Читать книгу Essai sur l'Histoire Religieuse des Nations Slaves (traduit de l'anglais) - Count Valerian Krasinski - Страница 8

CHAPITRE IV.
BOHÊME.
(Suite.)

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Table des matières

Procope le Grand. — Bataille d'Aussig. — Ambassade en Pologne. — Croisade contre les Hussites, conduite par Henry Beaufort, évêque de Winchester. — Elle échoue. — Tentative infructueuse de rétablir la paix avec l'empereur Sigismond. — Les Hussites ravagent l'Allemagne. — Nouvelle croisade contre les Hussites, commandée par le cardinal Césarini, et son issue malheureuse. — Observations générales sur les succès prodigieux des Hussites. — Négociations du concile de Bâle avec les Hussites. — Compactata ou concessions faites par le concile aux Hussites. — Les Taborites vont au secours du roi de Pologne. — Leurs préparatifs. — Divisions parmi les Hussites à la suite des compactata. — Mort de Procope et défaite des Taborites. — Observations générales sur la guerre des Hussites. — Leur énergie morale et physique. — On les accuse à tort de cruautés. — Exemple du prince noir de Galles. — Rétablissement de Sigismond. — Les Taborites changent leur nom pour celui de Frères bohémiens. — Remarques sur les Moraves, leurs descendants. — Luttes entre les catholiques romains et les Hussites soutenus par les Polonais. — George Podiebrad. — Ses grandes qualités. — Hostilité de Rome contre lui. — Les Polonais le soutiennent. — Règne de la dynastie polonaise en Bohême.

La mort soudaine de Ziska jeta la consternation dans son armée, qui se divisa en trois parties. L'une garda le nom de Taborites et choisit pour chef Procope le Saint ou le Tonsuré, que Ziska avait désigné pour son successeur. Le second corps déclara qu'il ne voulait plus de chef, parce que nul au monde ne pourrait dignement remplacer Ziska, et prit le nom d'Orphelins. Ces Orphelins se donnèrent pourtant des chefs. Ils restèrent dans leurs camps sans jamais entrer dans les villes, excepté pour des nécessités inévitables, comme, par exemple, pour acheter des vivres. Les Orebites formaient le troisième parti. Ce nom venait de la montagne où ils s'assemblaient d'abord, et à laquelle ils avaient probablement donné le nom biblique d'Horeb. Ils suivaient toujours avec les Taborites l'étendard de Ziska, mais avaient des chefs particuliers. Malgré cette division en trois parties, les Hussites étaient toujours unanimes pour défendre leur patrie, qu'ils appelaient la Terre promise, donnant aux provinces allemandes voisines, les noms d'Edom, de Moab, d'Amalek et de terre des Philistins.

Procope est moins célèbre que Ziska. Selon moi, il mérite d'être placé par l'histoire au-dessus du terrible aveugle. Ziska est très célèbre pour avoir le premier allumé cette guerre sanglante dont les heureux succès furent continués après sa mort par Procope, jusqu'à sa chute héroïque sur le champ de bataille de Lipan. Procope, égal à son prédécesseur en valeur et en habileté militaire, était en outre un savant accompli. Ce qui le place au-dessus de Ziska, c'est son patriotisme. Il n'avait pas l'ambition de celui qu'il remplaçait. Ziska n'avait d'autre but que de punir ses ennemis, et sur son lit de mort il recommanda à Procope d'exterminer par le fer et par le feu tous les adversaires de sa religion; l'autre, sans se laisser éblouir par ses triomphes continuels sur l'ennemi, eut toujours à cœur le rétablissement de la paix.

Procope était fils d'un noble ruiné. Son oncle maternel l'adopta, lui donna une éducation savante, et le fit voyager en Italie, en France, en Espagne et en Terre-Sainte. À son retour, son oncle, dit-on, le fit entrer dans les ordres contre son gré, d'où lui vint le sobriquet de Tonsuré. Quand la guerre des Hussites éclata, il quitta l'Église pour l'armée, s'attacha à Ziska qui le choisit pour son successeur. Ses exploits, plus tard, lui méritèrent le surnom de Grand, qui servit à le distinguer d'un autre Procope, chef des Orphelins, et connu sous le nom de Prokopek ou petit Procope.

