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Deuxième Pamphlet.

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Table des matières

Procédons comme ces gens qui mêlent toujours à l’histoire qu’ils ont à raconter des faits et gestes de leur crû.

Il était sept heures du matin; une pensée fatale m’avait éveillé; j’allais en pélerinage à St.– Cyr; je voulais demander pardon à Dieu d’avoir crû, sur la foi du Constitutionnel et des périodes de MM. Quinet et Michelet, à la résurrection des jésuites, aux envahissements du parti prêtre, à ces tentatives de soustraction frauduleuse qu’on impute aux évêques, relativement à l’instruction secondaire, et aussi d’avoir interrompu, par demau-vaises et intempestives railleries, cet hosanna que l’Echo de la Nièvre chantait si bien en l’honneur de M. Dufêtre.

Ces lugubres préoccupations troublaient le peu de raison que j’ai; je me voyais irrémissiblement condamné aux supplices des impies; déjà je sentais dans la moelle de mes os ces ardeurs préliminaires que doit éprouver un poulet à rôtir, alors qu’il exécute son premier tour de broche; j’entendais sous mes pieds comme un bruissement de flammes souterraines; les grands arbres du Château exhalaient une odeur de soufre ou de chair rôtie–je ne saurais trop dire laquelle–Les chansons des petits oiseaux, qui gazouillaient joyeusement dans le feuillage, me faisaient l’effet de ces gémissements et de ces grince– mens de dents dont parle l’Écriture; et telle était la sombre teinte de mes préoccupations, qu’un des apprentis de l’imprimerie m’ayant souhaité le bon jour, je le pris pour un des sbires de l’enfer qui venait exécuter un mandat d’arrêt sur mon ame.

Tout-à-coup des chants de lutrin éclatèrent à mon oreille; je m’approchai: deux rangées de femmes de toutes couleurs et aussi de toute vertu, formaient, sur la place Ducale, comme deux haies en fleurs au milieu d’une prairie, un gracieux chemin de traverse. Au-dessus de ces gazes et de ces rubans, la mitre de M. Dufâtre, élevait avec une grande majesté son double pignon, et le bec de corbin de sa canne épiscopale resplendissait au soleil, entouré d’une pléiade de tonsures.

C’était le chapitre qui se livrait à la fatigante manœuvre de la procession.

Quoi! me dis-je, trois processions en quinze jours, quand la révolution de juillet a à peine toléré que les processions missent la tête hors de leur église. Il paraît que le goût des processions est une des vertus de M. Dufètre que l’Echo de la Nièvre n’a pas encore éditées. O Nevers, vieux et rude forgeron, décidément le respectable prélat veut faire de toi un moine; si tu n’y prends garde, il te mettra au cou la plus lourde de ses médailles, et enchaînera d’un triple chapelet tes mains industrieuses. Faites-vous donc chanoine pour dormir la grasse matinée! sous la crosse de cet évêque, le métier de chanoine va devenir plus fatigant que celui d’un officier de dragons, et les blanches joues de nos vierges vont s’imprégner de tant de soleil, que leurs mères elles-mêmes craindront de les embrasser.

Ayant dit cela, le repentir que j’éprouvais d’avoir trop cru aux jésuites et pas assez à la simplicité apostolique de M. Dufètre, commença à s’émousser.

Je m’approchai de rechef. Une belle jeune fille de cire blonde était portée sur une civière triomphale, attelée de huit gros lévites, caparaçonnés de chasubles d’or; sa tète était parée d’une perruque blonde, frisée à l’instar de Paris, par le fer habile de M. Mativet. Elle était vêtue de velours écarlate, comme un César de Rome; sa petite main, qui semblait modelée pour tenir un éventail, portait une lourde palme d’or; peut-être même avait-elle sur le front une couronne de vierge; je compris que cette jeune demoiselle devait être l’héroïne de la procession, et je m’informai qui elle était.

C’est une nouvelle débarquée, me dit une de ces femmes hardies dont la langue n’a point de sexe; lisez, Monsieur, ajouta une respectable matrone de la société, en me présentant la brochure de M. l’abbé Gaume, lisez, et convertissez-vous!

