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III

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Table des matières

Georges entra, mais quand il retourna la tête, son guide avait disparu. Après quelques minutes qui lui parurent fort courtes et pendant lesquelles l’image de la belle Suzanne flottant devant ses yeux lui fit oublier ses étranges aventures, il entendit un bruit de portes et des aboiements de chiens qui lui signalèrent l’approche d’un nouveau personnage. Peut-être est-ce le roi! pensa le jeune Suisse, et son cœur battit. Il ôta sa barrette, et par précaution fléchit le genou. Il était dans cette respectueuse attitude lorsqu’il vit apparaître une créature bizarre qui avait les jambes nues et les pieds fourrés dans des pantoufles de velours. Une chemise de lin et d’une transparence incroyable, qui lui descendait à peine aux genoux par devant et qui, par derrière, pendillait en lambeaux déchiquetés sur ses mollets, composait tout son costume. La chevelure de cet être suprenant était relevée sur sa tête en forme de cône comme celle d’une femme et poudrée d’une poudre d’or. Une épaisse couche de fard colorait ses joues creuses. Un merveilleux onguent dont Georges envia le secret tordait sa fine moustache en crochets et parfumait la barbe rare et floconneuse de son maigre menton.

— Certes, si c’est le roi, se dit mentalement Georges, sa Majesté Très-Chrétienne n’a rien de bien majestueux; les vieilles femmes de Zurich ont meilleure mine que lui.

Ce qui étonna surtout notre jeune Suisse, qui avait la prétention de ne s’étonner de rien, ce fut une corbeille doublée de soie verte que le nouveau-venu portait suspendue à son cou par un large ruban. Dans cette corbeille grouillait toute une nichée de jeunes chiens. Un affreux barbet, au poil fort laid et fort sale (la mère sans doute de cette innocente nichée), le suivait en marchant debout sur ses pattes de derrière, et menaçait, tout en aboyant, de lui enlever d’un coup de croc les lambeaux effiloqués de sa chemise de lin.

L’homme aux chiens s’arrêta donc par prudence et s’écria d’une voix qui ne manquait pas de dignité :

— A bas, Coquette! à bas, chienne du diable! Et vous, mon gentilhomme, levez-vous, nous vous le permettons. Ici, Coquette! Mon Dieu! que de mal on a avec ces maudits chiens!

Georges croyait rêver; son regard ébahi montait et descendait alternativement de la tête pailletée du roi à ses jambes nues et soigneusement rasées. Henri III lui tendit enfin sa main à baiser.

— Vous êtes, lui dit-il, ce jeune Suisse dont on m’a vanté l’intelligence peu commune et la rare pénétration?

M. d’Urfen poussa un soupir et ferma les yeux comme un perroquet à qui l’on gratte la tète. Pouvait-il contredire le roi quand on lui avait tant recommandé de se taire.

— Vous accomplissez hardiment et discrètement les ordres secrets qui vous sont donnés, m’a-t-on assuré ! A bas, Coquette! cette vieille folle s’imagine que vous voulez lui prendre ses petits. Venons au sujet qui nous amène. L’intérêt de l’État exige, à ce qu’il paraît... A propos, M. Georges d’Urfen, c’est ainsi qu’on vous nomme, je crois?

Le gentilhomme fit en s’inclinant un signe de tète affirmatif. Le roi reprit:

— Dans votre pays, a-t-on l’habitude de couper les oreilles des chiens ou de les laisser croître?

— On les tord, sire, répondit laconiquement le jeune Suisse, qui marchait de surprise en surprise.

— Ah! on les tord! s’écria Henri III; voilà qui est bien surprenant! Ah! on les tord! Singulière coutume! si les soins de l’État m’en laissaient le loisir en ce moment, je vous prierais de me donner un échantillon de votre savoir en tordant les oreilles de tous ces petits chiens... pas celles de Coquette! elle nous mordrait. Elle en a déjà bonne envie, la diablesse! Voyez comme elle nous montre ses crocs!... Il faut remettre cette opération à votre retour!... Nous disons donc que vous allez à Nérac, une ville où, si l’on aime un Henri, ce n’est pas celui du Louvre.

Il hésita un instant à continuer, puis, sans regarder Georges, il lui dit à voix basse et très-vite:

— On vous a longtemps entretenu du rôle qui vous a été destiné.

— Sire, j’ai reçu une partie de mes instructions, avant d’être admis en votre présence, et messire Bernard Duplanty doit m’expliquer le reste à Nérac.

