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Troisième Pamphlet.

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Table des matières

D’un autre côté, madame, c’est une chose grave que d’interrompre les lois de la nature; les lois de la nature, c’est la charte de l’univers, et je ne sais trop si Dieu, alors qu’il en suspend l’exécution, ne commet pas une illégalité; d’ailleurs, c’est sur ces lois éternelles que la conservation de la société est fondée, et que les lois humaines ont leur base; il n’y aurait plus rien de stable, rien d’assuré parmi nous, si nous avions en France trois à quatre cents bienheureux qui eussent le privilége des miracles; à quoi servirait-il, par exemple, que moi médecin, j’achetasse bien cher un diplôme du gouvernement, si le patron du lieu pouvait me faire concurrence; que je plaidasse contre mon curé, si quelque martyr de son église lui faisait gagner sa cause; que je misse, pauvre conscrit, la main dans l’urne du tirage, si la moitié des jeunes gens de ma classe, au moyen d’un médaillon de quatre francs, ou d’un cierge allumé devant un autel, pouvaient se procurer un numéro libérateur; que j’établisse un moulin sur un cours d’eau, si d’un souffle une vierge pouvait tarir mon ruisseau, et le faire sortir à une lieue de là, sur la propriété du marguiller de la paroisse; enfin que j’achetasse à rente viagère le bien de quelque vieil individu cassé et décrépit, si son patron pouvait faire vivre mon homme trois cents ans.

D’une autre part, que signifierait notre régime constitutionnel, si quand les députés de l’opposition ont voté, quelque saint comblé de plain-chant par un ministre, changeait dans la boîte parlementaire la couleur de leurs boules; et notre code pénal et nos gendarmes, de quelle utilité nousserait tout cela: quand la cour d’assises aurait condamné un accusé à mort, cet homme, ressuscité par miracle, reviendrait le lendemain à son domicile et reprendrait tranquillement, et sans qu’on pût l’inquiéter, Je cours de ses occupations, car il aurait subi sa peine.

–Vous le voyez donc bien, madame, si Dieu suspendait les lois de la nature, il faudrait qu’il eñt des motifs très graves pour en venir à ces mesures extrêmes; ce serait, par exemple, pour faire comprendre aux incrédules, par une éclatante démonstration, qu’ils ne sont que des imbéciles; que lui qui ramassait des copeaux dans l’atelier de son père, lui que les juifs ont pendu comme un vil scélérat, il est bien celui qui a allumé notre soleil, qui a suspendu notre terre dans l’espace, et qui nous a mesuré l’Océan dans le creux de sa main; et aussi pour confondre ces raisonneurs insensés, qui entassant syllogisme sur syllogisme et dilemne sur anthimême veulent, semblables aux géants de la fable, le chasser de son ciel. Mais dans ce cas il ne ferait pas de ces miracles obscurs, contestables, qui ont besoin d’être appuyés d’un certificat de médecin, miracles semblables à celui que fit autrefois mon oncle Benjamin à Moulot, que la plupart contestent, et qui ne convertissent personne, miracles enfin qu’on vilipende dans la rue, tandis qu’on les sonne et qu’on les psalmodie à l’église. Dieu sait trop bien ce qu’il a à faire pour compromettre sa dignité par un acte de toute-puissance inutile; il opérerait au contraire de ces miracles éclatants, qui frappent tous les yeux et saisissent tous les esprits. Ainsi, il ferait tous les dimanches apparaître le soleil surmonté d’une croix éclatante, à l’instar de la boule dé Charlemagne, oubienil graverait sa signature en lettres rouges, sur la blanche surface de la lune en son plein, ou bien encore, les jours de fête solennelle, écartant cet immense rideau d’azur qui nous cache les magnificences du paradis, il se montrerait à nos yeux dans toutes les splendeurs de la divinité. Du moment que Dieu ne fait point de ces grands et insignes miracles, il est naturel de conclure qu’il n’en fait plus du tout; ou bien il faudrait dire que sa puissance est restreinte à de tout petits et insignifiants miracles, comme la puissance d’un roi constitutionnel est restreinte à des ordonnances.

–Je vous ai laissé aller jusqu’au bout, monsieur; mais selon vous, les martyrs, ce n’est donc que racaille, lors même qu’ils réunissent sur leur blason une couronne de vierge à leur palme; si telle était votre opinion, monsieur, vous devriez bien me prier de vous en guérir.

Vous autres gens du siècle qui levez une lèvre dédaigneuse sur les martyrs, vous rendez à vos grands hommes un culte d’admiration, vous décernez à leurs cendres les honneurs du triomphe, vous leur dressez sur vos places publiques des statues de pierre et de bronze; vous avez toujours la bouche emplie de leurs noms; cependant M. Dufètre, vous l’a dit, les martyrs sont autant au-dessus de vos grands hommes, que les cimes rayonnantes de la cathédrale, sont au-dessus de la poussière de la rue. Vous avez dû être bien mortifié, Monsieur, quand avec sa voix de grosse cloche, le vénérable prélat s’est écrié: vous aussi vous avez vos saints, mais ces saints, quels sont-ils...........

