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Entrées d’Isabeau de Bavière et de Marie d’Angleterre.
ОглавлениеEntrée d’Isabeau de Bavière: — Le cortège. — L’itinéraire et ses surprises. — Les anges de la porte Saint-Denis et de la fontaine du Ponceau. — Le pas du roi Saladin. — La couronne d’or. — Au Châtelet. — Le lit de justice. — L’engigneur des tours Notre-Dame. — Le roi, roué de coups, dans la foule. — Les présents de la ville de Paris. — L’épilogue de la tête. — Entrée de Marie d’Angleterre: — La petite reine. — Le navire d’argent. — Le jardin des roses. — Les pucelles de la Porte-aux-Peintres. — Le roi David et la reine de Saba. — Le vergier de France. — Tableaux vivants. — Dame Justice. — Notre mère l’Université. — Le Te Deum.
De tout temps le peuple a compté parmi ses plus grands plaisirs celui de voir passer ceux qui le gouvernent.
Plus la pompe qui les accompagne est fastueuse, plus il se montre satisfait, Aussi n’est-il pas de spectacle qui ait plus passionné nos pères que celui de l’entrée des rois et des reines dans leur bonne ville de Paris.
Il faut dire que dans ces occasions, on ne comptait ni de l’un ni de l’autre côté, les souverains ne regardant à aucune dépense, si excessive qu’elle parût, et le contribuable ne se plaignant point de ce qu’il lui en coûterait, pourvu qu’on lui en donnât pour son argent.
Parmi les plus remarquables spectacles de ce genre, il convient de citer l’entrée d’Isabeau de Bavière. La description en a été faite par Froissart.
La reine, accompagnée des duchesses de Berry, de Bourgogne, de Touraine, de Bars, et d’autres dames et demoiselles, vint à cheval de Saint-Denis. Douze cents bourgeois de la ville formaient la haie, à cheval, vêtus d’un parement de gonne de baudequin, — c’était un tissu fait de fil d’or et de soie. A la porte Saint-Denis, la reine et les dames de sa suite montèrent en litière, «après avoir aperçu un ciel tout estellé (tout étoilé) et en dedans de jeunes enfans, appareillés et mis en ordonnance d’anges, qui chantoient moult mélodieusement et doucement.»
Alors le cortège s’avança, fendant la foule qui encombrait la rue Saint-Denis, toute couverte d’un drap de fin azur semé de fleurs de lis d’or. Les piliers qui environnaient la fontaine étaient armoriés des armes des plus hauts seigneurs de France. Là étaient groupées des jeunes filles «magnifiquement vêtues et qui portoient sur leur chef chapeaux d’or, bons et riches». Elles aussi chantaient très mélodieusement «de douces choses à ouïr; en leurs mains elles tenoient hanap d’or et coupe d’or et offroient à boire à qui vouloit».
Au moulin de la Trinité s’élevait un échafaud où l’on exécuta le pas du roi Saladin. Des guerriers chrétiens et infidèles s’y livrèrent, en outre, à quelques passes d’armes devant un groupe qui représentait le roi et ses douze pairs.
Après un coup d’œil donné à ce spectacle, la reine continua son chemin et arriva à la seconde porte Saint-Denis, qu’on appelait communément la porte aux Peintres, d’où descendirent deux anges tenant à la main une très riche couronne d’or garnie de pierres précieuses qu’ils mirent sur la tête de la reine en chantant:
Dame enclose entre fleurs de lys
Roine estes vous de Paris,
De France et de tout le pays,
Nous en rallons en paradis.
A la porte du Châtelet de Paris, la reine trouva un châtel «ouvré et charpenté de bois et de guérites, faites aussi fortes que pour durer quarante ans, et là avoit à chacun des créneaux un homme d’armes armé de toutes pièces, et sur le châtel un lit paré et ordonné, et courtiné aussi richement de toutes choses comme pour la chambre du roi. Et étoit appelé ce lit, Lit de Justice; et là, en ce lit, par personnage et par figure, gissoit Madame Saint-Anne». Un cerf blanc gardait ce Lit de Justice et paraissait le défendre contre un lion menaçant.
Après une nouvelle halte à ce point, le cortège se remit en route par le grand pont de Paris qui était tout au long couvert et estellé de blanc et de vert cendal, — c’était une étoffe de soie fort estimée. Puis la reine entra, seule, à Notre-Dame.
