Читать книгу Topographie médicale de Paris - Claude Lachaise - Страница 4
INTRODUCTION.
ОглавлениеPARIS cette ville immense qu’on nomme à juste titre la métropole de l’univers, la capitale de l’esprit et des arts, le séjour favori du luxe et des plaisirs, a offert de tout temps un champ fertile aux réflexions du philosophe, du politique et de l’historien. Les premiers, appuyant sans cesse sur l’inconstance et la légèreté de ses habitans, ne leur rendent même pas la justice de remonter à la source de ces prétendus défauts, ou se plaisent à en donner des explications assez peu plausibles. Les historiens cherchent dans les débris de l’antiquité à reconnaître l’origine de son nom ou à découvrir l’époque de sa fondation, donnent des renseignemens plus ou moins exacts sur les accroissemens qu’il a successivement éprouvés, décrivent ses monumens; mais tous négligent ce qui a rapport à la santé de ses habitans, ou Wseules lignes qu’ils consacrent à ce sujet ne sont placées çà et là que comme des supplémens à des matières faussement jugées plus importantes. Cependant, quoique Paris ait été rarement le théâtre d’épidémies, ces fléaux destructeurs qui ont tour à tour ravagé les grandes villes, il serait contraire au raisonnement et à l’expérience de présumer qu’il ne renferme aucune cause d’insalubrité ; ces causes sont constamment en raison directe du nombre des habitans d’une ville, et du peu d’espace qu’elle occupe eu égard à ce nombre; on est seulement en droit de conclure que nulle part la police n’exerce une surveillance aussi active. Avouons cependant que cette surveillance est souvent en défaut, et qu’il existe mille abus qui échappent à l’œil de l’autorité, ou sur lesquels elle ne saurait étendre son action, et dont le médecin peut souvent reconnaître seul les funestes effets.
On a plein droit, sans doute, d’être étonné, surtout depuis le renouvellement des sciences physiques en France, que l’histoire médicale de la capitale ait fourni la matière d’un si petit nombre d’ouvrages, Observons néanmoins que le plan généralement adopté pour toutes les topographies médicales, et dont quelques thèses inaugurales offrent de beaux modèles, est plutôt applicable à un département entier qu’à une ville considérée d’une manière abstraite; et que l’importance que plusieurs médecins ou naturalistes attachèrent (pour Paris ) à l’étude de certains objets qui entraient à la vérité dans le plan général, mais qui, pour une grande ville, ne devaient être envisagés que comme tout-à-fait accessoires, ou simplement indiqués pour compléter le cadre, durent constamment détourner de l’idée d’une topographie complète, ou du moins exagérer les difficultés qu’on aurait à vaincre pour son exécution. Des moyens plus qu’ordinaires durent paraître indispensables pour l’étude de l’air atmosphérique et de l’influence sur le corps humain des substances diverses qui le constituent, quand la description des carrières de cette ville, l’analyse de ses eaux minérales, l’étude des plantes qui croissent naturellement ou artificiellement sur son sol, l’histoire des milliers d’insectes et autres animaux qui peuplent ses environs, avaient déjà exercé la plume de quelques hommes d’un mérite supérieur, et donné séparément naissance à plusieurs ouvrages aussi remarquables par leur volume que par l’exactitude des descriptions et l’érudition qui les enrichit.
M. Ménuret, le même qui fit insérer dans le Journal de médecine militaire plusieurs observations intéressantes sur l’influence de la position des pays, publia cependant en 1786, sous forme de lettres, un Essai sur la topographie physique et médicale de Paris. Cet ouvrage contient des vues générales de quelque intérêt, mais manque essentiellement de descriptions positives, de faits propres à la ville; l’auteur multiplie à chaque instant les digressions étrangères à son sujet, et, quand il s’agit de faire quelque application médicale, il semble se complaire à n’employer que le vieux langage de, la médecine, et à se tenir constamment beaucoup au-dessous de l’état de la science; on peut en juger par ces phrases extraites de la seconde édition qui a paru en 1804: «J’envisage d’abord la position de la ville relativement au feu, à l’air, à l’eau et à la terre, les quatre élémens.... (en développant les causes qui expliquent la fréquence ou le caractère de quelques maladies ): la bile, ayant peu d’activité, s’épaissit facilement, s’arrête dans les couloirs, les engorge, donne lieu par là aux resserremens du ventre, aux jaunisses, aux coliques hépatiques, aux embarras et obstructions du foie.... L’humidité de l’air concourt principalement à amener cette dégénération fréquente qui forme les différens épanchemens de sérosité dans les capacités, et surtout dans le tissu de la peau.... Le travail et la contention d’esprit affaiblissent le ressort de la tête.... De toutes les humeurs qui peuvent former un, aiguillon propre à agacer les nerfs, il n’y en a point de plus puissant que celui que fournissent les humeurs utérines, altérées par leur séjour ou leur reflux.» Au reste l’étendue de l’ouvrage justifie pleinement le titre d’Essai que l’auteur lui a donné lui-même, car il forme un volume de 500 pages environ, format in-12, et dont 150 à peu près sont consacrées à des réflexions sur l’électricité, le magnétisme, l’inoculation et la vaccine.