Il ressort clair comme le jour de ses paroles, que votre ex-panthéon était un mauvais lieu, hanté par des vauriens, qui avaient eu l’impiété de gagner des batailles à la France, ou de l’éclairer par les rayons de leur génie. Ce réceptacle de gloires immondes, de ces gloires qui ont brillé durant votre révolution, comme les éclairs dans un orage, vous l’appeliez un temple, et vous avez même eu l’insolence d’écrire sur le fronton, en guise d’enseigne: Aux grands hommes, la patrie reconnasisante. M. Dufêtre, dans sa jeunesse, a eu l’occasion de lire cette inscription, et voyez monsieur, comme ce digne prélat est sensible, son cœur en a saigné, il en saigne toujours de désespoir, et peut-être comme le cœur de St.– Marie de Chantal, si merveilleusement doué par Dieu, il saignera encore dans le cerceuil.

–Certes, madame, Dieu n’a pas envoyé M. Dufêtre parmi nous pour avoir tort; s’il a contre lui l’opinion de la France, qui s’obstine sottement à battre des mains au nom de ses grands hommes, il a pour lui celle du révérend père Loriquet; et qui pourrait nier qu’à eux deux, l’un le révérend père Loriquet, pamphlétaire jésuite, l’autre M. Dominique Dufêtre, recruteur de congrégations, ils ne forment la partie la plus éclairée de la nation; mais s’il convient au vertueux prélat d’insulter nos saints, qu’il nous permette du moins d’apprécier ses martyrs.

A Dieu ne plaise que je veuille rabaisser les martyrs; ces convictions inflexibles qui meurent plutôt que de céder, ces dévouements qui se laissent torturer par le bourreau, et montent d’un pas ferme à l’échafaud sont sans doute, à quelque cause qu’ils appartiennent, de belles et grandes choses; mais enfin, ces martyrs quels sont-ils? des hommes qui ne sont connus que par leurs supplices, souvent que par un nom furtivement gravé sur une muraille, et auxquels on a fait un autel de leur échafaud.

L’homme qui veut regarder le soleil met sa main devant ses yeux, de peur d’en être ébloui; quand j’examine ainsi le martyre religieux, je ne vois dans cette action qu’on a couronnée d’une si grande auréole, qu’un acte d’intérêt bien entendu et même un acte d’égoïsme; car enfin, qui peut nier qu’il n’y ait de l’égoïsme à se débarrasser d’une vie qui peut être utile à ses semblables, parce qu’on trouve l’occasion de s’en défaire avantageusement.

Vous dites à un homme, livre au bourreau tes membres à torturer, sinon tu seras jeté, comme un vil copeau, dans un feu qui ne s’éteindra jamais; assurément, s’il n’est pas un insensé, un brute esclave de l’instinct de la conservation, il préfèrera le bourreau, qui ne torture que quelques heures, au feu qui dévore incessamment; il ne fait en cela que suivre ce vulgaire axiome qui nous guide dans toutes les situations de la vie: de deux maux, il faut choisir le moindre. Il y a là moins que le prosaïque courage de celui qui se fait arracher une dent pour se soustraire à ce feu invisible qui lui brûle les gencives, ou qui se fait couper une jambe que déjà la gangrène mord de sa dent empoisonnée, pour reculer d’une année ou deux le terme de sa vie.

Mais si vous dites à cet homme, tu passeras des mains ardentes du bourreau dans un lieu d’éternelles délices; si surtout vous ajoutez, avec M. Gaume, dans ce style éclatant et pittoresque dont les prêtres seuls ont le secret: Sur ton corps plus pur et plus brillant que le diamant, resplendiront comme autant de rubis et d’émeraudes les glorieuses blessures que tu auras reçues; tu précéderas dans la liturgie et dans les honneurs de l’église, les pontifes, les docteurs, les prêtres, tous ceux enfin qui ne sont point martyrs; dans le ciel, tu seras assis sur un de ces trônes sublimes qui approchent de plus près le trône éternel de Dieu. Cet homme –et c’est du reste ce que faisaient les martyrs– courra avec empressement au-devant des supplices, jaloux de gagner consciencieusement sa place au paradis il excitera lui-même la cruauté du bourreau; quelques tortures qu’il subisse, il ne se plaindra que d’une chose, c’est qu’on ne le fait pas encore assez souffrir. Vous avez proposé à cet heureux homme le marché le plus avantageux qu’on puisse offrir à un mortel, et vous vous récriez d’admiration parce qu’il l’accepte; mais qu’y a-t-il donc là de si beau, de si grand, de si généreux, et que diriez-vous donc de ce soldat qui se laisse trouer la poitrine par vingt baïonnettes ennemies, plutôt que de dire un mot qui soit fatal aux siens. Moi qui vous parle, si j’avais une faveur à demander à Louis-Philippe, ce ne serait, je vous l’assure, ni une perception, ni un bureau de tabac, ni même un porte-feuille de ministre; mais j’irais trouver M. Dupin aîné et je lui dirais: roi de Clamecy, faites en sorte je vous prie, que votre cousin Louis-Philippe m’accorde un petit martyre; du reste, si le grand homme refusait d’apostiller ma pétition, sous prétexte que je ne suis pas électeur, je n’en resterais pas inconsolable, je vous prie de le croire.

