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Quatrième Pamphlet.

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Table des matières

Voyez un peu comme j’étais sot. Je me figurais que j’étais le seul pamphlétaire dela Nièvre; que j’avais sucé tout le fiel du département aux mamelles de ma mère, et que cette argile, dont on faisait le reste de mes concitoyens, était pétrie, comme la pâte de jujube, avec du sucre et de la fleur d’orange. J’aurais surtout garanti la mansuétude des prê tres. Une noire vipère au fond d’un bénitier, m’eût étonné moins et moins effrayé qu’une parole méchante tombée de la bouche d’un homme à soutane. Voici du reste ce que je m’imaginais des prêtres: le jour de leur consécration, un ange, pendant leur sommeil, avait extrait délicatement leur cœur de leur poitrine, Le tordant, il en avait exprimé toutes les choses impures qui sont dans le nôtre, et l’avait doucement remis à sa place.

Maintenant, je reconnais mon erreur. Je n’ai que ma part de méchanceté, et bien juste. Il y a dans ce département au-delà de trois cent mille pamphlétaires; et à Nevers, d’après le dernier recensement, il en est un peu plus de dix-sept mille, pamphlétaires en jupes de bure, en robe de soie, en faux toupet, en perruque, en bottes, en sabots, en tricornes; et tel qui m’appelle infâme pamphlétaire, est lui-même un pamphlétaire très-infâme. Entre les pamphlets de ces gens-là et les miens, toute la différence qu’il y a, c’est que les leurs ont la pointe émoussée, au lieu que Mais quoi! lorsque la mouche vous mord, si sa morsure n’enfle pas comme celle de la guêpe, devez-vous lui en savoir beaucoup de gré.

Du reste, chers abonnés, on ne peut toujours se fendre la bouche à faire de grandes phrases. Je veux vous donner aujourd’hui quelques échantillons des mille et mille pamphlets qui se chuchottent contre moi. Vous verrez que, si quelque chose manque à mes adversaires, ce n’est assurément pas la méchanceté.

Le premier et le plus joli peut-être, est l’œuvre d’un docteur en théologie. Ce savant ne connaît ni métaphore, ni hyperbole, ni ironie. Il a fait toute sa rhétorique sans se permettre la moindre figure. Pour lui les mots n’ont que la valeur que leur donne le dictionnaire de l’académie, et les phrases ne signifient que ce que disent les mots. Il est peu gentil et quelque peu vieux le cher homme; eh bien! si une jeune et folâtre béate lui disait en plaisantant: M l’abbé, je raffole de vous, rien ne lui paraîtrait plus sérieux. De sa vie il ne la verrait, et si elle demeurait à la porte de la Barre, il s’enfuirait, avec ses in-folio, sur le quai de Loire. Je suis bien sur qu’il a pris à la lettre ce mot de l’évangile: heureux les pauvres d’esprit, et que, si par cas fortuit, il lui échappait un mot spirituel, il irait s’en confesser de suite; au demeurant, c’est un homme de sience et de bon sens.

Maintenant revenons au pamphlet du révérend. Le révérend dînait chez un fonctionnaire et disait: cet écrit–c’est de mon pamphlet qu’il parlait–est plein d’ordures, il est d’un cinisme dégoûtant; Voltaire et Marat, ont pu penser de pareilles choses, mais ils ont eu la pudeur de ne pas les écrire.

Que dites-vous de ce petit morceau? Marat et Voltaire, qui ont pu penser que M. Dufètre péchait un peu du côté de la simplicité et de la modestie; mais qui ont eu la discrétion de n’en rien dire à personne Je ne suis pas riche, mais je donnerais bien cinquante francs, pour que l’Echo de la Nièvre eut dit de telles choses.

Le révérend ajoutait: cet homme,–c’est moi, maintenant qui suis sur la sellette du révérend, –a une ame vile; imaginez-vous, monsieur, imaginez-vous, madame, qu’il voulait se vendre à M. Avril, pour la somme de mille écus.

Mais objecta quelqu’un, dont j’ai l’honneur d’être connu, c’est sans doute là une plaisanterie de pamphlétaire. C. Tillier, sait bien qu’il vaut à peine quinze cents francs. Or quand on a envie de vendre, on ne surfait pas de moitié sa marchandise.

