Читать книгу La Pire Espèce - Chiara Zaccardi - Страница 8
LAKE
ОглавлениеDimanche 10 mars
« Oui chérie, continue comme ça, ne t’arrête pas… »
La chambre est plongée dans la pénombre. Les rideaux tirés empêchent le soleil d’entrer, mais l’atmosphère est tout aussi bouillante.
Il y a un problème. C’est la troisième fois qu’il couche avec cette fille, une blonde plantureuse, un peu plastifiée, de celles toujours partantes pour baiser, et dont il ne se souvient absolument pas du nom, sans doute parce qu’elle ressemble à beaucoup d’autres. Belinda ? Molly ? Monica ? Merde. Il a l’impression d’avoir le cerveau en bouillie, en plus des parties basses.
Ça lui arrive souvent d’oublier le nom d’une nana. L’astuce est de ne pas se faire prendre, car les femmes aiment se sentir importantes, se sentir uniques, se sentir aimées et inoubliables et vénérées. Quel ramassis de conneries. Comme si elles avaient toutes ce que lui recherche.
Il opte pour sa solution habituelle : il continuera à l’appeler “ chérie ”, et puis il essaiera de savoir son nom à l’école ou en dehors, probablement par un autre qui se l’est faite.
« Lake… Lake, je sens que je vais jouir… » halète la blonde, à cheval sur lui.
Lake Pierce la regarde, et décide que c’est le moment de s’investir.
« Okay, chérie » dit-il. « Je m’en occupe » il se relève, la prend par les épaules et l’incline vers le bas, pour alterner les positions. Ils s’embrassent, tout en augmentant le rythme.
Keira serait dégoûtée de savoir qu’il est en train de baiser une inconnue. Elle le traiterait de porc. Keira est le seul nom qu’il ne peut pas oublier s’il ne veut pas perdre ses couilles.
Elle est courageuse, Keira. Un peu agressive, mais courageuse.
« T’es incroyable, chéri ! » murmure la blonde, se détachant momentanément de ses lèvres.
« Tu l’es toi aussi baby… » répondit-il de manière automatique.
Putain, il doit se concentrer !
Il regarde les seins énormes qui dansent sous lui, au rythme des vas-et-vient, et accélère. La fille s’accroche à son dos avec ses jambes et lui plante les ongles dans les bras, gémissant fort. Le lit commence à danser avec eux et la tête de lit se met à battre de manière répétée contre le mur.
Ils s’embrassent à nouveau et Lake ferme les yeux. Les pensées se brouillent et puis s’évanouissent dans un enchevêtrement confus de sensations... Il aime, là, il aime vraiment et il en faut peu, il est en train d’atteindre l’orgasme, il est en train de...
« LAAKE, MON PETIT ! » une voix, derrière la porte, l’appelle et l’instant d’après la lumière de l’après-midi inonde la chambre « Tu n’aurais pas, par hasard, un de ces… »
Madame Pierce entre et remarque que son fils est au lit. Nu. Sur une fille. Nue, elle aussi.
« … Petits chocolats à la liqueur ? » finit-elle.
Les deux se figent et se tournent vers elle.
« Oh, désooléée ! » chuchote-t-elle, en gloussant.
« MAMAN ! » Lake se retire de la blonde et tire vers lui un morceau de drap chiffonné. « CASSE-TOI D’ICI ! » hurle-t-il.
« Je cherchais seulement une de ces petites douceurs… »
« PUTAIN, SORS D’ICI ! » le garçon attrape un coussin rouge feu et le lance vers la porte. La mère la referme rapidement, puis le coussin atteint la porte close, pour finalement terminer sa course sur le sol.
« Vas te faire foutre » .
Il se passe les mains dans les cheveux, exaspéré. La blonde esquisse un demi-sourire et, sans se couvrir, prend une cigarette dans la table de chevet. « Ta petite maman a un sens parfait de l’opportunité » commente-t-elle.
« Je vais prendre une douche » Lake laisse tomber le drap et se met debout.
« Si tu veux, on peut continuer. Je me trompe ou tu n’as pas conclu ? »
« L’envie m’est passée » dit-il. « Et avec tes putains de questions, c’est sûr, elle ne va pas revenir » pense-t-il avec irritation.
