Читать книгу Art de reconnaître les styles. Les Meubles rustiques régionaux de la France. Ouvrage orné de 230 gravures - Emile Bayard - Страница 11
LE MEUBLE RUSTIQUE EN FLANDRE
ОглавлениеEmpressée à tous les arts, la Flandre devait excellemment préparer le décor de la maison. Nous n’insisterons point sur la beauté des stalles, lambris, panneaux et plafonds sculptés autrefois dans les églises et hôtels de ville flamands, ni sur la qualité rare des ciselures sur pierre qui tenaient même de la joaillerie singulièrement adaptée au bâtiment. Le chapitre du bois savamment fouillé nous ramènera essentiellement au meuble. L’architecture flamande avait été impressionnée par l’art magnifique d’un Rubens, et le meuble du XVIIe siècle ne pouvait résister à cette influence lourde et étoffée, à cette exubérance d’un Jordaens, encore, qui préparèrent au charme opulent et massif de la Vénus flamande, son décor harmonieux.
En tête du meuble qui nous occupe, doit s’inscrire la forme exaltée d’un «ribbank» (buffet à deux corps, fig. 18) dû au crayon du peintre de la Descente de croix. Après cet enthousiasme, il semble que nous goûterons mieux les prémices d’une expression calme et mesurée, davantage en rapport, d’ailleurs, avec le génie d’une race septentrionale. Les multiples avatars politiques des Pays-Bas, possédés successivement par les maisons de France et d’Autriche, subissant, au surplus, le goût espagnol, et, pour ce qui la concerne particulièrement, la Hollande s’imprégnant nettement de l’orientalisme sous l’empire de ses audacieux navigateurs, troublent déjà à l’endroit de la personnalité d’une expression mobilière.
C’est une raison religieuse au surplus, qui, lors des dragonnades, précipita l’exode de plusieurs artistes français protestants (dont Daniel Marot) en Hollande et, ce furent des réfugiés français encore, qui, après la révocation de l’édit de Nantes, dotèrent la patrie d’Érasme de son industrie de la papeterie où elle devait égaler la France.
Autant de réflexions imposées à la base de l’étude du meuble flamand dans la mêlée du génie.,
Les premières commandes mobilières datent des ducs de Bourgogne et concernent leurs demeures. Le plus fastueux de ces princes français, Philippe le Hardi, avait établi dans les provinces flamandes le centre artistique le plus important de l’Europe. Tout le mérite de l’art du meuble remonte alors aux Van Eyck, aux Memling, aux Rogier Van der Weyden.
Malgré que les ducs de Bourgogne aient résidé à la fois à Dijon et à Bruxelles, l’élan artistique donné par ces princes ne saurait être séparé de la France, et l’on ne peut dissocier davantage les expressions esthétiques des Pays-Bas de celles de l’Allemagne en raison des rapports qui s’étaient établis entre ces pays, du fait de leur situation géographique.
Les chefs-d’œuvre de la sculpture et de la menuiserie flamandes reviennent à l’esprit avant d’examiner le meuble proprement dit. Ils pourraient se résumer, à travers une apothéose de tabernacles, châsses et autres dentelles de bois et de pierre admirables dans la statuaire, en l’évocation de la somptueuse cheminée du Franc, à Bruges.
Et, cependant, à côté de la gloire d’un Guyot de Beaugrant, celle d’un Urban Taillebert, d’un Lancelot Blondeel, n’est pas moins hallucinante.
Bref, pour le meuble flamand, mêmes étapes que le style commun à la France, avec des types presque identiques.
Il y a du Louis XIV flamand comme du Louis XV et du Louis XVI flamands. En dehors de la qualité individuelle que lui prêtèrent les différents artistes aux diverses époques, nous reconnaîtrons le style flamand à son aspect robuste, non exempt de lourdeur, et à son fini très riche, surtout.
Quant à la manifestation d’un Franz Floris, par exemple, sous la Renaissance flamande, elle équivaut à l’expression d’un Jean Goujon, sous la Renaissance française; c’est-à-dire à une beauté révélée par des pièces uniques, qui ne saurait constituer un style malgré qu’elle y ait excellemment contribué. Et les contemporains des Floris, les Hans Liefrinck, les Cornélis Matsys, les Paul Fredeman de Vries, fils de Jean (né à Anvers, en 1554), qui donna notamment un recueil de menuiseries, lits, etc., comptent encore parmi les artistes à l’effort desquels le meuble flamand doit sa qualité d’ensemble.