C’est une infamie de plus, mon cher monsieur, poursuivit le révérend, presque scandalisé de ce qu’on n’était pas de son avis; rien n’est plus certain, il veut se vendre: il se vendrait à un marchand d’hommes, s’il avait les qualités requises pour remplacer. Il s’est offert à monseigneur lui-même; je n’ai pas de conseil à donner à ce sage prélat; mais à sa place, j’achèterais le quidam par souscription; nous l’emploirions à faire des cathéchismes ou à composer de l’onguent contre la morsure de la vipère noire.

Qu’est-ce monsieur, fît l’unique et officieux auditeur du révérend, que cet onguent contre la morsure de la vipère noire.

Quoi, monsieur, vous ne connaissez pas l’onguent contre la morsure de lavipère noire? La vipèrenoire, c’est l’incrédulité, l’onguent, c’est la doctrine chrétienne, un livre magnifique, monsieur, qui fait partie de la bibliothèque formée par monseigneur, pour orner l’esprit, former le cœur et raffermir les croyances religieuses de ses ouailles. Quand on se môle de faire des pamphlets, voilà monsieur, comme il faut en faire; tenez, je vais vous en citer un passage:

«Messieurs et Mesdames, Vous allez voir ce que vous allez voir: une chose merveilleuse que vous n’avez pas encore vue. Et cependant, Messieurs et Mesdames, en fait de bêtes et en fait d’hommes, en fait d’inventions et en fait de remèdes, que n’avez-vous pas vu?

» Des chiens savants qui jouent aux échecs, comme feu M. de Talleyrand aux protocoles: vous en avez vu. Des puces militaires faisant l’exercice en douze temps, et capables de former la première batterie d’artillerie à cheval de cette brave garde nationale parisienne dont nous sommes tous susceptibles de marcher avec: vous en avez vu. Des artistes en vers, en prose, en législature, en philosophie, dont les yeux ornés de doubles lunettes ne les rendent pas très-capables de distinguer nettement le bout de leur nez, et qui se flattent de lire dans la nue: vous en avez vu. Des veaux blancs à deux tétes, et des chevaliers tricolores à quatre, à huit, à dix, à treize consciences: vous en avez vu. Les quatorze mille vérités de la Charte constitutionnelle: vous les avez vues. Les cendres du grand Napoléon: vous les avez vues. Du bitume de toute qualité et toute couleur, vous en avez vu. . . . . . . . . .

» Ainsi, Messieurs et Mesdames, prenez une boîte de mon onguent, respirez-en seulement l’odeur, et vous pouvez voyager dans tous les lieux infectés de la vipère noire, fréquenter nuit et jour les malheureuses victimes de ses morsures contagieuses, avec la même assurance que le médecin visite les lazarets de pestiférés, lorsqu’il a sous le nez son flacon de vinaigre des quatre ministres, pardon, des quatre voleurs.»

Et tout le livre, monsieur, est de cette force.

Pouah! firent tous les convives. Cette exclamation ne découragea pas le docteur et il poursuivit: Imaginez-vous, monsieur, que l’an passé, j’ai, sans le savoir, voyagé avec ce drôle–c’est toujours de moi qu’il est question–oui, nous avons fait deux myriamètres côte à côte. Il m’a brûlé la moitié de mon tricorne avec son cigare, et il ne m’a pas seulement dit: excusez.

Et le saint homme semblait éprouver les deux sentiments que voici: d’abord, une sorte d’étonnement, de ce qu’il ne fut pas rayonné de lui, alors que nous étions sur le même coussin, quelque chose qui m’eut sanctifié; puis, cet effroi qu’éprouverait une jeune fille, si sa femme de chambre venait lui dire que dans le panier à ouvrage, qui était tout-à-l’heure sur ses genoux, il y avait une vipère noire.

Excellent prêtre, va, heureux ceux qui dînent avec toi, surtout si on leur sert de bon Champagne, et qu’ils aient une jolie voisine.

Vous comprenez, chers abonnés, que je ne suis pas assez docteur en théologie, pour me mettre en souci de tels propos; si je les consigne ici, c’est qu’il est bon qu’on se fasse une idée de la portée d’esprit de ceux qui sont chargés d’enseigner les choses saintes à nos jeunes prêtres, et de la charité de tous ces professeurs d’évangile; du reste, ne me demandez pas le nom de ce spirituel abbé, je ne vous le dirais pas, quand bien môme vous me mettriez à la question, j’aurais peur, que M. Dufêtre lui donnât de l’avancement.

