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ÉVOLUTION DE L'IDÉE D'ESPÈCE

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Les grands travaux descriptifs: Wotton, Gessner, Aldrovande.—Ray: définition de l'espèce.—Premiers essais de nomenclature.—Linné: la fixité de l'espèce; la nomenclature binaire.

Cependant la zoologie descriptive avait fait de réels progrès. Wotton avait tiré, en 1552, des œuvres d'Aristote un premier essai de disposition systématique des animaux. La même année, Conrad Gessner avait réuni, dans son Histoire des animaux, tout ce que l'on savait de son temps sur ces êtres vivants, et en avait rendu facile l'étude comparative, en adoptant pour ses descriptions un plan méthodique; à partir de 1599, Aldrovande avait publié sur les animaux une série d'ouvrages importants, et les matériaux s'étaient déjà tellement accrus qu'il avait fallu de toute nécessité recourir, pour mener cette œuvre à bonne fin, à une classification rigoureuse, en partie empruntée à Wotton et en partie nouvelle; des animaux fabuleux, des harpies, des griffons, se trouvent encore mêlés aux animaux réels; l'histoire de l'oie qui naît des glands d'un chêne est encore racontée; mais le progrès n'en est pas moins accusé. Jonston compose, à son tour, après d'autres ouvrages d'histoire naturelle qui en étaient la préparation, son Théâtre universel des animaux; partout la méthode est la même: Les animaux sont décrits d'après leur habitat ordinaire, leur genre de nourriture, leurs mœurs.

Mais les formes animales connues sont de plus en plus nombreuses; il devient de plus en plus difficile de les reconnaître dans les longues et confuses descriptions qu'on en fait. Sperling a le premier l'idée de les définir au moyen de courtes diagnoses qu'il nomme des préceptes (1661). Toutefois les groupes d'individus auxquels correspondent ces diagnoses, bien que nettement définis dans l'esprit des zoologistes, n'ont pas encore reçu de dénomination particulière. Comme le faisait jadis Aristote, on emploie indifféremment les mots genre et espèce pour désigner des groupes d'étendue variable. On dit ainsi: l'espèce des oiseaux en comprend un grand nombre d'autres; l'espèce des mammifères se divise en plusieurs genres; on n'a pas non plus beaucoup réfléchi sur les caractères de ce que nous nommerions aujourd'hui une espèce. On admet sans trop de peine, malgré les efforts de Redi pour démontrer l'inanité de la génération spontanée des insectes, que des animaux peuvent exceptionnellement engendrer d'autres animaux tout différents et que beaucoup peuvent naître de la rosée, de la pourriture ou du limon. Cependant le besoin de plus de précision se fait graduellement sentir. Ray entre enfin hardiment dans la voie que nous suivons aujourd'hui, en déterminant d'une manière définitive la signification qu'il faut donner au mot espèce et en fixant ainsi pour tous une idée qui jusque-là était demeurée quelque peu flottante. L'espèce, c'est désormais le plus restreint des groupes auxquels on appliquait jusque-là ce mot; toute réunion d'espèces ayant quelques caractères communs portera le nom de genre. Le genre pourra donc se diviser en espèces, mais l'espèce est maintenant une unité indivisible. Sa définition est tout entière basée sur la généralisation d'un fait d'observation journalière. Les animaux et les plantes que nous connaissons le mieux tirent tous leur origine d'animaux et de plantes semblables à eux; ces animaux et ces plantes ainsi liés généalogiquement sont ce qu'on appellera des espèces. L'idée était déjà dans Aristote, mais le mot n'y était pas, et l'idée même était moins précise, car Aristote n'en parle guère qu'incidemment, à propos des difficultés que soulève l'origine de certains animaux; Ray dit, au contraire, expressément: «Les formes spécifiquement différentes conservent toujours la même apparence; jamais une espèce ne naît de la semence d'une autre, ni réciproquement.» Il semble que Ray détermine non seulement de la façon la plus nette le critérium de l'espèce, mais qu'il affirme de plus la fixité absolue des formes spécifiques: il ne va cependant pas jusque-là. Il remarque d'abord qu'il existe entre les animaux de même espèce des différences sexuelles qui peuvent être assez considérables, et il ajoute que son «caractère de l'espèce n'est pas absolument infaillible. Les expérience montrent, en effet, que quelques semences peuvent dégénérer, que des plantes d'espèce différente peuvent, dans des cas exceptionnels, naître de la semence d'une plante d'espèce donnée et donner lieu, par conséquent, à une transmutation des espèces.» Ces réserves devront bientôt disparaître.