Tout le mérite donc, que je reconnaisse à nos martyrs, c’est d’avoir cru aux promesses de l’église; si la crédulité fait les sots, la foi fait les saints, je le sais, je me soumets, et je dis priez pour nous; mais je m’abstiens d’admirer. Non, la foi ne peut suffire pour élever un simple cordonnier, qui toute sa vie n’a fait que des souliers, mais qui a cru, au-dessus de nos grands hommes; on aura beau l’écrire et le prêcher, je n’admettrai jamais qu’une couronne toute sèche de martyr, efface ces couronnes de lauriers que le génie, donnant la main à la vertu, a décernées.

Ce sont les services rendus aux hommes qui font les belles actions; les vertus stériles et les plantes qui fleurissent avec éclat, mais sans donner de fruits sont choses que je prise fort peu. Et que nous importe à nous du sang inutilement versé, du sang que la terre boit aujourd’hui, et dont la pluie lavera demain jusqu’à la moindre trace. Savez-vous quels sont les véritables martyrs: ce sont ceux qui sont morts pour leur pays, c’est d’Assas, c’est Barra, c’est Viala, ce sont les soldats de ces quatorze armées qui sont tombés à la frontière en défendant la liberté de la France. Et eux pour prix de leur dévouement, qu’ont-ils reçu de la patrie? les uns un morceau de bois, pour remplacer la jambe que le boulet leur avait tuée, et les autres un roulement de tambours et une couche de chaux vive sur leur fosse: voilà les hommes dont il importe de faire rayonner la tombe! et pourtant ce sont eux que les prêtres choisissent pour objet de leurs stupides dédains. Il appartient bien à ceux qui ont grandi et engraissé sous les tranquilles voûtes d’une cathédrale, d’insulter ceux qui ont mené la dure vie des champs de bataille. Venez donc mettre à côté de cette existence glorieuse, pleine d’un bout à l’autre de combats et de victoires, votre existence, remplie de plain-chant et de grand’messes, que nous voyions celle qui a été la plus utile à la patrie. Vous croyez avoir fait une bien rude pénitence, parce que vous vous êtes assujettis rigoureusement à des exercices de moines? mais que diriez-vous donc, si vous aviez porté jusqu’à votre vieillesse, le lourd fardeau de la discipline? vous qui ne pouvez traverser une place sans avoir un parasol sur votre tète, comment vos joues molles et rebondies, se seraient-elles accomodées du soleil de l’Egypte. Croyez-vous, en cas que vous portiez un cilice, que la cuirasse d’un carabinier, ou le sac d’un fantassin, ne vaillent pas bien votre cilice? vous êtes saints entre tous, vertueux entre tous, parce que vous jeûnez aux jours indiqués par l’église, et que le vendredi vous vous contentez de frais légumes, de poissons choisis sur les marchés, de gras oiseaux pêchés dans les marécages; mais eux, ces hommes que la guerre nous a dévorés, ils ont fait des campagnes sans pain, sans habits, sans chaussure, et tandis que vous vous étendiez mollement dans vos lits bien blancs et bien bassinés, ils s’endormaient sanglants, meurtris, affamés, et sans se plaindre de Dieu, qui leur faisait une vie si dure, sur la neige de leur bivouac. Vous auriez voulu peut–être qu’ils combattissent de la main gauche, afin de faire le signe de la croix de la main droite. Vous croyez sans doute, avoir plus fait pour votre pays, parce que vous avez remercié dieu de ses victoires, que ceux qui les ont remportées. Et que seriez-vous, ministres du seigneur, si à ce grand cri de détresse poussé par la convention: la patrie est en danger! au lieu de courir à leurs armes, ils se fussent contentés d’égrener un chapelet entre leurs doigts? que seriez-vous, si les femmes, qui ont nourri ces hommes de fer du lait ardent de leurs mamelles, eussent été vierges; et que serie-zvous encore si Napoléon eut été évêque? Un prêtre grec chanterait la messe dans votre cathédrale, ou un ministre protestant ferait le prêche dans votre chaire; le martyre de ces hommes que vous traitez en ennemis, vous a été plus utile que tous ceux que vous préconisez, car en défendant votre patrie, c’est aussi votre foi et votre autel qu’ils ont défendus.

Jésus-Christ a fait sa religion pour le genre humain et non pour tel ou tel peuple; si la religion chrétienne était plus nationale, ce sont précisément ces hommes du Panthéon et des champs de bataille qui seraient ses saints et ses martyrs. Pourquoi cette grande pensée de Napoléon qui confondant tous les mérites ensemble, les couronnait de sa glorieuse effigie, n’a-t-elle pas été celle des fondateurs de notre église? Qu’importe pour celui qui a sauvé un peuple, un peu plus ou moins de dévotion, un doigt trempé plus ou moins profondément dans l’eau bénite.

Dieu, Madame, a-t-il donc tant besoin de prières. Et à vrai dire, s’il faut qu’il fasse droit aux oraisons qu’on lui adresse, de tous les coins du monde, qu’il réponde à tous nos saints patrons qui le tirant chacun de leur côté par sa robe, lui disent: Seigneur par-ci, mon Dieu par-là, je ne voudrais pas être à sa place. Mais si l’église ne veut point honorer nos grands hommes, au moins que ses ministres ne les insultent pas; car c’est par les grands hommes qu’elle a produits, qu’on est fier de sa patrie, et plus on est fier de sa patrie, plus on l’aime.