Le second pamphlet est de M. Paillet. M. Paillet a fait contre moi des pamphlets qui valent beaucoup mieux que celui-ci. Ainsi il m’a fait condamner à huit jours de prison; ainsi quand il était du comité cantonnai mais qu’importe, je vous donne son pamphlet pour ce qu’il vaut

D’abord, il faut vous dire que de son vivant, M. Paillet jouissait de l’estime de ses concitoyens, sa canne inclusivement; il parlait sans trève et sans repos de l’estime de ses concitoyens. Vous lui eussiez dit, au cercle littéraire de Clamecy: M. Paillet, vous avez fait une grande faute de littérature en tirant cette bille au doublé; vous lui eussiez dit, dans un bal aux frais de la ville, M. Paillet vous avez mal exécuté cet en-avant-deux, il vous eut répondu, se rejetant fièrement en arrière: apprenez, monsieur, que je jouis de j’estime de mes concitoyens; mais je ne sais comment, cela se fit, bien qu’il jouît de l’estime de tous ses concitoyens, M. Paillet fut tué raide aux dernières élections municipales, et Dieu sait ce que sa fin déplorable a coûté de larmes aux ménétriers, et aux divers employés des bals bourgeois. M. Micot, en fut indisposé de chagrin, son épouse en eût des vapeurs, et pendant trois jours, tous les violons salariés du canton, exhalèrent des sons plaintifs de leurs cordes. Cependant, M. Paillet revient. D’abord, il revient le samedi de chaque semaine à son audience, ensuite il revient tous les soirs au cercle littéraire de Clamecy, dont ses talents au billard et à l’impériale, deux genres de littérature qu’il possède à un haut degré, l’avaient fait nommer président.

Or, audit cercle littéraire, après avoir lu mon premier pamphlet, il ouvrit, pour me servir de l’expression de Virgile, la bouche en ces termes: mais cet homme demande l’aumône? Je soupçonne fort M. Paillet, d’avoir fait un peu de théologie.

Ses collégues ébahis attendaient qu’il s’expliquât; mais le grand trépassé se drapa majestueusement dans son linceul et se tut; c’en était fait, le coup était porté. Ce trait de littérature m’avait mis hors de combat; celui qui fait des sabots pour vivre, travaille; mais celui qui gagne sa vie en écrivant mendie, cela est évident, et si évident qu’un célèbre avocat du crû la confirmé; ainsi il ne me reste plus qu’à briser ma plume et à épandre mon encre de la petite vertu dans le ruisseau; bien heureux encore si, quand j’irai revoir mon pays natal, M. le maire de Clamecy, qui est l’avocat ci-dessus, ne me fait pas arrêter comme vagabond.

Et pourtant ce M. Paillet, je l’avais amnistié à l’occasion du baptême du comte de Paris. O clémence humaine, ne feras-tu donc jamais que des ingrats!

Je sais les égards qu’on doit aux grandeurs déchues, aussi ne voudrais-je rien dire qui fut trop dur à cette ame en peine, et même si elle avait besoin de quelques de profundis, j’en aurais à son service; mais il ne faut pas que M. Paillet abuse de sa qualité de défunt pour attaquer les vivants; je n’admets pas que la grande infortune dont il a été frappé, lui confère le droit d’insolence. Les ruines, si elles veulent être respectées, ne doivent pas faire tomber leurs pierres sur les passants.

Toutefois, j’ai de l’obligation à M. Paillet; si je ne suis plus maître d’école, c’est à ses complots que je le dois; je me contenterai donc de lui répondre qu’il me prend pour un autre; peut-être me prend-il pour un homme dont je vais vous raconter l’histoire en peu de mots; car ce n’est pas une trop belle histoire: l’individu qui en est le héros pourra quelque jour être mis au rang des avoués célèbres, mais je doute fort que sa biographie fasse jamais partie du Plutarque de la jeunesse.

Le héros donc de mon histoire, était sous la restauration un pauvre petit clerc rapé, besogneux, dînant de peu et déjeûnant à peine, très actif du reste, très griffonneur, mais au demeurant, ne sachant ou prendre une charge, et attendant qu’il lui en tombât une du ciel. En ce temps-là, un avoué de l’arrondissement se fit destituer, et notre petit monsieur, de demander sa charge: il dit tant et tant de patenôtres à la porte des ministres, à là porte de madame d’Angoulême, à la porte du roi de France et de Navarre, à la porte des valets de chambre du palais, qu’on lui fit la charité de la charge de son confrère, et à vrai dire, il est le seul homme au monde auquel ledit confrère ait fait du bien.