Ray embrassait dans le cercle de ses études la botanique et presque toutes les branches de la zoologie qu'il avait étudiées soit seul, soit avec le concours de son ami Willoughby, mort prématurément et dont il publia les travaux. Peu à peu, l'accroissement considérable du nombre des animaux recueillis dans toutes les parties du monde obligea les naturalistes à se restreindre à l'étude de collections particulières qui étaient minutieusement décrites, comme on décrit de nos jours des cabinets de curiosités. Ce fut l'origine de livres tels que le Thésaurus de Seba, l'ouvrage de Rumphius sur les raretés d'Amboine (1705), le Gazophylacium naturæ et artis de Pétiver (1711) et autres publications analogues.

On pouvait aussi borner ses études, en décrivant des animaux d'une certaine catégorie ayant entre eux quelque ressemblance; former ces catégories, c'était déjà reconnaître l'existence de groupes naturels; c'est ainsi que Martin Lister s'occupa des coquilles, Breyn des oursins, Linck des étoiles de mer, etc. Ces divers travaux monographiques ne pouvaient conduire à des idées bien générales; mais ils demandaient une étude suivie des formes vivantes; ces formes étaient nettement définies, parfois soigneusement figurées, comme dans l'ouvrage de Linck sur les étoiles de mer, qui date de 1733. Parmi elles, celles qui se ressemblent le plus sont groupées en genres qui apparaissent ainsi comme des divisions secondaires des groupes plus étendus dont l'auteur se fait l'historien, groupes auxquels on n'a pas encore songé à attribuer de dénomination marquant leur degré de généralité. Dans les ouvrages de Breyn et de Linck, chaque genre reçoit un nom particulier, chaque espèce est distinguée de celles du même genre par une ou deux épithètes accolées au nom générique, de telle façon qu'un système de dénomination semblable à celui qui est en usage dans notre état civil tend de plus en plus à s'introduire dans la langue zoologique. D'abord l'usage de cette nomenclature est en quelque sorte accidentel; souvent on emploie plusieurs prénoms pour désigner une même espèce. Linné comprend enfin la nécessité de formuler les règles de la langue du naturaliste. Après s'être servi accidentellement en 1749, pour désigner les espèces communes en Scandinavie, d'un nom et d'un unique prénom dans un discours inaugural devenu célèbre sous le nom de Pan suecica, il montra en 1751, dans sa Philosophie botanique, les avantages de ce mode de dénomination; en fit en 1753 une première application aux plantes, dans son Species plantarum, et l'étendit à l'ensemble des espèces des deux règnes dans la 12e édition de son Systema naturæ, qui date de 1766. Cette façon de désigner les espèces, adoptée depuis par tous les naturalistes, est ce qu'on a appelé la nomenclature binaire.

Par un phénomène inverse de celui qui avait empêché Aristote d'atteindre à la notion de l'espèce, les groupes spécifiques nettement définis, et désignés chacun désormais par un nom particulier, facile à retenir, ne devaient pas tarder à être pris pour autant de réalités malgré ce que leur détermination présentait d'évidemment artificiel. Dans la période qui s'ouvre on voit, en effet, les naturalistes oublier peu à peu que les espèces ont été constituées par eux-mêmes à l'aide de groupes d'individus, pour ne plus voir que la forme abstraite à laquelle se rattachent tous les individus d'un même groupe. On s'applique à dénombrer ces formes, devenues autant d'êtres quasi réels; connaître toutes les formes vivantes, en donner un catalogue aussi complet que possible paraît à de nombreux zoologistes le but définitif de la science. On peut citer Klein comme le représentant le plus accompli de cette doctrine; ses travaux ont uniquement pour but de dresser un catalogue des animaux commode à consulter, et l'on doit y parvenir, suivant lui, au moyen d'un système de classification empruntant exclusivement ses caractères à l'extérieur de l'animal. Il est certain que, si l'on se propose seulement de dresser un inventaire du règne animal et d'arriver le plus rapidement possible à déterminer à quel chapitre de cet inventaire se rattache un animal donné, les caractères qui sont le plus apparents, le plus faciles à constater ont quelque droit à avoir la préférence; non seulement la nature des caractères employés, mais encore les façons dont ils sont mis en œuvre, ce qu'on pourrait appeler les procédés de classification, prennent une importance considérable. C'est ainsi que l'on est amené à considérer comme des inventions éminemment utiles des artifices, tels que ces tables dichotomiques des botanistes, qui permettent d'abréger le temps à dépenser pour trouver un nom. En soutenant qu'on ne devait pas obliger les naturalistes qui veulent trouver le nom d'un animal, à en ouvrir la bouche pour compter combien il possède de dents, Klein devait avoir pour lui tous les naturalistes descripteurs, et l'on en voit encore de nos jours regretter que toutes nos méthodes de classification n'aient pas été basées sur de tels principes.

