dans cette relation que la ferveur et la dévotion de ceux qui les composoient donna les dernières atteintes à tous les cœurs des Chablaisiens et les disposa à un subit et véritable changement, ut in momento immutatum videretur. Cette réflexion est si essentielle à mon sujet et si nécessaire à l’histoire de nos Missions que j’ay cru devoir la remarquer.

Copie gardée aux archives de Tonon, avec défense de l’en sortir.

Les autheurs modernes qui ont escrit de la conversion du Chablais ont parlé des deux oraisons des quarante heures qui furent exposées à Tonon, mais d’une manière si peu uniforme que, pour unir et rassembler les divers traits qui en peuvent former une idée nette et correcte, je me sens obligé de rapporter un peu au long les sentiments d’un autheur contemporain qui fit une relation très-exacte de tout ce qui se fit dans ces deux actions. Son livre, dont on n’a pas supprimé toutes les copies, fut composé à Tonon et imprimé la mesme année à Chambéry, chés Claude Pomard, l’an 1598, sous ce titre: Aggréable nouvelle à tous bons catholiques de la volontaire conversion de la plus grande part du duché de Chablais et lieux circonvoisins de la ville de Genève à notre sainte Foy et religion catholique, apostolique et romaine. Il descrit si au long et si en détail, dans cet ouvrage fait exprès, ce qu’il avoit vu et entendu, que je ne feray guères que de le transcrire dans ce qui regarde précisément nos Missionnaires, afin qu’il demeure constant que j’évite les choses tant soit peu douteuses et me renferme dans les choses incontestables; car il est clair qu’il n’y a point de voye ny plus seure ny plus naturelle pour trouver la vérité que de s’arrêter au témoignage positif d’un témoin oculaire, qui a escrit ce dont il étoit informé par lui-mesme, n’y ayant pas d’apparence qu’il soit capable d’advancer des faussetés de fait dans un temps et dans un lieu où il pouvoit être démenty par une infinité de personnes qui auroient assisté à ces deux actions.

Page 27.

Cet autheur dit que S. A. R. ayant été advertie par Mgr de Genève de la bonne disposition où étoient les huguenots chablaisiens de se réunir à l’Eglise catholique, Dieu suscita en mesme temps un non moins docte que bon Père Capucin, autant vivifié d’esprit et de zèle au dedans que mortifié de corps et d’habit au dehors, lequel, voyant la moisson du Seigneur prette, et qu’il ne falloit plus qu’envoyer les ouvriers, s’en alla au mois de juillet dernier, à Chambéry, supplier S. A. R. d’avoir aggréable qu’en réjouissance de la paix, dont partout ailleurs de ses Estats on avoit déjà rendu grâces et loüanges publiques à Dieu, on pût célébrer à Tonon, ville capitale du duché de Chablais, l’oraison des quarante heures, exhorter le peuple à la piété, instituer des confréries, replanter le glorieux étendard des chrétiens et redresser par tout le pais le vénérable signe de notre salut.

1598.

Page 29.

S. A. R., non-seulement luy accorda volontiers ce dont elle-mesme étoit en intention de le prier, mais s’offrit très-libéralement de fournir à tout ce qui seroit nécessaire pour une si fructueuse et si sainte dévotion. Il escrivit à ces fins au sieur De Lambert, gouverneur de la province, et aux principaux officiers, leur recommandant très-expressément de tenir la main à tout ce qui seroit requis pour ce regard et d’effectuer tout ce qui leur seroit proposé par le Père Chérubin, ainsi a nom ce dévot Capucin, lequel, porté d’une ardeur incroyable à l’accomplissement d’un si saint ouvrage, et dont il prévoyoit en esprit une édification si grande, n’épargnoit aucun soin, aucun travail, ny diligence aucune pour en advancer les préparatifs.

Les Annales des Capucins, à la vie du Père Joseph.

Il s’étend ensuite sur l’origine, le progrès et la pratique de l’oraison des quarante heures, et attribue avec Sponde, dans les Annales ecclésiastiques, l’institution de cette prière au Père Joseph, Prédicateur Capucin, qui le premier la mit en pratique dans la ville de Milan, l’an 1536, justement au mesme temps de l’invasion du Chablais par les Bernois.