Or, il advint qu’à son tour la restauration fut destituée, alors notre avoué se mit à déblatérer contre la restauration, comme s’il n’eut fait que cela de sa vie.

A la vérité, disait-il, cette dynastie a rendu un grand service à la France en me faisant avoué, je ne puis dire le contraire; mais son parjure a effacé tout le mérite de cette action: je ne la connais plus. Il fut d’abord tout liberté, tout ordre public; mais la liberté étant tombée dans la disgrace de la cour, il finit par n’être plus qu’ordre public. A cette époque il prit une canne, porta le ventre en avant et rejeta les épaules en arrière, pose symbolique qui indiquait la stabilité du gouvernement en même temps que l’importance du personnage. Vous sentez que les bienfaits de la restauration devaient brûler les mains à ce généreux patriote, aussi n’avait-il rien tant à cœur que de s’en débarrasser. Il eût bien pu, comme tant d’autres, donner sa démission, mais le député de l’arrondissement eût été assailli de pétitions au sujet de sa succession et il voulait épargner cet embarras au grand homme. Ayant donc trouvé un bon prix de sa charge, il la lava.

Louis-Philippe, ô mon roi, s’écria-t-il alors, tu le vois, je n’ai plus rien à cette coupable dynastie, gratifie maintenant ton serviteur d’un bon emploi!

Mais, me dit quelqu’un, cet homme ressemble beaucoup à un mendiant qui, sa besace pleine, va vendre le pain qu’il a ramassé, et revient dire à d’autres portes: un morceau de pain, s’il vous plaît, pour ce pauvre homme qui meurt de faim. Monsieur ou madame, allez demander cela à M. le maire de Clamecy, qui apprécie si bien la mendicité, et laissez-moi, achever mon histoire.

Il n’y avait pas pour le moment d’avoué destitué dans le pays. Le héros infortuné de cette histoire fut donc obligé de se contenter d’un emploi non traficable. A la vérité cet emploi lui donne peu de peine et ne lui rapporte pas mal d’argent; mais il est toujours fort désagréable de ne pouvoir revendre ce qui ne vous a rien coûté. Ce qui console, du reste, cet honnête fonctionnaire, c’est que quand l’âge le forcera d’abdiquer, il pourra revendre à son successeur sa robe et ses vieux rabats.

Si M. Paillet me prenait pour ce grand mendiant, il me ferait beaucoup trop d’honneur; j’avoue en toute humilité que je ne suis pas digne de délier les cordons de sa besace, et môme que je n’aurais pas la force de la porter.

Adieu, M. Paillet; quoiqu’il advienne, c’est un suprême adieu que je vous fais. J’aurais pu répondre plus au long à votre pamphlet, mais j’ai craint de faire de la peine à votre canne, à votre canne, veuve inconsolable, qu’on voit toutes les nuits rôder autour de la boîte où les électeurs vous ont enterré, et qui s’en retourne chancelante, désespérée, et jetant comme un bruit de gémissements sur le pavé, parce que votre main ne s’est pas appuyée sur sa pomme. On dit même que dernièrement elle a battu votre greffier qui, l’ayant rencontrée dans la rue, voulait la ramener à la maison. Toujours est-il que je perds en vous un beau sujet de pamphlet, M. Paillet.

Voici maintenant quelques pamphlets de la façon des béates. Il y a à mon égard un schisme dans la congrégation de M. Gaume: beaucoup de ses vierges prétendent que je me meurs par la protection de Sainte Flavie; beaucoup aussi, plus impatientes que les autres, veulent que je sois déjà mort, très mort, et même enterré. Je me meurs, soit; cela est possible. Il y a long-temps, en effet, que les années de la jeunesse, ces beaux oiseaux de passage qui fuient aux approches de l’hiver se sont envolées de moi. J’ai fait plus de la moitié de mon voyage; déjà je suis sur l’autre versant de la vie, terre morne où il reste à peine aux arbres quelques feuilles, et dont le ciel gris et gypseux, est plein de neiges qui voltigent. Or, quand on est arrivé à cette pente, on roule plutôt qu’on ne descend. Mais que je sois mort, je le conteste. Voilà du reste un miracle qui est hoc à sainte Flavie; que je meure aujourd’hui, que je meure demain, que je meure dans dix ans, les vierges émérites de M. Gaume ne manqueront pas de dire que c’est leur sainte qui ma tué.