Dans la salle de bains, il tourne le robinet d’eau froide et se met sous le jet pour que l’eau lui arrive directement sur le visage. Il tente de se calmer. Tôt ou tard, il faudra qu’il se décide à résoudre cette affaire, car là, c’est arrivé à un point où il ne peut même plus tirer un petit coup tranquille. Il se tourne encore et encore dans la douche, se laissant masser par l’eau afin de se relaxer. Lui viennent en tête uniquement des idées violentes et irréalisables.
Après dix minutes, il en a assez. Il sort, il se sèche et pose les mains sur le lavabo, en se regardant dans la glace. Il sait qu’il serait le seul à essayer d’obtenir quelque chose de bon, mais ce n’est pas juste, car, au fond, ce n’est pas lui le chef de famille. Lui, il est jeune et veut s’amuser. Mais, dans ces conditions, c’est impossible. Tout est tellement morne.
« Ehi, chéri » la blonde entre dans la salle de bains et l’enlace par-derrière. Elle s’est rhabillée.
« C’était quand même génial, tu sais ? Et, pour te remercier, je t’ai laissé un cadeau... »
Elle l’embrasse sur la joue, puis le regarde dans la glace.
« ... Mais, maintenant, je dois filer, parce que j’ai un cours. On se voit sur le campus, okay ? »
Lake lève un sourcil. Sur le campus ?
« Oui... Bien sûr... » fait-il, peu convaincu.
« Et, ne t’en fais pas, on se rattrapera la prochaine fois ! »
« Mais oui... » Lake l’observe prendre son sac et s’en aller.
Quel campus ? Lui, il n’a jamais été à l’université... Il doit encore terminer le lycée... Quel âge a cette nana ? Et, détail encore plus important, à qui pourra-t-il demander son nom si elle ne fréquente pas son école ?
Cette chose l’intrigue. Qui sait, si ça se trouve, dans cette université paradisiaque, elles se donnent toutes aussi facilement ? La nana avait l’air de croire que, lui aussi, la fréquentait... Donc s’infiltrer doit être plutôt facile... Il essaie d’observer son image d’un point de vue extérieur et de voir s’il fait vingt ans. Il a les cheveux châtains, coupés courts, les yeux verts et un joli nez droit. Sa silhouette est mince et, même s’il ne pratique pas une activité régulière, à part le sexe, faire du surf à l’océan lui permet de se maintenir.
« Mais oui. Si je me sape bien, je peux même en faire vingt-deux » se réjouit-il.
Maintenant, il ne lui reste plus qu’à se souvenir de ce qu’il a raconté à la blonde. Ce qu’il a raconté comme mensonge, évidemment. Car, pour accoster ses amies, il doit s’assurer que l’histoire soit crédible, qu’elle tienne debout. Se contredire signifierait donner une mauvaise image et perdre toute occasion.
« Qu’est-ce que Keira m’avait conseillé de manger pour la mémoire ? » se demande-t-il. « Des carottes ? Du poisson ? Peut-être des trucs avec des légumes ? »
Un autre blanc. La barbe. Voilà pourquoi il doit écrire les choses vraiment importantes sur un bloc-notes, rangé dans le dernier tiroir de son bureau. Le carnet de ses conquêtes.
Là-dedans, il y a les noms de toutes les filles avec qui il a été au moins une fois. Elles sont quatre-vingt-six. Quatre-vingt-sept, avec celle-là, mais sans le nom il ne peut pas la rajouter à la liste. Il lui faut faire un effort mental pour une juste cause. Bientôt, il dépassera Casanova, il en est certain.
Il retourne dans sa chambre et trouve les slips sur le radiateur. Il en enfile un.
« Je suis prêt ! » réfléchit-il en ouvrant les rideaux, l’obligeant à cligner des yeux pour s’habituer au soleil aveuglant. « Il y a deux semaines, je m’étais incrusté à une fête universitaire ! C’est là que je l’ai connue ! Et, pour la ramener avec moi en voiture, je lui ai dit qu’on fréquentait le même cours de je ne sais plus quoi... » il enfile un jean et récupère la chemise sous le lit. « ... Parfait. Je dois me souvenir de quel cours c’était et me pointer là-bas pour rencontrer ses copines » .
