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PRÉFACE.

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Table des matières

L'ouvrage que l'on va lire a eu en Angleterre un grand succès d'estime et deux éditions successives publiées en 1849 et en 1851. Bien que le but de l'auteur, comme il le déclare lui-même à la fin de son livre, eût été surtout d'exercer une influence directe sur le public anglais, son travail présente néanmoins une étude trop sérieuse de faits la plupart inconnus en Europe, pour que la publication de cet ouvrage, dans la langue la plus répandue sur le continent, ne soit éminemment utile à tous ceux qui, par position ou par goût, se livrent aux études philosophiques, historiques et politiques. La controverse que la lecture de plusieurs pages de cet essai peut faire naître dans l'esprit des personnes qui ne partagent pas les idées et les croyances religieuses de l'Auteur, contribuerait puissamment, en se produisant par la voie de la presse, à la découverte de la vérité dans l'une des plus importantes questions de l'histoire moderne.

En effet, l'histoire religieuse d'une nation, est, dit l'auteur, l'histoire de son développement moral et intellectuel; elle a toujours exercé l'influence la plus décisive sur son état politique et social. Cette vérité n'a peut-être jamais été démontrée d'une manière plus évidente que dans les pays habités par les nations slaves.

Ces nations constituent la race la plus nombreuse en Europe, elles occupent la plus grande partie de son territoire et étendent leur domination sur une grande partie de l'Asie.

La population slave se monte à 80 millions d'habitants soumis au joug de la Russie, de l'Autriche, de la Porte Ottomane et de la Saxe[1]. Un mouvement intellectuel des plus remarquables se manifeste dans toutes les branches de la famille slave. Depuis un quart de siècle, la littérature a produit dans son sein un grand nombre d'ouvrages d'un mérite supérieur, dans tous les genres de connaissances humaines. En même temps que ce mouvement se propage, il se développe parmi les populations slaves une tendance vers l'union de leurs branches multiples, et un désir irrésistible de se séparer des peuples d'origine différente, avec lesquels elles se trouvent mêlées sous le rapport politique.

Cette tendance est le résultat naturel du progrès des communications entre les branches si variées de la race slave. On a été conduit à reconnaître que, malgré les différences de climats, de religions et de formes politiques susceptibles de modifier quelques traits de caractère, tous les Slaves ne forment, pour ainsi dire, qu'une seule grande nation, parlant divers dialectes émanés de la même langue-mère, et tellement rapprochés l'un de l'autre, qu'un matelot de Raguse peut s'entretenir facilement avec un pêcheur d'Arkhangel, et un habitant slave de Prague communiquer sans plus de difficulté avec un bourgeois de Varsovie ou de Moscou.

Dans un ouvrage intitulé: «Panslavisme et Germanisme,» l'auteur avait déjà cherché à appeler l'attention du public sur l'importance du mouvement slave, sur les dangers auxquels s'exposait la Hongrie par suite de la lutte malheureuse des Madgyars contre la nationalité slave[2]. Cette lutte eut pour résultat d'absorber l'existence de la Hongrie dans la monarchie à laquelle elle ne se rattachait que par des liens constitutionnels. Ce sont les sentiments de nationalité des Slaves du Sud, froissés par les tendances du madgyarisme[3], qui ont fait de ces populations les instruments dociles de la politique de l'Autriche. L'enthousiasme pour la dynastie de Hapsbourg ne compte évidemment pour rien dans ce résultat. Mais si la fibre nationale a été assez puissante pour pousser les Slaves à des actes d'hostilité contre les Madgyars, avec lesquels ils ont été unis pendant des siècles par des liens politiques, confondant leurs vœux d'indépendance avec le patriotisme hongrois, ce même sentiment les empêchera de se conformer bénévolement aux exigences du pouvoir central, auquel la politique de l'Autriche veut décidément imprimer un caractère allemand.

L'Allemagne exercera sans doute une grande influence sur le développement politique et religieux des Slaves occidentaux, qui ne laisseront pas que de réagir à leur tour contre cette influence.

