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LE CITOYEN CABET A LOUIS-NAPOLÉON,
Président de la République française.

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Table des matières

CITOYEN PRÉSIDENT,

Lorsque, quelques mois avant la Révolution de Février, les agens de Louis-Philippe me poursuivirent devant le tribunal de Saint Quentin, et m’accusèrent de soutirer l’argent du Peuple, soit pour préparer une armée, des vaisseaux et des armes, afin de renverser le Gouvernement, soit pour m’enrichir des dépouilles des pauvres travailleurs, quelque contradictoire, absurde, déloyale et infâme que fût cette accusation, elle n’avait rien de bien étonnant, puisqu’elle était lancée au nom d’une monarchie qui s’efforçait de se rendre absolue et qui se montrait ennemie systématique de toute réforme et de tout progrès; mais que la même accusation d’escroquerie soit renouvelée par les agens de Louis-Napoléon, au nom d’une République qui se dit honnête et modérée, n’est-ce pas une monstruosité?

Que l’accusateur monarchiste ait osé soutenir, avant le premier départ Icarien, que le projet d’émigration et de colonisation n’était qu’un mensonge et une ruse, on peut le concevoir, quand les ennemis du Communisme Icarien affirmaient sans cesse que je ne partirais jamais moi-même; mais qu’un accusateur républicain ose douter encore et m’accuser après huit expéditions d’émigrans Icariens, quand je suis parti moi-même, firavant toutes les fatigues, toutes les souffrances et tous les périls pour venir à3000lieues partager le sort de mes Frères, réparer un premier désastre et dévorer là douleur d’entendre les regrets et les plaintes de ceux que le revers rendait injustes jusqu’à la folie; qu’on m’accuse encore dis-je, dans ces circonstances, n’est-ce pas incroyable?

Cependant, pourquoi l’absurdité et l’iniquité dans l’accusation seraient-elles incroyables, surtout pour vous? Est-ce que toutes les accusations contre le Communisme et contre moi, qu’on désigne comme son chef ne sont pas des mesures politiques, et la politique n’emploie-t-elle pas les coups d’état de toute espèce pour satisfaire ses passions et ses intérêts? N’avez-vous pas été accusé, condamné, prisonnier, sacrifié par la politique?..... Et quand nous nous sommes rencontrés à Londres, tous deux exilés, n’est-ce pas la politique qui nous avait envoyés en exil?

Pour moi, rien n’est incroyable en fait de violence et de mensonge politique, quand je considère que le Gouvernement provisoire, M. de Lamartine et la Garde nationale ont fait crier et ont crié à bas les Communistes! mort à Cabet! et quand je me rappelle que les journaux réactionnaires m’ont dénoncé comme étant sur un cheval blanc à la tête de200,000insurgés le16avril, comme envahissant l’Assemblée à la tête du Peuple le15mai, comme dirigeant et commandant les barricades du faubourg Saint-Antoine le24juin, tandis que j’étais complètement étranger à tous ces mouvemens.

Ce n’est sans doute pas le défaut de succès dans la première tentative de colonisation Icarienne au Texas qui légitime à vos yeux l’accusation dirigée contre moi; car, que de milliers d’autres désastres bien autrement funestes n’ont été suivis d’aucune accusation! Et que diriez-vous si on accusait votre famille pour les désastres de Jaffa, de Moscou, de Waterloo, et vous même, pour ceux de Strasbourg et de Boulogne, et maintenant de votre colonie Algérienne?

Vos agens ne craignent pas de lancer contre moi, en votre nom, l’ignoble accusation d’escroquerie dans une des plus grandes entreprises sociales et politiques dont fasse mention l’histoire de l’Humanité, quand une longue vie d’abnégation, la notoriété publique et le dévouement le plus manifeste se réunissent pour protester contre une si infâme calomnie; mais dans une accusation si grave, l’impartialité, vous n’en disconviendrez pas, est un impérieux devoir de la part des officiers de la justice. Hé bien! quand l’immense majorité des colons Icariens proteste contre l’accusation, on reçoit les dénonciations occultes de quelques déserteurs traîtres et parjures; on profite de mon absence à3000lieues pour exploiter la calomnie contre moi; on m’enlève mes registres et mes papiers; on essaie d’expulser de France l’ami, dépositaire de ma confiance et de mon mandat, qui seul peut me représenter et me défendre, on l’emprisonne sous le prétexte le plus évidemment faux; on le met au secret; on le tient deux mois prisonnier; en un mot, on rend toute défense impossible pour moi; n’est-ce pas, je vous le demande, de la partialité et de la partialité la plus révoltante?

Mais d’ailleurs, comment avez-vous pu souffrir que, en votre nom, vos agens se permissent contre moi une accusation si odieuse? Avez-vous donc oublié que, en 1839, quand vous étiez comme moi exilé en Angleterre, vos amis, les généraux Vandrey et Montauban me pressèrent longtemps ide consentir à recevoir votre visite, que vous vîntes enfin trois ou quatre fois me visiter, dans le désir de m’attacher à votre cause; et que si j’avais eu la moindre ambition et la moindre cupidité, je n’aurais pas eu la peine de m’avilir et de me déshonorer pour arriver avec vous au pouvoir, aux honneurs et à la fortune?

Oui, comme beaucoup d’autres, vous devez en être convaincu, il n’y a pas de trésor sur la terre qui ait pu m’engager à sacrifier ma conscience; et dire que, avec ma, vie tout entière, avec mon caractère, avec mes études et mes travaux, j’ai pu, par une insatiable soif de l’or, dépouiller des malheureux pour m’enrichir, en m’exposant infailliblement à leurs cris unanimes, c’est une absurdité en même temps qu’une abominable calomnie.

Cependant, quoique le tribunal de Louis-Philippe, a Saint-Quentin, n’ait pas même voulu autoriser la poursuite, les juges de la République ou les vôtres l’ont autorisée, et quand cette lettre arrivera à Paris, dans la première quinzaine d’octobre, j’aurai été condamné sans avoir été entendu.

Je me résigne, mais je proteste.

Je proteste contre la dénonciation, contre les calomnies, contre la partialité, contre l’erreur et l’injustice.

Je ne sais pas si, persévérant dans mou œuvre de dévouement, il me sera donné de revoir ma Patrie et de m’y faire rendre enfin justice; mais je ne cesserai de protester que ma condamnation, comme les cris de mort poussés contre moi le16avril, seront quelque jour une honte pour la République et pour la France.

Du reste, pendant le procès de Saint-Quentin, je voulus écrire à Louis-Philippe une lettre dans laquelle je lui aurais dit que toutes les persécutions de la Monarchie contre le Communisme n’arrêteraient pas ses progrès; et je puis vous dire à vous aujourd’hui: que malgré toutes les calomnies et toutes les persécutions, le Communisme a plus de chances que l’Empire.

CABET.

Nauvoo, 10septembre1849.

Système de fraternité

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