Un instant, madame, répondis-je à la matrone; on ne se convertit pas comme cela; permettez que je lise d’abord la brochure de M. l’abbé Gaume, et s’il y a lieu de se convertir, on se convertira.

J’ouvris donc la sainte brochure, et voici ce que j’y trouvai:

«Si vous demandez à la belle inconnue d’où elle est, elle vous répondra: je viens de la ville sainte des martyrs, je m’appelle Flavie; or ce nom, la position de la sainte dans les catacombes, les données historiques, tout se réunit pour établir que notre illustre martyre appartient à la famille Flavia, famille impériale, d’où sortirent Titus, Vespasien, Domitien.»

Quoi, me dis-je, voilà tout ce que cette jeune romaine peut répondre aux fidèles qui lui demandent: qui êtes-vous! Je doute fort qu’un bon gendarme qui la rencontrerait sur la grande route, se contentât de cette réponse. En vérité, si cette dame est canonisée, le pape prend moins de précautions pour faire un saint, que M. le préfet pour délivrer un port-d’armes. Mais peut-être M. l’abbé Gaume a-t-il mal entendu. Interrogeons nous-même la sainte, et nous verrons ce qu’elle nous répondra.

Lors donc que la procession fut définitivement terminée et que le sermon abondant et facile de M. Dufètre se fut tari jusqu’à sa dernière syllabe, je m’agenouillai devant la châsse de la noble inconnue, et je lui dis, avec toute cette politesse dont vous me savez susceptible:

–Je vous prie, Madame, de ne point prendre en mauvaise part la question que je vais vous faire; elle ne m’est inspirée que par le vif intérêt que je vous porte: en vous voyant si belle et surtout si bien coiffée, un protestant lui-même vous adorerait, jugez donc si moi qui suis......

–Pas tant de compliments, Monsieur, me répondit la belle inconnue, me prenez-vous pour une grisette; allons au fait, s’il vous plait.

–Eh bien oui, Madame, allons au fait. J’ai lu dans M. Gaume que vous veniez de la ville sainte des martyrs; cependant, je vous le confesse, à votre costume, et surtout à votre perruque blonde, je serais tenté de croire,–et je dis tenté, parce que c’est sans doute une tentation du mauvais esprit,–que vous avez eu pour dernier domicile la boutique d’un coiffeur, ou que vous vous êtes furtivement échappée de quelque cabinet de cire dont le cicérone vous a peut-être fait des propositions tendant à effaroucher votre vertu.

–Monsieur, me dit la sainte, avec un gracieux sourire, sourire plus gracieux que ces petits éclairs roses qui entr’ouvrent par une belle nuit l’azur des cieux, il est bien vrai que mon fémur et un morceau de mon crâne,–car hélas, en fait de substance calcaire, c’est tout ce que je possède,–viennent de la ville que dit M. Gaume; mais ma robe écarlate, ma perruque blonde que vous trouvez si bien, et ma pâle et touchante beauté, je ne sais d’où elles viennent et par quelles mains elles ont été faites.

Du reste, je n’ai qu’à me louer de M. Gaume; au lieu de me traiter comme ces vulgaires martyrs qu’on expédie de Rome par le roulage avec une simple lettre de voiture, il m’a amenée sur ses genoux, le galant homme qu’il est; en attendant qu’on m’eut préparé à la cathédrale un logement convenable, il m’a placée dans une riche maison où on a eu pour ma personne les attentions les plus délicates. J’ai été nuit et jour éclairée par des cierges, et on a mis auprès de moi une garde, de peur que je ne m’ennuyasse dans mon oisiveté, et qu’il ne me vint de mauvaises pensées.

–Nous nous écartons un peu de la question; permettez-moi de vous demander s’il est bien vrai que vous vous appeliez Flavie?

–Rien n’est plus certain, Monsieur.

–Qu’est-ce qui le prouve, Madame.