–Monsieur, revenons aux miracles: la bonté de Dieu est infinie; pourquoi ne prêterait-il pas aux saints un peu de sa toute-puissance pour guérir les infirmités des hommes.

–Quoi, madame, les infirmités qu’il a lui-même envoyées; mais il ressemblerait donc à ce médecin italien qui allait attendre les passans au coin d’une rue pour les frapper de son stylet, et venait ensuite panser leur blessure. Croyez-vous donc que Dieu, le roi de la terre et de tous ces mondes éparpillés comme une rayonnante poussière dans l’espace, Dieu qui a tant de choses à faire, s’amuse à guérir un enfant de la cataracte ou du prorigo; qu’il trouble cet ordre de choses établi par lui-même pour obliger un malheureux en lui ôtant son entorse ou en faisant tomber une taie de son œil? s’il lui convenait, pour un motif quelconque, de guérir une de ses créatures, au lieu de faire intervenir un saint, ne chargerait-il pas de la commission les drogues du docteur ou le bistouri du chirurgien.

Soit un homme auquel on dit: votre ennemi sape votre maison par les fondements, et qui refuse de se lever, puis qui se lève cinq minutes après pour ouvrir la porte à son chien tendant vers lui des pattes suppliantes. Si Dieu s’abstenait de faire des miracles, quand il s’agit de défendre ses autels, et s’amusait à faire de petits miracles de complaisance pour rendre la vue à celui-ci, l’ouie à celui-là, l’usage de son bras ou de sa jambe à un autre, le maître du ciel ne ressemblerait-il pas à l’homme de notre hypothèse.

–Mais monsieur, et les miracles de l’évangile?

–Chut, madame, n’entamons pas cette question, s’il vous plaît, j’ai peur qu’il y ait là devant votre châsse quelque mouchard qui nous épie; mais au lieu de discuter, agissons. Si vous pouvez faire des miracles dans l’intérêt d’un boiteux ou d’un aveugle, à plus forte raison pourrez-vous en faire dans l’intérêt de toute une commune. Je vous proposerais bien de prendre cette baroque église de Saint-Pierre qui rend tout redressement de la rue du Commerce impossible, et de la jeter ou bon vous semblerait, ou bien d’aller dans la vallée du Rhin choisir, pour faire niche aux protestans, trois à quatre beaux ponts que vous placeriez sur la Loire; mais j’aurais peur que ces gros et rudes miracles n’écorchassent vos belles mains; c’est un joli petit miracle, un miracle tout mignounn, vrai miracle de dame que je vous propose.

Au pied des Montapins, sur la route de Fourchambault est une fontaine que la limpidité de ses eaux a fait nommer la Fontaine d’Argent; allez nous la chercher dans le creux de votre main, et apportez-la sur la place Ducale, d’où elle s’épandra en ruisselets par tous les quartiers de la ville. Si vous vous tirez avec honneur de cette épreuve, non seulement je vous adorerai de ma personne, mais encore je vous amènerai ma femme et mes enfants, le chapelet aux mains et le scapulaire au cou, afin que de gré ou de force ils vous adorent. Si même Dieu poussé à bout par ces pamphlets impies où j’ai l’audace de mettre Jésus-Christ au-dessus de M. Dufêtre, m’affligeait d’une seconde fille, je voudrais qu’elle s’appelât de votre joli nom.

–Monsieur, dit la sainte, si vous ne venez devant ma châsse que pour me conter de pareilles sornettes, je me passerais bien de votre pratique.

–Madame, répliquai-je, n’empoisonnons point par des paroles acerbes le peu d’instants que nous avons à passer ensemble; mais à propos, est-il bien vrai que vous ayez pris notre heureuse cité sous votre protection.

–Je l’ai ouï dire par M. Dufêtre.

–Alors, je ne suis plus étonné que mon propriétaire m’ait augmenté hier de cinq francs le loyer de mon atelier,–mais au moins en ai-je pour mon argent–et de quel genre est votre protection: les banquiers nous prêteront-ils à cinq pour cent, le gouvernement nous revendra-t-il sa poudre et son tabac de régie à prix de facture; les tailleurs vaincus par cette vertu secrète qui sort du tombeau des martyrs, se résoudront-ils à coudre nos paletots, les banqueroutiers cesseront-ils d’être des gens comme il faut, les épouses seront-elles fidèles à leurs.........

–Quelle question, me répondit la sainte; comment une femme peut-elle trahir son époux.

–Entendons-nous, madame, c’est fidèles à leurs amants que je veux dire.

–Monsieur, faites attention avec qui vous êtes!

–Pardon, madame, je n’ai pas l’habitude de parler à des vierges; mais enfin quelles seront les limites du territoire protégé? s’étendra-t-il jusqu’aux confins de l’octroi, dépassera-t-il les faubourgs; ces riantes et joyeuses maisons de campagne, éparpillées autour de la ville comme des enfans jouant dans l’herbe autour de leur mère qui travaille, en feront-elles partie; combien de temps faut-il de Nevers pour avoir droit à votre protection; protégez-vous les voyageurs, protégez-vous ceux qui sont détenus dans les prisons de la ville; protégez-vous la garnison, est-ce avec armes et bagages ou sans armes et bagages; faut-il, pour être protégé par vous, acheter un de vos médaillons, ou le médaillon n’est-il pas de rigueur?