Le Père Chérubin, qui prit la conduite de l’appareil de la première oraison des quarante heures, fit choix de la grande place qui est derrière l’église de St-Augustin pour y dresser un grand oratoire de charpente; l’on peut voir dans cet autheur, qui a donné la disposition de cet appareil, les embellissements du sanctuaire et toute la décoration, avec tous les ornements de l’entrée et de tout le corps de cet oratoire.

Mémoires de la Province.

1598.

Page 32.

Le Pape Clément VIII, qui estimoit beaucoup le Père Chérubin, luy envoya, avec la bulle de l’indulgence plénière, une bonne somme d’argent pour contribuer à une partie des frais que l’on étoit obligé de faire dans cette occasion. S. A. R. envoya son tapissier avec des très-riches tapisseries à liste de drap d’or et d’argent frisé ; et, pour témoigner sa grandeur et sa piété, il ordonna expressément que l’on n’oubliât rien de tout ce qui pourroit donner plus de soutien à cette action, désirant que la solemnité s’en fit avec une magnificence toute royale, pour inviter à cette dévotion tous ses sujets de Chablais, qui, depuis 63 ans, avoient été enveloppés dans les ténèbres de l’hérésie.

Messeigneurs les Evêques de Genève et de Lyon firent publier dans leur diocèse l’indulgence plénière accordée par Sa Sainteté à tous ceux qui assisteroient à cette oraison, suivant les advis que le Père Chérubin leur avoit donnés. Mgr l’Evêque de Lausanne la fit publier à Fribourg, où son siége a été transféré et où il fait sa résidence ordinaire depuis l’usurpation des Bernois, qui occupent la ville de Lausanne et la plus grande partie de son diocèse.

Page 33.

Pour y convier les ministres de Genève et du canton de Berne, le Père Chérubin délivra à Louis Viret, ministre de Tonon, le sauf-conduit que S. A. R. avoit donné pour la seureté de leurs personnes, et fit sommer derechef le professeur de Genève de venir continuer la dispute qu’il avoit abandonnée. Mais tout cela fut en vain, car ny les ministres, ny le professeur, n’avoient nulle envie de combattre contre des gens qui leur avoient ôté toute espérance de pouvoir vaincre.

Comme S. A. R. avoit témoigné au Père Chérubin par ses lettres qu’elle vouloit se trouver en personne à cette dévotion, on ne pouvoit pas fixer le jour précis auquel on en feroit l’ouverture; mais quand on sceut qu’elle devoit faire un voyage en Bresse, d’où elle ne pourroit pas revenir apparemment de longtemps, l’on choisit le 20 septembre, qui se rencontra par un dimanche, et le 21, qui étoit le jour de S. Mathieu, pour en faire la célébrité.

Vie de Mgr de Granier liv. 3, chap. 8.

Mgr Claude de Granier, Evêque de Genève, en ayant été adverty par le Père Chérubin, partit de sa seigneurie de Viuz-en-Salaz pour se rendre à Tonon; plusieurs ecclésiastiques y arrivèrent aussi de divers endroits. Il conféra le sacrement de confirmation; il fit les ordres sacrés, et réconcilia l’église de St-Augustin; il érigea et consacra quelques autels; il bénit les parements de l’église et les croix qu’on devoit élever sur les advenues des grands chemins par tout le Chablais, et donna un ordre exprès que chaque procession en plantât une au lieu où il lui fut marqué ; la pierre du grand autel de St-Augustin fut retirée de la Maison de ville, où elle avoit servy longtemps de table commune. Les hérétiques de Tonon, touchés de la sainteté de cette solemnité, rendirent de leur bon gré les pierres des autels, les vases et les autres choses dédiées au culte divin, qu’ils avoient appliquées à leur usage particulier. Enfin, le dimanche 20 septembre, auquel la solemnité des quarante heures avoit été remise, Mgr de Granier, Evêque de Genève, par ses soins et par l’ordre duquel toutes choses avoient été concertées et réglées, chanta solemnellement la grande messe dans l’église de St-Augustin, magnifiquement parée, et fit l’ouverture des quarante heures par une procession générale, à laquelle il porta le très-saint Sacrement par toutes les principales rues de la ville de Tonon, avec toute la pompe et magnificence imaginables; il étoit assisté de son clergé et suivy du gouverneur de la province et des magistrats, de l’envoyé de Fribourg, et de la principale noblesse, avec des flambeaux de cire blanche allumés.