Fig. 18. — Buffet flamand à deux corps, dit «Ribbank».
Évitons des précisions au delà de cette saveur de terroir, dont la limite régionale commande une circonspection particulière, en regardant nos gravures empruntées à : l’ART ANCIEN DANS LES FLANDRES, Mémorial de l’Exposition d’art ancien, à Gand, en 1913, par Jos. Casier et Paul Bergmans . Bornons-nous, en dehors de cette vision choisie, à l’éloquence d’un costume, d’un motif décoratif, pour éclairer au surplus notre jugement.
Souvenons-nous prudemment que Henri IV, en 1608, accorda un logement, dans la Galerie du Louvre, à un sculpteur-menuisier: Laurent Stabre, originaire des Pays-Bas, et qu’en revanche Jean Macé, un artiste du meuble également, natif de Blois, mais qui s’était formé en Hollande, obtint, en 1644, le même privilège. La personnalité flamande, davantage troublante, d’un Pierre Boulle, père présumé de notre grand ébéniste André-Charles Boulle, ajoute encore à l’incertitude, tandis que les fameux cabinets et armoires d’ébène, à qui Anvers dut sa réputation au XVIIe siècle, précipitent le désarroi du strict discernement...
Comment apprécier exactement la provenance de ces cabinets et armoires, du Nord, de l’Allemagne ou de Paris même? Car les élèves des ébénistes d’Anvers émigrèrent dans toute l’Europe où ils répandirent leurs chefs-d’œuvre d’un fini précieux, revêtus de pierres dures ou d’incrustations en os et en ivoire, que, durant plus d’un siècle, les artistes de Nuremberg et d’Espagne ne purent égaler.
Pourtant, les maîtres allemands, italiens, hollandais ou flamands qui s’employèrent aux styles français des XVIIe et XVIIIe siècles: les Cander Jean Oppenordt, les Roentgen, les Beneman, les Caffieri, subirent les bienfaits de notre goût national, et le principe de cette acclimatation doit être accepté généralement, tant les chefs-d’œuvre typiques se réclament en propre du sol où ils naquirent, sous une direction volontaire qui, souvent, effaça jusqu’à la nationalité de leurs exécutants.
On distingue, certes, fréquemment, le travail français du travail italien, le travail allemand du travail espagnol et flamand, mais encore cette distinction concerne-t-elle plutôt la main-d’œuvre de l’ouvrier que le style de l’œuvre. Déterminer, au surplus, un caractère purement flamand-français, dégager à travers les apports des divers peuples qui se coudoyèrent, se succédèrent, se mêlèrent, sur cette terre disputée, puis finalement attribuée par la guerre, serait, répétons-le, tâche aussi vaine qu’impossible.
En foi de quoi nous nous rabattrons sur les meubles où sont apposés les briquets des ducs de Bourgogne, particulièrement explicites; ceux-là ne peuvent renier leur origine franco-flamande, et aussi ceux dont parle M. de Champeaux (Le Meuble), que soulignent notamment les armoiries du prince-évêque Everard de la Marck, du Saint-Empire et de la ville de Liège, avec tant d’autres écus qui sont des signatures sûrement flamandes, pour le moins, autant que les légendes en langue flamande explicatives de certains sujets sculptés.
Photo Jos. Casier.
Fig. 19. — Armoire (de béguine) flamande, fin du xve siècle.
Nous recourrons ensuite au moyen reconnaissable, plus général, d’une massiveté précieusement décorée (plus ou moins, ou point du tout, suivant les divers degrés du luxe au commun), source d’une saveur à dégager, visuellement.
Aussi bien, dès la Renaissance, les chaises à dossier, recouvertes de cuir gaufré et doré, apparaissent en Flandre, caractéristiques, et, au XVIIe siècle, elles seront particulièrement en faveur, de même que les cabinets dont nous allons parler après avoir noté que, pour le grand nombre de coffrets et de petits objets mobiliers, la Flandre a rivalisé avec la Germanie.