–Monsieur!!!! fit la sainte, avec un geste dans lequel je crus voir du Domitien?

–Eh bien oui! oui! oui! répondis-je épouvanté, vous nous protégez; nous ne pouvons certes avoir de meilleurs protecteurs que votre fémur et ce petit morceau de vôtre crâne. Dieu ne saurait manquer de faire exprès pour nous un petit ciel calqué et taillé sur le patron du département; ce petit ciel sera toujours plein de chaudes brises et de soleil, et ces gros vilains nuages qui versent la pluie n’oseront s’y présenter que quand ils seront mandés par le comice agricole.

D’autre part, lorsque la chenille vorace et le hanneton impie viendront au printemps pour dévorer nos récoltes en bourgeon, on enverra le sacristain de la cathédrale les prévenir qu’ils aient à vider les lieux; mais madame, une petite question s’il vous plaît: croyez-vous que si monseigneur de Rheims faisait venir de Rome des reliques, beaucoup de reliques, cent mètres cubes de reliques, la Champagne pouilleuse reverdirait?

–Cela n’est pas impossible, monsieur.

–Cependant, madame, il me vient un scrupule: s’il suffit, pour protéger une commune, d’un os de martyr enchâssé dans un reliquaire, comment se fait-il qu’il y ait des communes qui soient encore sans protecteur? Rome est une ville à double fond: sous la Rome vivante est la Rome morte, la Rome des consuls et des empereurs; il y a dans cet immense sépulcre, (M. Gaume le dit lui-même) des os de plusieurs millions de martyrs, or; si ces richesses calcaires étaient partagées entre toutes les églises du monde catholique, elles en auraient chacune plein leur sacristie. Que le curé de ces paroisses disgraciées, qui n’ont point de reliquaire ou dont les reliques sont tombées en désuétude, prenne la diligence et aille à Rome; il en rapportera non un morceau de crâne et un fémur,–ce n’est pas la peine d’aller à Rome pour si peu de chose–mais un, deux, trois squelettes à choisir. Cela ne revient, pour les frais de voyage et autres menues dépenses, qu’à cinquante écus pièce, et on a la décoration de l’Eperon d’Or par-dessus le marché. Moi qui vous parle, j’ai voyagé dernièrement sur l’impériale de la diligence, dans la société peu aimable de six squelettes bien complets, qui s’en allaient en Auvergne, et ils nous ont si bien protégés, que nous avons versé en foute.

Vous me répondrez à cela que lé pape est prudent, et qu’il ne lâche ses reliques qu’à bon escient; en cela à comme en toute autre chose, sa sainteté a grandement raison. Si tous les lieux de la terre avaient leurs reliques, Dieu ne saurait plus que faire de sa grêle, de ses trombes, de ses ouragans, de ses tremblements de terre, et ne trouvant plus d’endroits pour lancer son tonnerre, il serait obligé de le supprimer.

–Voilà, monsieur, précisément ce que j’allais dire.

–Permettez que j’aie encore un petit et dernier scrupule, madame: j’ai voyagé chez les protestants, là point de processions, point d’images, point de reliques, et partant point de protection divine; cependant ces campagnes maudites sont aussi vertes que notre terre bénie; les cités de ces infâmes sont aussi florissantes que nos villes les plus haut mitrées. Leurs magasins sont aussi brillants, aussi bien parés de jolies femmes que nos magasins catholiques, où la banqueroute se tapit sous le comptoir; leurs usines élèvent plus haut et plus fièrement que les nôtres leur panache de fumée; et plus d’un pays très apostholique et très romain, est l’humble vassal de cette industrie qu’exercent des mains réprouvées. Comment donc cela peut-il se faire, madame?

Un autre sujet d’étonnement pour moi, c’est que cette Italie si bien pourvue de reliques, si largement tonsurée et qui a bu tant d’eau bénite, soit pourtant si malheureuse; et Rome elle-même, madame, sa destinée est-elle bien brillante? tous les jours je me demande pourquoi elle ne fait point du noir animal de ses reliques; à quoi lui sert d’être non seulement la capitale, mais l’église du monde chrétien? le sceptre de l’univers s’échappait de sa main en même temps que la statue de Jupiter tombait des hauteurs du Capitole; sa puissance, sa gloire, ses grands hommes, tout s’en est allé avec ses dieux, et ses mamelles épuisées ne peuvent plus nourrir que des chanteurs et des capucins.

O Rome, Rome! voilà donc où ta catholicité t’a réduite. Au pied de ta croix, il ne vient plus, au lieu de lauriers en fleurs, que du chiendent et des orties; ta terre désolée ne produit plus qu’un peuple idiot et décrépit, triste regain d’une moisson de héros. Comment se fait-il donc que la reine des nations se soit changée en un moine immonde? à la place de ces marches triomphales qui resplendissaient des dépouilles de tout l’univers, qu’as tu mis? des processions, traînant à leur suite des prêtres rapés, et un long amas d’hommes en guenilles. Un suisse de cathédrale, arlequin chamarré de ridicules oripeaux, fait maintenant résonner sa hallebarde sur les dalles du Capitole, et meurtrit la poussière des Paul-Emile et des Scipion. Rome, ville de misère et d’opulence, ville de servitude et de despotisme, ville de prêtres en serge et de cardinaux en velours, si tes saints peuvent pour toi quelque chose, demande-leur donc un rabat plus propre pour mettre sur ta thiare.