Il ramasse le coussin par terre, esquissant une grimace à la pensée de la dernière entrée de sa mère, et lorsqu’il le pose sur le lit, il aperçoit le sachet abandonné dans les draps. Il le prend dans ses mains : il est transparent et contient une petite quantité de poudre blanche.
C’est donc vrai : la blonde lui a laissé un cadeau. Et il ne s’agit même pas des habituelles culottes en dentelles, ou de son énorme soutien-gorge.
Il vient tout juste de devenir détenteur de cocaïne.
Génial.
Que doit-il en faire ? La vendre, non, il n’a pas besoin d’argent et il n’en tirerait pas grand chose, car la quantité est minime. Il pourrait appeler quelqu’un avec qui la tester. Son ami Rich, par exemple : même si, à le voir, il semble être un garçon élégant et bien éduqué, en réalité il est le fidèle fournisseur d’une grande partie des lycées de la ville. Il saurait tirer un truc même d’un bonbon moisi, pour récupérer un peu de blé.
Certainement que lui serait partant pour se faire un rail, mais Lake, après quelques secondes de réflexion, renonce à l’appeler : Rich connaît Keira et, à long terme, s’ils faisaient ça ensemble, l’histoire pourrait se savoir. Alors, Keira sortirait de ses gonds, elle le traquerait, elle lui filerait des coups et puis elle lui ferait la gueule pendant des décennies, étant donné qu’elle est opposée aux drogues dures.
« Excuse-moi, mais c’est quoi la différence ? » lui a-t-il demandé un jour, durant une discussion sur le sujet. « Se défoncer avec du shit et des cachetons pendant des années te ramollit le cerveau presque qu’autant qu’une drogue dure, non ? Alors, autant en essayer une, une fois ou deux » .
Keira lui a donné un coup de poing sur le bras lui passant un savon, qui lui a paru une éternité, sur la dépendance créée par les stupéfiants, et sur comment cette dépendance pouvait te tuer, te détruire physiquement et mentalement, et cetera, et cetera. Sa devise est “ Peu et peu souvent ”.
Il sourit en s’étalant sur le lit. C’est une vraie casse-couilles, Keira. Mais, c’est en quelque sorte une façon adorable de s’inquiéter pour lui.
“ Le peu et peu souvent ”, ils l’ont presque toujours respecté, sauf avec l’alcool. Nombreux ont été les week-ends où est resté seul le “ souvent ”, avec l’ajout du “ beaucoup ”, et où ils ont dû se traîner jusqu’à chez eux tour à tour, après des pauses répétées pour vomir.
Au fond, personne n’est parfait.
Lui, il se laisse surtout trop influencer par cette fille. Et elle, qui n’est même pas sur sa précieuse liste, lui détruit les neurones du cerveau plus que n’importe quelle autre drogue ou boisson, et ce n’est absolument pas normal. S’il arrive le moindre problème, il prend de plein fouet sa voix qui lui explose les tympans, elle lui rentre dedans et lui fait son procès, lui donnant toujours l’impression d’être un gros incapable. Il n’entend pas la voix de la raison en lui, il a la voix de Keira qui résonne dans sa tête, et c’est absurde qu’il se laisse manipuler comme un gamin, alors que normalement il se fout royalement de ce que pensent les filles.
« Keira est mon exception » pense-t-il, tout en installant l’oreiller sous sa tête.
Il prend le téléphone dans la poche du pantalon, à l’endroit où il l’avait laissé avant les acrobaties avec la blonde inconnue, et écrit un message : J’ai un nouveau surnom pour toi. The Exception.
Il l’envoie. Il s’étire pour attraper la télécommande de la tv sur la table de nuit et allume l’écran qui se trouve en face de son lit. Il attend.
Le téléphone vibre, signalant l’arrivée de la réponse.
Arrête d’inventer des conneries et ramène ton cul à l’école demain.
« J’adore sa gentillesse... » pense Lake en souriant. Et, alors qu’il réfléchit à la réponse la plus adaptée à envoyer, il s’endort.
Une odeur de nourriture le réveille. Il ouvre les yeux, il bâille et il s’étire, se rendant compte que sa chemise était froissée. Quelle plaie ! Maintenant, il va devoir passer une demi-heure à en choisir une repassée parmi la centaine de chemises qui se trouve dans sa garde-robe.