Fig. 20. — Cabinet d’amateur (Art flamand).
«L’industrie des cabinets, écrit de Champeaux, prit une importante extension dans les Flandres sous le gouvernement réparateur des archiducs, succédant aux proscriptions sanglantes du duc d’Albe. Anvers, dont la prospérité remonte à cette époque, semble avoir été le principal centre de cette production...» Ici reparaissent les frères Franz et Corneille de Vriendt, inspirant le décor du meuble, et brille la dynastie des Franck et des Breughel avec la famille des de Vos, qui précédèrent la venue éclatante de Rubens. Les peintures ou les dessins de ces maîtres authentiquent ces meubles rares, non moins que les gravures du Hollandais Goltzius, voire des marques plutôt déconcertantes en ce sens qu’elles rapportent parfois à la Flandre un travail nettement étranger... ou français, simplement.
Nombre de ces cabinets peuvent avoir été exécutés en Allemagne, en dépit de leurs peintures flamandes ou hollandaises. Et, l’incertitude de se prononcer s’accuse encore lorsqu’il s’agit de ces armoires en ébène sculptée, si rebelles à l’outil, a-t-on estimé logiquement qu’elles seraient plutôt attribuables à la patience des artisans du Nord, des Allemands, entre autres...
Vers la fin du XVIe siècle, les dessins de Fredeman de Vries, qui inspirèrent unanimement l’art flamand, firent merveille dans le meuble, à la sculpture duquel se trouve brillamment attaché le nom de Jean Van de Velde, vers 1644. En terminant cet exposé, nous conseillerons au lecteur de situer la réforme du meuble parallèlement à celle de la peinture, rénovée et amplifiée au XVIIe siècle, sous l’empire du génie et à l’image des toiles, orientées vers le naturalisme, d’un Rubens.
Mais, les meubles exceptionnels, de même que, pour l’architecture monumentale, les cathédrales, représentent une éloquence moins personnelle, un style moins édifiant que les meubles simples et la maison commune.
Les chefs-d’œuvre isolés, rares, de même que ceux subordonnés à la loi classique, c’est-à-dire suggestionnés, implantés, ne réfléchissent point l’expression natale, spontanée et traditionnelle d’un peuple. Bien qu’il ne faille pas oublier que le meuble populaire est issu de celui de la cour et de types individuels, ce serait une erreur de chercher, aussi bien au musée que dans le luxe, les caractères d’un style, qui, au contraire, se manifeste dans un ensemble de production courante.
On remarquera, en outre, que l’influence universelle des styles mobiliers de la France témoigne des préférences différentes à chaque nation. C’est notre Louis XVI (anglicisé par les frères Adam) convenant particulièrement à l’Angleterre, et, à la Flandre et surtout à la Hollande, nos styles du XVIIe siècle. De même que la froideur distante du Louis XVI correspond au tempérament d’Albion, quelque lourdeur agrée à la Flandre et davantage à la Hollande, plus proche de l’Allemagne, si pesante, alors que la rocaille de la Régence et de Louis XV s’adapte plutôt à l’emphase espagnole. On sait, enfin, combien la grâce de la Renaissance italienne séduisit la France et en quelle sobriété d’élégance nous devions convertir l’exemple maniéré.
Photo Jos. Casier.
Fig. 21. — Chambre des Pauvres ou salle des Gouverneurs de la Chambre des pauvres au XIIe siècle.
(Art flamand.
De ces divers accommodements au caractère d’un sol comme à l’esprit d’un peuple, résultèrent ces variations sur le thème français qui tiennent lieu, à l’étranger, de style original.
Pour revenir au meuble flamand: voici des bancs en chêne sculpté, à haut dossier et à accoudoirs, dont les panneaux du haut, sculptés à profusion, ralentissent au bas, leur effusion, dans ce décor de «serviettes ou parchemins roulés», si commun à notre moyen âge.
Mais les sculptures flamandes seraient peut-être d’un relief moindre et d’un travail plus serré que par ailleurs, et les motifs auxquels elles empruntent au début, manifestent une sécheresse géométrique, d’une maigreur assez personnelle qui s’étoffera d’époque en époque, pour prendre tout son embonpoint au XVIIe siècle.