Je ne doute pas madame, que cette pincée de votre cendre, que M. Gaume aurait pu nous apporter dans sa tabatière, soit plus puissante que tout le reste des catacombes; mais enfin vous-même, quel acte de protection avez-vous accompli en notre faveur, et comment, depuis tantôt trois mois que vous êtes ici, nous sommes-nous aperçus de votre présence. Voyons-nous le commerce reprendre ses balances et sa demi-aune, et le crédit, devenu moins cauteleux, nous r’ouvrir son escarcelle; avez-vous tari ces pluies incessantes? qui après avoir noyé nos prés renversent nos épis; et ces jours derniers, quand la Loire dévorait sous nos yeux un de nos plus jeunes concitoyens, êtes-vous venue lui arracher sa victime? cependant vous eussiez touché une prime de dix écus pour faire vos bonnes œuvres. Si votre protection est pour nous sans résultat, à quoi sert-il donc que vous nous protégiez; c’était bien la peine ma foi de disgracier ce pauvre St.-Cyr, qui se tenait si tranquille et si raisonnable sur son cochon, pour vous mettre à sa place. Voyez-vous là bas ce vieux Clamecy qui rit sous cape à votre nom: je suis bien sûr qu’il préfère la protection de M. Dupin aîné à la vôtre.

–Monsieur, me dit la sainte, je suis ici comme un roi au milieu des dévoûments équivoques de sa cour: vous qui avez quarante ans et au-delà, et qui parconséquent devez mieux que moi distinguer un masque d’une face vivante, une dévotion de chair, d’une dévotion de plâtre, tirez-moi d’un doute, je vous prie; est-il vrai que les prêtres croient à mes miracles?

–A la vérité, madame, j’ai vu bien des masques; mais que voulez-vous, il est des apparences si bien imitées qu’il faut en approcher de bien près pour les distinguer de la réalité.

Les prêtres croient-ils à vos miracles? j’en doute et voici mes raisons. Les prêtres en général se portent d’une manière florissante, c’est une qualité qu’on ne saurait leur refuser. Cependant il en est bien certains parmi eux qui sont atteints de quelques infirmités, ne serait-ce que de ces infirmités contractées par les jeûnes, les abstinences et les macérations de toute espèce qu’ils font subir à leur corps. Or, quand les prêtres ont la fièvre ou la colique, c’est toujours au médecin qu’ils s’adressent. Ce matin encore, à votre procession, j’étais auprès d’un vieux et respectable ecclésiastique qui s’en allait ployé sous un faix de quatre-vingts années, et se faisait de son valet une béquille. A ses côtés, des femmes se disputaient à qui passerait sous votre châsse, et lui, cet octogénaire tombant en ruines, il n’a pas le moindrement songé à en faire autant. Cependant quelque vénérables que soient les infirmités, je ne crois pas qu’on y tienne beaucoup.

Quant à M. Dufêtre, bien certainement il croit à vos miracles. Un prêtre ne saurait mentir, et un évêque le voudrait qu’il ne le pourrait pas. Voyez-vous, madame, un prêtre c’est la vérité qui en sor tant de ce puits impur ou le paganisme l’avait plongée revêtit sa nudité d’un rabat et d’un tricorne; la chaire doit, comme un témoin qui dépose, dire toute la vérité et rien que la vérité. Or M. Dufêtre, ne dirait pas rien que la vérité, si cherchant à nous faire croire à vos miracles, lui-même n’y croyant point; et dans ce cas, pour dire toute la vérité, il serait obligé de nous désabuser desdits miracles comme d’une superstition.

Ce serait pour lui non seulement un devoir de religion, mais encore un devoir d’humanité; et il faudrait qu’il n’y eut pas chez lui le moindre atome de St. Vincent de Paule pour qu’il s’en départit. De pauvres malades, que l’ordonnance du médecin a consignés dans leur lit, se traînent, madame, à grand renfort de béquilles au pied de votre autel et se prosternent devant vous sur des genoux ankilosés; ces pieux imbéciles en cherchant à se guérir des maladies qu’ils ont, se donnent des maladies qu’ils n’avaient pas. Et même l’an passé un malheureux père de famille était frappé d’une mort soudaine pour s’être plongé tout couvert de sueur dans les eaux miraculeusement salutaires de votre sœur Brigitte. Vous n’avez encore rien de semblable à vous reprocher, belle sainte, , j’aime à vous rendre cette justice; mais vous le voyez, cette médecine qui traite toutes les infirmités par des cierges et des neuvaines et qui au premier aspect paraît si innocente si bonne personne, elle est cependant plus fatale qu’un rebouteur à la santé publique.

M. le commissaire de police veille à ce qu’il ne soit porté aucune atteinte à la conservation des habitans de la commune; il pousse même la sollicitude sur ce point jusqu’à faire empoisonner vôtre chien de peur qu’il ne vous morde. Il pourrait, il devrait même vous mettre la main sur l’épaule; mais on conçoit qu’il ne l’ose pas, un acte de cette autorité empêcherait peut-être le ministre de la marine de lui faire tenir son orphelin de la Guadeloupe.

D’un autre coté le parquet décernerait très bien un mandat d’arrêt contre vous, pour exercice illégal de la médecine; mais le parquet est trop galant, trop parquet français, pour en venir avec une demoiselle à une aussi rigoureuse mesure.

