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AVANT-PROPOS.

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Table des matières

EN prouvant que les hommes n’ont point été originairement divisés en classes distinctes, mais ne forment qu’une seule et même famille; en démontrant, en un mot, l’unité du genre humain, les écrits de Buffon, de Zimmermann, de Cabanis, de Leclerc et de Blumenbach, n’ont pas rendu moins évidentes les variétés qu’il peut offrir. Peut-être même pourrait-on trouver que les naturalistes aient, en général, trop restreint le nombre de ces variétés, et reconnaître qu’indépendamment de ces caractères principaux qui, se transmettant par voie de génération, ne peuvent s’effacer qu’insensiblement et au bout d’un temps considérable, et qui forment ce qu’on nomme improprement les races, il soit possible de rencontrer, dans l’examen particulier de chaque peuple, des différences assez tranchées pour servir de fondement à une multitude de divisions secondaires, mais toutes d’une égale importance. Quel que soit le nombre de ces divisions, tous ceux qui ont apporté un esprit philosophique dans l’étude de l’homme, sont d’accord sur les causes qui les produisent; tous les trouvent dans l’action constante et perpétuelle du climat sur l’économie humaine; tous montrent l’homme comme une image fidèle de la portion du globe qu’il habite. Omnia quœ è terrâ proveniunt, terrœ ipsius naturam recipiunt ac sequuntur, a dit Hippocrate: chaque latitude a son empreinte, chaque climat sa couleur . Mais, bien que le climat proprement dit ait produit des changemens assez remarquables pour servir de base à la distinction principale des variétés de l’espèce, il ne faut certainement pas en conclure qu’il soit besoin de causes aussi puissantes pour produire des différences parmi les hommes; l’observation la plus légère prouvera que l’exposition du sol, sa fertilité, sa sécheresse ou son humidité , la nature des vents, celle de l’air ou des alimens, ne sont pas des causes moins actives, et suffisent pour rendre compté de la différence des caractères physiques et moraux qu’on rencontre parmi les individus qui habitent le même pays, souvent la même ville. La recherche des causes de ce changement n’intéresserait le médecin que d’une manière accessoire, si elles se bornaient seulement à modifier l’homme dans l’état de santé parfaite; mais comme elles exercent encore une impression plus profonde, une action plus marquée, lorsque l’harmonie qui, dans cet état, existait entre les diverses fonctions, est rompue, leur étude approfondie devient ici du plus haut intérêt, et non-seulement jette le plus grand jour sur l’étiologie, mais rend raison des nuances infinies, des caractères même assez souvent très-saillans qui séparent les maladies renfermées dans les mêmes cadres nosologiques. Un examen comparatif des maladies décrites dans des pays différens, y fera toujours reconnaître, indépendamment de la fréquence ou de la rareté de quelques-unes, ici une différence sensible dans leur marche ou leur invasion, là une prédominance de quelques symptômes qu’on remarquerait à peine ailleurs. L’importance qu’attachait Baglivi à noter en tête de ses observations le lieu où elles avaient été recueillies, prouve assez combien il était pénétré de cette vérité. Avant de porter, en effet, un jugement trop prompt sur la fidélité d’une observation, on devrait examiner scrupuleusement toutes les circonstances qui environnaient ceux qui en ont fourni le sujet; car si des auteurs, auxquels il serait difficile quelquefois d’assigner la prééminence en mérite, offrent quelque contraste dans leurs descriptions, c’est que l’un donnait le résultat d’une expérience acquise dans un grand hôpital, celui-ci écrivait dans une ville, et celui-là observait dans la retraite le paisible et simple villageois. Or, la nature de l’homme malade était trop susceptible pour que chacune de ces circonstances ne produisît pas des effets particuliers. Maintenant, quand il a fallu déduire de ces observations diverses des corollaires qui servissent de principes élémentaires à la science; c’est-à-dire quand on a voulu désigner les signes généraux qui caractérisaient telle ou telle maladie, fallait-il faire autant de descriptions particulières qu’il y avait de circonstances susceptibles de les faire varier; ou bien se borner à prendre pour toutes des termes moyens, en appuyant particulièrement sur les caractères liés à l’essence même de la maladie, et qui sont presque invariables? La dernière de ces méthodes ayant prévalu, les pathologistes ont isolé chaque maladie, et l’ont présentée avec ses symptômes propres ou du moins les plus fréquens, abstraction faite de tous les accidens étrangers, d’une multitude d’épiphénomènes accessoires qui peuvent en faire changer l’aspect; en observant toutefois que la plupart des symptômes peuvent varier suivant la constitution atmosphérique, le sexe, l’âge, le tempérament, la profession, le régime du malade, et renvoyant à l’étude de la physiologie et de l’hygiène, la recherche du mode d’action de chacune de ces causes et de leur influence abstraite ou simultanée. La connaissance exacte de tout ce qui environne les habitans du pays où il veut exercer sa profession d’une manière honorable et distinguée, est donc, pour le jeune médecin, le premier but qu’il doit se proposer; car l’habileté avec laquelle il saura saisir les diverses modifications à apporter dans les principes généraux de traitement, le distinguera bientôt de celui qui aura dédaigné ces recherches.