Voici, au xve siècle, des chaires à une ou plusieurs places, que l’on n’attribue guère à la Flandre que parce qu’on les découvrit en Flandre. A vrai dire, leur physionomie n’est point originale davantage que celle de tel dressoir dont, cependant, les panneaux plissés, ajourés et pleins, présentant des tracés de fenestrations riches et variés, pourraient bien se réclamer du travail flamand.
Ces escabeaux et coffres moyenâgeux, d’autre part, sont peu éloquents dans l’ordre d’un discernement typique, leur bois de chêne est rustiquement fouillé de décors sommaires et banaux.
On attendra, en somme, la fin du xve siècle pour apprécier des meubles personnels, surtout, il faut le dire, lorsque ceux-ci, à défaut d’une signature, rappellent, comme ceux de Fredeman de Vries, par exemple, le genre d’un maître.
Tel bahut à deux corps superposés, aux frises du couronnement et de la base délicatement sculptées, chante, entre autres, le style de Fredeman, au XVIe siècle. On connaît ce bahut pour avoir contemplé, dans un recueil, des compositions similaires du célèbre artiste. De même pour ce grand lit à baldaquin et à balustres «dont la partie centrale est disposée en forme d’armoire à deux battants décorés de bas-reliefs religieux». Pourtant, cette fois, la vision de ce genre de meuble se renforce d’un témoignage irrécusable. Dans le cartouche soutenu par des anges, qui surplombe sa galerie supérieure, on lit: Vries, inv., 1565.
Photo Jos. Casier.
Fig. 22. — Cuisine flamande, reconstitution à l’aide de mobilier des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Les cabinets élégants, dus particulièrement à l’imagination spirituelle d’un Fredeman, n’ont cependant point besoin d’une signature pour être reconnaissables, en principe, ainsi que nous l’avons observé ; au surplus, comme dès Henri IV ce furent des ouvriers français qui se rendirent dans les Pays-Bas sur l’ordre de ce monarque, pour s’y instruire des procédés de l’art de l’ébénisterie, on peut déjà conjecturer que les meubles en bois d’ébène, et spécialement les cabinets, sont d’origine flamande ou bien allemande, suivant les raisons d’un doute précédemment exposé.
Puisque notre école de sculpture était, tout au début du XVIIe siècle, presque décadente, et jusque dans les premières années du règne de Louis XIII, on serait tenté de croire que le style de ce roi, plutôt que d’avoir inspiré celui des Pays-Bas, lui fut suggéré par eux. Toujours est-il, insistons sur ce point, que le mobilier hollandais le plus typique se réclame, comme aspect, du style de Louis XIII, qu’il ait adopté ce style en communauté de caractère ou bien que les artistes hollandais... et allemands aient séduit le front taciturne du fils de Henri IV au point que ce dernier s’appropria leurs œuvres qu’il se contenta de convertir au goût français de son temps.
Cette hypothèse concernerait moins la Flandre... belge, si l’on peut dire; du moins l’exubérance riche et joyeuse d’un Rubens crevera-t-elle le nuage noir qui pesait en France au début du XVIIe siècle, tandis que le ciel gris perle de la Hollande semblait singulièrement entretenir l’éclat de rire de ses petits maîtres et que le clair-obscur de Rembrandt lui tenait lieu de lumière intense.
Mais c’est toujours là l’histoire des styles adaptés au Lempérament de chaque peuple.
Et remontons au XVIe siècle, en Flandre.
De Fredeman de Vries, encore, une chaise sculptée, caractéristique avec son double cadre, l’un à la base des pieds, l’autre entre les pieds et la ceinture du siège. Et, à la fin du XVIe siècle, enregistrons un bahut à deux corps superposés qui représente le type de meuble, au goût de l’époque, envahi par les formes architecturales. Ce beau bahut en chêne et ébène comporte des pentures et serrures dissimulées dans l’épaisseur du bois. Il repose sur des sphères plutôt lourdes, et des colonnes, parées de sculptures distribuées avec esprit, disposent les volumes harmonieusement.
Originaires typiquement du Brabant sont ces buffets à deux corps dont une corniche surplombe la partie supérieure, en retrait, soutenue par des cariatides (seconde moitié du XVIe siècle).
