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Exposition générale des styles avant la Renaissance.
ОглавлениеAvant d’aborder l’étude de la Renaissance, époque miraculeuse de l’Art, il ne faut pas méconnaître les splendeurs précédentes qui sont autant d’étapes de Beauté.
La Beauté profite, à travers les âges, des trésors précédents, et, chacun de ses accords doit être respectueusement envisagé avant d’examiner la réalisation harmonieuse à laquelle on s’intéresse particulièrement. Au fur et à mesure des siècles, l’esthétique s’est modifiée au gré de l’idéal et des satisfactions; ces dernières, plus humaines, étant particulièrement flattées. Pareillement, les mœurs et les caprices du goût ont influé sur le génie qui s’est transformé, sans toutefois jamais négliger les fruits de l’expérience, et c’est ainsi que s’enchaîne la pensée des siècles dans un éternel recommencement, de jour en jour cependant plus pratique.
La preuve en est que lorsque l’art de l’architecture, plus limité que tous les autres, semble épuisé à force d’avoir créé — nos temps en offrent un frappant témoignage — il se renouvelle dans l’ingénieux accord du confort et de l’hygiène, faute de pouvoir davantage, tant les chefs-d’œuvre précédents apparaissent définitifs. Il semble que la ligne ayant été trouvée, on se retourne aujourd’hui vers l’accessoire, et il est piquant de constater que le souci de l’accessoire ou de l’aménagement intérieur, de plus en plus stimulé par le bien-être, est singulièrement inspirateur de la ligne extérieure!
Ainsi s’est rénové dans l’à-côté, l’art architectural moderne, sous l’empire de satisfactions nouvelles. Aussi bien, c’est dans l’enthousiasme qui est une expansion intellectuelle, que les siècles ont conçu des types esthétiques incomparables, et ce n’est point la faute de notre temps, à ciel bas, à vie chère, «américanisé », s’il a dû borner son idéal à l’économie des appétits et des aspirations domestiques.
Jadis, dans l’exaltation de la foi religieuse, depuis le menhir pesant jusqu’à la cathédrale en dentelle, depuis l’obélisque élancé jusqu’au temple colossal, on érigeait magnifiquement; jadis, pareillement, dans l’élan de l’amour civique, les hôtels de ville s’édifiaient, somptueusement. Et, pour ainsi dire, les monuments n’étaient que des actes de foi; la maison du seigneur, le château, le palais, dominant l’égoïsme de la foule, comme l’hôtel de ville personnifiait impersonnellement son cœur.
FIG. 1. — Église Sainte-Sophie, à Constantinople.
Même, l’odieuse guerre, noblesse des armes (naguère!), inspira anciennement une architecture militaire très riche, mais moins fertile cependant, que l’architecture religieuse, celle-ci d’idéal particulièrement triomphant dans l’azur et la paix, d’essence divine, tandis que l’architecture civile et militaire n’était que d’ordre humain. Car il ne faut pas oublier que ce prodigieux mouvement d’art et d’exaltation mentale et militaire qui avait fait de la France (dès l’avènement de l’invention si originale de l’ogive) la reine du monde, s’est exclusivement produit et propagé grâce à la cathédrale improprement dite gothique.
A la naïveté de ces extases primaires, car l’idée de l’hôtel particulier, de la maison bourgeoise, du bien-être commun, ne naîtra qu’au début du XVIIe siècle, notre civilisation répond avec l’incrédulité de l’expérience, avec un sourire blasé. L’originalité des devanciers, certes, avait beau jeu; notre tâche inventive est autrement difficultueuse maintenant que toutes les formes et formules constructives semblent avoir été réalisées en principe. Usé par les chefs-d’œuvre du passé, notre présent jouit, sur le sommet du Beau, d’un repos stérile, à moins qu’il ne s’agisse d’un fructueux recueillement. C’est l’instant de rappeler à sa béatitude ou à sa méditation laborieuse la personnalité délicieuse de la Renaissance qui inonda de soleil les austérités précédentes.
Et cependant, le gothique ou mieux l’art ogival défaillant, en sa période flamboyante si délicieusement grandiose, ne nous préparait-il pas la transition la plus douce, la plus spirituelle? N’y a-t-il pas dans ces fragiles découpures de l’époque ogivale tertiaire dite fleurie, de ces roses particulièrement ornées, de ces choux prodigués, de toutes ces moulures légères et capricieuses, comme un acheminement vers la fraîcheur et la gaîté ornementales qui suivront?