Le soleil est descendu et il fait déjà noir. Il cherche le plateau-repas déposé, comme chaque soir, par la philippine de service, et le trouve sur une petite table portable au pied du lit. Il s’assoit et le tire vers lui, jetant un oeil au portable : il est en stand-by et il n’a plus reçu aucun autre appel ni message. C’est mauvais signe. Il doit plus s’investir dans les relations interpersonnelles. Il vérifie ses comptes. La semaine dernière, il a dépensé seulement quarante dollars en appels et sms, alors il doit absolument se rattraper s’il ne veut pas risquer de devenir un asocial sans fréquentations.
Il soulève le couvercle du plateau qui se trouve devant lui et se crispe à la vue de la côtelette accompagnée de légumes qui se présente à lui depuis l’assiette. Son père a décrété une alimentation saine et équilibrée pour tout le monde, ce qui, évidemment, pour le cuisinier signifie servir un truc infecte sans aucune saveur. Comme si sa mère pouvait aller mieux grâce à ça : en mangeant moins, elle arrive juste à se soûler plus rapidement.
Il se met à jurer et laisse tomber le dîner. Il ouvre son frigo personnel, en sort un tas de cochonneries à base de chocolat et il envoie mentalement se faire foutre tous les idiots qui sont convaincus que le chocolat améliore l’humeur. Ce n’est pas tout à fait ça. Ça améliore la digestion, à la limite, mais de toute façon ça ne le concerne pas, heureusement ; ça le stresserait trop de devoir se préoccuper aussi de ça.
Après un demi bac de glace, deux sachets de chips et trois bières, il est suffisamment repu et réveillé pour prendre la meilleure décision : sniffer la coke tout seul.
Au moins, pendant un moment, tous ses problèmes familiaux disparaîtront et personne ne sera au courant de son échappée temporaire.
Il n’a jamais touché à ça, mais il a vu Pulp Fiction à la tv, donc il sait en théorie ce qu’il faut faire. Il retourne dans la salle de bain, puis dans un premier temps s’enferme dedans pour ne pas être dérangé durant son initiation. Il s’assoit sur un siège de salle de bains et prend, dans l’un des tiroirs, un miroir qu’il pose sur le lavabo en marbre. Il complète la panoplie avec un billet de banque de dix dollars, tout en pensant qu’en avoir un de cent serait plus cool, mais il a la flemme d’en chercher un. Il veut en venir au but. Il ouvre le sachet et dépose un peu de cocaïne sur le lavabo, puis avec le miroir, il essaie de rendre la ligne plus régulière. Il fait en sorte que la première ligne soit courte, comme ça il ne sera pas trop perché et il pourra se faire une autre tournée si l’effet lui plaît. Il enroule le billet de banque jusqu’à obtenir une fine paille, puis se regarde dans le miroir, celui plus grand, en face du lavabo : ouais, il est en train de devenir un vrai drogué ? Pour compléter cette scène digne d’un film, ce serait génial si, à ce moment-là, une superbe fille faisait irruption dans la salle de bain pour l’implorer de la prendre, elle, plutôt que la drogue.
En réalité, étant donné que la porte est fermée à clé, plus qu’une fille, il s’agirait plutôt de la Femme-Canon... Il retient difficilement un rire qui risquerait de faire voler la poudre dans tous les coins de la pièce.
« Mais, qu’est-ce que j’en ai à foutre » pense-t-il. « Je suis jeune et je n’ai besoin de personne. C’est pas ça qui va me tuer » .
Il porte la paille-billet de banque à son nez, l’approche de la ligne, puis il aspire fortement, en suivant la trace.
L’effet est instantané, explosif, hallucinant, douloureux, pénible, paradisiaque. C’est comme un choc, une bombe en plein dans le cerveau et dans le coeur. Il a envie de tousser, car il n’est pas encore habitué à la poudre, mais il se retient de le faire pour conserver intact l’effet.
Il reste immobile un instant, puis vérifie son état dans le miroir pour être sûr de ne pas être explosé pour avoir semé de la matière cérébrale dans toute la salle de bain. Non, vu de l’extérieur, tout est ok. Juste les yeux sont un peu étranges, l’air presque stupéfait, mais il n’y a pas de quoi s’étonner, parce que, lui aussi, est vraiment stupéfait.
Soudain, il se sent plein d’énergie.