Les artistes flamands recourent alors, avec empressement, aux bois de placage, de l’ébène au poirier noirci et au palissandre. Les cabinets d’Anvers cumulent les plaques d’écaillé, les filets d’ivoire et les rubans ondulés en ébène, tandis que le Brabant hollandais demeure fidèle à la sobriété du chêne dont parfois, néanmoins, les sculptures s’avantagent d’ébène.
Rien à dire des crédences (quelques-unes sont rectangulaires), en dehors de leur charme sculptural; mais voici un lit intéressant. Il est adossé sur deux de ses faces et supporté sur des boiseries et une colonne d’angle. Au moyen âge, des courtines au plafond de l’appartement remplaçaient le ciel du lit.
Et ce bahut de chêne, de la fin du XVIe siècle, avec sa construction non dissimulée, n’est pas moins attrayant, grâce à la finesse de ses ornements.
Du XVIIe siècle, ce banc à coffre en chêne sculpté, dont le dossier se compose d’une balustrade surmontée d’une frise ornée et que centrent des armoiries peintes. Assez curieux aussi ce confessionnal portatif, de la même époque, dont se réclament encore ces fauteuils dits «Rubens», aux montants torses, aux dossiers et sièges de cuir ou de velours fixés par des gros clous de cuivre à têtes arrondies.
Du XVIIIe siècle, cette garde-robe en chêne, à vantaux richement sculptés.
La Flandre française et les apports communs à la France et aux Flandres occidentale et orientale mêlent, dans une technique similaire, les conceptions mobilières qui nous occupent.
Les cuirs de Cordoue, les velours d’Utrecht, fatalement parvinrent en Flandre avant toute autre province et, de même, l’influence capitale, générale et décisive d’un Rubens prolongeant le goût du XVIIe siècle, avec des caractéristiques où le luxe du détail s’accompagne de quelque lourdeur majestueuse, s’imposa tout d’abord en Flandre et aux alentours.
Notre XVIIIe siècle n’exerça donc guère d’emprise sur le goût du mobilier flamand, du moins dans le sens du nombre et de l’originalité. L’ordonnance du goût flamand, plutôt massive depuis le XVIIe siècle, le demeura aux époques successives pour sa personnalité la plus saisissante. Nos formes graciles, contournées, du XVIIIe siècle, ne furent guère comprises en Flandre que dans la robustesse alliée, pour le décor, au souvenir espagnol, en échange de quoi les peintres de la Flandre avaient prodigué leur avantageuse influence aux anciens peintres de l’Espagne.
Au XVIIIe siècle, si l’inspiration hollandaise multiplie les commodes, tables et secrétaires où les placages en racine, l’ivoire en filets et l’ébène s’associent aux cuivres, l’influence des grands artisans du meuble français échoue devant la simplicité décorative du meuble flamand, borné au surplus, comme nombre et formes. Le chêne ainsi garde ses préférences et il est taillé en, plein bois.
Photo Jos. Casier.
Fig. 23. — Presse-armoire à linge flamande, Renaissance,
(Coll. Arthur Verhaegen, Gand.)
Ce n’est guère que vingt années après notre Louis XVI que la Flandre s’y intéresse et, après avoir simplement verni le bois, elle le peindra. Avant la décadence, on admire des meubles où les cuirs de Maline et les tentures de Bruxelles tranchent avec leur polychromie et l’éclat tapageur des ors sur les boiseries, murales et mobilières, conservées au ton naturel.
Puis, après le XVIIIe siècle, — loi commune — l’originalité flamande connut le joug napoléonien, puis l’altération des styles exemplaires du passé auxquels résistèrent plus longtemps, il est vrai, les meubles rustiques, parce que leur beauté ni leur valeur n’étaient en jeu dans le trafic des marchands, parce qu’aussi un idéal s’attachait alors à l’utilité domestique traditionnelle comme à la vénération ancestrale.
Au résumé, qu’il s’agisse de sièges (les chaises à haut dossier, très sculpté, cannées), de tables (aux bâtis épais, aux pieds lourds portant sur des sphères ou décorés par elles, sur les côtés, sous la ceinture), d’escabeaux, armoires, horloges à gaine, etc., l’ancien mobilier flamand reflète bien l’apport hollandais et espagnol mêlé à notre goût français.