Ces menaces d’une mort prochaine m’effrayaient; je l’avoue; mais saint Claude, mon vénérable patron, m’est apparu une de ces dernières nuits; Ne crains rien, cher Claude, m’a-t-il dit, Jésus-Christ a lu tes pamphlets, il les approuve, et s’il ne s’y abonne point, c’est seulement pour ne pas désobliger M. Dufêtre. C’est toi qui défends la religion, et ceux qui l’attaquent, c’est cette tourbe de jésuites qui la manipulent, qui la façonnent dans l’intérêt de leur ambition, comme si elle était leur chose. Tu tousses, je le sais, de là haut je t’entends tousser, et, sans compliment, je trouve que tu tousses très bien; mais ne prends point de sirop de gomme, c’est un liquide insignifiant; couche-toitôt, lève-toi tard, et va t’imprégner de l’air salutaire de la campagne. Je n’affirme pas que ce régime te guérira, je ne suis pas moi un de ces saints empiriques qui font la médecine, comme s’ils avaient besoin de cela pour gagner leur vie. Mais si sainte Flavie touche à ta poitrine, elle apprendra ce que c’est qu’un Claude: d’un coup de ma crosse je lui mets son fémur en cent morceaux.

–Cher patron, lui répondis-je, est-ce que par hasard votre crosse serait plombée? Mais en tout cas, vous ne voudriez pas en faire usage contre une femme, vous êtes trop franc-comtois pour cela.

–Une femme, me répondit-il, une femme, qu’est-ce que cela signifie? La méchanceté est-elle donc inviolable, du moment qu’elle est jointe à la faiblesse? Et toi-même, Claude, tout Claude que tu es, t’abstiens-tu de tuer une puce qui t’a mordu, par la raison que tu es plus fort qu’elle?

Là-dessus, je m’inclinai, et mon saint patron disparut, ne laissant d’autres traces de sa présence, que quelques fils de son interminable barbe.

Mais voyez un peu, mes abonnés, quelle idée ces saintes femmes, élevées à l’école des prêtres et nourries du corps et du sang de Jésus-Christ, se forment des objets de leur culte; leurs superstitions sont-elles moins féroces que celles des sauvages qui engraissent leurs idoles de chair et de sang humain? Quoi! voilà une jeune fille qu’elles adorent entre tous les saints, pour laquelle leur capricieuse dévotion a délaissé le grand St.-Cyr lui même, et elles s’imaginent qu’elle va assassiner par miracle un pauvre écrivain, père de famille du reste, pour quelques phrases qui ont mal sonné à ses oreilles! s’il en était ainsi, elle serait certes beaucoup plus proche parente de Domitien, que ne l’établissait sa position dans les catacombes.

Mais alors moi, que vous traitez d’impie, je vaux beaucoup mieux que vos saints. Dieu sait toutes les plaisanteries que l’Echo de la Nièvre a faites contre moi quand j’étais l’Association. Deux fois par semaine il m’appelait patriote, indépendant et vertueux: or voyez un peu comme c’est agréable d’être traité de vertueux par l’Echo de la Nièvre. Cependant je ne suis pas allé attendre ledit Echo au détour d’une rue, et je n’ai perforé aucune de ses neufs colonnes avec ma bonne lame de Tolède. Si ces saintes femmes écrivaient ce qu’elles disent, elles feraient contre la religion le plus sanglant de tous les pamphlets; de cette idée que les saints assassinent ceux qui les raillent, à cette conclusion qu’il faut assassiner ceux qui raillent les saints, qu’elle distance y a-t-il donc?

D’autre part, un curé, je ne dis pas de ma paroisse, car je ne sais guère de qu’elle paroisse je suis, s’est permis de m’excommunier. Comme ce pamphlet est antidaté d’au-moins trois cents ans, je n’en parle que pour la forme. Ce ministre de l’évangile s’imaginait, sans doute, que ma femme me servirait à dîner au bout d’une perche, que mon valet de chambre ferait mon lit avec des pinces et que mon chien, cessant tout rapport avec un hérétique, refuserait de me donner la patte; mais je le préviens pour sa gouverne que rien de semblable ne s’est passé; il y a plus, hier j’étais témoin à la justice de paix, et on m’a déféré le serment comme aux autres.

