Читать книгу De Paris à la mer - Constant de Tours - Страница 7

LE GAMIN DE PARIS

Оглавление

Table des matières

Il adore les quais et la Seine.


LE plus paternel des grands-pères l’a écrit: «Paris a un enfant; la forêt a un oiseau.» Et l’oiseau, ajoute Victor Hugo, s’appelle le moineau, l’enfant s’appelle le gamin. Ces deux pierrots sont des malins. Ni l’un ni l’autre n’a peur, mais tous deux sont prudents: l’oiseau s’envole devant le cheval qui trotte, le gamin se gare du sergent de ville et des voitures, parce qu’il sait qu’ils sont à craindre. Il est respectueux, mais ironique; le poète encore a dit: «La gaminerie est une nuance de l’esprit gaulois.» Il aime à flâner dans la rue tout en se rendant à l’école, au travail, ou bien chez quelque fournisseur, en courses pour son patron. Très observateur, il marche en songeant, quelquefois en sifflant, le nez en l’air, l’œil qui cligne pour diminuer son diaphragme, comme un photographe expert, afin d’avoir une perception plus nette des choses. Il est heureux d’être dehors, car il adore la liberté : Liberté, c’est son vœu; son cri, c’est liberté ! Enfant du peuple qui souffre et travaille, il a l’intuition — quand il ne les voit pas de ses yeux — des lourdes responsabilités humaines; il n’en est pas moins joyeux, toujours prêt à rire, mais il ne rit pas toujours.

Un heureux pêcheur.


Au long des bateaux-lavoirs.


Venu des faubourgs excentriques où demeurent par économie ses parents, c’est une fête pour lui quand une occasion l’amène dans les quartiers brillants du centre. Il s’extasie devant les vitrines des riches magasins et le nouvel article-Paris n’a pas de secrets pour lui: son esprit inventif et toujours en éveil a vite découvert le mécanisme ingénieux du joujou de l’année. Il est tout aussi bien au courant de l’événement du jour, connaît le chemin le plus court pour arriver à l’heure et en bonne place sur le parcours d’un cortège sensationnel, grimpe comme un chat jusqu’aux dernières branches des marronniers du boulevard pour bien voir d’en haut, n’être pas vu d’en bas et pour échapper à l’œil aussi vigilant que sévère de «l’autorité ». De là, le moucheron bourdonne sans piquer: il se paye la tête du bourgeois qui, trop «prudhommesque», n’a pas su apprivoiser ce petit moineau franc. «Monsieur Prudhomme», toujours irascible et grognon, est bonhomme au fond de l’âme; mais c’est un «empêcheur de danser en rond».

Il grimpe comme un chat dans les arbres.


Le gamin parisien n’est pas le dernier à connaître le nouveau refrain — rengaine que durant de longs mois tout le monde chante à Paris, puis que tout le monde oublie pour en apprendre un autre; et, chemin faisant, il s’arrête pour écouter les virtuoses improvisés dans les rues «barrées».

L’ «Autorité ».


Il admire les hercules des places publiques.


Il est plein d’admiration pour les hercules des places publiques et grossit la foule des spectateurs gratuits.

Certes, il se laisse facilement distraire; mais les rues de Paris offrent tant de distractions! S’il oublie quelquefois que la ligne droite est le plus court chemin pour se rendre d’un point à un autre, n’y a-t-il que des lignes droites dans Paris? Et les carrefours, les rues qui zigzaguent... sans compter les événements qui passent.

Il apprend, chemin faisant, le nouveau refrain de l’année.


Peu... euh! Peu... euh! Peu... euh!


Au petit buffet des boulevards.


Peu...euh! Peu...euh! Au galop se déroule le cortège des pompiers, dont les quatre voitures courent au feu. Devant la foule rangée le long du trottoir défile une première voiture chargée de tuyaux, d’échelles, de cordages et d’appareils, suit la grande échelle à coulisse et son dévidoir, la bobine monstre sur laquelle s’enroulent des centaines de mètres de tuyau; viennent la pompe à vapeur et le fourgon de réserve chargé d’hommes, et encore de tuyaux. Peu...euh! Peu...euh! Le foyer de la pompe sème du feu sur toute la route, et ces hommes aux casques brillants incendient le pavé pour aller éteindre l’autre feu. Ce sont des entraîneurs; le moyen de résister aux appels bruyants de leur rallie-paper enflammé ?

Bien des gens leur font escorte; notre gamin peut-il y résister? Il court, ému, heureux d’avoir une occasion de courir; ce n’est pas qu’il se rie du malheur d’autrui, mais, tout de même, il est désappointé quand il voit les pompiers, arrivés au lieu de leur «reconnaissance», tourner bride aussitôt: le feu étant déjà éteint.

Nouveau galop pour rattraper le temps perdu. Une bonne gorgée d’eau à la Wallace, et filons! S’il est à la tête d’une somme de deux ou trois sous, il prend volontiers un sirop de groseille aux petits buffets des boulevards.

Martin dans sa fosse.


Un autre jour, passant près du Jardin des Plantes, il le traverse pour aller dire bonjour à Martin dans sa fosse. Les jardins publics sont attrayants: autour des bassins, il y a toujours des curieux pour voir les enfants lancer sur le jet d’eau leur flotte à vapeur ou à voiles. C’est bien amusant de faire louvoyer — et quelquefois sombrer — ces bâtiments minuscules. Un coup d’œil, et en route!

Un lancement de voiliers.


Mais si le gamin aime la rue, il adore les quais et la Seine. Quelle joie lorsque le hasard de la course lui fait traverser les ponts! alors, tout lui est amusement: le va-et-vient des bateaux parisiens, le hurlement des remorqueurs, les péniches traînées en longue file indienne par une chaîne qui s’enroule, les chargements et les déchargements aux ports, un chien qui se baigne, un attroupement au poste de secours, les fardiers attelés d’une dizaine de chevaux qui ne peuvent «démarrer» sous le poids des sapines.

Ici, des débardeurs au torse nu emplissent de sable les lourdes bennes de fer que les maîtresses grues font tournoyer comme un fétu de paille jusqu’au-dessus de la pyramide déjà amoncelée; crac! le wagonnet bascule et se vide en pluie d’or, élevant encore le sommet de la blonde montagne.

La baignade du pont de Solférino.


Là, de larges bateaux viennent prendre quai, après avoir traversé lentement l’écluse, traînés par un seul homme.

S’il descend sur les berges, c’est un autre plaisir: le tondeur de chiens, la baignade des chevaux, les trieurs de sable, les innombrables pêcheurs à la ligne et les bruyants bateaux-lavoirs où babillent toutes ensemble mesdames les blanchisseuses.

L’été arrive: notre petit polisson plonge dans la Seine au mépris des lois de la police, quand il n’est pas, pour quatre sous, client des bains froids. Mais, un beau jour, ce nageur en contrebande — on l’a vu — devient un héros.

Dans les jardins publics.


De Paris à la mer

Подняться наверх