Indestructible, invincible.
Il est prêt à exploser.
« Au diable les emmerdes, cette soirée est en train de devenir fantastique » pense-t-il, en souriant à son image reflétée. Il se lève du siège et se balance un instant sur ses jambes, en proie à une ineptie momentanée. Il cligne les paupières, retrouve l’équilibre et prend le matériel utilisé pour sniffer, plus le reste de la cocaïne, puis cache le tout dans un endroit restreint du réservoir des wc. Ça aussi, il l’a vu faire dans un film, mais bien sûr il ne se rappelle pas lequel. Alors qu’il enfile ses chaussures, il se demande distraitement s’il existe une drogue capable d’augmenter la mémoire. Il devra se renseigner.
Il sort de la chambre et trouve sa mère étendue sur le canapé du salon, en robe de chambre : elle regarde la télévision les yeux mi-clos et elle a posé une bouteille de gin sur le tapis.
« Je sors » lui dit-il et, en passant à côté d’elle, il flaire la puanteur familière d’alcool.
« Chaluutrésorrr... » sa mère agite le bras. « ... Dis bonjour pour moi à ta p’tite amie... » ajoute-t-elle, avec un petit rire qui lui provoqua une série de petits rots.
« Dégoûtante » se dit Lake en rejoignant la porte d’entrée. « Mais elle non plus ne réussira pas à gâcher ma nouvelle humeur. « Pas maintenant » .
La porte se referme derrière lui et il arrête de penser.
Il prend une des voitures de son père dans le garage, il contourne le Garden Park, il s’engage sur Artists Boulevard et se dirige hors de la ville, au Luxuria Palace, le club le plus branché des environs. Il est principalement fréquenté par des jeunes de son âge et des militaires de passage, donc il est quasiment sûr de ne pas y rencontrer la blonde, parce que les jeunes de l’université préfèrent aller dans des endroits plus reculés et, souvent, dans un but précis, pour un concert ou une rave, après avoir passé la semaine dans les confréries ou dans une propriété. Pour l’instant, il serait incapable de mettre en place un plan drague : il veut une approche expéditive et sans règles, avec des personnes inconnues qu’idéalement il ne reverra plus.
Il se gare devant la boîte, il montre la fausse carte d’identité que Rich lui a préparée, il franchit l’entrée tenue par les deux videurs, il traverse le couloir sombre en suivant la musique de plus en plus forte et déboule dans la salle principale, au moment où passe à fond Out of control des Chemical Brothers. Il regarde autour de lui : la boîte est moyennement bondée et en trente secondes il classe les filles présentes dans ses trois catégories habituelles. Soixante pour cent représentent les “ intouchables ”, c’est-à-dire celles qu’il ne pourrait pas se faire, même avec une dose d’héroïne dans le sang ; trente-cinq pour cent sont à classer dans la catégorie des “ normales ”, à savoir fades mais baisables en s’aidant de quelques verres d’alcool ; les cinq pour cent restants sont nommés les “ tops ”, celles qui sont vraiment bien et surtout qui ne sont pas déjà accompagnées. Il ne veut pas avoir d’ennuis. Outre l’identification des filles, son calcul lui permet de rester bien en vue le temps nécessaire pour faire remarquer son arrivée auprès de la gent féminine.
Il sourit. Il a de belles perspectives pour la nuit et il est tout excité.
Tout en restant proche de la piste, il fait un tour rapide de la salle et rejoint le bar pour commander une vodka citron. Il ne connaît pas l’effet combiné de la drogue et de l’alcool, mais il ne prend pas la peine de s’en inquiéter. Les avoir dans le corps tous les deux sera un truc de fou.
« Salut chéri ! » s’exclame une fille en s’accoudant au comptoir, à côté de lui.
Lake se retourne : il y a une brune avec un corps de rêve moulé dans une mini-jupe blanche, et elle fait partie de la dernière catégorie de son classement. Incroyable.
« C’est la première fois que tu viens ici ? Je ne t’ai jamais vu dans le coin » elle l’observe de ses yeux noisette dissimulés par de longs cils.
« Plus ou moins... » Lake reste vague. Ce n’est pas la conversation qui l’intéresse. « Je peux t’offrir un verre ? »
« Volontiers » .