Si les ouvrages d’Hippocrate sont une source éternelle où la médecine-pratique ira sans cesse puiser et s’enrichir, son Traité de l’eau, de l’air et des lieux, servira éternellement de guide à tous ceux qui voudront étudier l’influence du climat sur l’homme; c’est dans cet ouvrage, qui offre partout l’empreinte d’une méditation profonde et les vues philosophiques les plus élevées, qu’on voit le savant et respectable vieillard observer, avec une exactitude dont lui seul est capable, les rapports intimes de l’homme avec tout ce qui l’entoure, décrire les nuances et les formes différentes qu’imprime au corps humain chaque région de la terre, et se servir avec habileté des liens qui unissent étroitement le physique et le moral, pour expliquer les mœurs, les goûts, les diverses conventions sociales, le degré d’énergie et de courage de chaque peuple. Montesquieu écrivit plus de deux mille ans après Hippocrate; il ajoute de grandes idées à celles du père de la médecine, développe ses principes avec une éloquence brillante et une dialectique profonde, en fait une heureuse et juste application aux institutions politiques; et l’Esprit des Lois, en plaçant son auteur au rang des publicistes les plus célèbres, devient l’un des ouvrages qui ont le plus contribué à la gloire littéraire et philosophique du dix-huitième siècle. Mais Hippocrate ne s’arrêta pas à l’étude de l’homme sain; il décrivit, avec la dernière exactitude, les maladies épidémiques, conseilla d’avoir égard non-seulement à la différence des âges, des sexes et des tempéramens, mais insista particulièrement sur les exercices, les coutumes et la manière de vivre des malades, et décida judicieusement que la constitution de l’air ne suffit pas pour expliquer pourquoi les maladies épidémiques sont plus cruelles pour les uns que pour les autres: La première chose, dit ce grand homme, que doit faire un médecin en arrivant dans une ville qu’il ne connaît pas, c’est d’examiner avec soin son exposition par rapport aux vents et aux differens levers et couchers du soleil; parce qu’il y a bien de la différence entre une ville exposée au nord et celle qui l’est au midi, entre une ville exposée au levant et une autre qui l’est au couchant; il doit de plus considérer si le sol est nu et sec, ou couvert d’arbres et humide; s’il est enfoncé et brûlé par des chaleurs étonnantes, ou si c’est un lieu élevé et froid; il doit enfin examiner le genre de vie et le régime auxquels les habitans se plaisent davantage. C’est de semblables observations qu’il doit partir pour juger du reste. Le médecin qui sera instruit de toutes ces circonstances, ou du moins de la plupart d’elles, sera en état de bien connaître la nature des maladies qui sont particulières à la ville où il arrive pour la première fois, ou qui sont communes à tous les pays, de manière qu’il ne sera ni embarrassé dans leur traitement, ni exposé aux erreurs que doivent naturellement commettre ceux qui négligent ces connaissances préliminaires. «Tel est l’homme sur la terre, au milieu de ses