Quand elle en sortit, la nuit était venue. Plus de cent cierges répandaient une lueur fauve sur la litière de la reine. C’est à ce moment qu’un hardi personnage, un maître-engigneur (ingénieur), dont le souvenir est demeuré légendaire, descendit du haut des tours Notre-Dame; porté sur une chaise qui était mue par une machine de son invention. La-corde sur laquelle glissait cet appareil «comprenoit moult loin et par-dessus les maisons, et s’envenoit tout haut et étoit attachée sur la plus haute maison du pont Saint-Michel, et ainsi comme la roine et les autres dames passoient et étoient en la grand’rue Nostre-Dame, cil maistre, pour ce qu’il étoit tard, portant deux cierges ardens en ses mains, issit hors de son eschaffaud, lequel étoit fait sur la haute tour Nostre-Dame, et s’assit sur celle; et tout chantant, sur la corde, il s’en vint au long de la grand’rue dont cils et celles qui le veioent, s’émerveilloient comment se pouvoit faire; et cil toujours portant les deux cierges allumés, lesquels on pouvait voir tout au long de Paris et au dehors de Paris deux ou trois lieues loin, moult fit d’appertises: tant que la légèreté de lui et de ses œuvres furent moult prisées.»
On a pu remarquer que le roi ne figurait pas dans le cortège. L’étiquette à cette époque ne permettait point aux souverains de se rendre au-devant des reines.
Mais si Charles VI se montrait observateur fidèle de l’étiquette, quand on avait les yeux fixés sur sa personne, il ne lui déplaisait point de lui faire faux bond, lorsqu’il était certain de n’être point observé. C’est ce qui arriva, pendant l’entrée de la reine, où, grisé par le son des cloches et les bruits de la liesse populaire qui arrivaient jusqu’à lui, il lui prit une envie folle, en attendant l’heure de paraître, de se mêler à la foule, pour prendre sa part du spectacle, incognito. Il s’en ouvrit à un de ses familiers, qui s’empressa de favoriser son désir.
«Au roi fut rapporté, est-il dit, qu’on fesoit les dites préparations; et dit à Savoisy, qui étoit un de ceux qui étoient le plus près de lui: «Savoisy, je te prie que tu montes sur mon
» bon cheval, et je monterai derrière toi; et
» nous habillons tellement qu’on ne nous connoisse
» point; et allons voir l’entrée de ma
» femme.» Si fit Savoisy et si monta sur un fort cheval, le roi derrière lui, et ainsi s’en allèrent par la ville et se avancèrent pour venir au Chastelet à l’heure que la roine passoit, et se bouta Savoisy le plus près qu’il put. Et y avoit foison de sergens de tous côtés à grosses boulaies, lesquels pour défendre la presse, frappoient d’un côté et d’autre de leurs boulaies, et bien fort. Et s’efforçoient toujours d’avancer le roi et Savoisy, et les sergens qui ne connais-soient ni le roi ni Savoisy frappoient de leurs boulaies sur eux, et en eut le roi plusieurs cous et horions sur les épaules pour bien assez. Et au soir, en la présence des dames et damoiselles fut la chose sue et récitée, et s’en commença-t’on bien à farcer, et le roi même se farçoit des horions qu’il avoit reçus.»
Le festin et la fête qui suivit curent lieu au Palais-Royal — le Palais de Justice actuel. Puis on se rendit par eau, à la lueur des flambeaux, à l’hôtel Saint-Pol, résidence favorite du roi.
Le lendemain, les bourgeois furent admis à l’honneur d’offrir eux-mêmes les présents de la Ville à Leurs Majestés.
— Très cher sir et noble Roy, dirent-ils, vos bourgeois de Paris vous présentent au joyeux avènement de votre règne tous ces joyaux qui sont sur cette litière.
— Grand merci, bonnes gens, ils sont beaux et riches, répondit le roi.
Et ce fut tout.
Les bourgeois se retirèrent, après force génuflexions, ravis d’avoir pu contempler les traits augustes de Leurs Majestés.
Quand ils furent partis, le roi, qui, en leur présence, avait observé une attitude assez digne, dit à la reine:
— Allons voir de plus près les présens quels ils sont.
Or, ceux-ci n’étaint point à dédaigner, car ils se composaient de quatre pots d’or, de quatre trempoirs et de six plats du même métal, le tout pesant cent cinquante marks.
Mais ils furent trouvés misérables. La reine entra, dit-on, dans une grande colère à propos de la ladrerie de ses nouveaux sujets. Aussi dès le lendemain promulgua-t-on de nouveaux impôts.
La façon dont on s’y prit pour annoncer au peuple cette fâcheuse nouvelle mérite d’être relatée. Elle forme l’épilogue bien typique des réjouissances de l’avant-veille. Un crieur arrive aux Halles; on s’attroupe: «Bonne récompense... », dit-il, comme s’il allait annoncer un objet perdu. Soudain, il déclare en deux mots que le lendemain on percevra double droit, et s’enfuit à bride abattue, dans la crainte d’être assommé.
Après l’entrée d’Isabeau de Bavière, celle de Marie d’Angleterre, seconde femme de Louis XII, est celle qui a laissé les plus vivaces souvenirs dans la chronique festoyante du Vieux-Paris. Aussi bien, le mariage du vieux roi — il avait 72 ans — avec la sœur d’Henri VIII, assurait la paix, au lendemain des désastres de Navarre et de Térouanne. De plus, la nouvelle reine rayonnait de jeunesse et d’éclat, ce qui n’a jamais gâté rien, en France: elle avait seize ans, la pauvre, et sa beauté était telle que le duc de Valois lui-même oublia un instant, dit-on, que cette toute gracieuse souveraine pouvait lui ravir son trône.