Mémoires de la Province.

Mémoires de la Province.

Il y avoit une si grande affluence de peuple qui y étoit accouru de toute part, de Savoye, de Bourgogne, de Bresse, du Bugeay et de Suisse, qu’on la fait monter jusqu’à vingt mille personnes; les processions, au nombre de quarante, vinrent par ordre et réglément, chacune à son heure, à cette dévotion, et à chacune on faisoit une prédication; la première qui arriva fut celle des confrères Pénitents de Taninges, en habits blancs; ils entrèrent avec la procession générale dans l’oratoire, qui étoit tendu de très-riches tapisseries, le Saint-Sacrement étant exposé dans le sanctuaire, qui brilloit par la majesté de ses ornements. Le Père Chérubin monta en chaire et fit la première prédication avec tant de ferveur et de zèle, qu’il remua les personnes difficiles à émouvoir; à l’issüe de la prédication, Mgr de Genève receut l’abjuration de trois cents personnes de la paroisse de Bellevaux, qui étoient venues à la prière des quarante heures les pieds et la tête nüe, conduites par un jurisconsulte du mesme lieu, qui déclara au nom de tous qu’ils renonçoient à l’hérésie et demandoient la grâce d’être réunys à l’Eglise romaine; l’Evêque leur fit faire la profession de foy, et leur donna l’absolution.

La seconde procession qui vint fut celle de Boëge, à laquelle S. François de Sales prêcha; celle de St-Cergue arriva le mesme jour, composée de plus de trois cents personnes; ces bonnes gens, qui avoient été contraints, sous la domination des Bernois, de se séparer de l’Eglise catholique par la violence des usurpateurs, avoient caché fort secrettement la custode et la croix de leur église; ils tirèrent leur croix de ce lieu secret, où ils l’avoient conservée depuis leur désertion, et la firent servir d’étendard dans cette occasion; ils demandèrent l’absolution de leur hérésie, qui leur fut accordée, et ensuite ils firent leur station devant le Saint-Sacrement. Ce mesme jour de dimanche, plus de deux cents personnes de la paroisse de Fessy, et bien soixante de celle de Pergny, et plusieurs particuliers de divers endroits, mesmement de la ville de Genève et des terres des Bernois, se convertirent à la foy catholique.

1598.

Le lendemain, qui étoit le jour de S. Mathieu, la messe fut chantée solemnellement dans l’église de St-Augustin par messire Thomas Pobel, Evêque de Saint-Paul-trois-Châteaux, qui vint ensuite dans l’oratoire avec la procession de deux villes, à sçavoir Cluses et Sallanches, qu’il avoit amenée, et qui fut grossie en chemin d’un grand concours de peuple qui étoit accouru de plus de deux journées et des plus hautes montagnes du Faucigny; tous les confrères étoient revêtus de blanc et marchoient pieds et tête nüe. Le Père Chérubin leur prêcha.

La procession de la Bonneville, capitale du Faucigny, vint après celle de la noblesse de Chablais conduite par M. de Lambert, gouverneur de la province; après midy, arriva celle de la ville d’Evian, et, sur le soir, celle du bailliage de Ternier, à qui les Genevois avoient fait insulte comme elle passoit près les murailles de leur ville, ce qui n’empêcha pas que plusieurs personnes de Genève mesme ne la suivissent jusqu’à Tonon, où ils abjurèrent l’hérésie. Les processions et les prédications continuèrent jour et nuict durant les quarante heures. On fit plusieurs belles représentations sur un théâtre de charpente, dressé au devant de l’oratoire. On finit cette première oraison comme on l’avoit commencée, par la procession générale, où le Saint-Sacrement fut encore porté avec la mesme pompe et magnificence que le dimanche précédent.