» productions sans nombre devenues son inépuisable

» héritage. S’il est le dominateur de presque

» toutes, il est aussi plus ou moins modifié par

» l’usage de toutes; elles lui communiquent diversement

» de leur propre nature. L’air, le sol, le

» territoire, la chaleur, la froidure, le jour, la

» nuit, le régime végétal et animal, la chair du

» quadrupède ou du poisson, la fécule des céréales

» ou le fruit sucré des palmiers, le moût fermenté

» du raisin ou l’infusion de la feuille du thé , le

» vêtement de soie ou les tissus de coton et de

» laine, tout nous change, excite, ralentit, altère

» le concert de nos fonctions; et si nous considérons

» encore que telles plaines fertiles sont propres

» à l’agriculture, à la vie civilisée, tandis que telle

» chaîne aride de montagnes, ou tel désert de

» sables ou de rocailles, ne peuvent nourrir que

» des tribus errantes ou des peuplades sauvages;

» que des rivages poissonneux, des îles, des archipels

» portent à une vie commerçante et maritime,

» libre et agitée comme les flots et les tempêtes,

» nous comprendrons comment l’homme

» n’est sur la terre que ce que l’a fait la nature. Il

» établit d’après elle ses institutions; il modifie ses

» lois suivant les conditions où elle le place; il

» éprouve les affections endémiques circonscrites

» en chaque lieu; il a divers genres de santé

» comme de maladies. S’il traverse une zone pour

» en habiter une autre, il est forcé de s’acclimater

» ou de périr, et cette plante humaine a dû être

» formée la plus flexible, la plus molle, la plus

» variable de toutes les autres productions du

» globe, pour se naturaliser si universellement à

» la surface de notre planète.» (Virey, Dictionnaire des sciences médicales; Géographie médicale.)

Une multitude d’observations recueillies par quelques voyageurs infatigables, sur les maladies des peuples des climats éloignés, fit sentir combien serait importante pour la médecine l’étude exacte et rigoureusement déterminée des liaisons que présente la constitution physique et morale de l’homme avec le pays qu’il habite; étude dont les difficultés étaient naturellement aplanies par les progrès de la physique, qui fournissait les instrumens propres à calculer les diverses conditions et les influences de l’air atmosphérique. Plusieurs Mémoires, rédigés dans ces vues, parvinrent à la société royale de médecine, et réveillèrent l’attention de cette célèbre compagnie sur ce genre de recherches dont elle prévit les heureux résultats; et l’empressement qu’elle mit à demander à ses correspondans des détails topographiques sur les lieux qu’ils habitaient, donnait droit d’espérer qu’en rassemblant et en classant avec méthode les observations éparses, on obtiendrait une topographie générale de la France, et par suite une géographie médicale complète qui nous manque encore, et qui eût si évidemment hâté les progrès de la science. Une semblable marche, adoptée par les médecins, n’aurait point assurément pour résultat de résoudre une de ces questions frivoles capables de satisfaire une vaine curiosité , ou d’ajouter au luxe de littérature médicale; mais, en rendant raison des variétés sans nombre dont sont susceptibles toutes les maladies, et des causes qui les déterminent, elle éclairerait l’hygiène publique et fournirait des indications du plus haut intérêt pour la médecine-pratique.