La guerre continua, et les Hussites firent plus d'une irruption heureuse dans les diverses provinces limitrophes d'Allemagne. L'empereur et les princes d'Allemagne accusaient le pape et le clergé de leurs échecs, disant que c'était à eux à éteindre l'incendie que les prêtres avaient allumé. Ils se plaignaient en outre, que le clergé, maître de richesses considérables, ne les consacrait pas au succès de leur cause, mais à des vues d'intérêt particulier. Le pape envoya des lettres à l'empereur, au roi de Pologne et aux princes allemands, pour les exhorter à se réunir tous ensemble contre la Bohême.

Dans ces lettres, il dépeignait les Hussites comme des ennemis plus odieux que les Turcs. Ceux-ci, nés hors de l'Église, ne commettaient pas un acte de révolte en faisant la guerre aux Chrétiens. Nés dans l'Église, les Hussites se révoltaient contre son autorité.

Les représentations du pape, les instances du clergé, décidèrent le roi de Pologne à rappeler son neveu de Bohême. Mais Coributt revint aussitôt à Prague, où il avait un puissant parti. Le roi, pour prouver qu'il agissait contre sa volonté, envoya 5,000 hommes aux impériaux; mais ceux-ci, craignant, et peut-être non sans raison, que les Polonais, au lieu de combattre les Hussites, ne se joignissent à eux, les renvoyèrent avant qu'ils ne fussent arrivés au rendez-vous. Les princes allemands n'étaient guère disposés à obéir aux injonctions du pape; mais les fréquentes incursions des Hussites les décidèrent à réunir une armée d'environ 100,000 hommes, et à marcher sur la Bohême. Les Hussites de tous les partis se réunirent dans le danger commun. Procope le Grand commanda les Taborites et les Orphelins: les Calixtins avaient à leur tête Coributt et quelques nobles de Bohême. Les Hussites assiégèrent la ville d'Aussig, qui doit être bien connue de ceux qui ont voyagé dans ce beau pays, car elle se trouve sur la route qui mène de Dresde à Tœplitz. Là, sur les confins du monde germanique et slave, eut lieu une rencontre entre les deux armées qui représentaient des croyances opposées et même des races ennemies; on a remarqué que dans cette lutte entre les Slaves et les Allemands, les deux races employèrent chacune les armes qui lui étaient particulières. Les soldats allemands, bardés de fer, avaient pour armes, selon l'usage de l'Occident, la lance, l'épée, la hache d'armes, et montaient sur des chevaux vigoureux et pesants. Les Bohémiens et leurs auxiliaires de Pologne, s'étaient retranchés derrière 500 chariots, liés ensemble par de fortes chaînes; ils se tenaient à l'intérieur et s'abritaient sous de vastes boucliers en bois fixés dans le sol. Leurs armes principales étaient, outre les fléaux de fer, l'arme si célèbre des Hussites, les longues lances à crochet, qui leur servaient à jeter les ennemis en bas de leurs chevaux[65]. Bien inférieurs en nombre aux Allemands, ils les surpassaient par le courage: excités par une longue suite de succès, ils se croyaient invincibles.