–Ce qui le prouve, c’est le témoignage de M. Gaume; il a lu ce nom écrit sur le couvercle de mon cercueil.

–Voilà, madame, un petit nom de jeune fille envers lequel le temps qui a déchiré tant de feuillets de nos histoires, qui a effacé sur la poussière de ce monde tant d’empreintes de capitales et d’empires, qui a rayé de la mémoire des générations tant de noms de peuples, de grands hommes et de conquérants, a été bien galant et bien respectueux. Mais quoi, madame, vous êtes martyre et vous avez un cercueil: voilà qui me paraît un peu extraordinaire. Si vous êtes une véritable martyre, et qu’on vous ait trouvée en possession d’un cercueil, il faut que vous l’ayez dérobé à quelque voisin distrait ou peu soigneux. Du reste ces sortes d’expropriations ont eu lieu plus d’une fois dans les catacombes.

Quand les martyrs avaient passé par la dent des bêtes ou par les tenailles ardentes du bourreau, leurs restes défigurés étaient jetés pêle-mêle, comme un tas de décombres, à la grande voirie des catacombes; si quelqu’un de ces suppliciés eût été par miracle rendu à la vie, un mois ou deux après son exécution, il eût eu bien de la peine sans doute à reconnaître lui-même, au milieu de cette; défroque humaine, les membres qui lui avaient appartenu. La jeune vierge eût bien pu prendre la poitrine velue d’un soldat, ou mettre à la suite de sa blanche épaule, le bras d’un de ses persécuteurs; et vous, madame, vous voulez qu’une main pieuse ait pu retrouver, dans ce tas de débris qui s’entassaient chaque jour l’un sur l’autre, votre fémur et un petit morceau de votre crâne; mais alors il aurait fallu que le bourreau, dans la prévision des hautes destinées qui vous attendaient, eût étiqueté vos glorieux ossemens.

Et d’ailleurs, quel est le tyran qui permette d’élever des tombeaux à ses victimes! Voyez l’inquisition, souffrait-elle que les hérétiques cherchassent dans les cendres de ses auto-da-fé les restes mal éteints de leurs parents et de leurs amis, et les enfermassent dans un cercueil; puis-je admettre qu’un tyran idolâtre ait été plus humain envers des sujets rebelles qui faisaient ouvertement la guerre à ses dieux, que des prêtres du Christ envers des malheureux qui n’étaient coupables le plus souvent que de se mal conformer aux exigences de leur église.

Ne m’objectez point, madame, que vos parents vous ont secrètement creusé un cercueil, j’aurais la douleur de vous contredire. Les romains qui avaient fait les catacombes en connaissaient les chemins aussi bien que nos ancêtres dans la foi. Ils devaient veiller à ce qu’on ne réhabilitât point par les honneurs du tombeau des cendres qui avaient subi la flétrissure de leurs bourreaux; s’ils eussent souffert qu’il en fut ainsi, ils eussent perdu tout le bénéfice de leur cruauté; et, certes, quand on fait tant que d’être persécuteur, on veut que ce soit pour quelque chose. Nous ne pouvons raisonnablement admettre que vos tyrans aient fait comme le tigre, qui ne s’occupe plus de sa victime après qu’il l’a déchirée.

Je vous ferai du reste observer, madame, que Jésus-Christ, votre divin maître et le mien, n’a qu’un cénotaphe. Peut-être y aurait-il quelque inconvenance de votre part, vous qui étiez encore il y a trois mois du commun des martyrs, de prétendre à un vrai tombeau, quand le premier et le plus grand des martyrs n’en a qu’une apparence. A Dieu ne plaise, madame, que je veuille dépouiller votre beau front de cette blanche couronne roses qui vous va si bien; mais de deux choses l’une, il faut que vous renonciez ou à votre cercueil ou à votre palme d’or.

–Eh bien je garde ma belle palme d’or; mais alors, monsieur, adorez-moi bien vite.