Je ne vois donc que M. Dufêtre, qui soit à même d’intervenir dans cette affaire; d’un mot il peut jeter un rayon de lumière à travers cette épaisse et fatale ignorance qui compromet la santé de son troupeau; et pourtant ce mot il ne le dit pas. Il faut donc qu’il attende de vous quelque grand miracle, un miracle devant convertir les deux ou trois de ses diocésains, qui dans la dernière course triomphale, par lui fournie ont échappé à sa parole victorieuse.

–Oh! oh! fit la sainte, avec un joli petit bâillement. M. Dufêtre aurait bien dû m’épargner les fatigues de cette procession; je suis harassée; me faire promener sur la place Ducale par un soleil de 20à25dégrés, sans ombrelle et avec une robe de velours, voilà un procédé bien peu aimable!

–En toutes choses, lui répondis-je, M. Dufêtre ne considère que la plus grande gloire de Dieu. Quand il s’agit d’honneurs à recevoir au nom de son maître, il ne s’épargne pas plus que les autres, et paie bravement de sa personne. Ainsi lors de son entrée triomphale à Nevers, combien il a dû souffrir dans sa modestie, d’être exposé pendant trois heures et à bout portant aux acclamations de la foule. Et encore il est des infâmes qui révoquant en doute la simplicité de cet homme apostolique, prétendent qu’il se complaît au milieu de ces pompes mondaines, et qu’il aime l’évidence dorée du premier plan: les malheureux! mais ils ne conprennent donc pas que, si ce respectable prélat a exigé de M. le maire, tous les honneurs qui lui revenaient et même un peu plus qu’il ne lui en revenait, ce n’est pas pour lui qu’il les réclamait, c’est pour Dieu; c’est qu’il importait à la gloire de Dieu, que son représentant traversât le pont de Loire au bruit de l’artillerie.

Et à Donzy encore, où ce martyr de l’épiscopat a été appelé brutalement M. Dufètre tout court par le juge de paix. Pourquoi se plaignait-il que la garde nationale ne fut pas venue à sa rencontre, cela est facile à comprendre, c’est parce que Dieu eut été bien aise de voir la garde nationale de Donzy sous les armes.

–Monsieur, dit la sainte, cet appareil triomphal peut convenir aux grandeurs d’ici-bas, mais je doute fort qu’il convienne aux grandeurs du ciel. Le Dieu que nous adorons est né dans une crèche et mort sur une croix: ce n’est pas par un vain étalage de choses précieuses qu’il faut l’honorer; cette croix, vous devriez vous rappeler ce qu’elle représente, hommes insensés; c’est son gibet que vous couvrez d’une couche d’or si épaisse. Si Jésus-Christ pendant sa vie mortelle eût voulu se rehausser par un éclat étranger, n’avait-il pas à son service toutes les magnificences du ciel. Pourquoi ses serviteurs veulent-ils pour son image des honneurs dont il n’a pas voulu lui, pour sa personne; et ne ressemblent-ils pas un peu ici à ces adroits cuisiniers qui préparent à leur maître un ragoût qu’il n’aime pas pour s’en régaler eux-mêmes.

L’Évangile est-il meilleur pour être si bien relié; et quel précepte de morale mettent en honneur ces bruits de cloches dont on emplit la ville, ces chasubles qu’on promène par les rues, et ce lutrin qu’on transporte sur la place publique.

Hélas, monsieur, qu’est devenue la touchante et majestueuse simplicité de notre église primitive; où sont ces chrétiens avec lesquels j’ai prié dans les cryptes, où sont ces vieux évêques qui vivant dans la retraite et le dénuement absolu des choses d’ici-bas, ne voulaient faire de prosèlites que par l’exemple de leurs vertus.

Ceux qui se disent les successeurs des apôtres, ceux qui se laissent appeler les envoyés de Dieu par leurs flatteurs, ce n’est plus au cœur du chrétien, c’est à ses yeux qu’ils s’adressent. Au lieu de parler à sa raison et à son ame, ils étourdissent son oreille par un continuel bourdonnement de psaumes et de cloches; ils lui donnent des fêtes aujourd’hui à cet autel, demain à cet autre; ils l’amusent par des processions mêlées de mascarades, où le sauveur des hommes; est représenté par un enfant portant un agneau sous son bras; ils donnent, comme les frères ignorantins à leurs élèves, des médaillons aux dames qui ont été bien sages. Cette grande et sévère figure de Jésus-Christ qui jette du haut de sa croix un regard mélancolique sur le monde, ils l’atiffent de soie, de dentelles et de verroterie, comme une sainte Renne.

Grâces à ces continuelles cérémonies, le dogme qui impose des sacrifices est délaissé pour le culte qui donne des spectacles. Cette dévotion hypocrite des italiens, dévotion toujours prosternée; et qui brûle tant de cierges, a succédé à la piété féconde de nos pères. Cette foi des anciens temps qui défrichait les solitudes de la Gaule, qui mettait des ponts sur ses fleuves, qui maçonnait dans les nuages les flèches dentelées de nos cathédrales, qui jetait des armées de paysans et d’ouvriers sur des plages lointaines, qu’est-elle devenue? Hélas, monsieur, ce n’est plus qu’un soleil d’hiver qui brille, mais ne fait rien éclore.