Mais les publicistes allemands devraient réfléchir que non-seulement les considérations de religion, de justice et d'humanité, mais encore leurs propres intérêts comme Allemands, leur commandent d'entretenir la bonne harmonie avec les Slaves de l'Occident, en respectant leurs sentiments de nationalité au lieu de les irriter par une compression systématique.

L'Auteur, profondément affligé par les sentiments hostiles que l'Assemblée nationale de Francfort a manifestés contre la Pologne dans l'affaire de Posen, ne se réjouit cependant nullement de voir ses prédictions sur le sort qui attendait les travaux de la diète allemande, si complètement réalisés[4]. L'existence d'une Allemagne forte et unie, est une nécessité européenne utile aux intérêts de la civilisation générale, y compris celle des Slaves occidentaux. Mais les intérêts de l'Allemagne exigent que l'on soit juste envers ces Slaves, dont les sentiments de dignité nationale ont été éveillés, qui ont acquis la conscience de leur importance et de leur force, et qui, par conséquent, ne sauraient abdiquer la position que leur assurent et la nature et la justice. Les Slaves occidentaux formeraient une puissante barrière entre l'Allemagne et la Russie, si l'Allemagne ne changeait imprudemment cette barrière en avant-garde de la puissance russe. Il n'existe pas de Slave éclairé qui ne sache que le progrès moral et matériel de sa nationalité aurait bien plus à gagner à une alliance intime avec l'Occident civilisé qu'avec l'Orient encore barbare de l'Europe, et qu'un progrès dans la première de ces voies est de beaucoup préférable à toute satisfaction de vanité nationale suggérée par l'idée d'une prédominance politique dans le monde. Mais les Slaves n'achèteront pas les avantages d'une civilisation plus avancée au prix d'un vasselage envers une race étrangère, qui tend bien moins à développer qu'à détruire leur nationalité. À défaut d'autre alternative, ils préféreront confondre les destinées de leurs branches particulières avec celles de la race commune, sans s'arrêter à la forme qui doit les représenter, et chercher une compensation à ce sacrifice dans les brillantes espérances du Panslavisme politique. L'Auteur, qui avait déjà antérieurement indiqué la possibilité d'une combinaison semblable (Panslavisme et Germanisme, page 331), ne présumait pas alors que l'Autriche, dont les intérêts les plus vitaux commandaient l'opposition la plus vigoureuse à un pareil plan, fût obligée de se jeter dans les bras de la grande puissance Slave, qui peut seule mettre ce plan à exécution. Il s'attendait moins encore à ce que l'Autriche hâtât en quelque sorte cet évènement par la politique sans nom qu'elle a suivie à l'égard de la Hongrie, cette nation sur laquelle elle devait compter le plus pour opposer une vive résistance à la Russie, dont l'influence avait fait de si grands pas en Gallicie, depuis le temps des atrocités perpétrées à Tarnow.

