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IV.

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M. HORACE VERSET.

Si M. Horace Vernet n’est pas le plus remarquable des peintres français, il en est à coup sûr le plus populaire.

Nombre de gens comprennent et admirent M. Ingres; beaucoup se passionnent pour les toiles de M. Delacroix; mais tout le monde connaît M. Horace Vernet.

Voilà trente-cinq ans pour le moins qu’il est question de cet artiste, dont le nom est estimé dans les arts depuis le règne de Louis XV.

Petit-fils de Joseph Vernet, l’illustre peintre de marine, et fils de Carle Vernet, excellent peintre de batailles, M. Horace Vernet devait nécessairement venir au monde avec le goût de la peinture, et l’on rapporte que «sachant à peine écrire, il

» était toujours en quête de petits morceaux de

» papier pour y gribouiller de petits soldats.»

Cet amour précoce pour l’uniforme français ne s’est pas démenti chez l’artiste, et je crois qu’il serait difficile de fixer, même approximativement, le chiffre des épaulettes, des bonnets à poil et des drapeaux tricolores représentés par lui dans tout le cours de sa carrière si bien remplie.

Un critique bien connu par l’exagération de ses jugements publiait naguères, dans la Revue des Deux-Mondes, un article où M. Horace Vernet semblait n’être qu’un barbouilleur d’enseignes, redevable de sa réputation aux événements et aux passions politiques, et ne comptant en aucune façon dans l’histoire de l’art.

Dans l’impossibilité de rattacher M. Vernet à l’école de Raphaël, à celle de Rubens ou même à celle de David, le critique, — au lieu de reconnaître dans l’artiste une nature originale, ne relevant que d’elle-même, et par cela seul digne au moins d’attention, — a préféré nier complètement le mérite de ce peintre.

Ce sont là des opinions auxquelles nous sommes habitués de la part de cet écrivain bilieux, et qui ne sauraient diminuer en rien la valeur des gens qu’il attaque.

Nous reconnaîtrons volontiers que M. Vernet a été favorisé par les circonstances, et que s’il avait débuté par des ouvrages d’un genre plus sérieux et moins fait pour impressionner la foule, son succès, au lieu d’être prompt, enthousiaste, universel, eût été, peut-être, tardif et médiocre; mais il faut convenir aussi que l’artiste a prouvé une grande intelligence en créant dans la peinture un genre qui répondait au besoin du moment, et en reproduisant, d’une manière appréciable pour tous, les scènes de la grande épopée impériale.

Ce que Béranger a fait, sous la Restauration, avec ses chansons politiques, Horace Vernet l’a fait avec ses tableaux, à cette différence près, que le chansonnier a mis dans son œuvre une poésie que le peintre n’a pas toujours trouvée.

L’école grecque de David dut nécessairement, sous l’Empire, subir, en dépit d’elle-même, l’entrainement général, et tenter de représenter ces glorieux combats, ces étonnantes victoires auxquelles le génie de Napoléon avait accoutumé la France. Mais la souplesse manquait à ces talents, remarquables à d’autres titres, et, sous l’uniforme des grenadiers, sous les épaulettes des officiers, on sentait toujours les statues antiques qui avaient figuré dans leurs précédents tableaux.

M. Horace Vernet, doué d’un scepticisme complet en peinture, était, mieux qu’aucun autre, l’homme qu’il fallait pour réagir contre cette école. Sans goût marqué pour le beau antique résultant de l’accord rigoureux des proportions, de la perfection de la forme; peu empressé de se mettre à la recherche d’un autre genre de beauté ; M. Vernet remplaça la poésie de l’idée par la clarté du sujet, et peignit avec un entrain prodigieux, une facilité surprenante et un esprit incontestable, des scènes militaires comme chacun avait eu l’occasion d’en voir, des batailles se rapprochant le plus possible des bulletins.

Le genre plut, et le succès de M. Vernet fut complet quand le jury eut refusé d’admettre ses tableaux à l’Exposition sous prétexte qu’ils étaient séditieux.

Tout Paris courut à son atelier, situé alors rue des Martyrs, et le peintre conquit une popularité qui n’a fait qu’augmenter depuis, contrairement à bien d’autres popularités.

Cette demeure de l’artiste, dont je parlais à l’instant, nous en concevrons l’idée en regardant le petit tableau intitulé Intérieur d’atelier.

Là, point de buste de Jupiter ou de statue de Vénus, point de brassards, de cuissards, de cottes de mailles, rien que des souvenirs de l’Empire, des trophées d’armes modernes et, sur les toiles, des soldats français dans toutes les situations possibles.