–Un peu de patience, madame; quoi vous voulez que je vous adore avant que votre identité soit constatée. A votre tour, me prenez-vous donc pour un conclave? Le nom de Flavie est sans doute un doux et joli nom. Il soupire dans mon oreille comme la dernière vibration d’une note qui se meurt. Ce nom, dans la langue de Cicéron, veut dire blonde, et c’est sans doute pour cette raison que M. Gaume vous a décorée d’une perruque blonde; mais un prénom, si joli qu’il soit, ne vaut pas un acte de naissance. Il y avait sans doute à Rome, de votre temps, un millier de vierges qui s’appelaient Flavie, comme du nôtre il y a à Nevers une cinquantaine de vierges qui s’appellent Adèle ou Caroline; et même, s’il faut tout vous dire, je tiens d’un savant de mes amis, très fort sur la vie des Césars, qu’il existait sous le régne de Domitien deux Flavie, qui faisaient un assez mauvais usage de leur corps. Je vous prie de croire, madame, que je ne fais ici aucune allusion qui vous soit personnelle; mais enfin ces deux harmonieuses syllabes, la seule chose qui reste avec votre fémur et un peu de votre crâne, de votre gracieuse hypostase ne peuvent constater à quelle famille vous apparteniez; avec ces six lettres vous ne pourriez hériter de vos parents; vous ne pourriez, s’il vous plaisait de renoncer à votre titre de vierge, contracter mariage, et je doute fort qu’au cas ou il vous conviendrait de retourner à Rome, M. Bouziat vous délivrât un passe-port.

–Mon Dieu, monsieur, que vous êtes obstiné, me répondit la sainte; vous n’avez donc pas lu ce qu’a écrit M. Gaume. «Mon nom de Flavie, ma position dans les catacombes, les données historiques, tout se réunit pour établir que je suis de la famille Flavia, qui a donné à Rome plusieurs empereurs, et que j’étais proche parente de Domitien.»

–Hélas, madame, votre nom de Flavie n’établit point du tout que vous descendez de la famille Flavia. J’aimerais autant dire qu’une jeune fille, parce qu’elle s’appellerait Blondine, descendrait de l’illustre famille des Blondin, ou que tel domestique, qui se nomme Martin, est un Martin du nord-est ou du nord-ouest, animal à sang froid ayant dans les veines les mêmes atomes que M. Martin du Nord.

Quant à votre position dans les catacombes, ce n’est pas. non plus un argument sans réplique. D’abord, comment a-t-on pu constater votre position dans les catacombes, quand de tout ce qui fut vous, les lions n’ont épargné qu’un morceau de votre crâne et votre fémur; ensuite M. Gaume devrait bien nous dire quelle était la position des membres de la famille Flavia dans les catacombes; gîsaient-ils sur le dos ou sur la poitrine, sur le côté droit ou sur le côté gauche; regardaient-ils l’orient ou l’occident; avaient-ils leurs mains étendues sur leur tète ou modestement croisées sur leur nombril. En supposant que votre position dans les catacombes établisse quelque chose, vous êtes bien heureuse que personne n’ait interverti la position de votre fémur et de votre morceau de crâne; car alors, adieu votre parenté avec les empereurs. Mais aussi M. Gaume est-il bien sûr que durant cette longue série de siècles, aucune main profane ne vous ait fait, en vous dérangeant dans votre cercueil, de faux titres de noblesse.

Puis, à quel titre les ossemens de la famille Flavia se trouvaient-ils dans les catacombes? est-ce comme os de païens ou comme os de martyrs. Si vous dites que c’est en qualité d’os de martyr, pourquoi les noms de ces illustres personnages ne sont-ils pas écrits dans le martyrologe, et comment savez-vous qu’ils ont été martyrs; si c’est comme os de païens seulement, alors les dépouilles des idolâtres étaient confondues avec celles des chrétiens, et dans ce cas, quelle confiance Voulez-vous que nous ayons en vos reliques. Vos catacombes, c’est un sac au fond duquel il y a moitié serpents moitié anguilles; qui nous dit que le pape a eu la main assez heureuse pour n’en tirer que des anguilles.