Passons maintenant à M. Dufêtre. M. Dufêtre a prêché contre moi; or, comme j’écris ici et que M. Dufêtre prêche là bas, il est difficile que nous nous entendions. Pour éviter cet inconvénient, désormais j’enverrai mes pamphlets à M. Dufètre, j’espère que de son côté, quand il lui prendra fantair de moi dans sa chaire, il m’invitera à son sermon; de cette façon, nous serons les meilleurs ennemis du monde.

Mais ce n’est pas là tout; M. Dufètre a dit dans des lieux à moi inaccessibles, que j’étais un esprit infernal. Comme le digne prélat ne peut ni se tromper, ni tromper les autres, j’ai douté un instant de ma nature. A la vérité, je n’apercevais sur mon front aucun stygmate, pas le moindre bouton, pas la plus insignifiante verrue, mais cela ne me tranquillisait qu’à demi; enfin j’essayai de faire le signe de la croix, et l’opération ayant très-bien réussi, je fus complettement rassuré.

Mais sérieusement, M. Dufètre, pourquoi donc suis-je un esprit si infernal? Est-ce parce que j’ai révoqué en doute l’identité de votre sainte. Mais vous-même, vous avez dit quelque part que vous étiez presque sûr qu’elle était parente de Domitien. Si vous en êtes presque sûr, vous n’en êtes pas entièrement sûr; si vous n’en êtes pas entièrement sûr, vous en doutez, et si vous en doutez, vous êtes vous même Un esprit infernal: la logique n’a pas deux poids et deux mesures.

Est-ce parce que je ne veux pas croire à ces absurdes miracles que des jésuites vont colportant parmi le peuple, à ces enfans guéris par l’application d’une image, à ces lettres écrites du ciel par Jésus-Christ et qui donnent de son style épistolaire une si malheureuse idée. Mais ces misérables charlatans dignes tout au plus d’être écoutés par ces chrétiens de foire qui achètent les bagues de St.– Hubert pour se préserver de la rage, rapetissent Dieu avec toutes leurs jongleries; ils le rendent ridicule, ils dépouillent sa face de ses rayons resplendissans et nous le montrent sous les traits grotesques d’une caricature. Lui, l’auteur de toute intelligence et de toute raison, ces mauvais porteurs de tricorne le feraient volontiers passer pour un imbécile. S’il avait fait tout ce qu’ils racontent de lui, le sceptre de l’univers commencerait à trembler dans sa main caduque, et il ne serait pas trop tôt qu’il confiât à un conseil d’archanges le gouvernement des mondes. Que dire en effet d’un Dieu qui écrit aux hommes pour se plaindre qu’il est trahi par eux, et leur recommande de bien garder sa lettre? Ce ciel où tant de soleils resplendissent, cette terre si féconde, si parée et qui nourrit tant d’êtres à ses larges mamelles, n’est-ce pas là des miracles assez éclatants pour révéler sa grandeur, sans que de maladroits serviteurs lui prêtent, croyant ainsi le rehausser, le rôle d’un écrivain public, d’une médecine ou d’un emplâtre. Mais ces colporteurs de miracles, ces marchands de reliques, ne s’aperçoivent donc pas que, dans l’intérêt passager de leurs ambitions impies, ils ruinent la religion en la livrant aux dérisions des incrédules; ne se rappellent-ils pas que Voltaire avec les légères, mais retentissantes boulettes de sa plaisanterie, a plus endommagé nos autels que tous les philosophes du dix-huitième siècle avec les gros canons de leur logique; et d’ailleurs cet axiome: on ne croit pas au menteur, alors même qu’il dit la vérité, croient-ils qu’ils n’en sont pas justiciables comme les autres? La plupart des chrétiens d’aujourd’hui ne savent des choses saintes que ce qu’ils en entendent dire à l’église; leur raison aventureuse, éclose au soleil ardent de nos révolutions, ne se soumet plus à l’autorité des prêtres; quand ces prêcheurs de miracles apocryphes leur enseigneront les vraies vérités de la réligion, ils leur riront à la face; ils prendront pour de la fausse monnaie l’or le plus pur de l’évangile; dans le ministre de Jésus-Christ, ils ne verront toujours que le charlatan; à ses arguments les plus victorieux, ils opposeront cette objection profondément stéréotypée dans leur esprit: il a déjà voulu me tromper, il peut bien vouloir me tromper encore. Quelle confiance, en effet, peuvent-ils avoir dans la parole de ce jésuite qu’ils surprennent à chaque instant en flagrant délit d’absurdité? Ils n’ont certes pas trop de toute leur foi pour admettre les mystères du christianisme, sans qu’on leur en fasse dépenser une partie à croire de ridicules miracles.