Ce fut Linné qui eut l'honneur de limiter l'influence de Klein et d'affirmer que l'histoire naturelle devait atteindre un but plus élevé que celui auquel menaçaient de la restreindre les simples nomenclateurs. Pour son esprit poétique, il devait exister dans la nature une harmonie dont le naturaliste digne de ce nom devait être l'interprète. Que les conditions particulières à une science en voie de formation imposassent la nécessité d'avoir recours à des procédés plus ou moins artificiels pour parvenir à dresser un inventaire des êtres vivants, inventaire au moyen duquel on pût déterminer facilement les formes déjà connues et dans lequel il fût aisé d'assigner une place aux formes nouvelles, il ne le contestait pas; il dut lui-même, en partie, sa brillante réputation à l'invention et à l'emploi général de procédés de ce genre, particulièrement ingénieux, il est vrai; mais ces procédés, qu'il nommait des systèmes, n'étaient pour lui qu'une concession faite momentanément aux besoins de la nomenclature et ne représentaient nullement la science elle-même. Tout dans la nature lui paraissait rigoureusement ordonné; il était persuadé que, de même que nos pensées forment une chaîne ininterrompue, tous les êtres devaient se relier les uns aux autres d'une façon déterminée. Aussi s'était-il approprié cet aphorisme de Leibnitz: Natura non facit saltum: La nature ne fait point de saut. Dans la longue série des formes vivantes, chaque espèce devait être exactement intermédiaire entre deux autres. La science ne devait s'arrêter qu'après avoir permis de les disposer toutes dans un ordre tel que cette condition fût réalisée; seulement alors elle pourrait se considérer comme possédant un système de classification définitif; ce système définitif était nécessairement unique; c'est à lui qu'il fallait réserver le nom de méthode naturelle, et Linné pensait qu'on parviendrait à le réaliser en imaginant une suite de systèmes, destinés à être sans cesse perfectionnés par des retouches successives, de manière à se rapprocher de plus en plus du système définitif. Ainsi chacun de ces systèmes devait être comme nos théories, qui ne fournissent que des explications approximatives des phénomènes qu'elles se proposent de relier entre eux, jusqu'à ce que des perfectionnements progressifs, portant sur des points de détail, leur aient donné une inaltérable cohésion.

Cette méthode, image de la nature, traduction fidèle de la pensée du créateur, devait tenir compte de tous les faits que peut présenter l'histoire des animaux: non seulement leurs caractères extérieurs, mais leur structure anatomique, leurs facultés, leur genre de vie, devaient être pris en considération pour arriver à rapprocher les espèces suivant leur ordre naturel, et Linné, tout en se bornant à constituer ce qu'il appelle un système de la nature, introduit, autant que cela est possible de son temps, la notion de la structure dans ses divisions du règne animal; il ouvre de la sorte une voie nouvelle, que Cuvier poursuivra plus tard.

L'illustre Suédois a rendu à la philosophie zoologique un service plus important encore.

La première condition pour se rapprocher autant que possible d'un but aussi élevé que celui qu'il devait atteindre, était d'introduire dans la science une précision qui lui avait manqué jusque-là. Aussi le voyons-nous prendre le plus grand soin de définir tout ce dont il a à parler. Il semble qu'il soit inutile de dire ce que peuvent être les minéraux, les végétaux et les plantes; depuis longtemps, l'observation vulgaire a donné à chacun une notion précise de là signification de ces termes. Linné insiste cependant:

Mineralia crescunt.

Vegetalia crescunt et vivunt.

Animalia crescunt, vivunt et sentiunt.

Les trois règnes sont ainsi caractérisés, et leurs caractères présentent une séduisante gradation. Les formes à classer ne sont pas définies avec moins de netteté:

«Nous comptons, dit Linné, autant d'espèces qu'il est sorti de couples des mains du Créateur.»