Les données historiques pourraient bien établir quelque chose; malheureusemeut M. Gaume, semblable à ce perfide gargotier qui n’ayant pas de lapin vous fait une gibelotte de matou, au lieu de nous faire votre histoire nous fait celle des catacombes. Cependant avant de vous adorer, il est bon que nous sachions qui vous êtes, en quoi consiste votre martyre et à quelle occasion vous avez–comme ils disent-trempé votre robe dans le sang de l’agneau; car enfin, si vous étiez un de ces chrétiens fanatiques, semblables au Polyeucte de Corneille, qui s’étant mis en tête que le paganisme devait vider le monde, par cela seul que la croix s’était montrée dans quelque faubourg de Rome, couraient sus aux statues des dieux partout où ils les rencontraient, vous sentez que nous ne pourrions vous accorder nos hommages; dans ce cas ce serait la rébellion aux lois que nous consacrerions, et non seulement vous vous seriez mise en insurrection contre les autorités constituées, mais encore contre les préceptes de Jésus-Christ, qui dit formellement dans son évangile:

«Rendez à César, ce qui appartient à César.»

Vous comprenez, du reste, qu’il est permis à chacun d’avoir sa conviction, et que si nous voulons que les autres respectent nos croyances, il faut aussi que nous respections les leurs. Je suis bien sûr que M. Gaume se fâcherait, si quelque ultrà-protestant, sous prétexte que Luther condamne la confession, venait mettre en pièces son confessionnal.

Ainsi pour nous résumer, quand M. Gaume nous dit: le nom de la sainte, sa position dans les catacombes, les données historiques, tout se réunit pour établir, etc., etc., il ne fait rien autre chose qu’une addition de zéros. Pour moi, comme je tenais à vous raconter votre propre vie, j’ai, pendant le sermon de M. Dufêtre, cherché qui vous étiez dans Godescar, l’historien le plus complet des bienheureux; mais il n’y est pas plus question de vous que de moi, de votre martyre que de mes pamphlets; il serait donc fort possible que ces jeunes vierges qui délaissent leur tricot ou leur tapisserie pour votre autel, se prosternassent devant une vénérable matrone qui a eu des brus et des gendres autant qu’Hécube, peut-être même... Pardon, Madame, j’allais dire une grosse sottise en même temps qu’une grosse impiété. Mais enfin je ne conçois pas cet acharnement que met M. Gaume à établir votre parenté avec Bomitien: comme si la rose et la ciguë pouvaient croître sur la même tige. A votre place, je saurais très mauvais gré à ce chanoine de l’horrible lignage qu’il m’attribue, et quand il viendrait me dire devant ma châsse:

«Depuis long-temps je répands mon ame en votre présence, vous suppliant etc., etc.»

Je lui répondrais, M. Gaume, allez répandre votre ame ailleurs.

–Apprenez, monsieur, me répondit la vierge, que je ne fais de malhonnêtetés à personne.

–Et bien soit, madame, que M. Gaume répande son ame devant vous tant qu’il lui plaira, mais franchement, est-ce que vous faites des miracles?

–Certainement, monsieur, me répondit-elle.

–Alors, donneriez-vous bien un peu d’esprit à l’Echo de la Nièvre.

–Pourquoi non, monsieur, la puissance de Dieu est infinie.

–Inspireriez-vous bien un petit discours de dix minutes, au député de l’arrondissement de Cosne.

–Cela ne me paraît pas impossible; Dieu a bien tiré une source d’eaux vives d’un rocher.

–Et le roi de Clamecy, M. Dupin aîné, l’homme au boutoir, feriez-vous bien en sorte, qu’ayant parlé blanc, il ne dît pas noir.

–La langue et la pensée des mortels sont entre les mains de Dieu, mon cher M. Claude.

–Enfin, madame, pourriez-vous élever d’un cran plus haut, M. Dufètre dans sa propre estime.

–Oh! pour cela, monsieur, c’est impossible.