Tandis que le maître donne un dernier coup de pinceau à un tableau de chevalet, les amis, les visiteurs, s’occupent selon leur goût, selon leur fantaisie. Les uns font des armes, les autres crayonnent, un intime sonne de la trompette. — Un cheval, un véritable cheval, vit dans l’atelier et semble habitué à tout le mouvement qui se fait autour de lui.

Cette toile, peinte avec verve, satisfait la vue et l’on ne songe pas à lui demander autre chose que ce qu’elle prétend offrir: une scène amusante rendue avec esprit.

La Bataille de Jemmapes a plus d’importance. A l’opposé de certains tableaux à l’huile qu’il faut voir à distance et qui n’offrent à deux pas rien de perceptible, celui-ci a besoin d’être examiné d’assez près si l’on veut en saisir toute la finesse. A droite, près d’une maison enflammes, le général Dumouriez, entouré de son état-major, regarde, avec un sentiment de tristesse, un général blessé mortellement que des soldats emportent sur un brancard improvisé avec des fusils. Le duc d’Orléans, fils aîné de Philippe-Egalité , contemple également cette scène. Au fond, les troupes sont engagées, le canon tonne, le drapeau tricolore flotte au milieu des bataillons carrés.

La Bataille de Valmy forme le pendant de ce tableau. Les Français, maîtres des hauteurs de Valmy, présentent leur front de bataille aux Autrichiens qui s’avancent dans la plaine par masses imposantes. Sur le premier plan, le général Kellermann et le duc d’Orléans sont en évidence.

La Bataille de Hainau et la Bataille de Montmirail, peintes à la même époque, sont conçues dans le même système et rendues avec le même faire. 11 y a dans ces ouvrages du mouvement, de l’animation; les personnages sont groupés avec une grande intelligence; les épisodes ont de l’intérêt et si l’on n’éprouve pas une émotion puissante en voyant ces hommes qui sont morts ou qui vont mourir, on conçoit du moins de l’habileté, de l’adresse du peintre une opinion des plus favorables.

La partie expressive est mieux rendue dans un Episode de la campagne de France: Dans les vignes, à quelques pas d’un village occupé par les Cosaques et les Prussiens, des habitants blottis derrière des échalas, tirent sur l’ennemi qui incendie les maisons et enlève les bestiaux. Au milieu du tableau, près d’un petit mur d’appui, un vigneron qu’à sa croix d’honneur, à sa mâle physionomie, on reconnaît pour un ancien militaire, tombe mortellement frappé. Sa femme, armée d’une fourche et surles traits de laquelle on lit le désespoir, la fureur, cherche vainement à relever le malheureux qui n’a plus qu’un moment à vivre. Cette petite toile est une des meilleures de M. Vernet. Les personnages principaux sont habilement présentés. La figure du vigneron traduit bien les souffrances qu’il éprouve.

Nous sommes loin d’estimer autant la Barrière de Clichy. La couleur générale est monotone, mais la scène représentée par ce tableau a un intérêt tel qu’on s’arrête malgré soi devant ce maréchal donnant l’ordre de défendre énergiquement les derniers remparts qui s’opposent à la marche des alliés, devant ces invalides qui retrouvent des forces pour combattre l’étranger, devant ces jeunes soldats, presque des enfants, blessés et forcés de renoncer à venger notre honneur.

L’Attaque de la porte de Constantine a du mouvement, de la chaleur. Les zouaves, unis aux troupes de ligne, s’élancent vers cette porte où les accueille le feu des arabes, montés jusques sur le faite des maisons. Au milieu des soldats, exposé plus que tous aux balles ennemies, le colonel Lamoricière encourage de la voix et du geste ses compagnons d’armes.

Le tableau le plus important, comme dimension du moins, qu’ait exposé M. Vernet, c’est la Prise de la Smala, toile énorme occupant à elle seule, un côté de la salle réservée à l’artiste.

Cette toile dont le succès de curiosité fut très-grand en 1845, renferme des défauts facilement appréciables et dont le plus évident est le manque d’unité. L’action est divisée à l’infini et l’intérêt inspiré par le mérite des épisodes ne se reporte pas sur l’ensemble de l’ouvrage, Il y a dix tableaux dans ce tableau peint d’ailleurs avec franchise, et où l’on admire une prodigieuse facilité d’exécution. La charge à fond de train des chasseurs à cheval mérite d’être signalée comme ayant une étonnante justesse de poses et une grande vérité de mouvements.

La Bataille d’Isly mérite à peu près les mêmes reproches que la toile précédente. Les détails sont heureux: ces soldats blessés transportés à dos de mulets, cet officier mourant dont le chirurgien tâte le pouls, ces chasseurs de Vincennes suivant au pas de course le chef de bataillon qui les guide, tout cela a de l’expression, de la vigueur, mais l’attention n’est pas appelée sur un point plutôt que sur un autre, et le petit groupe du maréchal Bugeaud et des généraux Bedeau, Lamoricière ne forme pas un centre auquel puissent se rattacher les détails de l’action.