Il est tout-à-fait superflu de démontrer l'immense accroissement de puissance que la Russie a acquis par son intervention en Hongrie, et l'influence qu'elle a solidement établie sur les Slaves du Sud, qui parlent des dialectes très ressemblants au russe et qui professent la Religion grecque. Aucun homme, quelque peu versé dans la connaissance des affaires de l'Europe, ne pourra admettre un instant que l'échec que la Grande-Bretagne et la France ont fait subir à la Russie au sujet de ses tentatives d'intimidation contre la Turquie, lui aurait fait abandonner ses projets d'agrandissement politique devenus un instinct, non-seulement du cabinet, mais du peuple russe. La Russie redoublera d'efforts pour asseoir encore plus solidement son influence sur les Slaves de la Turquie, et pour lui infliger ainsi un coup plus sensible qu'elle ne le ferait par une campagne heureuse. Lorsque la Russie parviendra à une domination directe ou indirecte sur les Slaves méridionaux, elle débordera complètement les Slaves occidentaux, les forcera à rentrer dans son système politique, et fera dépendre leur destinée de celle de son empire. Le sort de la Hongrie n'est certainement pas moins fâcheux, parce qu'il a pu être prédit d'avance. Il en sera de même des Slaves occidentaux et méridionaux; une connaissance exacte de la question suffit pour faire cette prédiction, bien que le rôle de Cassandre ne soit nullement agréable dans les affaires publiques ou particulières. Le danger est imminent et grave, mais il n'est pas trop tard encore pour le conjurer. La voix calme que pourrait élever l'Angleterre pour adoucir l'animosité qui règne entre les Slaves et les Allemands, serait d'un grand poids pour éviter une guerre de races dont les horreurs sont faciles à prévoir, lorsqu'on se rappelle les conflits sanglants qui ont éclaté entre les Madgyars, les Slaves, les Valaques et les Allemands pendant les troubles de la Hongrie. On peut prévenir ces calamités en développant parmi les Slaves qui ne sont pas encore tombés sous la domination de la Russie, une nationalité basée sur les principes d'une sage liberté. C'est là une mesure pratique, et, si elle est habilement mise à exécution, elle pourra contre-balancer l'influence que la Russie exerce sur ces mêmes Slaves et qu'elle appuie de son immense force matérielle. Bien plus, elle pourra réagir sur la population de la Russie elle-même, et obliger cette puissance à adopter une ligne de politique plus libérale. La mesure dont il s'agit est d'une exécution facile, car les Slaves préféreront une existence nationale libre aux projets ambitieux de la prépondérance politique. Mais, encore un coup, les Slaves ne voudront pas acheter la jouissance des institutions libérales au prix de leur nationalité, car ils savent parfaitement qu'on peut les acquérir par une révolution politique inattendue, tandis que la nationalité une fois perdue ne peut être reconquise. Or, l'attachement à leur nationalité est le trait distinctif du caractère des Slaves. Ce sentiment anime le paysan le plus ignorant autant que le plus savant érudit, et il est aussi vivace en ce moment qu'il l'était il y a mille ans. L'empereur Léon le Philosophe (881-912), dit que les Slaves préfèrent être opprimés par leurs princes, plutôt que d'obéir aux Romains et à leurs sages lois. Les Croates de nos jours ont pris les armes contre les Madgyars, avec lesquels ils sont restés pendant des siècles dans l'union politique la plus intime, jouissant des mêmes libertés constitutionnelles sans jamais tenter de la rompre,—uniquement parce que leur sentiment national a été froissé par la mesure qui leur imposait de force la langue madgyare. Ce sentiment est beaucoup moins fort dans la race teutonique, dont le patriotisme porte un caractère local. Les Allemands de l'Alsace sont Français de sentiment et sont fiers de l'être; il en est de même des Allemands des provinces baltiques de la Russie; il en est tout autrement des Slaves. Un écrivain allemand ajustement fait observer que le patriotisme des Slaves n'est pas attaché à la terre, mais qu'ils sont unis par un lien puissant, celui de la langue, laquelle est aussi souple et flexible que les nations qui la parlent[5], et l'on peut appliquer aux Slaves en général, ce qu'un homme d'État éminent de la Grande-Bretagne (Sir Robert Peel) a dit en parlant des Polonais: Cælum non animum mutant[6].

Le sentiment de nationalité est devenu plus fort et plus universel que jamais parmi les Slaves. Ce sentiment se joint à la conviction que leur race est destinée à prendre dans le monde une position en rapport avec le chiffre de sa population et l'étendue du territoire qu'elle occupe. Cette conviction n'est, en aucune manière, le rêve de l'imagination; elle est le résultat naturel d'une appréciation calme de l'histoire contemporaine et du passé de la race slave. Aucune race n'a plus souffert de l'oppression étrangère et des dissensions intérieures, et cependant, au lieu de disparaître et d'être absorbée par d'autres nations, comme cela est arrivé aux Celtes autrefois si puissants, les Slaves forment aujourd'hui la population la plus nombreuse en Europe, occupent la plus grande partie de son territoire, et sont animés plus que jamais du sentiment que l'on pourrait appeler leur nationalisme plutôt que leur patriotisme. Est-il possible d'admettre que la Providence, qui ne fait rien en vain, eût produit un prodige moral comme celui que présente l'histoire de la race slave, prodige auquel nul autre n'est peut-être comparable dans les annales du monde, sans un but qui vînt y répondre dignement. N'est-il pas beaucoup plus naturel de supposer qu'une race, dont l'existence matérielle et morale a été conservée d'une manière si merveilleuse, soit destinée à accomplir une grande mission? Cette idée devient la croyance universelle de tous les Slaves, qui, tout en différant sur d'autres points, s'accordent tous sur celui-ci; et faut-il ajouter qu'une foi vive dans l'accomplissement d'un grand projet, est le plus fort garant de sa réussite finale. L'auteur de cet essai avoue franchement qu'il croit autant que tout autre Slave à la future grandeur de sa race; mais il espère fermement, et il fait des vœux ardents pour que cette grandeur soit fondée sur le développement moral et intellectuel de toutes les branches, et pour que leur union en une grande famille s'accomplisse sur les bases d'une religion pure et d'une liberté rationnelle, au lieu d'être uniquement une combinaison de forces brutales, cimentées par la haine commune d'une race étrangère et par l'ambition politique tendant à la conquête et à l'oppression des autres nations.