Les Allemands chargèrent les Bohémiens avec la plus grande impétuosité, forcèrent la ligne des chariots, rompant avec leurs haches d'armes les chaînes qui les unissaient. Ils réussirent même à jeter à bas la seconde ligne de défense que les Bohémiens avaient formée avec leurs boucliers. Mais une longue marche, par une journée très chaude, avait fatigué les Allemands, même avant le commencement du combat; les efforts qu'ils avaient faits pour rompre les lignes de défense de l'ennemi, avaient épuisé les cavaliers et les chevaux. L'œil d'aigle de Procope saisit l'occasion. Les Hussites, campés en ce lieu depuis plusieurs jours, et restés sur la défensive jusque-là, étaient tout frais: ils se précipitèrent avec fureur sur leurs assaillants épuisés. Les pesants cavaliers furent jetés à bas de leurs chevaux par les longs crochets des Hussites, ou assommés par leurs fléaux de fer, cette arme terrible, contre laquelle les piques servaient si peu de défense. La bataille dura du matin au soir. Les Allemands combattirent avec courage; mais, malgré leur supériorité numérique, la valeur, l'habileté, l'avantage de la position des Hussites décidèrent la victoire en leur faveur. La déroute des Allemands fut complète, leurs pertes considérables, le butin immense. Leurs principaux chefs périrent en cette journée. Si grands que furent les avantages matériels qui résultèrent pour les Hussites de ce combat (16 juin 1426), il eut des conséquences morales bien plus grandes, en les faisant passer pour invincibles. Ils ne s'endormirent pas après ce brillant succès, mais envahirent l'Autriche, sous la conduite de Procope et de Coributt, tandis que d'autres bandes ravageaient d'autres provinces d'Allemagne.

Peu après ce combat, les Calixtins déposèrent Coributt de sa dignité de régent du royaume, et même l'enfermèrent à Prague. Les Taborites et les Hussites le délivrèrent, et l'envoyèrent avec leurs députés à Cracovie, pour inviter son oncle, le roi de Pologne, à se déclarer pour les Hussites.

Les députés soutinrent en public des discussions contre les doctrines de l'Université de Cracovie; mais l'évêque suspendit le service divin pour tout le temps que les hérétiques resteraient dans cette ville. Coributt en fut si indigné, qu'en présence même de son oncle, il menaça l'évêque de sa vengeance, disant qu'il n'épargnerait pas même saint Stanislas, le patron du pays. Cette circonstance montre qu'il partageait les opinions des Taborites[66].

Le pape, désespérant de trouver en Allemagne un homme capable de réduire les Hussites, tourna ses regards vers un pays éloigné, dont les armes s'étaient illustrées sur le sol français. Il choisit, à cet effet, un personnage bien connu dans l'histoire d'Angleterre, Henry Beaufort, le grand évêque de Manchester, qu'il venait de créer cardinal. Il l'envoya comme son légat a latere en Allemagne, en Hongrie, en Bohême, par une bulle datée du 16 février 1427. La tâche de conquérir et de convertir des soldats aussi intrépides et des hérétiques aussi obstinés que les Hussites, était faite pour séduire l'âme d'un Plantagenet[67], et Beaufort accepta cette périlleuse mission. Il fit publier la croisade pontificale dans son diocèse; mais ses concitoyens avaient assez à faire en France, sans aller chercher si loin l'occasion de montrer leur courage. Il vint presque seul en Allemagne pour remplir sa mission. De Malines, il informa le pape de son voyage. Celui-ci lui répondit une lettre de remerciements, et l'exhorta à poursuivre vigoureusement son entreprise. Beaufort obtint un succès merveilleux, et peut-être, depuis le jour où le cri célèbre: «Diex le volt!» retentit à Clermont et trouva de l'écho dans tous les cœurs, jamais prédications ne produisirent un effet aussi rapide et aussi puissant que celles de Beaufort. Toute l'Allemagne sembla se lever à sa voix: les bandes armées du bord du Rhin et de l'Elbe, les riches bourgeois des villes hanséatiques, les hardis montagnards des Alpes, s'empressèrent de se rendre sous l'étendard de l'Église militante, qu'arborait l'évêque anglais: Beaufort se trouva ainsi à la tête d'une nombreuse armée, qui, d'après les témoignages des écrivains contemporains, se montait à 90,000 cavaliers et comptait autant d'hommes à pied.