— Très-bien, murmura le roi, en se promenant d’un air triste et soucieux dans la chambre. Il avait toujours sa corbeille au cou, et, sur ses talons, aboyait l’horrible Coquette, qui guignait d’un œil terne la chemise de son maître. Entre nous, mon ami, c’est une mesure fatale, disons-le.

— Oui, sire, disons-le, répéta Georges, qui, sur l’invitation du roi, marchait à côté de lui.

— Je voudrais bien que l’affaire pût se terminer autrement. Tout beau, Coquette! car après tout, c’est mon parent, et il est peut-être moins dangereux que les Lorrains. Qu’en dites-vous, monsieur d’Urfen?

— Oui, sire, je crois que les Lorrains sont plus dangereux que lui, répondit Georges très-intrigué.

— Vous voyez! je ne suis pas seul de mon avis. Et Henri soupira en se frappant la poitrine avec force.

— Que ces chiens sont insupportables avec leurs cris, reprit-il, ne dirait-on pas qu’on les écorche! Je n’aime pas le sang, mon ami, croyez-le bien.

— Parla trompe d’Uri, vous avez bien raison, sire. Et si ce n’est en duel ou sur le champ de bataille, le sang me répugne fort.

Henri III parut fort surpris et regarda obliquement le jeune Suisse.

— Vraiment, monsieur d’Urfen. Alors, vous n’en avez que plus de mérite. Votre dévouement sera récompensé. Je sais qu’on me fait passer pour un Hérode et un Néron. On me chansonne; on prêche contre moi au temple et à l’église. Mais n’ai-je pas expié mes péchés en me flagellant, et en forçant mes mignons à suivre mon exemple?

Georges fit la grimace, mais il se crut obligé de dire:

— C’était certainement une correction salutaire et d’un bon exemple.

— Et une bien belle cérémonie, ajouta le roi. Je regrette, monsieur Georges, que vous n’y ayez pas assisté. Non, je n’aime pas le sang; mais ma mère prétend que c’est notre seule voie de salut.

— Si c’est la seule, il est inutile d’en chercher trente-six autres.

— C’est juste, mon ami, parfaitement juste; mais du sang, c’est toujours du sang. Dites-moi, les chiens souffrent-ils beaucoup quand on leur tord les oreilles.

— Très peu, sire, et l’on est certain qu’elles ne recroîtront pas.

— Que d’expérience pour un jeune homme de votre âge, dit Henri III d’un ton plein de bienveillance. Je vois que l’éloge qu’on m’a fait de vous n’a rien d’exagéré. Mais revenons à mon parent. Vous allez partir sans retard, n’est-ce pas? Et comme vous passez devant Saint-Germain-l’Auxerrois, je crois qu’il serait bon d’y faire dire une douzaine de messes pour le succès de l’entreprise.

— Une douzaine de messes ne pourraient pas nuire.

Le roi paraissait agité par un trouble intérieur, et on eût dit qu’une vision marchait devant lui.

— C’est mon parent, et il ne m’a jamais fait grand mal. Nous avons souvent chassé ensemble plus d’une sorte de gibier. C’était un gai compagnon, toujours prêt à tirer l’épée pour moi. Pauvre garçon! Mais ma mère dit que c’est indispensable.

Il regarda fixement Georges.

— Si c’est indispensable, murmura celui-ci, pourquoi hésiter?

— Vous avez raison, monsieur. Vous êtes un homme d’énergie. Faites cependant dire aussi quelques messes à son intention. Il n’est pas nécessaire de le nommer, encore moins de parler de son hérésie...

— C’est mon avis, sire.

— Je vois avec plaisir que vous me comprenez de reste.

— Que je sois rompu vif si je comprends quelque chose à tout ce bavardage, pensa le Suisse en faisant un signe d’adhésion.

Le roi continua:

— J’aime les gens qui m’entendent à demi mot.

Puis il baissa la voix.

— Ne précipitez rien cependant. Quelqu’un que je n’ai pas besoin de vous nommer, vous savez de quelle dame il s’agit, a été frappée déjà de deux attaques d’apoplexie; une troisième peut survenir et me l’enlever.

— Il faut songer à tout, sire.

— Ce serait un grand malheur, monsieur d’Urfen, un malheur irréparable; mais sa mort changerait singulièrement les choses. Au fond, j’aime mon parent.

— C’est ce que je me disais, sire. Au fond, vous l’aimez.