Dans un ouvrage publié il y a douze ans, l'auteur a cherché à donner un récit détaillé de l'origine des progrès et de la décadence de la Réforme religieuse en Pologne et de l'influence que cette Réforme a exercée sur l'état général du pays. L'ouvrage actuel en contient le résumé enrichi de quelques faits nouveaux parvenus à la connaissance de l'auteur. Le coup d'œil sur les anciens Slaves, par lequel ce livre débute, est tiré d'un ouvrage manuscrit sur l'histoire et la situation politique et intellectuelle des nations slaves, auquel l'auteur a travaillé et qu'il publiera sans doute un jour. Les sources où il a puisé, sont, pour l'histoire des Hussites, indépendamment de l'ouvrage bien connu de Lenfant, les écrits de Théobald, Cochléus, Æneas Sylvius, Hagee et Balbinus, et surtout celui de Pelzel, que l'auteur a principalement suivi dans la partie de son travail relative à la Bohême. En ce qui concerne la Russie, l'auteur a consulté Karamsine; il s'est servi d'une description de la secte des Raskolniky par un prêtre russe, ouvrage qui contient beaucoup de matériaux intéressants mais réunis sans examen critique; il a puisé dans Haxthausen, Tourghénéff, dans le cours de littérature slave professé au Collége de France par Mickiewicz; enfin il s'est entouré des renseignements qui lui ont été communiqués personnellement par des habitants de la Pologne et de la Russie. Le résumé de toutes ces recherches a été d'abord livré au public en Angleterre, sous forme d'un cours que l'auteur a fait oralement à Cambridge, à Durham et à Édimbourg. L'ouvrage actuel en est le développement.

L'Auteur a considéré comme un devoir pénible, en racontant l'histoire religieuse de la Bohême et de son propre pays, de passer plus d'une fois condamnation, non-seulement sur les machinations dont les Jésuites se sont servis pour abattre la cause de la Réforme, mais aussi sur l'indolence, les jalousies intestines, les querelles et les trahisons des Protestants, qui ont plus nui à leur cause que les attaques de leurs adversaires. L'Auteur, bien qu'il soit né et qu'il ait été élevé dans le sein de l'Église réformée en Pologne, déclare solennellement qu'il est étranger à tout sentiment d'hostilité contre les membres de l'Église de Rome, parmi lesquels il compte beaucoup d'amis et de parents. Une grande partie de sa famille étant catholique, l'auteur a vécu en Pologne beaucoup plus avec les membres de cette Église qu'avec les Protestants; il avoue cependant n'avoir jamais éprouvé, de leur part, aucune marque de malveillance à cause de ses opinions religieuses. Bien plus, il constate avec satisfaction que la publication de son ouvrage, d'une tendance protestante, l'Histoire de la Réforme en Pologne, n'a pas changé, à son égard, les sentiments de ses amis et de ses parents; mais qu'au contraire, malgré des opinions religieuses diamétralement opposées aux siennes, la plupart d'entre eux ont rendu une justice complète à la sincérité de ses convictions.

Nous espérons que le public éclairé de l'Europe fera de même.

Essai sur l'Histoire Religieuse des Nations Slaves (traduit de l'anglais)

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