Читать книгу Histoire des missions des pères capucins de Savoie - Charles de Genève - Страница 4
AVANT-PROPOS
ОглавлениеJe me sens obligé, par mon sujet et par le motif qui m’a fait entreprendre d’escrire l’histoire de nos Missions, de donner un advis sur le genre d’escrire que j’ay suivy, sur l’ordre que j’ay gardé et sur le fonds des matières.
L’on voit assés, par le titre que je donne à ce petit ouvrage, que j’ay entrepris d’escrire en abrégé les combats et les victoires, les travaux et les actions éclatantes de nos Pères Missionnaires.
Ce seroit peu connoître la nature et l’usage des abrégés que de vouloir se persuader que j’ay pu en tirer quelque avantage pour mon dessein; il est visible que l’abrègement ne présente pas une lumière suffisante pour former pleinement le jugement des lecteurs, car, n’appliquant qu’imparfaitement l’esprit, et d’une manière qui frappe peu, il obscurcit par nécessité et affoiblit les matières, qui auroient tout leur jour et tout leur poids dans une plus grande étendue, et c’est ce qui peut faire juger tout d’un coup de la nécessité où je me suis réduit, d’ôter à mon sujet beaucoup de sa beauté et de sa force, dans la résolution que j’ay prise de le traitter en abrégé.
Ce retranchement inévitable me paroît si incommode et si injurieux à mon dessein que, si ma mauvaise santé pouvoit soutenir un plus long travail, j’aurois entrepris avec plaisir de faire une relation plus entière de tout ce qui s’est fait de plus illustre et de plus remarquable dans nos Missions, pour donner une idée plus juste et plus naturelle des grandes choses qui s’y sont passées et pour conduire plus seurement l’esprit du lecteur à l’évidence de la vérité, qui est visiblement altérée dans quelques autheurs, et c’est là principalement ce qui m’a obligé de tirer quelques passages latins des bulles et des brefs des Papes, des lettres des Cardinaux et des Nonces, des Archevêques et des Evêques, et de les insérer dans cet abrégé ; de transcrire les lettres de cachet et quelques fragments des patentes et des édits des Souverains, et de rapporter les propres paroles des autheurs contemporains, qui ont déposé clairement en faveur de nos Missionnaires, et enfin de m’étendre en quelques endroits un peu plus que les règles de l’abrégé ne permettent.
J’ay bien connu l’avantage que je donnerois à mon histoire si je la pouvois escrire au long et en détail, mais puisque la raison veut que je consulte mes forces aussi bien que la grandeur de mon sujet, j’ay crû que je devois choisir un genre d’escrire moins laborieux et moins fatiguant pour modérer en quelque façon la violence d’une goutte cruelle qui, de tous les membres du corps, ne m’en laisse aucun de libre que la langue.
J’ay jugé qu’avec ce ménagement je pouvois profiter assés utilement des bons intervalles qu’elle me laisse, quoique très courts, peu asseurés, pour obéyr à mes supérieurs, par l’ordre desquels je suis entré en cet engagement, ayant reçu un commandement exprès de m’appliquer uniquement à cet ouvrage et d’y travailler avec tout l’empressement dont peut être capable un homme aussi infirme que je suis.
La chronologie, qui donne du jour et de l’ornement à l’histoire, fournit d’elle-mesme l’ordre que j’ay gardé dans cet abrégé, qui est celuy des temps, depuis le schisme et l’hérésie des Genevois jusqu’à présent; j’ay divisé mon histoire en dix livres, et je proteste que j’ay escrit simplement et de bonne foy les choses comme je les crois véritables, sans me laisser séduire à l’amour du party auquel ma profession m’attache, et j’espère que l’on trouvera que je les raconte dans la plus pure et la plus exacte vérité, autant que je l’ay pu découvrir, sans aucune affectation et avec aussi peu de prévention en notre faveur que s’il s’agissoit d’une chose qui nous fût indifférente, car je ne prétends point de nous élever de la gloire des grands hommes dont je décris les actions, ny de nous en faire un mérite pour surprendre l’estime des peuples.
Je n’ay nullement dessein de prendre à partie les autheurs qui ne sont pas de mon advis, je les laisse dans leurs opinions, telles qu’elles soient. On ne peut pas ignorer que presque tous ceux qui ont escrit la vie de S. François de Sales attribüent uniquement à ce grand Prélat l’ouvrage de la conversion du Chablais; je suis très-éloigné de vouloir m’opposer à ce favorable sentiment, mais je pense que, sans blesser le respect qui est du à ces autheurs et sans rien diminuer de la gloire de cet homme tout divin, il nous doit être permis d’escrire sans dissimulation et sans déguisement les belles actions des Missionnaires Capucins, qui ont été lès coopérateurs les plus agissants et les coadjuteurs les plus infatigables de cet homme apostolique.
Je serois bien fâché d’avancer aucune chose qui pût rabaisser le prix et la réputation des grandes actions de ce saint et incomparable Evêque, ny qui diminuât tant soit peu l’estime du fruit. qu’ont produit quelques Religieux de divers ordres, qui se sont signalés dans la conversion du Chablais et des autres bailliages infectés dans les voisinages de Genève. Mais, m’étant obligé par mon dessein mesme de ne parler que des Capucins, je me dois entièrement renfermer dans les bornes que je me suis prescrites.
1° Encore que mon histoire n’expose que des faits attestés par des provinces entières et authorisés par l’opinion publique, il est bon néanmoins d’informer le monde que j’escris sur des relations manuscrites dressées par ceux mesmes qui ont exécuté ces grandes choses, et il paroît, par le caractère de leurs escrits, que c’étoient des gens humbles, qui fouloient aux pieds le faste et la vanité et qui avoient horreur de l’honneur qui les accabloit, et qui étoient si sincères qu’ils n’étoient pas capables de s’aveugler ny d’avancer des faussetés de faits.
2° Ces relations ont été rectifiées sur la claire déposition de plusieurs témoins oculaires et irréprochables, illustres en noblesse, en doctrine et en vertu, qui ont rendu témoignage à la vérité, ou par serment, ou par-devant des notaires, ou par des escrits donnés au public.
3° Ces relations ont été reconnües et avouées exemptes de toute fausseté après un examen bien juridique fait par le Révérend Père Paul de Césène, Commissaire Apostolique, député par un bref exprès du Pape Paul V, pour les affaires qui concernent notre Mission.
4° L’authorité du Commissaire Apostolique est très considérable: car il s’appliqua très particulièrement à s’instruire de la vérité. Il eut lui-mesme des conférences expresses avec tous ceux qui l’en pouvoient informer. Il fut en Chablais, en Suisse, en Valley, et n’oublia rien de ce qui appartenoit à sa Commission.
Mais, après tout, je déclare que je ne prétends nullement de vouloir former le jugement public: c’est au lecteur de former le sien, de le régler et faire ses réflexions; je laisse de bon cœur au monde la liberté de ses pensées; toute la grâce que je luy demande est de ne point soupçonner d’avoir altéré la vérité à dessein, si l’on reconnoît qu’il me soit arrivé, comme il peut se faire, de m’être trompé en quelque endroit sur la foy des manuscrits.