— Si nous étions seuls, nous aurions bientôt fait de nous entendre... Mais la nécessité d’État est plus forte que le sang... n’est-ce pas?

— Qui pourrait le nier, Majesté.

— Je n’ai donc pas besoin de vous en dire davantage.

— Ce serait tout à fait inutile, soupira Georges, qui se sentait horriblement fatigué de cette conversation inintelligible.

— Partez donc, mon ami, dit le roi, et à votre retour, quand votre glorieuse tâche sera terminée... A bas! Coquette!...

— Maudit chien! pensa Georges. Sa Majesté allait sans doute me toucher un mot de mon commandement et de mes dix mille livres.

— A votre retour, vous montrerez à mon grand-veneur comment on tord les oreilles aux chiens. Singulière coutume!

Georges dissimula son désappointement et répondit:

— Oui, sire.

— Je n’ai pas besoin de vous recommander la plus grande discrétion; c’est un secret d’État que nous vous avons confié.

— Oui, sire, je me ferais couper en cinquante mille morceaux avant de révéler un seul mot de cette mystérieuse affaire.

— J’aime les hommes de votre trempe, dit Henri III en jouant avec l’un des petits chiens de la corbeille, et vous ne partirez pas sans avoir reçu un témoignage de notre bienveillance.

Le jeune Suisse frissonna à l’idée que le roi allait lui faire cadeau d’un des petits de Coquette; mais Henri se contenta heureusement de lui donner sa main à baiser.

Georges se hâta de quitter la chambre royale et trouva au bout de la galerie le valet qui l’avait amené, et qui, cette fois, sans desserrer les dents, le conduisit dans la cour du Louvre, où un cheval tout sellé l’attendait. Notre gentilhomme chargea son guide de remettre sa missive à messire de Brandberg, son oncle, qu’il ne devait pas voir de sitôt, et, enfourchant sa monture avec la légèreté et l’adresse d’un écuyer consommé, il s’éloigna du palais sans jeter un regard en arrière.

Sous l’incessante préoccupation du mutisme qui lui avait été recommandé, il changeait à chaque instant l’allure de son cheval, le faisant passer du trot au galop pour éviter les rencontres. Voyait-il passer un moine, il ne répondait à son salut qu’en se signant; était-ce une femme, il lançait le pauvre animal à fond de train pour échapper aux questions indiscrètes: on eût dit que les destinées de la France reposaient sur sa tète. Les paroles de la dame du Louvre ne sortaient pas de son esprit:

—Si vous suivez ponctuellement les ordres qui vous seront donnés, avait dit la reine-mère, votre fortune est faite; si vous vous en écartez de l’épaisseur d’un cheveu, vous êtes un homme mort!

Touché de cette alternative, il ne croyait pas user de trop de prudence.

Il était depuis douze jours en route, mangeant fort bien, dormant encore mieux, lorsqu’il arriva à Port-Sainte-Marie, à une lieue de Nérac, vers midi. Un soleil brûlant incendiait la route et la rendait impraticable. En revanche, un petit bois touffu qui longeait le chemin tentait par son ombrage le voyageur harassé. Georges hésitait cependant à quitter la voie tracée, dans la crainte de s’égarer. Les hennissements éloquents de son cheval le décidèrent. Après avoir fait une cinquantaine de pas dans le taillis, il aperçut une cabane, qu’il eût pu croire déserte s’il n’eût entendu les cris de détresse d’une poule à qui l’on coupait le cou. Georges s’arrêta.

— Si les maîtres du logis ont condamné à mort cet innocent volatile, c’est pour le manger, pensa judicieusement notre gentilhomme. Entrons. Je suis en appétit, et je veux dîner avec ces braves gens, en payant largement mon écot. Je serai beaucoup mieux dans cette masure écartée que dans la plus belle hôtellerie de la ville, où il faut se défier de tout le monde... D’abord ici, je pourrai parler tout à mon aise... et cela me soulagera, après douze jours de silence.

En faisant ces réflexions, il attacha son cheval à un arbre et entra sans façon. Une jeune fille de dix-sept ans environ, assise au fond de la cabane, chantait tout en troussant avec un certain art la poule en question. Quand la porte s’ouvrit brusquement, elle jeta sur la table le tablier de grosse toile qui couvrait ses genoux, essuya à la hâte ses petits doigts emplumés, et s’élança joyeusement à la rencontre du visiteur.

— Ah! mon seigneur, s’écria-t-elle d’un ton de doux reproche, mais le sourire aux lèvres, vous n’êtes pas galant aujourd’hui; voilà près d’un gros quart d’heure que je vous attends!