–Je m’en doutais, madame; du reste, dans la prière que M. Gaume nous propose de vous adresser, je lis après l’invocation et entre deux parenthèses: (exprimer ici la faveur qu’on demande pour oi ou pour les autres à la sainte.) D’abord, Mme, je vous ferai observer que demander à Dieu une faveur, c’est presque toujours le tenter; cet emploi, par exemple, que je le prie de me faire obtenir, ou d’autres en sont plus dignes que moi, ou j’en suis plus digne que les autres; or dans le premier cas, je demande à Dieu un acte d’iniquité, et dans le second je l’insulte en doutant de sa justice. Mais de quel genre sont les faveurs que vous faites obtenir? Accordez-vous des bureaux de tabac, des perceptions, des justices de paix; procurez-vous un bon numéro aux conscrits, placez-vous les domestiques sans maîtres, faites-vous retrouver les objets perdus, préservez-vous de la croix d’honneur.

–Ma spécialité, monsieur, c’est la guérison des maladies. N’avez-vous pas lu dans M. Gaume qu’il s’échappait du tombeau des martyrs une vertu secrète qui guérit les infirmités de l’âme et les maladies du corps.

–Prenez garde, madame, en France on ne peut guérir sans être médecin ou officier de santé. Je dois vous en prévenir, vous êtes justiciable d’un article du code pénal qui condamne à la détention les sorciers, les rebouteurs, et les donneurs de remèdes. Quelle douleur pour M. Dufêtre, s’il vous voyait, vous qu’il promenait naguère triomphalement par la ville, arrachée de votre châsse par de barbares gendarmes, et conduite en prison avec ignominie: le respectable prélat en éclaterait d’indignation, comme une pièce d’artillerie trop chargée.

–Je vais vous raconter un miracle que j’ai fait dernièrement, et vous comprendrez facilement que je n’ai rien à craindre du parquet.

Voici le fait: ces jours passés une femme m’amène une espèce de petit aveugle, elle le plante à genoux devant ma châsse, lui pose un chapelet entre les mains, et lui ordonne de réciter. Or, cette vieille imbécile m’avait amené un aveugle de bon aloi, et il fallait que je lui rendisse la lumière; vous concevez que j’aurais autant aimé qu’elle se fût adressée à un oculiste. Quand le gamin eut bien tourné et retourné son chapelet, on lui met un morceau d’étoffe sous les yeux, et on lui demande de quelle couleur il est, il répond sans hésiter qu’il est rouge, or l’étoffe était noire; on lui en présente un second, un troisième, un quatrième, tous les chiffons enfin que les vieilles femmes ont dans leurs poches, toujours ce vilain petit éraillé devinait à l’envers; et personne là, pas le moindre sacristain pour le souffler; vous concevez, monsieur, quelle dut être ma confusion, une proche parente de Domitien, rester en figure d’âne devant tout le public de la neuvaine; je suais sous le velours de ma pourpre, comme si j’eusse eu une fièvre cérébrale; je me repentais presque de m’être laissée faire martyre par M. Gaume, et s’il se fût trouvé là, je lui aurais donné de ma palme d’or au visage.

–Quoi! madame, vous vous seriez portée à cette extrémité.

–Sans doute, monsieur; une sainte n’aime pas plus qu’une autre qu’on la ballotte. Heureusement un bon jeune homme me vint en aide: il s’approche de mon aveugle, et passant une rose sous son nerf olfactif, mon ami, lui dit-il, qu’est-ce cela? alors les yeux du malade s’illuminant tout-à-coup, il répondit: monsieur, c’est une rose. C’est ainsi que je guéris ce petit malheureux de sa cécité. Bon jeune homme, va, si jamais tu veux une place.... dans le banc d’œuvre, tu peux t’adresser à moi.

–Voilà certes un miracle très-bien exécuté; mais cependant il me vient un scrupule: comment se fait-il donc que ces miracles que j’entends raconter par les vieilles femmes, soient toujours l’œuvre de saints de bas étage, de ces saints infimes qui n’ont pas même reçu les honneurs du calendrier, auxquels on ne souhaite jamais leur fête, saints qui font abstinence de plain-chant, et ne reçoivent à la Toussaint pour eux tous, deux ou trois cent mille qu’ils sont, qu’une grand’messe indivise, dont il faut qu’ils vivent toute l’année.