Quoi qu’il en soit, voici, d’après un témoin oculaire, le cérémonial qui fut observé à son entrée:
La reine était assise «en une litière somptueusement et richement acoustrée et vestue d’une robe d’or couverte et brodée de pierrerie et de fines pierres précieuses en ses dois, ung carcan au col, que homme vivant ne scaurait nombrer ne priser.»
A l’entrée de la ville, la reine fut reçue par les échevins et les bourgeois de Paris, qui se relayèrent pour porter au-dessus de sa tête un ciel de drap d’or broché, semé de fleurs de lys et de roses vermeilles.
Le cortège s’avança solennellement, et au milieu d’une indescriptible joie, par les rues tendues de riches broderies et de tapisseries aux couleurs voyantes.
Sur tout son parcours, des surprises avaient été préparées qui ravirent d’aise la jeune souveraine. Ce fut d’abord un grand navire d’argent, emblême légendaire de la ville de Paris, «dedans lequel le roi Bacchus tenant un beau raisin dénotant plante de vins, et une reine tenant une gerbe dénotant plante de blés, et aux trois mâts dudit navire, au plus haut, étoient trois grosses hunes dans lesquelles étoient trois personnages, tenant chacun un grand écusson et celui du milieu un écusson de France, et aux quatre bouts de la mer qui le portoit étoient quatre grands monstres soufflant, dénotant les quatre vents nommés Subsolamus, Auster, Boreaus et Zephyrus, et dedans ledit navire étoient matelots et autres personnages, lesquels chantoient mélodieusement, et aux deux bouts dudit navire étoient les armes de l’hôtel de ladite ville.»
A la fontaine du Ponceau, il y avait un jardin orné de lis et de roses vermeilles, et «dedans ledit jardin étaient trois jeunes pucelles nommées l’une Beauté, Lyesse et Prospérité.»
A la porte aux Peintres se trouvaient cinq autres pucelles. «C’est assavoir France, Paix, Amitié, Confédération et Angleterre.» A l’arrivée du cortège, le roi David parut parmi ces filles, les plus belles qu’on eût trouvées, et qui étaient nues. Il donnait la main à la reine de Saba, «laquelle reyne portait la Paix à baiser au roy, lequel la remerciait humblement.»
Cette allusion n’était point la seule qui figurât au programme décoratif de cette entrée mémorable. Devant Saint-Innocent, l’on avait représenté, dans des proportions gigantesques, Dieu le Père, rapprochant un lys et une rose vermeille, «dedans laquelle était une jeune reyne nommée Franc-Vergier montant au trône d’honneur.» De même, en avant du Palais, se trouvait un jardin planté de lys et de roses, qu’un écriteau spécifiait: le Vergier de France, et de ce jardin s’échappèrent, à l’approche de la reine, des oiseaux en si grand nombre que le ciel en fut obscurci.
Si l’on ajoute à tous les divertissements qui précèdent les représentations de tableaux vivants, organisés à chaque carrefour, on aura l’idée de la diversité qui présidait à la mise en scène de cette entrée. Or, ces représentations ne composaient pas la moins curieuse partie du spectacle. Elles tenaient tantôt de l’ordre religieux, tantôt de l’ordre profane, et parfois des deux à la fois, de telle sorte qu’on pouvait voir, sur une même place, des sirènes toutes nues, fredonnant des bergerettes, à deux pas d’un théâtre où le Christ expirait entre les deux larrons.
Et à chaque échafaud, la litière royale s’arrêtait pour jouir de la représentation, autant que pour rendre hommage à l’initiative privée des habitants qui en étaient les organisateurs. Aussile cortège n’avançait-il que lentement, pour la plus grande joie du peuple, qui ne pouvait se lasser de contempler la jeune reine. Puis ce fut le tour des hautes corporations. Au Châtelet, par un mélange d’allégorie et de réalité qui présidait à l’ensemble de la fête, Dame-Justice descendait entourée des douze pairs de France, qu’accompagnaient les magistrats des diverses cours. Devant Sainte-Geneviève-des Ardents, dans la Cité, «trouva ladite Dame Notre Mère l’Université, lesdits docteurs ayant leurs habits fourrés en belle et honorable ordonnance.» Enfin, sur le parvis, se tenaient les corps de métiers et les délégations marchandes.
Le Te Deum fut chanté, selon l’usage, en grande pompe à Notre-Dame. Puis la reine «s’en retourna sur sa litière et s’en alla souper au palais du Roy nostre sire.»
Les bourgeois firent de même. La journée avait été fournie. Ils avaient grand besoin de réfection.