Ici, la définition pèche même par trop de précision, car elle juge, dans sa forme concise, une foule de questions qu'il eût été peut-être prudent de ne pas résoudre aussi vite. Linné paraît savoir, en effet, que les animaux sont sortis par couples des mains divines; que tous les animaux de même espèce que nous observons aujourd'hui sont descendus de ces couples, auxquels les relient une série ininterrompue de générations; qu'aucune des familles naturelles ainsi constituées ne s'est éteinte; qu'aucune n'a subi de mélange; qu'aucune ne s'est perfectionnée, dégradée ou même modifiée. Ce savoir, il ne pouvait le tenir ni de l'observation, ni de l'expérience; il se place donc, par cette définition de l'espèce, hors du terrain scientifique. C'est évidemment du récit de la création fait par la Genèse qu'il s'inspire; nous nous trouvons en présence non plus d'un fait rigoureusement déterminé, mais d'une croyance religieuse, d'un dogme. Et c'est bien un dogme en effet, que Linné vient d'introduire dans la science. S'il n'y attache pas lui-même une importance excessive, s'il entreprend des recherches propres à déterminer de quelles variations les êtres vivants sont susceptibles, s'il suppose plus tard que les espèces primitives de plantes ont été peu nombreuses et que leur nombre s'est accrue par suite de croisements entre les espèces fondamentales, si l'on peut croire, en un mot, qu'en définissant l'espèce comme il l'a fait, Linné a surtout cédé au besoin de donner une forme saisissante à la notion de l'espèce, encore vague pour le plus grand nombre de ses lecteurs, il n'en sera plus de même de ses successeurs et de ses élèves, qui prendront ce qu'il y a de plus absolu dans cette définition, et feront du principe, plus théologique que scientifique, de l'invariabilité des espèces la pierre angulaire de la zoologie. Linné avait dit: «toute espèce est exactement intermédiaire entre deux autres;» il avait dit aussi: «la nature ne fait point de saut» et ces deux propositions impliquaient, chez lui, un sentiment profond de la continuité du règne animal comme du règne végétal, qui tempérait la rigueur de ses définitions; ses successeurs affirmeront exclusivement la discontinuité.

On a souvent accusé l'école de Linné d'avoir enrayé toutes les études qui pouvaient nous éclairer relativement à l'origine et aux modifications possibles des êtres vivants. Ce reproche n'est pas absolument fondé. Les observations précises, quel que soit l'esprit dans lequel elles sont faites, finissent toujours, par cela seul qu'elles sont précises, par conduire à la vérité. Or Linné dotait l'histoire naturelle d'une précision inconnue jusqu'à lui. S'il était vrai que les formes vivantes étaient invariables et en nombre limité, l'accord devait rapidement se faire entre les naturalistes sur le nombre et les caractères de ces formes nettement séparées les unes des autres; si ces formes étaient au contraire variables, le zèle mis par chacun à décrire de prétendues espèces nouvelles devait augmenter indéfiniment le nombre des espèces, établir peu à peu entre les formes les plus différentes les transitions les plus graduées, soit par l'intermédiaire de formes actuellement existantes, soit par l'intermédiaire de formes ayant vécu, mais aujourd'hui disparues. Est-il besoin de dire ce qui est arrivé? Le nombre des espèces décrites depuis Linné s'est si rapidement augmenté, que les descripteurs, effrayés de leur œuvre, ont fini par se renvoyer réciproquement l'accusation de constituer des espèces de fantaisie, les uns multipliant à l'infini les dénominations différentes, les autres désignant au contraire sous un même nom des formes que l'on trouverait, sans aucun doute, fort disparates si l'on ne connaissait les formes intermédiaires qui les unissent. De par les divergences mêmes de ceux qui la prétendaient fixe, l'espèce est devenue un groupe aux limites flottantes, toutes conventionnelles, d'individus plus ou moins semblables entre eux. On n'a pu manquer d'être frappé de tout ce qu'avait d'arbitraire la délimitation de ces groupes; mais, quand on a voulu en fixer nettement les limites, on s'est heurté à de telles difficultés que chacun a donné de l'espèce une définition différente et qu'il a fallu avoir recours, pour trouver un terrain de conciliation, non à des caractères extérieurs, tels que ceux dont Klein demandait l'usage exclusif, non pas même à des caractères anatomiques, tels que ceux dont Linné commençait à faire usage, mais à un caractère exclusivement physiologique, nécessitant, pour être déterminé, des expériences souvent impraticables, le caractère même que le bon sens populaire, bien plus que son observation personnelle, avait dicté à Aristote: la fécondité ou l'infécondité des unions entre les individus dont l'identité spécifique était douteuse.

