Читать книгу Peintures décoratives de Paul Baudry au grand foyer de l'Opéra : étude critique - Emile Bergerat - Страница 8
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ОглавлениеVoilà tantôt six ans que ce gigantesque travail est commencé. L’artiste pense qu’il lui faudra trois années encore pour le terminer. Il se trouvera ainsi dans la mesure prescrite par Horace pour les poëmes — nonum prematur in annum. Et croyez qu’il n’aura pas perdu son temps: il y a là de quoi occuper toute une carrière de peintre: il vit dans son œuvre comme un religieux dans sa cellule, il y demeure, sans métaphore. Un coin de son atelier est devenu son appartement.
Le peintre de la Perle et de la Vénus est d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais bien prise et robuste. Il faut une grande vigueur physique pour exécuter ces vastes machines, et pour que le corps, dans ces rudes labeurs, ne trahisse pas l’esprit. Sa tête énergique, au profil découpé en médaille romaine, à l’œil noir et vif, est de celles qu’on n’oublie pas. Baudry porte les cheveux courts, et de sa barbe, soigneusement rasée, qui colore de tons bleuâtres le bas de son visage d’une pâleur chaude, il n’a gardé qu’une fine moustache noire. Sa tenue est de la sévérité la plus correcte. Un Anglais n’y trouverait rien à redire. Dans son extérieur, rien d’excentrique, de romantique, d’artistique: il réserve sa fantaisie et sa couleur pour ses tableaux, et se contente d’être un grand peintre et un parfait gentleman. Bien qu’il soit aujourd’hui retiré dans son œuvre, on voit qu’il a fréquenté le monde — et le meilleur monde; et, pour y renoncer, il a dû lui falloir du courage, car il y réussissait. Baudry est un causeur spirituel. Il sait écrire et pourrait, comme Fromentin, quitter le pinceau. Il est fou de poésie et de musique, et joue même assez bien du violon; talent que notre siècle spécialiste a tant raillé chez M. Ingres, mais que l’Italie de la Renaissance ne reprochait pas à Léonard de Vinci, qui tirait des sons merveilleux d’une lyre de son invention.
Nous n’approuvons pas cette fureur d’information qui pousse les journaux, pour arriver premiers, à trahir le secret de l’atelier, du cabinet et du théâtre, ne laissant rien de nouveau à connaître au public lorsque, après le temps de gestation nécessaire, l’œuvre paraît enfin. Pour juger l’enfant, peut-être vaudrait-il mieux attendre qu’il fût né.
Mais nous croyons pouvoir, sans être indiscret — l’œuvre est assez avancée pour cela — indiquer la composition générale de ce vaste travail, un des plus considérables dont un peintre ait été chargé.