Cette armée immense, commandée, sous Beaufort, par trois électeurs, beaucoup de princes et de comtes de l'Empire, entra en Bohême au mois de juin 1427, partagée en trois corps, et campa à Egra, Kommotau et Tausk. Le danger de cette invasion formidable excita les sentiments patriotiques de tous les Bohémiens, depuis le magnat le plus illustre jusqu'au plus pauvre artisan. On oublia toutes dissensions religieuses. Les Calixtins, les Taborites et les Orphelins, laissant de côté leurs dissentiments, s'unirent contre l'ennemi commun; la noblesse catholique, elle-même, restée jusqu'alors la plus zélée pour les ennemis des Hussites, sentit la voix de la patrie parler plus haut dans les cœurs que les animosités religieuses, et rejoignit les étendards de Procope le Grand pour repousser l'invasion.

Les forces de l'ennemi, supérieures en nombre à celles que les Bohémiens avaient réunies, mirent le siége devant Miess. Les Bohémiens se portèrent au-devant de lui, et quand ils arrivèrent sur les bords de la rivière Miess, qui les séparait des Allemands, leur vue frappa ceux-ci d'une terreur si panique, qu'ils tournèrent bride avant le premier choc[68]. Beaufort, après avoir essayé en vain de les rallier, fut entraîné dans la fuite de ses croisés, et fut rejoint par l'électeur de Trèves, qui arrivait avec un corps de cavalerie. Les Bohémiens se mirent à poursuivre les fugitifs, à en tuer et à en pendre un grand nombre; pour eux, ils ne perdirent que peu d'hommes. Beaucoup de ces malheureux fuyards furent tués par les paysans qui les traquaient comme des bêtes fauves. Le butin qui échut aux vainqueurs fut immense: petits et grands y prirent une large part, et c'est de ce partage, dit-on, que date la fortune de plusieurs familles de Bohême qui subsistent encore aujourd'hui[69].

Le pape écrivit, le 2 octobre 1427, à Beaufort, une longue lettre de condoléance sur la malheureuse retraite des fidèles. Il l'invitait à renouveler sa tentative sur la Bohême; mais le belliqueux prélat parut s'être dégoûté, dès lors, d'une guerre contre les Bohémiens hérétiques, et ne se mêla plus de leurs affaires.

La conduite patriotique des Bohémiens catholiques amena une sorte de réconciliation entre les diverses sectes religieuses. Les Hussites et les catholiques conclurent une trève de six mois, et, à l'expiration de cette trève, une conférence publique entre les deux partis devait régler les différends religieux. À cette nouvelle, le pape envoya une lettre à l'archevêque d'Olmutz pour prévenir cette conférence, qui ne produirait rien de bon et pourrait perdre beaucoup. La conférence eut lieu cependant; elle fut sans résultat au point de vue religieux, et servit seulement à prolonger la trève.