Un médecin, nommé Audin-Rouvière, a aussi publié une légère dissertation sur les substances qui peuvent influer sur la santé des habitans de Paris; ce travail semble avoir été copié sur le même modèle que le précédent; seulement il a été réduit à des proportions plus faibles, et écrit avec aussi peu de précision; mais l’auteur y a ajouté une description succincte des différens hôpitaux et hospices de cette ville.
Cependant le besoin d’un travail plus complet se faisant sentir, en même temps que le nombre des matériaux disponibles pour sa confection donnait lieu de l’espérer, plusieurs sociétés engagèrent de nouveau les médecins à s’en occuper; et à différentes époques, quelques philanthropes, médecins ou magistrats, proposèrent, par l’intermède de ces mêmes sociétés, des sommes d’argent ou des médailles pour celui qui approcherait le plus près du but. Sans obtenir entièrement le résultat désiré, ces propositions excitèrent néanmoins le zèle de quelques jeunes médecins, et il parut successivement plusieurs Mémoires sur la description médicale de divers quartiers. Le plus remarquable est, sans contredit, celui de la division des Areis, que M. Nacquart lut à la séance de rentrée de la Société de médecine, le 30 octobre 1809.
Je suis loin, sans doute, d’avoir la prétention de donner à l’ouvrage que j’offre, sur la topographie médicale de Paris, tous les développemens dont il est susceptible; une semblable tâche serait aisément jugée au-dessus de mes forces, si déjà un arrêté des membres du Conseil de salubrité, qui décidèrent de l’exécuter eux-mêmes, ne prouvait suffisamment qu’elle exigeait les connaissances les plus étendues; et si d’autre part, l’ajournement indéfini de cette entreprise ne faisait pressentir les difficultés qu’on aurait à vaincre et le temps qu’elle nécessiterait. Je crois seulement avoir donné à cette histoire médicale plus d’étendue qu’on ne l’avait fait jusqu’à présent, et être entré dans des détails dont l’omission me semble être la première cause du caractère incomplet que présente tout ce qui a été écrit à ce sujet, et dont la connaissance est assurément de quelque intérêt pour la médecine pratique. Mon intention n’était pas primitivement de donner de la publicité aux observations de genres divers que j’avais recueillies à différentes époques; quelqu’abus qu’on ait fait dans les préfaces de cet aveu d’insuffisance, je dois à la vérité de dire que mon premier but en cela était de m’instruire, et de chercher ainsi à parvenir, d’une manière insensible, à la juste appréciation des causes qui pouvaient imprimer une nature particulière aux maladies que j’aurais à traiter dans une ville où je m’étais constamment proposé d’exercer la médecine. Ayant, par la suite, rapproché ces diverses observations pour en déduire des conséquences générales, j’ai tracé un tableau synoptique qui m’indiquât la place relative que chacun des faits devait occuper pour que leur ensemble prît la forme d’un corps complet. Me trouvant alors plus à même de juger des peines qu’un semblable travail occasionerait à celui qui voudrait l’entreprendre d’un seul trait, j’ai cru devoir rendre le mien public, et j’ai été guidé en cela autant par la certitude d’éviter aux jeunes médecins des recherches souvent difficiles et toujours peu attrayantes, que par l’espoir de contribuer réellement, pour ma part, en quelque chose au bien-être de mes concitoyens. Je pressens à combien d’objections donnera naissance une telle prétention. La première sera, sans doute, que l’histoire médicale d’une ville ne peut sortir que de la plume d’un homme qui s’y livre à l’exercice de la médecine depuis un grand nombre d’années; j’en reconnais toute la justesse, mais j’observerai que, pour Paris, une telle occupation paraîtra toujours incompatible avec les agrémens d’une clientelle nombreuse et brillante. Quant aux médecins qui se livrent particulièrement à la partie scientifique ou littéraire de l’art, ils préféreront traiter une matière neuve qui contribuera plus directement à leur gloire. Le peu d’empressement qu’on a, jusqu’ici, apporté à répondre aux demandes réitérées d’une topographie médicale complète de Paris, et que l’Académie royale de médecine a cru devoir renouveler dans une de ses premières séances, par l’organe de l’un de ses membres les plus distingués, M. le docteur Double, montre que dans ce que j’avance je m’éloigne peu de la vérité. Or, je crois qu’il vaut mieux que le travail laisse quelque chose à désirer, que de voir des vœux tant de fois émis rester constamment sans résultat. D’ailleurs, quel encouragement flatteur et quel heureux présage de succès ne trouvais-je pas dans l’approbation dont l’Académie a daigné honorer cet ouvrage, sur le rapport que lui en a fait, dans sa séance générale du 26 décembre, l’illustre professeur Chaussier, au nom de la commission qu’elle chargea de l’examiner et de lui en rendre compte?