Les sujets empruntés à l’histoire sainte n’ont pas porté bonheur à M. Vernet; je n’en veux pour témoins que Rébecca à la fontaine et Judith et Holopherne.

Le talent de M. Vernet manque un peu de poésie, de noblesse, d’élévation, et l’absence de ces qualités se fait sentir dans l’exécution de tableaux comme ceux que nous venons de citer. Il y a pourtant de belles parties dans Judith et Holopherne. Quoi qu’on en ait dit, nous aimons l’altitude confiante d’Holopherne endormi, un bras pendant hors de sa couche. — Judith a le bras armé ; elle s’apprête à frapper. On a reproché à cette Judith des traits qui manquent d’énergie. Il me semble q la décision seule et non la fureur doit se lire sur sa figure.

Nous préférons à ces deux tableaux le choléra à bord de la Melpomène, toile nouvellement peinte et qui peut servir à prouver combien M. Vernet a encore d’habileté, de talent, et quels effets peuvent encore trouver son esprit et sa palette. Au premier plan, un matelot descend dans la cale le corps d’un cholérique, en détournant la tête comme pour éviter les émanations du cadavre. Un malade, entouré d’une mauvaise couverture, est étendu sur le plancher. Sa face jaune, blême, porte la trace des ravages causés sur son organisme par la maladie. Un peu plus au fond, un jeune mousse, les yeux déjà hagards, les joues déjà creuses, est amené au chirurgien qui lui tâte le pouls avec une expression de crainte pour l’enfant. Près du chirurgien, un vieux contre-maitre, les traits brunis par le soleil, écrit l’ordonnance, sans sourciller.

Nous ne disons pas que cette toile soit irréprochable, mais elle a des qualités réelles.

Les deux tableaux intitulés Mazeppa et Mazeppa aux loups, ont été reproduits trop de fois par la gravure et sont trop connus pour que nous en parlions longuement. Dans le premier, les cavales sauvages se pressant autour de Mazeppa, ont une énergie, une fougue extraordinaires. Dans le second, la situation, qui devrait émouvoir davantage, fait cependant moins d’impression. Le corps de Mazeppa n’est pas assez crispé. On ne sent pas suffisamment la souffrance que doivent lui faire subir et la pression des cordes et la course désordonnée du cheval sur lequel il est attaché.

La Chasse au sanglier en Afrique a été également gravée. La couleur générale de ce tableau n’est pas satisfaisante. Cependant il faut louer la posedu cheval éventré par le sanglier et se redressant presque debout sous l’impression de la douleur. La placidité du jeune Arabe placé à droite et la détermination du chasseur d’Afrique placé au milieu, sont bien rendues. Somme toute, cette toile vaut mieux, selon nous, que la Chasse au moufflon par des Marocains, peinture molle et sans grand mérite, comme composition.

Le Portrait du maréchal Vaillant ne fera pas oublier celui du Frère Philippe, général des frères de la doctrine chrétienne. Ce tableau eut, à son apparition, un succès dont chacun se souvient, succès mérité dont il est digne encore aujourd’hui.

Il est conçu avec une simplicité en rapport avec le sujet. — Dans une cellule dont les murs ont pour toute décoration un Christ, une branche de buis béni et une petite Vierge en plâtre, le frère Philippe assis près d’une petite table en bois, tient sur ses genoux un livre ouvert. La pose est vraie, la physionomie du frère est pleine d’expression; le coloris, quoiqu’un peu terne, n’a rien qui déplaise. C’est là un bon tableau, et celui par lequel nous terminerons l’examen des œuvres du maître.

Si nous ne nous associons pas complètement, à ce qu’écrivait, en 1826, M. Jal, remarquable critique, en parlant de M. Vernet: «Tous les genres » lui sont familiers, et à tel point qu’il les porte

» presque tous à un degré de perfection rare,

» nous répéterons volontiers avec M. Alfred de Musset:

«En vérité, la critique est bien difficile; chercher

» partout ce qui n’y est pas, au lieu de voir

» ce qui y est? Quant à moi, je critiquerai M. Vernet

» lorsque je ne retrouverai plus dans ses œuvres

» les qualités qui le distinguent, et que je ne comprends

» pas qu’on puisse lui disputer; mais tant

» que je verrai cette verve, cette adresse, cette vigueur

» , je ne chercherai pas les ombres de ces

» précieux rayons de lumière.»

Les Beaux-arts à l'Exposition universelle de 1855

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