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SUR LA FRAGILITÉ D’UNE «GÉOGRAPHIE» DU MEUBLE AU TEMPS DE LA RENAISSANCE. LE MEUBLE RUSTIQUE EN BRETAGNE

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Notre travail ne saurait remonter aux plus lointaines époques, parce que les meubles que nous devons distinguer ne nous sont guère parvenus, quand cela ne serait qu’en raison même de leur quantité très réduite. D’ailleurs, sans parler du mobilier roman, quasi tombé en poussière, ou borné à quelques rares spécimens comme ceux que gardent l’église d’Obazine et la cathédrale de Noyon, il ne nous demeure guère de l’art ogival que des pièces conservées au musée: coffres, chaises, stalles, bancs, quelques dressoirs, buffets et lits, morceaux de panneaux, etc., qu’accompagnent, pour l’accessoire, des tapisseries, des faïences, des hanaps, aiguières, coupes, d’une rencontre tellement extraordinaire, qu’autant dire ils dépassent l’objet pratique que nous poursuivons.

Pour discerner les écoles régionales des meubles roman et ogival, nous renverrons logiquement à la comparaison avec la cathédrale, car il est plausible que l’architecte du moyen âge ait aussi conçu des meubles au temps où il construisait, dans telle ou telle région. De telle sorte que les diverses écoles romanes, de Normandie, de Bourgogne, du Poitou, d’Auvergne, de Provence, du Périgord, représentées notamment à Caen, Paray-le-Monial, Poitiers, au Puy, à Arles, à Périgueux, par des édifices religieux, se refléteraient dans le mobilier.

Mais encore le style roman n’a-t-il guère subsisté au delà de la pierre et de ses restaurations successives. D’autre part, les différences d’école à école sont délicates à déterminer, tandis que le style ogival, de l’époque primaire à l’époque flamboyante, offre des caractéristiques plus frappantes dans l’ornementation générale. On pourrait donc ainsi, pour s’en tenir à l’expression ogivale, déterminer l’école champenoise dans un coffre, sur la foi d’un motif décoratif analogue à celui de la cathédrale de Reims. Malheureusement, nous avons vu les moines de l’abbaye de Cluny propager fort loin de la Bourgogne le style bourguignon, et il en fut de même du plus grand nombre de ces admirables constructeurs qui, non seulement en France, mais à travers le monde entier, mêlèrent souvent aussi leur génie, pour créer des chefs-d’œuvre en langue universelle.

Cette constatation ruine donc l’espoir de nous raccrocher aux branches d’une sûre analogie, de la cathédrale au meuble. D’ailleurs, répétons-le, cette détermination des styles du moyen âge échappe à l’intérêt que nous poursuivons. Et nous ne verrons point non plus encore, sous la Renaissance, le mobilier assez répandu, numériquement, pour qu’il se différencie de l’urbain au rural. Pourtant, avec la Renaissance, des meubles à destination fixe, — non plus rigoureusement adaptés aux déplacements incessants du moyen âge, — apparaissent, en attendant que le confort nous sourie au XVIIIe siècle, pour se développer ensuite, mais dans une beauté inférieure, sinon dans une pauvreté d’imitation déconcertante.

C’est à partir de la Renaissance que A. Bonnaffé s’évertue à cette «géographie» du meuble dont nous avons indiqué la fragilité. Et, néanmoins, la logique se rencontre souvent avec l’hypothèse du savant amateur. Nous lui emprunterons dans ce sens, autant qu’en la mesure de ce qui nous intéresse spécialement ici.

«La caractéristique des meubles de la Normandie, écrit A. de Champeaux (Le Meuble) sous l’inspiration de Bonnaffé, est la fermeté de l’exécution et l’expression dramatique des figures. Cette vigueur est due en grande partie à la résistance du bois de chêne dans lequel les menuisiers rouennais travaillaient leurs œuvres. Cette essence, d’un aspect sévère, aux fibres longues, se prête moins que celle du noyer aux caresses de l’outil dans lesquelles se complaisaient les artistes du Midi... d’où l’on peut affirmer, a priori, que tout meuble de chêne doit provenir de la région septentrionale, s’arrêtant vers l’ouest, des bords de la Loire aux limites de l’Orléanais et de l’Ile-de-France, et vers l’est, ne franchissant pas les confins de la Bourgogne, province où le noyer était communément employé...»