FIG. 2. — Chapiteau roman.
Pourtant, avec l’ogive, au XIIIe siècle, c’en était fait des traditions de l’architecture antique, et voici qu’avec la Renaissance, nous y retournons... Mais les extrêmes se touchent; ils communient dans la diversité ; leur hautaine distance semble les rapprocher. Moins original que le moyen âge, l’art de retour à l’antique sous la Renaissance, en réaction même avec l’esprit du moyen âge, fit néanmoins la concession d’une transition entre les éléments gothiques et les éléments classiques mélangés avant d’en arriver à la rupture. D’ailleurs, les styles évoluent plutôt qu’ils ne s’opposent brutalement. Les Romains, après avoir élevé des temples à l’imitation de ceux des Grecs dont ils avaient adopté la religion et la civilisation, composèrent un styl mixte qui, sans témoigner d’une expression nouvelle, mérita d’être classé sous le nom de «gréco-romain». Aussi bien le style Régence servira de lien entre le Louis XIV et le Louis XV et mieux, entre l’esprit décoratif du XVIIe et du xvme siècle, ce dernier siècle nettement différent de l’autre, à cause précisément de son affranchissement du classique.
Il n’y a d’exception à cette règle d’amortissement, de transition, qu’à l’époque de la Révolution. Mais alors, la merveilleuse chaîne traditionnelle des styles s’est brisée, el il n’existe plus qu’un arl incohérent en attendant que Napoléon Ier improvise une manière de gréco-romain qui constituera le dernier style français classique.
Il n’empêche que si, sous la Renaissance de même qu’au XVIIe siècle, il n’y avait pas eu des architectes de génie, c’en était fait de notre art original. L’art classique constituant en principe la base de toute indigence constructive ou fondamentale; l’art classique accourant avec de faux airs d’infaillibilité au secours du génie tari et protégeant prétentieusement sa défaite.
On a distingué deux divisions caractéristiques et primordiales dans l’histoire de l’Art: l’art païen et l’art chrétien «auxquels se rapportent nécessairement tous les types particuliers des époques intermédiaires »
FIG. 3. — Église Sainte-Croix, à Bordeaux.
L’art païen est représenté par l’art grec, inséparable d’un rythme, indiqué en architecture, par les ordres, et par l’art gréco-romain, encore rythmique, mais moins radicalement que le précédent. L’art chrétien est l’art latin, puis byzantin, qui enseigna aux arts arabe, roman et gothique, ses dérivés, le mépris des ordres grecs dans une construction libre, en arc et en voûte, affranchie de l’arcade. Et l’on s’accorde à voir se former en Orient, vers le sixième siècle, cette architecture byzantine et celles qui en procédèrent, les architectures arabe et mauresque, tandis que naissaient en Occident les architectures romane et gothique.
Or, art byzantin comme arts roman et gothique, laissent entendre surtout le mot d’architecture qui, à ces temps d’harmonie intellectuelle et de rationalisme, commandait tant à la peinture, à la sculpture, qu’à l’art décoratif, toutes ces expressions étroitement solidaires de la fonction architecturale appropriée aux besoins matériels ou religieux, aux nécessités de la vie et du climat.
L’architecture, d’ailleurs, n’a jamais ordonné l’art autant qu’à ces époques, puisque le meuble, depuis la chaire jusqu’à la châsse, présente la silhouette d’une cathédrale en miniature. On peut en conclure qu’aux premiers âges, le meuble était essentiellement monumental et ce mot, pour l’instant, suffit à sa description.
Nous renverrons, maintenant, pour l’étude des styles qui précédèrent la Renaissance, à notre ouvrage général: l’Art de reconnaître les Styles, et, afin de ne point nous répéter, autant que pour ne pas perdre de vue le but essentiel de notre travail, nous indiquerons seulement ici, les types d’architecture et du meuble qui nous semblent résumer davantage les expressions antérieures au XVIe siècle. En même temps, néanmoins, nous soulignerons les bases architectoniques diverses de chacune de ces manifestations et dirons deux mots de leur histoire.
FIG. 4. — Portail de l’église de la Madeleine, à Vézelay (Yonne).