En serrant de plus près qu'on ne l'avait fait avant lui la notion de l'espèce, en conduisant ses élèves à adopter nettement une manière de voir déterminée, en donnant un corps à une conception vaporeuse jusque-là, Linné forçait l'attention des hommes de science à se porter sur des phénomènes qu'ils auraient sans doute longtemps encore négligés, à chercher la solution de problèmes difficiles à résoudre et qu'on eût peut-être éludés au lieu de les envisager de front. La multiplication même des prétendues formes spécifiques, dont on a accusé les naturalistes linnéens d'avoir encombré les sciences, est donc demeurée un bien, car plus ces formes devenaient nombreuses, plus il était nécessaire de les décrire avec précision, pour les distinguer les unes des autres, et plus devaient s'étendre nos connaissances relatives aux modifications diverses dont sont respectivement susceptibles les individus de même espèce.

* * * * *

Les prédécesseurs de Linné réunissaient dans des groupes plus ou moins étendus, qu'ils désignaient sous le nom de genre ou auxquels ils ne donnaient pas du tout de nom, les espèces qui, tout en étant distinctes, présentaient quelques similitudes. Linné définit le premier les différents degrés de ressemblance: dans ses ouvrages, les espèces les plus voisines furent constamment groupées en genres; les genres entre lesquels il existait des caractères communs furent réunis en ordres, les ordres en classes. Les rapports réciproques de ces diverses divisions furent établis par le tableau suivant, indiquant plusieurs sortes de hiérarchie et dans lequel les termes correspondants sont placés sur une même ligne verticale:

+——————+——————+————————————+————-+————-+ |Classe. |Genre. |Ordre. |Espèce. |Variété. | +——————+——————+————————————+————-+————-+ |Genre le |Genre moyen.|Genre le plus restreint.|Espèce. |Individu.| |plus étendu.| | | | | +——————+——————+————————————+————-+————-+ |Province. |Département.|Commune. |Bourg. |Maison. | +——————+——————+————————————+————-+————-+ |Régiment. |Bataillon. |Compagnie. |Escouade.|Soldat. | +——————+——————+————————————+————-+————-+

La dernière édition du Systema naturæ est de 1766; plus tard, en 1780, entre l'ordre et le genre, Batsch introduisit une division nouvelle, dont l'importance est presque devenue prédominante, la famille. Il est évident que cette gradation des ressemblances présentées par les animaux devait rapidement éveiller l'idée d'un degré plus ou moins grand de parenté entre eux. Déjà Linné avait emprunté à l'état civil le système de la nomenclature binaire, désignant par un même nom les êtres de même genre, qu'il comparait par conséquent implicitement aux membres d'une même lignée; le mot de famille, choisi par Batsch, implique que la même comparaison est dans son esprit, et le mot tribu, qu'on emploiera également plus tard, précise encore cette assimilation. Mais ces comparaisons sont, pour ainsi dire, inconscientes; elles sont suscitées par la nature même de phénomènes qu'il s'agit de faire comprendre; on constate des ressemblances de divers degrés entre les animaux; on a constaté de même des ressemblances décroissantes entre les membres d'une même famille humaine à mesure qu'ils s'éloignent de leur souche commune: on rapproche ces deux faits; mais on demande si peu au second l'explication du premier qu'au lieu de se représenter la classification comme un arbre généalogique aux rameaux multiples, on en cherche l'image, soit comme Linné, dans les rapports que présentent entre elles les bourgades, les villes et les provinces inscrites sur une carte géographique, soit même, comme Bonnet, dans les rapports que présentent les anneaux d'une chaîne, les degrés d'une échelle. Cette doctrine de l'échelle des êtres, issue de la philosophie de Leibnitz, a vivement frappé l'esprit des philosophes; elle s'est conservée, sous des formes diverses, pendant de longues années; il est nécessaire de montrer comment la présentait celui qui en fut le plus ardent promoteur, Charles Bonnet.

La philosophie zoologique avant Darwin

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