Il restait maintenant à savoir quelle méthode, ou mieux, quel plan je suivrais dans l’examen des divers agens qui pouvaient avoir une influence quelconque sur la santé des Parisiens, ou sur le caractère de leurs maladies; j’avoue que j’ai pensé ne devoir m’astreindre en cela à aucune marche adoptée ailleurs; persuadé qu’il n’y avait rien d’irrévocablement déterminé à cet égard, j’ai classé les matières dans l’ordre qui m’a semblé le plus convenable, pour qu’elles fussent rapprochées selon les points de contact ou les rapports d’affinité qu’elles offraient mutuellement.
Cet ouvrage se compose de cinq chapitres, eux-mêmes divisés en plusieurs paragraphes.
Le premier chapitre comprend la position relative et directe de la ville, sa figure, son étendue, une légère esquisse des accroissemens qu’elle a successivement reçus, et tout ce qui a rapport à sa température, prise dans un terme moyen pour chacune des différentes époques de l’année.
Le second, l’histoire naturelle du lieu même et de ses environs; c’est-à-dire: 10 l’étude du sol proprement dit, des diverses sortes de terrain qui le constituent, et des sources mi nérales qu’il renferme; 2° des réflexions générales sur le caractère que le climat imprime aux plantes, l’indication de celles qu’on rencontre le plus fréquemment parmi les vénéneuses, et l’époque de la floraison d’un grand nombre de végétaux; 3° une notice sur plusieurs espèces animales venimeuses,
Le troisième, un examen des causes principales qui peuvent avoir une influence marquée sur la salubrité de Paris, tant celles qui dépendent des localités, que celles qui sont propres à la ville elle-même; ainsi dans le premier cas, les rivières, les différentes inégalités du sol, les eaux stagnantes, les forêts; dans le second, la construction des habitations, la disposition des rues, l’influence des arts et métiers, des voiries et des cimetières sur l’air atmosphérique; enfin seront consignées dans ce chapitre des observations détaillées d’hygiène publique et privée, propres à chacun des douze arrondissemens, et aux différens quartiers qui les composent.
Le quatrième chapitre contient tout ce qui est directement relatif à l’étude physique et morale de l’homme; des paragraphes particuliers seront destinés, 1° au mouvement général de la population, c’est-à-dire, au nombre des habitans, des mariages, des naissances, des décès, et aux différentes réflexions médicales ou médico-philosophiques qui se rattachent naturellement à chacune de ces matières; 2° au tableau de la constitution physique et morale du Parisien, et à l’influence de cette constitution sur la cause, la nature et la marche de plusieurs maladies; 3° à la nourriture et aux différens genres d’exercices.
Enfin le cinquième et dernier chapitre est entièrement réservé à la coïncidence des maladies avec les principales époques de l’année; rapport des saisons et des maladies que la médecine-pratique désigne sous le nom de constitutions médicales. A cette occasion j’ai cru indispensable de rappeler la part pour laquelle chaque mois contribue à compléter le nombre total des décès que présente l’année moyenne.
Ayant cherché à donner à ce travail la forme d’une hygiène parisienne, j’ai senti combien la description des objets qui devaient le composer, exposée d’une manière abstraite, eût été monotone et même peu importante; aussi le plus ordinairement j’ai fait suivre ou précéder leur examen positif de l’état désirable; j’ai déterminé de combien chacun de ces objets s’éloignait de cet état, et tâché de désigner la voie par laquelle on pourrait les ramener à des conditions plus favorables. Sans doute on s’attend à rencontrer, dans la topographie médicale d’une grande ville, des considérations relatives aux différens hospices et hôpitaux qu’elle renferme. Je conçois que d’immenses avantages doivent résulter de l’histoire médicale de ces théâtres de la douleur, de cet asile des calamités humaines; mais, craignant que leur description ne m’entraînât au-delà des bornes que je m’étais prescrites, j’ai jugé convenable de me borner à les indiquer, me réservant d’amples détails pour un ouvrage que je me propose de publier, dans d’autres temps, sur la statistique médicale des établissemens publics les plus remarquables de la ville de Paris; je regarde même comme une véritable digression, la réfutation de quelques-uns des motifs qui semblaient avoir décidé le transport de l’hôpital principal ( l’Hôtel-Dieu ), dans un lieu plus convenable.