Lake commande un cocktail au barman, puis revient vers elle : « Moi non plus, je ne t’avais jamais vu avant. Et c’est vraiment dommage... »
« Ah oui ? Pourquoi ? » la fille sourit, s’attendant à un compliment.
« Parce que ça veut dire que, jusqu’à maintenant, j’ai manqué un beau spectacle » .
La brune est sur le point de dire quelque chose, mais il ne lui en laisse pas le temps : il la tire vers lui et lui enfile la langue dans la bouche. Elle ne se retire pas. Elle lui rend son baiser.
« Comment tu t’appelles ? » demande Lake, déjà confiant pour son prochain objectif.
« Sisely. Et toi ? » la fille sourit, en lui mettant les bras autour du cou.
« Lake » .
« Okay Lake, que dis-tu de commander une bouteille de ce fantastique champagne qu’ils vendent ici pour fêter notre rencontre ? » la brune met un doigt dans le verre d’un des cocktails et puis se le passe sur les lèvres.
Lake sourit, l’embrasse à nouveau et puis hoche la tête : « Oui, avec le champagne, tu seras encore plus belle » il appelle à nouveau le barman et, pendant ce temps, Sisely trempe le doigt dans le cocktail, le fait glisser dans le cou du garçon et puis le lèche le long de sa gorge. Lake paie la bouteille alors que la fille trifouille déjà sa chemise. Mon Dieu, il est tombé dans un endroit fabuleux.
« Ça te dirait de le boire ailleurs ? » Sisely acquiesce et prend Lake par la main.
Depuis les enceintes réparties dans toute la salle sort It’s our time now des Plain White T’s et Lake pense que ça tombe à pic : oui, c’est le bon moment. C’est vraiment le bon moment. De sa main libre, la brune saisit au vol un cocktail et, sur un déhanchement sexy, traverse la piste de danse pour se planquer dans un petit coin caché par des plantes ornementales. Elle pose le verre sur la table, s’installe sur la banquette en velours et s’approche de Lake. Il soulève le bouchon de la bouteille qu’il renverse sur elle.
« Putain, excuse-moi, chérie » fait-il, absolument pas désolé de voir le décolleté de la fille trempé de vin et reluire sous les lumières stroboscopiques.
« Merde, T’es malade ! Ce vêtement coûte quatre-cents dollars ! » la fille se lève et file en direction des toilettes.
« Attends, tu peux te nettoyer après... » Lake essaie de la rattraper, mais elle est plus rapide et elle lui échappe. « ... Ou je peux t’aider moi... » lui crie-t-il après.
Aucune réponse. Volatilisée, tout comme son espérance de conclure tout de suite.
Il devrait apporter avec lui le reste de la coke, pour en reprendre dans des moments comme celui-ci.
Mais peu importe, il peut toujours se consoler avec le champagne, juste pour ne pas le gaspiller, et reprendre la chasse.
Il boit la bouteille directement au goulot, c’est alors que deux ruisseaux se mettent à couler depuis les extrémités de ses lèvres. Il se rend compte qu’il ne sent plus sa bouche. Le vin n’a presque pas de goût.
« Voilà les effets collatéraux » pense-t-il. Il se lève de la banquette, retourne sur la piste et, joignant la foule qui danse, il lève la bouteille au-dessus de la tête et crie : « VIVE LES EFFETS COLLATÉRAUX ! »
Quelques filles, juste à côté, lui répondent avec des hurlements d’approbation et se mettent dessous pour boire le champagne que Lake fait couler vers le bas.
Il est en train de se frotter à elles quand quelqu’un lui touche l’épaule et le retourne :
« Ehi, imbécile, tu m’as déjà oublié ? » la brune d’avant lui encercle le cou d’un bras. « J’ai ramené une amie ! » lui hurle-t-elle dans le brouhaha de la musique, en indiquant une fille noire au corps plantureux.
« GÉNIAL ! » Lake les enlace et propose de retourner dans le petit coin.
Pour boire. Et être plus confortables.
Il ouvre les yeux dans la pénombre. Une, deux, trois fois. Il met au moins plusieurs minutes à reconnaître les murs de sa chambre.
Les rideaux, tirés, empêchent la lumière d’entrer, ce dont il est extrêmement reconnaissant. Il se sent épuisé et souhaite seulement se rendormir.