Ainsi donc, pour ne parler que de ce diocèse, à La Charité, c’est le cœur de Sainte-Marie de Chantal qui s’amuse à tacher de sang le satin de son reliquaire; à Cosne, c’est Sainte-Brigitte qui a la manie de réparer de ses propres mains son éternelle église, et qui communique à l’eau bénite de sa mare, mare sainte et privilégiée, dont les grenouilles ne doivent jamais mourir, la vertu de laver toutes les plaies et de guérir toutes les maladies. A Tannay, c’est votre sœur, la fraiche et grosse Agathe, qui remplaçant dans l’arrondissement de Clamecy, la Lucine des anciens, féconde les femmes frappées de stérilité, et emplit de lait les mamelles arides; aussi, sous Napoléon qui aimait beaucoup les conscrits, avait-elle une statue d’argent. A Nevers, enfin, c’est vous, Madame, vierge obscure, martyre ignorée, et que MM. Gaume et Dufêtre ont seuls l’honneur de connaître, qui ouvrez à la lumière les yeux pleins de ténèbres. Le soit changée en un moine immonde? à la place de ces marches triomphales qui resplendissaient des dépouilles de tout l’univers, qu’as tu mis? des processions, traînant à leur suite des prêtres rapés, et un long amas d’hommes en guenilles. Un suisse de cathédrale, arlequin chamarré de ridicules oripeaux, fait maintenant résonner sa hallebarde sur les dalles du Capitole, et meurtrit la poussière des Paul-Emile et des Scipion. Rome, ville de misère et d’opulence, ville de servitude et de despotisme, ville de prêtres en serge et de cardinaux en velours, si tes saints peuvent pour toi quelque chose, demande-leur donc un rabat plus propre pour mettre sur ta thiare.

Je ne doute pas madame, que cette pincée de votre cendre, que M. Gaume aurait pu nous apporter dans sa tabatière, soit plus puissante que tout le reste des catacombes; mais enfin vous-même, quel acte de protection avez-vous accompli en notre faveur, et comment, depuis tantôt trois mois que vous êtes ici, nous sommes-nous aperçus de votre présence. Voyons-nous le commerce reprendre ses balances et sa demi-aune, et le crédit, devenu moins cauteleux, nous r’ouvrir son escarcelle; avez-vous tari ces pluies incessantes, qui après avoir noyé nos tyre, vous eussiez eu l’honneur d’être un grand capitaine, eussiez-vous accordé à quelques obscurs soldats de votre armée une distinction que vous auriez refusée à vos plus illustres lieutenants. Je ne puis vous accorder, toute belle que vous êtes, que Dieu soit moins juste et moins reconnaissant que ne le serait la tourbe des mortels.

Je raisonnais dernièrement de ces sortes de miracles avec saint Claude, mon vénérable patron, qui porta la crosse et la mître dans la capitale de la Franche-Comté, et voici ce qu’il me disait:

Mon cher Claude, Dieu est engagé envers ses créatures par les qualités qui constituent son essence, par sa sagesse, par sa bonté, par sa justice, comme ses créatures le sont envers lui pour les devoirs qu’il leur a imposés. D’après ce principe, tu conçois qu’il ne peut y avoir de passe-droit à sa cour. Si Dieu accordait à une fillette de vingt ans, sous prétexte qu’elle a été vierge, un privilége qui me serait refusé à moi, vieux saint à barbe, qui ai vécu quatre-vingts ans dans les privations du célibat, le bonheur de le voir face à face et d’entendre son orchestre d’or, ne me retiendrait pas là haut cinq minutes; je déposerais ma barbe et mon auréole au pied de son trône éternel, et j’irais dès demain m’engager dans les dragons.

Cher patron, lui répondis-je, sous la grande épée du maréchal Soult, ce serait bien pis encore.

C.T.

(La fin au troisième pamphlet.)

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