Est-ce parce que j’ai attaqué vos neuvaines? Mais la prière que Jésus-Christ a faite pour nous ne vaut-elle pas bien toutes celles que peut composer M. Gaume. Jésus-Christ savait probablement aussi bien que vous tout ce qui est bon aux chrétiens. Or, si les neuvaines sont pour nous un moyen de salut, pourquoi ne nous les recommande-t-il pas dans son évangile; si au contraire elles ne sont qu’un vain bruit, que des genoux souillés d’une inutile poussière, pourquoi faire dépenser à ces pauvres femmes leur temps dans une opération frivole. Soit une heure qu’elles perdent avec votre sainte, et supposons qu’elles soient mille; si pendant neuf jours elles travaillaient toutes les mille une heure pour les pauvres, elles pourraient changer en chauds vêtements les haillons d’une cinquantaine d’entre eux. Et quand bien môme elles n’auraient procuré ce bien-être qu’à un seul pauvre petit enfant grelottant dans ses guenilles: un malheureux soulagé n’est-il pas plus agréable à Jésus-Christ que toutes ces mauvaises phrases, algues plutôt que fleurs de rhétorique que lui fait jeter M. Gaume par ses béates.

Est-ce enfin par ce que j’ai effleuré vos congrétions de mes railleries. Homme ingrat! au lieu de m’en vouloir de ce que j’ai dit, remerciez-moi donc plutôt de n’avoir pas dit davantage. Le cœur vous a saigé de désespoir à vous, quand vous avez lu sur le frontispice du Panthéon: aux grands hommes la patrie reconnaissante; je n’ai pas dit pour cela que vous fussiez un esprit infernal, ni même un jésuite. Eh bien! j’éprouve, moi, la même douleur, quand je vois maneuvrer par la ville ces régiments de femmes que vous commandez en colonel et dont le suisse de la cathédrale se fait le tambour major; et je ne conçois pas comment il se trouve des mères qui y laisssent enrôler leurs filles. Quel avantage trouvent-elles donc à vous confier la direction de ces jeunes ames, à vous qui ne savez ni ce que c’est qu’un enfant, ni ce que c’est qu’un père. Nous ne voulons pas, nous, faire de nos filles des vierges, des religieuses, des saintes à miracles; nous voulons qu’elles soient mères de famille, parce que c’est pour cela, et rien que pour cela, que Dieu les a faites. Or, cette dévotion surchargée de pratiques de cent sortes et toute hérissée de scrupules que vous leur inspirez sera-t-elle bien de mise dans leur ménage, à moins que ce ne soit un sacristain qu’elles épousent. Pendant qu’elles seront à l’église ou qu’elles suivront la procession, leur mari bercera-t-il l’enfant ou fera-t-il bouillir la marmite conjugale. Est-ce avec des lambeaux de sermon qu’elles le retiendront au logis, et lorsque s’approchant d’elles, il se sera deux ou trois lois piqué aux épines de leur vertu, ne laissera-t-il pas sa sainte dans sa niche pour aller chercher des distractions là où on ne parle ni de l’enfer ni du paradis.

Et sans que nos femmes se mêlent à nos luttes politiques, n’est-il pas bon qu’elles, aussi, elles aient une ame citoyenne, oui une ame citoyenne! d’abord, afin que nos enfants entendent dès leur berceau prononcer avec amour le nom de la patrie; puis afin qu’elles n’abusent point du pouvoir décevant de leurs charmes pour nous détourner, nous, leurs époux, des devoirs que nous avons à remplir envers la France.

