Читать книгу Peintures décoratives de Paul Baudry au grand foyer de l'Opéra : étude critique - Emile Bergerat - Страница 5
II
ОглавлениеAprès quelques détours à travers une ombre que rendaient visible quelques rayons de jour égarés, nous nous trouvâmes au bas d’un escalier latéral, et nous commençâmes, avec une sage lenteur, l’ascension de cette Babel dont nous étions loin de soupçonner tous les étages.
L’escalier monte par deux rampes aux paliers, d’où se lance une troisième rampe se reliant à l’étage supérieur. Tout ce système est supporté par de courtes colonnes de marbre rouge d’un aspect robuste et rassurant, que nulle foule ne ferait plier. Rien de plus simple et de plus riche à la fois.
A chaque palier, un bec de gaz, soutenu par une tige de fer, secouait sa flamme échevelée à tous les courants d’air, et jetait sur les murs sa lumière vacillante entrecoupée de grandes ombres.
Les marches n’ont pas encore leurs revêtements; les balustrades manquent aux rampes; et quand nous passions sur la rampe du milieu, jetée comme un pont au-dessus de l’abîme qui s’approfondissait à mesure que nous montions, nous éprouvions un certain malaise, et nous avions bien soin de nous tenir à égale distance de chaque bord, sans pouvoir toutefois nous empêcher de regarder au fond du gouffre.
Aux paliers succédaient les paliers. Comme dans ce cauchemar architectural de Piranèse, où l’on voit un homme amaigri par la fatigue et le désespoir gravir des degrés qui se renouvellent toujours, l’ascension semblait ne devoir jamais finir.
Les voix des visiteurs qui nous précédaient s’affaiblissaient, et le bruit de leurs pas ne nous parvenait plus que par un vague écho de la cave immense et sonore. Ils nous paraissaient à des hauteurs incalculables.
Parfois, à un repos de l’escalier, une porte monumentale s’ouvrait, encadrant un large pan d’ombre, où l’on démêlait confusément des architectures mystérieuses, des salles d’une grandeur ninivite et babylonienne.
Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus fantastique, de plus semblable au rêve que ces grands édifices inachevés, entrant ainsi sous un demi-jour crépusculaire où tremblote de loin en loin une étoile de gaz, comme pour en faire mieux sentir l’immensité en la ponctuant de leurs feux. Les enchevêtrements des échafaudages, avec leurs poutres, leurs chevalets et leurs ponts de planches, contribuent encore à la bizarrerie de l’effet.
Nous n’avons plus le souffle qui nous faisait autrefois escalader si lestement les tours des châteaux, les clochers des cathédrales et les flèches des Munsters: aussi fut-ce avec une réelle satisfaction qu’après dix-sept ou dix-huit révolutions de l’escalier interminable, nous nous trouvâmes sur le palier suprême, au niveau du toit de l’édifice.
Heureusement notre ami Charles Garnier, qui nous avait vu gravir avec peine les spirales sans nombre de cette autre tour de Lylacq, avait aposté un guide pour nous conduire à l’atelier de Baudry; nous n’eussions jamais pu y parvenir sans ce secours.
Il nous fallut d’abord marcher dans le chéneau à recevoir les eaux de pluie qui entoure la calotte recouvrant la salle au-dessus de laquelle nous étions alors, de plain-pied avec les Pégases dorés dont les ailes palpitantes s’ouvrent aux angles de la façade, puis franchir des passerelles, grimper à d’étroits escaliers en fer jusqu’à l’atelier qui contenait les peintures destinées à la décoration du foyer.
C’est tout un monde que ces combles du nouvel Opéra, et que d’en bas il est impossible de soupçonner.