L'empereur Sigismond, désespérant de réussir par la force, essaya la voie des négociations. En 1428, il envoya aux Taborites et aux Orphelins, une députation pour leur représenter ses droits à la couronne de Bohême, et pour leur offrir des conditions favorables. Les ambassadeurs furent entendus à Kuttemberg; mais on leur répondit que Sigismond avait perdu tout droit au trône par ses guerres et ses croisades sanglantes contre la Bohême, et par l'outrage qu'il avait fait à ce pays en laissant brûler Jean Huss et Jérôme de Prague. Procope, qui n'assistait pas à l'entrevue, voyait, au contraire, une occasion favorable de terminer la lutte cruelle qui, depuis dix ans déjà, désolait ce pays. Il pria les ambassadeurs de venir le trouver au Thabor, où se trouvait alors son quartier-général, et il leur exprima son désir de pacifier la Bohême. Les ambassadeurs accueillirent avec joie ses propositions, et lui donnèrent un sauf-conduit pour se rendre en Autriche avec une légère escorte et avoir une entrevue avec l'empereur. Procope se rendit à la cour impériale; «c'était la meilleure occasion de faire la paix, dit Balbin; mais l'Empereur refusa toute concession, et Procope revint en Bohême avec la satisfaction de lui avoir offert la paix.» Sans se laisser décourager par son peu de succès, il proposa l'année suivante, 1429, dans la diète réunie à Prague, de reconnaître Sigismond s'il voulait accepter l'autorité des Écritures, suivre leurs préceptes, communier sous les deux espèces, et satisfaire les demandes des Bohémiens. On ouvrit des négociations avec l'empereur, qui réunit une diète à Presbourg. Procope y vint à la tête d'une députation bohémienne. La conférence dura toute une semaine, et la députation revint à Prague pour rendre compte de ce qu'elle avait fait. Les écrivains qui ont rapporté ces évènements, ne disent pas quels furent les résultats de la conférence de Prague; ils racontent seulement que, malgré le grand nombre de partisans que Sigismond comptait à la diète de Prague, on repoussa tout projet d'accommodement avec lui. On peut croire que l'empereur n'aurait pas accompli les demandes qu'on lui faisait, ou n'aurait pas donné des garanties suffisantes de leur exécution. Quoi qu'il en soit, les Hussites de tous les partis acceptèrent avec enthousiasme la proposition que fit Procope d'envahir l'Allemagne. Il entra dans ce pays, désola la Saxe jusqu'aux portes de Magdebourg, ravagea le Brandebourg et la Lusace, et revint en Bohême avec un butin immense. L'espoir d'un pareil succès attira sous ses drapeaux un grand nombre de Bohémiens, et l'année suivante, 1430, il réunit dans les plaines de Weissenberg, une armée de 52,000 hommes à pied, de 20,000 cavaliers, avec 3,000 chariots tirés par 12 ou 14 chevaux chaque. À la tête de cette armée il ravagea la Saxe et la Franconie jusqu'au Mein. Cent villes ou châteaux environ furent réduits en cendres; le butin fut si considérable, que les chariots des Bohémiens y suffisaient à peine. Outre ce butin, ils se faisaient payer des sommes énormes par les princes, les évêques, les villes, comme des rançons pour prévenir le pillage et la destruction[70].

Les heureuses invasions des Hussites remplirent Rome et l'Allemagne de consternation. L'empereur réunit une diète de l'empire à Nuremberg, où l'on résolut une nouvelle expédition contre la Bohême, et le pape fit proclamer par son légat, le célèbre Julien Césarini, une Croisade contre les hérétiques. La bulle publiée à ce sujet promettait indulgence plénière à tous ceux qui prendraient part à la Croisade ou s'y feraient remplacer. Elle remettait soixante jours des peines du purgatoire à tous ceux, hommes ou femmes, qui prieraient pour le succès de l'expédition. Des confesseurs, appartenant au clergé séculier et régulier, devaient entendre les confessions des Croisés, et avaient pleins pouvoirs de les absoudre s'ils s'étaient rendus coupables de violences contre des prêtres et des moines, s'ils avaient brûlé des églises ou commis d'autres sacriléges, même dans les cas réservés pour le siége apostolique.

Tous ceux qui avaient fait vœu de pèlerinage à Rome, à Compostelle ou ailleurs, en étaient relevés à condition de consacrer à la Croisade l'argent qu'ils auraient dépensé dans leur pèlerinage. Les confesseurs ne devaient prendre qu'un sou de Bohême pour confesser un Croisé, et même ne rien demander, si cette offrande n'était pas faite spontanément.

À ces avantages spirituels, on joignait l'espoir d'avantages plus positifs et plus matériels. Le butin immense que ces heureuses invasions avaient apporté et accumulé en Bohême, y avait produit une richesse considérable. Une Croisade contre la Bohême devait donc séduire toutes les classes de l'Allemagne, depuis le prince jusqu'au paysan le plus pauvre. Tous les avantages spirituels et temporels étaient réunis: on allait obtenir la rémission de ses péchés sans se soumettre à des pénitences sévères, sans être obligé à de fortes donations à l'Église, et de plus on pourrait ou faire sa fortune, ou la réparer. En un mot, c'était ce qu'on appellerait aujourd'hui une spéculation magnifique, et témoignait d'un charlatanisme fieffé, pour employer le langage du jour. D'autres causes plus élevées poussaient non moins vivement les esprits à une Croisade contre la Bohême. La honte que les victoires des Bohémiens avaient infligée à l'antique renommée militaire des Allemands, excitait dans tous les cœurs fiers un vif désir de l'effacer par des actes éclatants de valeur. Les ruines fumantes de tant de villes et de châteaux qui marquaient le passage des Hussites à travers les riches provinces de l'Allemagne, enflammaient encore chez les habitants de ces contrées l'ardeur de la vengeance contre les auteurs de ces calamités.