Cependant, remarque notre auteur, on cite des exemples de meubles de chêne travaillés dans le Midi et, réciproquement, des sculptures de noyer émanant du nord de la France...

D’autre part, M. Léandre Vaillat ajoute à notre trouble lorsqu’il déclare que: «Par le voisinage de la forêt de Mormal tous les meubles du Cambrésis’étaient de chêne...» Mais, en revanche, si nous poursuivons notre emprunt au même auteur, nous y découvrons une observation non controversable: «Par la proximité des forêts vosgiennes, beaucoup de murs intérieurs, en Alsace, se recouvraient de boiseries; l’abondance du bois en Alsace, autant que la saison rigoureuse, détérminait l’usage _du poêle de faïence; tandis que dans le nord de la France, la découverte des mines de charbon provoquait le développement formidable du phalanstère de Guise et généralisait l’emploi des poêles en fonte, qui sortaient de ses usines par milliers...»

Après cette parenthèse, à raccorder avec la genèse du meuble et de l’ustensile, nous reviendrons à notre «géographie» décidément bien incertaine. Car «la présence d’un aigle (?) souvent peu reconnaissable, placé soit sur les vantaux, soit sur les montants des deux corps superposés de certains cabinets», suffit-elle à distinguer une facture des alentours d’Orléans (ou du Lyonnais), sous prétexte que quelques-uns de ces meubles furent marqués de cet oiseau? Nous faut-il encore attribuer à la fabrication exclusivement champenoise ces meubles «supportés par des colonnettes tordues se terminant par des écailles imbriquées », et dont «les bordures des vantaux encadrent de petits panneaux fleuronnés et garnis de ferrures très apparentes sur le fond uni du bois»? Ornementation qui fit ensuite place «à des bustes d’applique inscrits dans des couronnes».

D’autre part, les colonnes et pilastres revêtus d’arabesques, les médaillons ronds encadrant des bustes (dont on retrouve la trace dans les meubles de l’école rouennaise contemporaine) ajoutent-ils quelque preuve au discernement de l’école normande? Et d’ailleurs, vers le milieu du XVIe siècle, l’art païen de la Renaissance inspira les sculpteurs-menuisiers normands au point de les détourner de leur tradition qui se rapprocha de celle de l’Ile-de-France et avec laquelle on les confondit...

Quant à la personnification des meubles de l’école tourangelle, est-elle bien éclatante du seul fait que les panneaux et les portes des châteaux de Blois et de Chambord, «au dessin si large et d’une exécution si ferme», sont revêtus de salamandres et du chiffre de François Ier qui permettent tout au plus d’y supposer le travail des artistes français? Et point davantage «le goût avec lequel l’école de Touraine, aux premières années du XVIe siècle, savait allier l’élégance italienne à la belle ordonnance française» n’établit de distinction entre cette expression et celle des écoles de Bourgogne et de Lyon.

A défaut de pouvoir conclure sur la véracité de la méthode Bonnaffé, nous préférons y couper court pour renvoyer plus sûrement le lecteur aux gravures de Du Cerceau, aux compositions d’Étienne Delaulne, aux styles de Jean Goujon et de Pierre Lescot, pour désigner l’école de l’Ile-de-France, de même que l’expression décorative d’un Hugues Sambin représente originalement l’école bourguignonne, comme l’école lyonnaise se réclame des dessins de Pierre de Woeriot, de Bernard Salomon dit le «Petit Bernard», et de Philibert Delorme avant qu’il n’eût quitté sa province natale.

La personnalité toulousaine de l’architecte-sculpteur Nicolas Bachelier pourrait encore guider pour l’école de Toulouse; mais, en revanche, les écoles du Midi et d’Auvergne offrent une beauté fort embarrassante à rapprocher d’une manière propre d’artiste...

D’ailleurs, pour la plupart, les meubles de la Renaissance qui nous sont parvenus, débordent par leur luxe le cadre de notre travail, tandis que le mobilier régional breton va nous permettre de rentrer dans le vif de notre sujet.

Art de reconnaître les styles. Les Meubles rustiques régionaux de la France. Ouvrage orné de 230 gravures

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