En même temps, elle enlaça familièrement ses deux bras autour du cou de Georges d’Urfen, qui se laissa faire de la meilleure grâce du monde.

Mais la jeune fille s’aperçut aussitôt de sa méprise, et recula stupéfaite en poussant un grand cri.

Georges ôta sa barrette, frisa sa moustache hérissée et s’inclina aussi respectueusement que devant madame Catherine de Médicis; il eut alors le loisir de remarquer que cette bergerette était charmante; le duvet de la pêche veloutait ses joues rosées, qui donnaient envie de les mordre; ses lèvres avaient la rougeur de la cerise; une ingénuité malicieuse et tendre pétillait dans ses grands yeux bleus fendus en amande, et ses cheveux blonds et frisés pendaient par grappes sur ses belles épaules un peu brunies par le soleil.

La petite Fleurette, comme l’apprit Georges plus tard, n’était que la fille d’un jardinier; mais plus d’une dame de la cour eût envié sa fraîcheur et sa beauté ; son costume un peu rustique ne manquait ni de grâce ni de coquetterie, sa jupe rouge était courte et laissait voir le bas d’une jambe fine et des pieds mignons. D’ordinaire, la vue d’une jolie fille a le don de troubler le cœur et l’esprit des jeunes gens un peu novices, et de paralyser leur langue. L’apparition de Fleurette délia au contraire celle de notre jeune Suisse, si bien qu’oubliant son serment de ne parler avant d’être arrivé chez messire Bernard, il s’écria: — «Tant mieux, mademoiselle!» Mais, bah! il était si près de Nérac!

La fille du jardinier reculait toujours.

— Tant mieux pour moi, mademoiselle, reprit-il, si vous m’avez pris pour un autre. Seulement, je suis désespéré de ne pas être celui que vous attendez.

— Je le crois bien, dit Fleurette avec un grand sérieux.

Elle pensait sans doute aux hautes destinées promises au seigneur qui avait conquis son cœur.

Georges perdit un peu de son assurance.

— Pardonnez-moi donc, ma belle enfant; pressé par la faim, alléché par le cri plaintif d’une poule dont je devinais le sort, sans être nécromancien, j’ai cru entrer chez un charbonnier de la forêt. Je venais lui demander une courte hospitalité. Il m’a suffi de vous voir pour comprendre ma méprise. Les huttes de charbonniers sont encore hantées de temps en temps par les fées, je pourrais l’attester; je sais aussi qu’il ne sied pas à un bon gentilhomme de contrarier ces dames. Pardonnez-moi, je m’en vais bien vite.

Il salua Fleurette tout interdite de ce beau madrigal, et il allait se retirer lorsqu’au dehors résonna un bruit de voix, l’une rieuse et mordante, l’autre grave et même sévère, qui fit tressaillir la jeune fille.

— Oh! monsieur, cachez-moi, murmura-t-elle toute pâle d’effroi. Si ce vilain grondeur me trouve ici, je suis perdue.

— Rassurez-vous, mademoiselle, dit Georges en portant la main à son interminable épée. Je suis de bonne race, et je sais que mon devoir est de défendre les femmes. Ne craignez rien.

Fleurette l’arrêta d’un geste suppliant.

— Qu’allez-vous faire, monsieur? Ne tirez pas votre épée, ne jetez pas un mot de menace ou vous êtes un homme mort.

— Elle est perdue! je suis mort! pensa le montagnard. Où diable me suis-je fourré ? O ma mission, que vas-tu devenir?

— Mais cachez-moi donc, monsieur, répéta Fleurette qui, en entendant la voix grave se rapprocher de la porte, commençait à perdre la tête.

— Ma foi, tant pis! s’écria résolument Georges; la France s’arrangera comme elle pourra. Mademoiselle, continua-t-il, je vous proposerais bien d’entrer dans la cheminée; malheureusement vous y avez allumé un feu à rôtir un bœuf et vous noirciriez vos petites mains blanches; mais je vois une huche entr’ouverte, où, à part la farine, vous vous trouverez à ravir.

Sans attendre sa réponse, il l’enleva dans ses bras robustes et l’enfourna dans la huche dont il eut soin de ne fermer le couvercle qu’à demi. Il était temps. La porte s’ouvrit, et deux personnages pénétrèrent dans la cabane en continuant le colloque animé qu’ils avaient commencé au dehors.

Les amours du Vert-Galant & La mignonne du roi

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