Les Croisés accoururent donc à Nuremberg de toutes les parties de l'Allemagne; mais l'empereur essaya encore la voie des négociations. Les propositions qu'il fit aux Bohémiens ayant été acceptées, une députation représentant tous les partis de la Bohême vint trouver la cour à Egra. Les négociations durèrent quinze jours; mais l'empereur se refusait à des concessions sincères. Les Bohémiens, voyant qu'on continuait les préparatifs de la Croisade contre eux, rompirent la conférence, déclarant que ce n'était pas leur faute si une juste paix ne terminait point cette guerre terrible. Ils se préparèrent à défendre vigoureusement leur patrie. Tous, même les Catholiques, réunis contre l'ennemi commun, se rallièrent sous la bannière de Procope le Grand, qui rassembla près de Chotieschow, 50,000 fantassins, 7,000 cavaliers d'élite, et 3,000 chariots, attirail de guerre devenu indispensable pour les Bohémiens.

Les Croisés étaient environ 90,000 fantassins, 40,000 cavaliers, et avaient pour chefs, outre le légat Césarini, les électeurs de Saxe et de Brandebourg, le duc de Bavière et un grand nombre de princes séculiers et ecclésiastiques d'Allemagne. Ils pénétrèrent en Bohême par la grande forêt qui la limite du côté de la Bavière. Les éclaireurs qu'ils avaient envoyés reconnaître la position et la force des Bohémiens, se laissèrent tromper par les manœuvres habiles de Procope, et par les indications mensongères que leur donnèrent les habitants. Ils rapportèrent que les Bohémiens, en proie à des divisions intestines, fuyaient dans tous les sens devant l'armée des envahisseurs. Les Croisés s'avancèrent sans obstacle jusqu'à Tausch et en firent le siége; mais, quelques jours après, Procope apparut à la tête des Taborites et des Orphelins, et força les assiégeants de s'enfuir. Les Croisés se dispersèrent, mirent tout à feu et à sang, et se rallièrent à Riesenberg où ils prirent une forte position. Ils s'aperçurent bientôt que les prétendues divisions des Bohémiens étaient un mensonge, et qu'au contraire ils se réunissaient de toutes parts contre l'ennemi commun. La connaissance de l'accord des Bohémiens produisit sur les Croisés de Césarini l'effet qu'il avait déjà produit sur les Croisés de Beaufort. Le duc de Bavière fut le premier à fuir, abandonnant son équipage pour ralentir la poursuite des ennemis; l'électeur de Brandebourg, et bientôt l'armée tout entière suivirent son exemple. Le seul homme qui ne partagea pas la panique générale, fut un prêtre, le cardinal lui-même. Il harangua ses troupes avec une grande présence d'esprit, il leur représenta que leur fuite déshonorerait leur patrie, et que leurs ancêtres idolâtres combattaient plus courageusement pour leurs idoles, qu'eux-mêmes pour la cause du Christ. Il les exhortait à se rappeler les anciens héros de leur race, les Ariovistes, les Tuiscons, les Arminius, et leur montrait qu'ils avaient plus de chances de se sauver par la résistance que par une fuite honteuse où ils seraient pour sûr atteints et égorgés. Que ce soit le souvenir de la gloire de leurs ancêtres ou le sentiment de leur propre salut qui donna le plus de poids aux paroles du cardinal, je ne sais, mais enfin il réussit à les rallier et à occuper la forte position de Riesenberg, où il était résolu d'attendre l'ennemi. Cette détermination ne dura pas long-temps; car, à la vue des Bohémiens, les Croisés furent saisis d'une terreur si panique que Césarini ne put pas les arrêter et fut même entraîné dans leur fuite; 11,000 Allemands périrent dans cette journée, où l'on ne fit que 700 prisonniers; 240 fourgons chargés d'or et d'argent, et aussi, comme le remarque un chroniqueur, d'excellent vin, tombèrent entre les mains des Bohémiens. Ils s'emparèrent encore de toute l'artillerie des ennemis qui montait à 50 canons; quelques historiens l'évaluent à 150 canons. Césarini perdit dans cette fuite son chapeau et sa robe de cardinal, sa crosse, sa sonnette et la bulle pontificale qui proclamait la croisade dont le résultat était si piteux.

