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LE LIEU

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MERCREDI 13 MARS

NATIONALE 247, À 59 MILLES DU DÉSERT DE MOJAVE, CALIFORNIE.

« Nous devons être cruels. Nous devons l’être avec une conscience tranquille »

Adolf Hitler

Il a laissé la portière de la camionnette ouverte. La radio est réglée sur une fréquence qui passe de la musique classique. Le volume est fort. Il ne veut plus entendre aucun animateur. Pas plus. Sa mission, il l’a déjà accomplie.

Il veut seulement la musique.

La musique est importante : elle le relaxe, elle le rend lucide.

Il aime surtout le violon, dont le son peut être tellement ressemblant à celui des cris d’une femme, et le piano, dont le tintement cristallin fait sublimement pensé à celui de l’affûtage des couteaux. Depuis toujours, il espère qu’un pseudo-artiste compose un jour une Symphonie de l’horreur en se servant de ce genre de combinaison instrumentale. Qui sait, lui, il peut peut-être y arriver. Ou peut-être que non, car, lui, il est avant tout un homme de terrain.

Un homme de terrain vraiment nul pour faire le ménage. Tout est une question de sons, et il déteste vraiment le bruit flasque de la serpillière tombant à terre, en contact avec le sang. Cela lui semble presque une hérésie d’effacer le travail, la trace du sacrifice, le rouge puissant de l’expiation.

Mais il doit le faire, s’il veut que le lieu soit prêt.

Le lieu est bien, il a du potentiel et il a été facile de le trouver.

Ils doivent seulement le préparer à accomplir, l’adapter à leurs exigences, le faire devenir leur parc d’attractions. Ou leur tribunal.

La musique provenant de dehors ne couvre pas les bruits intérieurs. Mais, elle les atténue, les brouille, les réunit en une seule oeuvre. Les coups, la chute des corps constituent le lever du rideau. Le glissement des corps le long des marches, les traces de sang rouge vif qui les suivent jusque dehors, qui tâchent et illuminent la terre, sont le refrain. La chaussure abandonnée, sauvée à l’approche de la mort, est la pause qui précède l’entrée de la star.

Il laisse en suspens ses métaphores pour se retourner : il a entendu une fausse note. Il attend patiemment. Il se met à renifler l’air. Il se détend à nouveau. C’est le vent qui se lève.

Un poète qualifierait le paysage alentour de terre désolée, un lieu primitif où il est possible d’atteindre le génie immortel, ou une folie exaltante.

C’est drôle comme les deux qualités vont souvent de pair.

Depuis la radio, le rythme des instruments change, en même temps que les mouvements de ses bras. Il dépose au sol les deux victimes et soulève la pelle : il avait choisi l’emplacement avant même d’entrer.

La tombe doit être fonctionnelle et édifiante.

Il ne se donnera même pas la peine de creuser profondément. Sa mission est d’éliminer, non de cacher. Il ne fait aucune différence, ceux-là sont deux vieux, et de toute façon leurs corps auraient pourri.

Il atteint la juste, faible profondeur.

Il balance le premier tas de chair, la femme. Il répète l’opération avec le deuxième.

Puis, son attention se concentre vers un détail qui faillit lui faire perdre le contrôle.

La paupière gauche de l’homme cligne.

De façon non volontaire, mais c’est quand même un détail. Une petite tâche. Une erreur.

Les fonctions vitales doivent être réduites à zéro. Tout doit être parfait.

Cet inconvenant réflexe nerveux représente une imprécision qui doit être corrigée.

Ce n’est que le début et ce n’est pas bon signe.

Il doit rester calme. Il se concentre sur la musique.

Il respire profondément.

Puis, il envoie la pelle pile entre les deux yeux de cet enfoiré.

Les globes oculaires et l’os du nez sont réduits en miettes.

Le visage du vieux semble se diviser en deux, dessinant un sourire inversé qui contraste avec la bouche fendue.

Maintenant, ça va mieux.

Il sourit à son tour.

Il récupère sa lucidité et recouvre le carré de terre.

La première partie de la journée, et du programme, est terminée.

Pas le temps de se féliciter, il veut passer tout de suite à la deuxième phase, qui consiste en une restructuration méticuleuse. Peu excitant, très utile. Le travail manuel et le dur labeur ne lui font pas peur, il s’agit pour lui d’un procédé réfléchi.

Il retourne à la camionnette. Il ouvre la porte arrière.

Il réfléchit aux vidéos qu’il a visionnées, il réfléchit à la stupide soif de gloire due aux nouvelles technologies, il réfléchit à la superficialité, au manque de personnalité et d’inventivité des dernières générations.

À chaque pensée correspond un son.

Non plus seulement celui de la radio, qu’il baisse pour écouter ce qu’il y a de mieux : le bourdonnement pénétrant et rassurant d’une perceuse, le battement d’un marteau, le bruit d’un meuble inutile que l’on brise, le cliquetis métallique.

Il aime ses outils d’un amour fraternel. Virils. Puissants. Façonnés dans un but précis.

Ils lui ressemblent.

Il a déjà apporté à l’intérieur les meilleurs et les a placés bien en évidence, en ligne tels des enfants endormis la nuit de Noël. En attente de la fête.

Bientôt, tout commencera.

La Pire Espèce

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