Le caractère placide des populations septentrionales semble symbolisé dans cette fixité du mobilier démontrée par son poids. Tout autant la scrupuleuse propreté flamande se justifie dans la netteté du dallage céramique et l’éclat des cuivres (plats, brocs, fontaines, lustres, etc.); d’où la multiplication d’une dinanderie fastueuse née pour l’astiquage comme les carreaux de Delft, par exemple, pour le lavage.
D’ailleurs, un meuble spécial flamand se détache parmi les autres: la presse-armoire à linge (fig. 23), et, le poêle dit flamand, au pays froid, avec le chauffe-pieds, s’accompagne harmonieusement du «couvet», brasier motivant un récipient en cuivre où la pipe s’entretient allumée pour distraire les longues veillées hivernales. Au pays de la bière, encore, fleurissent la chope, le gobelet en étain, en grès, en verre; toutes les fantaisies du fumeur et du buveur résumées par un ustensile (ratelier à pipes, cabaret, etc.) approprié.
A la faveur dont jouissait la dentelle en Flandre, devait correspondre celle du beau linge damassé, fabriqué exclusivement, jadis, avec des fils de lin. C’est à ce luxe favori que les dames aisées avaient affecté cette petite armoire, accompagnée d’une presse, ci-dessus mentionnée. Luxe auquel s’apparentaient, dans la préciosité des mailles, ces arazzi célèbres, ces somptueuses tapisseries d’Arras, de Lille aussi, de Bruges et de Middelburg; même luxe répercuté dans les expressions remarquables de la broderie (celle des étendards corporatifs est supérieure) et de l’orfèvrerie.
En matière de céramique, les faïences de Lille, de St-Amandles-Eaux, de Douai et de Valenciennes sont dignes d’intérêt, ainsi que celles d’Andenne, de Tournay, de Malines, de Liège, de Bruxelles, dont les amusantes soupières, en forme de choux, de canards, de poules, de dindons, ne résistent point cependant à l’attrait particulièrement réputé des plats, vases-cornets et potiches de Delft.
Avant le XVIe siècle, enfin, toute la poterie en grès s’intitulait, inexactement d’ailleurs, poterie flamande, parce que Raeren (dans le duché de Limbourg), où on la fabriquait en abondance, était alors une province des Pays-Bas.
«... Traitant de l’Art régional rustique flamand, nous écrit le distingué Conservateur général des Musées du Palais des Beaux-Arts de Lille, M. Em. Théodore, je pense qu’il serait bon de mettre en valeur tous les objets — (il y en a eu de qualité artistique fort remarquable comme du reste de très ordinaires, suivant les milieux par qui ou pour qui ils ont été exécutés) — se rapportant aux anciennes corporations et confréries du tir à l’arc et à l’arbalète, si florissantes et populaires en Flandre et qui ont tenu une place exceptionnelle dans la vie sociale de cette région, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours.
«C’est tellement vrai, que lorsque je parcourais, ces temps derniers, les régions complètement dévastées par la guerre, de la Flandre belge ou française (malgré la conquête de Louis XIV, au point de vue ethnographique, il faut retenir qu’il n’existe pas de différences); dans les villages, où toutes constructions avaient disparu, sitôt les habitants rentrés, j’y trouvais trois choses qu’on avait d’abord installées: une église et un cabaret aménagés tant bien que mal dans un baraquement et... une perche pour le tir à l’arc. C’est symptomatique; et je ne crois point que cette constatation psychologique ait été notée...»
Voilà qui est fait, et cette notation nous apporte à souhait le mot de la fin, en même temps qu’elle situe, en cul-de-lampe, la description de l’armoire à flèches flamande.
L’armoire à flèches des archers de la commune de la Madeleine (XVIIIe siècle, au Musée de Lille) ne saurait être mieux comparée qu’à une boîte d’horloge, haute et étroite, couronnée d’une moulure très simple. Une longue porte s’ouvre en avant de la boîte à l’intérieur de laquelle on disposait les flèches.
Sur cette porte sont peints, au milieu, le brassard des archers: une croix blanche sur fond sombre, et, dans les panneaux du haut et du bas: des faisceaux de flèches, un arc et un carquois. L’ensemble de l’armoire est recouvert d’une peinture bleu pâle.