Les auteurs allemands ont commenté de bien des manières la panique extraordinaire qui saisit un peuple aussi belliqueux que les Allemands, et les fit fuir deux fois à la seule vue des Bohémiens. Jamais personne n'a mis en doute la valeur dont les Allemands ont donné tant de preuves avant et depuis la guerre des Hussites. Cet exemple prouve peut-être plus que tout autre que, même dans une lutte physique, l'activité morale est supérieure à la force brute. Une petite nation qui combat pro aris et focis, pour ses autels et sa liberté, qui a foi dans la justice et le succès de sa cause, peut l'emporter sur les armées les plus nombreuses et les plus disciplinées. Celles-ci n'ont pas d'inspirations semblables pour les soutenir, et se laissent bientôt décourager même par leurs succès temporaires. Les Espagnols ont l'habitude de dire d'un homme qu'il a été et non pas qu'il est brave; car souvent la même personne peut montrer la plus grande bravoure dans une circonstance, et dans d'autres agir tout différemment. Tous admettent la vérité de cette observation; mais ce qui est vrai d'une personne, l'est aussi de plusieurs, et même de toute une nation, surtout si l'on songe que les foules sont plus sujettes que les individus aux effets temporaires de l'enthousiasme et de l'abattement. L'histoire est pleine d'exemples de ce fait, et ce sera pour moi une triste tâche de décrire, sous l'influence désolante du despotisme autrichien et romain, la prostration de cet esprit national que la guerre des Hussites avait développé en Bohême avec une énergie aussi remarquable. Sans scruter ces pages de l'histoire, nous pouvons voir aujourd'hui revivre l'esprit national là où depuis long-temps il paraissait éteint, et ces exemples ne peuvent que remplir de joie les cœurs de tous les amis de la liberté du genre humain et de la dignité de la nature humaine. Rome, dont la gloire semblait ensevelie pour toujours dans l'urne funéraire de ses anciens héros, a montré par la noble résistance qu'elle a faite contre l'inqualifiable invasion de la Gaule moderne, que l'esprit de Camille, endormi depuis tant de siècles sous les ruines de la ville éternelle, a revécu dans ses énergiques défenseurs. Venise, la belle Venise, tombée ignominieusement, après des siècles de grandeur, sans avoir disputé son indépendance, a déployé dans son admirable résistance aux oppresseurs de l'Italie, un patriotisme digne des jours glorieux des Dandolo, des Zeno, des Pisani; sa résistance n'a pas réussi à rendre à la reine de l'Adriatique ses antiques honneurs, mais elle a fait briller son nom d'un aussi vif éclat que celui qui illumine la page la plus illustre de sa romanesque histoire de la Guerre de Chiozza (1378-81). On peut donc justement espérer que, malgré les nuages noirs qui assombrissent aujourd'hui l'horizon de la belle Italie, ses enfants pourront bientôt lui assurer tous les avantages de la liberté civile et religieuse, et qu'elle pourra redevenir

Essai sur l'Histoire Religieuse des Nations Slaves (traduit de l'anglais)

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