Et qui sait d’ailleurs ce que l’avenir nous réserve; qui sait si ces canons qui sont depuis si longtemps assoupis sur leurs affuts ne se réveilleront pas, et si nous n’aurons pas encore besoin des blanches mains de nos femmes poumons pétrir du salpêtre? Est-ce dans vos congrégations que nous trouverons de ces jeunes filles qui se seraient crues flétries par l’attouchement d’un traître, de ces épouses qui vendaient leurs bijoux pour que leur mari put aller rejoindre le drapeau national à la frontière, de ces mères qui étaient à demi-consolées quand leur fils avait pour linceul la terre d’un glorieux champ de bataille. Qui êtes-vous, vous qui voulez qu’on vous laisse pétrir à votre gré l’ame de nos enfants! votre patrie est-elle en France ou à Rome, avez-vous une famille, à quoi tenez-vous, pour qui travaillez-vous, que laissez-vous après vous, quels rejetons pousseront de vos racines, êtes-vous autre chose qu’un pieu stérile enfoncé dans le sol de la France? Vous voulez l’éducation de notre jeunesse, mais vous vous trouvez bien comme vous êtes, sans doute; donc vous façonnerez vos élèves à votre image; or, quel germe de liberté et de patriotisme avez-vous rencontré que vous ne l’ayez écrasé sous vos pieds?

Savez-vous, pour en revenir à vos congrégations, ce qui est arrivé ici sous les derniers mois de l’empire? Tandis que la France, épuisée de sang, se défendait encore du tronçon de son épée contre l’Europe entière, un prêtre français se mettait tous les matins à la tête de nos vierges et leur faisait faire le chemin de croix pour le succès des armées coalisées. Oui, on faisait prier ces malheureuses jeunes filles pour que nos soldats tombassent sous les balles des Prussiens, et que la Restauration arrivât à nous avec tous ses transfuges sur leurs cadavres, et leurs mères n’en savaient rien! Et pendant ce temps-là peut-être, quelques-unes, prosternée à un autre autel, demandaient à Dieu le salut d’un fils ou d’un époux expirant sur notre dernier champ de bataille. Voilà comme on dirigeait nos jeunes filles; et qui sait encore si cet abominable prêtre ne leur a pas dit qu’elles pouvaient, sans pécher, laisser un immonde cosaque se vautrer sur leur couronne.

A quoi sert-il d’ailleurs que nos filles aillent faire par la ville étalage de leur chasteté, représentée ar un cordon bleu; les vierges qui vont ainsi sont-elles plus chastes que celles qui, pudiquement cachées derrière les blancs rideaux de leur chambrette, rajeunissent, avec leur industrieuse aiguille, le linge de la maison ou les vêtements de leurs jeunes frères. Cette blanche vertu de jeune fille dont vous voulez qu’elles fassent parade dans vos fêtes, vous les exposez précisément à la tacher. C’est quelque chose de joli sans doute que ces deux fraiches guirlandes que vous suspendez à votre procession; mais parmi ces roses, quelques-unes ne laissent-elles point tomber de leurs pétales aux fanges de la rue, et même si l’on cherchait bien, ne trouverait-on pas au calice d’aucunes quelque poussière laissée par l’aile d’un papillon.

Directeurs des ames, êtes-vous donc si étrangers aux choses de la vie, que vous ne sachiez pas que des hommes démesurément corrompus, ennemis infatigables de la chasteté des femmes, guettent vos vierges au passage, et que, tandis qu’elles vont le front baissé sous leur voile, ils les analysent, ils les discutent comme des objets d’art, et choisissent parmi elles celle qu’ils veulent faire tomber dans leurs embuches, sont-ce vos bedeaux qui repousseront avec leur batte les regards passionnés des beaux fils? C’est une chose déplorable à dire, mais il est bien des liaisons peu honnêtes qui ont commencé à la procession et qu’on n’est jamais venu vous faire bénir à l’église. Que diriez-vous donc d’un berger qui, fier de son troupeau, le ferait parader au front d’un bois devant une rangée de loups, afin que ces féroces animaux puissent choisir la grasse brebis que le lendemain ils attaqueront; et cependant voilà, dans l’intention d’honorer Dieu, ce que vous faites. Allez, ne venez jamais m’emprunter ma fille pour parer vos processions, j’aurais la douleur de vous éconduire.

Voilà, dans la simplicité de mon cœur, ce que je pense; et j’ai cru servir la religion en le publiant. Si pour cela je suis un esprit infernal, alors je me fais gloire de n’être pas chrétien; car ce n’est plus du ciel, c’est de l’enfer que la vérité nous arrive.

C.T.

De choses et d'autres : vingt-quatre pamphlets

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