En examinant les topographies médicales insérées parmi les Mémoires de plusieurs sociétés savantes, ou faisant partie de la collection des thèses inaugurales des diverses facultés, on est étonné de ne rencontrer presque partout que des propositions d’hygiène, applicables à une contrée entière, ou à un département, et de voir les grandes villes, pour ainsi dire, oubliées, ou n’être indiquées que comme servant de point de départ dans la description générale. On reconnaît bientôt combien sont peu spécieux les motifs qui doivent servir d’excuse à une pareille manière de voir: en effet le premier de ces motifs, c’est que l’heureux habitant des villes sait, par son industrie et tous les moyens dont il peut disposer, maîtriser, pour parler ainsi, la nature, et rendre nulles pour lui les influences plus meurtrières. Si l’homme des champs éprouve plus vivement les dures impressions du climat proprement dit, il respire un air qui n’est pas souillé par les émanations qui s’élèvent de rues étroites, bourbeuses et encombrées, qui n’est pas infecté par l’accumulation de familles nombreuses dans la même maison, souvent dans la même pièce. Liberté , sérénité de l’air, paysages agréables, promenades faciles, tout concourt dans sa paisible retraite à entretenir chez ce dernier la paix de l’ame et la santé du corps; et si des travaux excessifs et trop continus abrègent souvent, il est vrai, la longueur de sa vie, il reste, du moins pendant sa durée, le plus ordinairement étranger à une foule d’affections nerveuses qui naissent du commerce même de la société, et qui sont si fréquentes dans les grandes cités, au milieu du tumulte des villes populeuses, dont les habitans sont énervés, les uns par les excès de la mollesse, de l’oisiveté, du luxe et des plaisirs, les autres accablés sous le poids du travail, des vices crapuleux et du désespoir qu’engendre le tableau de leurs misères opposé à la fortune de leurs voisins. «Les hommes, dit l’éloquent Rousseau, ne sont pas faits pour être entassés en fourmilière; plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent. Les infirmités du corps, ainsi que les vices de l’ame, sont l’infaillible effet de ce concours trop nombreux. L’homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeau. Des hommes entassés comme des moutons, périraient tous en très-peu de temps.» Otons à cette idée ce qu’a pu lui donner d’exagéré le voile de la mélancolie à travers lequel voyait souvent le citoyen de Genève, et nous aurons une vérité incontestable. L’expérience de tous les siècles n’atteste-t-elle pas, en effet, que c’est dans les grandes villes que les agens de destruction s’accumulent, se multiplient et déploient toute leur funeste activité ? Mais les causes qui produisent d’aussi grands maux sont indestructibles, puisqu’elles sont une suite inévitable de la réunion d’un grand nombre d’individus dans une étroite circonscription. En s’élevant à leur considération, la médecine parvient à connaître leur nature et leur mode d’action; et, si elle n’est jamais assez heureuse pour les annuler toutes, elle propose du moins les moyens de modérer ou d’enchaîner leur activité et de suspendre leurs effets destructeurs. La police de salubrité n’est donc, à proprement parler, que l’hygiène publique mise en action; elle recherche et surveille toutes les causes qui peuvent altérer la santé publique, pour les détruire ou les éloigner, les suspendre ou les affaiblir; elle s’exerce en conséquence sur l’habitation du citoyen, sur l’air qu’il respire, les alimens dont il se nourrit, et même sur ses habitudes sociales; l’homme opulent dans ses plaisirs, le laborieux artisan dans ses ateliers, l’indigent dans son réduit obscur, reçoivent ses bienfaits, éprouvent indistinctement l’heureux effet de son exercice.

Maintenant est-ce avec plus de fondement qu’on a objecté que les changemens à faire dans les villes, sous le rapport de la salubrité , que l’hygiène publique, ne regardaient que faiblement le médecin et étaient du ressort immédiat du gouvernement et de ses préposés? Mais dans quelle vue présume-t-on que le gouvernement se charge de l’instruction première des médecins, accorde des distinctions et des marques particulières de faveur à toutes les sociétés médicales, si ce n’est de leur imposer l’obligation de dévoiler à sa sollicitude tout ce qui pourrait conspirer contre la santé de leurs concitoyens, et de diminuer, de concert avec lui, les causes si nombreuses d’insalubrité que recèlent les grandes réunions? Quelle part n’ont pas eue à la gloire de nos armées ces hommes philanthropes, ces médecins dont le zèle et l’activité égalèrent le savoir, et qui préservèrent si souvent nos soldats des périls auxquels les exposaient un air vicié par tant de corps en putréfaction, et leur apparition brusque sur une terre étrangère? Il ne pouvait être indifférent pour ces phalanges victorieuses de camper au voisinage d’un marais ou dans un lieu sec et élevé, de choisir une plaine exposée au vent du nord plutôt qu’au sud, d’adopter indifféremment tel genre de vie et de nourriture, de se permettre l’usage des eaux de ce fleuve, et de proscrire celles de celui-là. Qu’on examine les écrits où ces hommes nous ont communiqué le fruit de leur expérience, et on ne trouvera la description d’aucune maladie régnant d’une manière générale, sans qu’elle ne soit précédée d’un examen détaillé, d’une topographie exacte des lieux qui en ont été le théâtre.

Topographie médicale de Paris

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