Ces gens qu’on appelle sans cesse à l’autel, au lieu de payer Dieu en bonnes œuvres, le payent en pratiques religieuses; et tous les ans à Pâques, ils vont avec confiance demander leur quittance à leur confesseur; quelles bonnes œuvres, en effet, voulez-vous attendre d’hommes qui croient qu’avec des neuvaines ils achèteront la rémission de leurs péchés.

Ces femmes en robe, et ces autres femmes en paletot, que vous prenez pour des hommes, ce sont en apparence d’excellents chrétiens; il n’y a pas de troupe mieux disciplinée: vous leur dites à genoux, et ils s’agenouillent; redressez-vous, et ils se redressent; faites le signe de la croix, et ils le font; mais allez demander à celles-ci pour vêtir et rassasier les pauvres, cet or et ces diamans dont elles frelatent leur beauté, œuvres et pompes de satan auxquelles pourtant elles ont renoncé lors de leur baptême, et à ceux-là cet habit d’homme comme il faut, taillé à Paris par les ciseaux et pressé par le passe-carreau d’un homme de génie, et vous verrez ce que c’est que leur piété.

J’ai vu, en traversant la France, des hommes noirs qui s’agitaient, qui criaient, qui gesticulaient, qui déclamaient leurs livres, qui faisaient à grand renfort de cimbales et de grosse caisse des recrues pour leurs congrégations, qui cherchaient enfin à se rendre importans par les attaques qu’ils dirigeaient contre tout le monde et par celles qu’ils provoquaient contre eux-mêmes; j’ai demandé à M. Gaume quels étaient ces hommes, et il m’a dit que c’étaient des jésuites.

Je suis sainte, monsieur, mais je n’ai point les préjugés de ma caste, et Dieu m’a lait la grâce de détester les jésuites. J’ai ri de pitié en voyant ces prêtres charlatans vouloir achalander leur église par les mêmes moyens qu’un marchand achalandé sa boutique, et je me suis étonnée que tous les chrétiens sincères et éclairés ne se réunissent pas pour les combattre. Car ces gens-là, en voulant relever leur domination abattue, perdront le peu de religion qui reste en votre France.

Le genre humain est sorti de ces superstitions qui faisaient la puissance des prêtres; leur noire soutane ne peut plus déteindre sur les constitutions; le peuple souverain ne va plus à confesse, et son front est trop haut pour que leur main puisse atteindre à sa couronne.

Pour être quelque chose, il faut que le prêtre redevienne ce qu’il était autrefois, un disciple de Jésus-Christ, un simple ministre de l’évangile, qu’il ne se tienne point clos et immobile dans son presbytère, tel qu’un saint dans sa niche; qu’il se mêle au peuple, comme le faisait son divin maître, qu’au lieu d’aller boire du vin rouge ou jouer à la bouillote chez le notaire et le percepteur de la commune, il entre dans les chaumières, qu’il s’asseie à l’humble foyer sur l’escabelle du pauvre; que désespérant de convertir ses paroissiens en masse et par arrondissement, comme a le bonheur de le faire de M. Dufêtre, il les prenne homme par homme, et conscience par concience, qu’au lieu de leur faire un sermon, il converse familièrement avec eux, qu’il écarte doucement et avec la sollicitude attentive d’un médecin qui lève un appareil, les voiles qui enveloppent leur esprit, et qu’aprês les avoir ébranlés par la puissance de ses paroles, il les persuade par l’exemple de ses vertus; qu’il soit, partout où il entre, suivi de la paix et de la concorde; qu’il réconcilie les ennemis, qu’il prévienne les procès, qu’il joue comme Jésus-Christ avec les petits enfants, qu’il trinque, sobrement toutefois, avec le père de famille, qu’il ait le mot pour rire avec les jeunes filles de la maison, et qu’au besoin, de crainte que le tentateur ne se mêle de ce qui le regarde, il les marie avec leurs amoureux.

A cette condition les prêtres seront beaucoup encore, ils seront plus que vous, plus que moi, plus que le seigneur du château voisin, plus que le maire de la commune, plus que le sous-préfet de l’arrondissement, et s’il faut tout vous dire, je ne connais point de rôle plus honorable et plus digne d’un homme que celui d’un pasteur régnant sur sa paroisse par l’ascendant de ses vertus.

–Ce que vous dites là, madame, est bien pour une sainte; mais puisque vous avez tant de bon sens, vous devez vous apercevoir que vous êtes ici un sujet d’oisiveté pour beaucoup, et que votre présence porte préjudice à un grand nombre de pauvres familles; pendant que ces femmes récitent leur chapelet devant votre châsse, ce n’est pas vous qui raccommodez les hardes de leurs enfants et faites bouillir le potage de leur mari; et je suis bien sûr que plus d’une ne rentre chez elle qu’avec la crainte d’être battue. Croyez-moi, rendez votre perruque blonde au coiffeur, vendez votre robe rouge et votre palme au profit des pauvres, et retournez à Rome. Nous avons assez de saints que nous ne ne prions pas, sans qu’on nous en amène encore de nouveaux; vous comprenez, madame, qu’une ville ne change pas de saints comme elle change de conseillers municipaux.

C. T.

De choses et d'autres : vingt-quatre pamphlets

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