On remarqua durant l’oraison des quarante heures le changement qui commençoit à se faire dans les consciences des hérétiques de Tonon: ils fermoient leurs boutiques et assistoient jour et nuict aux prédications; l’on vit bien par là que Dieu avoit ouvert les yeux sur eux pour les conduire dans le bon chemin, et qu’il leur tendoit la main pour les tirer de leur hérésie, car c’est là la marque la plus grande d’un regard favorable de Dieu sur ceux qui sont encore dans l’erreur; ils ne furent néanmoins capables de ces bons mouvements que peu à peu et par degrés; ils n’avoient plus si bonne opinion de leur religion; ils ne vouloient pas néanmoins embrasser la catholique; ils demeuroient dans l’incertitude et dans le doute; ils étoient balancés par tant de diverses raisons, qu’ils ne pouvoient pas se déterminer; ils étoient presque convaincus de leur erreur, mais ils n’étoient pas encore bien persuadés de la vérité : car les hommes sont ainsi faits, qu’ils croyent douteux tout ce qui est contesté. Dieu permit, pour les réveiller de cet assoupissement et les tirer de leur doute, qu’une frayeur secrette saisît tous les ministres du Chablais, qui, au seul bruit de l’oraison des quarante heures, furent frappés d’une si étrange terreur, qu’ils s’enfuirent comme des démons, sans que personne eùt encore pensé à les chasser. Ce fut alors que les Tononois reconnurent que la religion catholique étoit la véritable, et que les ministres étoient des trompeurs qui les avoient abusés pendant tant d’années. Le peuple mesme de Genève disoit ouvertement que l’Eglise romaine n’étoit nullement coupable des erreurs dont les ministres l’accusoient, puisque les Capucins, qui sont les prédicateurs du Pape de Rome, leur faisoient tant de peur! Les prédications que l’on fit durant l’oraison des quarante heures achevèrent de les convaincre et les disposèrent à une véritable conversion.

Vie de Mgr de Granier liv. 3, chap. 9.

Le Père Chérubin eut soin d’informer pleinement S. A. R. du succès de cette première oraison, des grandes conversions qui s’étoient faites et de la bonne disposition où étoient les habitants de Tonon, et généralement tout le peuple du duché de Chablais, d’embrasser la religion catholique, s’ils étoient appuyés de son authorité et de sa présence. Mgr Claude de Granier, Evêque de Genève, luy escrivit amplement sur le mesme sujet.

Mémoires de la Province, 1598.

Le Duc receut à Hautecombe, des mains de M. Balthazard Magnilier, curé d’Annemasse, envoyé exprès, les lettres de l’Evêque et du Père Chérubin; après les avoir leües, il mit la main sur le pendant du colier de son Ordre, et dit ces belles paroles. «Je bénis Dieu des bonnes nouvelles que je reçois; foy de prince, je ne veux rien épargner, non, pas mesme mon sang et ma vie, pour l’advancement de la gloire de Dieu, et la conversion de mon peuple,» et, en mesme temps, demandant de l’encre et du papier, il escrivit au Père Chérubin de sa main propre, sur les épaules du sieur Boursier, l’un de ses secrétaires, car il étoit au bord du lac du Bourget, prêt à s’embarquer sur sa frégatte pour aller voir le Cardinal de Florence, Alexandre de Médicis, Légat du Pape, que le mauvais temps avoit arrêté à Chanaz, petit village sur le Rhône, qui n’est éloigné que d’une lieue de l’abbaïe d’Hautecombe. Il dit au curé d’Annemasse, en luy remettant la lettre: «Recommandez-moy à Mgr de Genève et au Père Chérubin; je les verray bientôt.» S. A. R. fit l’honneur au Père Chérubin de luy donner advis de l’arrivée du Cardinal-Légat et de son passage par le Chablais et par la ville de Tonon, et luy recommanda très-expressément de disposer toutes choses pour la réitération des prières des quarante heures.

Histoire des missions des pères capucins de Savoie

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