« Comment est-ce-que... ? J’étais en train de danser en boîte, et puis... »
Comment est-il rentré à la maison ? Pourquoi est-il rentré à la maison ? Où sont toutes ces filles qui hurlaient ?
Il est sur le point de se lever et de regarder autour de lui, mais un mal de tête éclate, lui perforant les tempes. Il retourne se plonger dans son coussin et, avec un effort de volonté, empêche son estomac de se retourner.
Durant sa brève remontée en surface du lit, il a seulement pu constater qu’il portait encore les vêtements de la soirée de la veille.
Une chose est sûre : il a trop bu. Plus que bu.
Il y réfléchira. Oui, il réussit à revoir les bouteilles de champagne se multiplier sur la table dans le petit coin où lui et les filles ont fait la fête. À un moment donné, l’alcool les avait tellement désinhibées qu’elles ont commencé à enlever leurs vêtements. Et lui, il les a suivies.
Fabuleux. Il est presque sûr d’en avoir baisé deux. La brune ? La belle panthère noire ?
Sa tête n’arrive pas à se souvenir jusque là.
Il tâte les poches de son jean pour trouver le portable. Il veut savoir quelle heure il est. Il ne le trouve pas. Il s’hasarde à tourner la tête de quelques degrés, dans l’espoir de l’avoir laissé quelque part dans la chambre, et il a de la chance : il est sur la table de nuit, avec le portefeuille. Un autre point en sa faveur : il n’a même pas été volé pendant la nuit. Très bien.
Il l’attrape, appuie sur une touche au hasard et l’écran s’illumine : seize heures.
Seize heures ? Quatre heures de l’après-midi ?
Bon sang, ce qu’il a dormi. Qui sait à quelle heure il est rentré ?
Il a un message sur son téléphone. Il l’ouvre. Il est de Keira qui dit : Où est-ce que t’es passé, idiot ?
Il sourit. Il a manqué un autre jour d’école. Quel dommage.
Il retourne à ses préoccupations fondamentales : s’il était en train de s’occuper de toutes ces filles dans le fond de la discothèque, comment se fait-il, qu’aujourd’hui, il soit seul à la maison sans aucun souvenir de ses prouesses ? Il vérifie dans ses contacts s’il a au moins ajouté leurs numéros de téléphone, afin de pouvoir réitérer l’expérience. Il ne voit aucun nouveau nom.
Ça craint. Il faudra qu’il écrive le mot “ anonyme ”dans son carnet.
Il médite sur le fait de sniffer le reste de la coke, pour rendre plus amusant le lendemain de cuite, mais finalement il décide qu’il en a trop peu, et que c’est mieux de la garder pour une autre soirée.
Il laisse glisser le téléphone sur le lit. Il reste quelques minutes à moitié endormi. Puis, une pensée lui traverse l’esprit, le réveillant complètement : ils l’ont jeté dehors.
Surexcités, lui et les filles ont foutu un peu le bordel, et dans le petit coin, il y avait une foule si dense que les mecs de la sécurité les ont chassés, menaçant d’appeler la police.
[Vidéo numéro 77. 03 : 02]
Après quoi, complètement bourrés, ils sont allés dans la boîte d’à côté pour poursuivre ce qu’ils avaient commencé. Puis, les filles ont disparu. Ou elles ont trouvé d’autres garçons. Ça, il ne le sait pas. Il sait qu’il s’est écroulé et que le propriétaire l’a réveillé au moment de la fermeture.
Sorti de là, il est resté une demi-heure sur le trottoir, à rire de l’enseigne de la boîte. Nom de Dieu, il avait passé les dernières heures dans un bar gay.
Le trajet jusqu’à la maison est un trou noir total. Il ne saurait même pas dire s’il l’a fait à pied ou en voiture. Il devrait se lever pour aller voir dans le garage... La veille au soir, il avait laissé la voiture... devant la boîte ? Ou le parking était plein ? Ou il l’a abandonnée au milieu de la route ? Il l’a offerte à un inconnu ?
Trou noir.
Il récupère le téléphone et fait un numéro. À la troisième sonnerie, une voix répond.
« Tu connais une technique pour retrouver la mémoire ? » demande-t-il.
« Tu t’es complètement ramolli le cerveau ? » répond Keira.