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CHAPITRE II

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Table des matières

L’ordre de Cîteaux en Savoie. — Aulps et Hautecombe. — Lettres de saint Bernard sur ces deux monastères. — Origine de Tamié, son nom, ses vrais fondateurs. — Pierre de Tarentaise y amène des moines de Bonnevaux. — Arrivée des Cisterciens. — Bienfaiteurs de Tamié. — Prétentions de la Maison de Savoie.

Peu, d’années avant que saint Robert et ses compagnons allassent fixer leur demeure au désert de Cîteaux, quelques religieux quittèrent Molesme, avec la permission de leur abbé. On ignore les motifs de leur départ, mais il est permis de supposer que le désir de mener une vie régulière n’y fut point étranger. Les anciennes chroniques de Savoie, dont les originaux se conservent à Turin, nous racontent que les moines errèrent pendant plusieurs jours avant de découvrir la retraite qu’ils cherchaient.

«A la parfin, disent les manuscrits, ils passèrent le lac

«de Lausanne et tendirent contre les hautes montagnes,

«en un lieu qu’on appelait les Alpes, qui leur sembla

«dévotieux. Illec, près d’un petit ruisselet, firent deux

«petits habitacles, l’un pour dire leurs messes et l’autre

«pour leur mansion, et menèrent si bonne et sainte vie

«que leur renommée s’épandit par les environs, car,

«à leurs déprécations, Dieu montrait miracles aperts.»

La délicieuse solitude où s’étaient engagés les cénobites de Molesme portait le nom de vallée d’Aulps, vallis alpensis; les pâturages qui couvraient le versant des montagnes et les hautes forêts dont elles étaient couronnées en faisaient un séjour à souhait pour une colonie religieuse. D’après la règle de saint Benoît, toute abbaye devait compter au moins douze moines. La communauté d’Aulps, peu nombreuse à son origine, ne fut, pendant plusieurs années, qu’une simple cella, soumise au monastère de Molesme. Les donations d’Humbert II, comte de Savoie, et de quelques seigneurs chablaisiens, transformèrent la cella en abbaye . Le premier supérieur d’Aulps avait été remplacé par Guérin, un saint anachorète qui vivait en communion intime avec Cîteaux. Par ses soins, une bulle du pape Calixte II cassa la convention de 1097 par laquelle le monastère des Alpes devait vivre perpétuellement sous la dépendance de Molesme et recevoir les abbés que lui imposerait le supérieur de cette maison. Aussitôt après, Guérin et ses religieux embrassèrent la réforme de Cîteaux.

Saint Bernard, l’oracle de l’Europe et la plus grande gloire de son ordre naissant, était alors abbé de Clairvaux. Il voulut que N.-D. d’Aulps et plus tard toutes les maisons cisterciennes de la Savoie fussent affiliées à son monastère. Ses lettres nous témoignent de la joie que ressentit la multitude de ses pieux disciples en apprenant la détermination des moines chablaisiens . Elles nous montrent le grand saint enseignant à ses nouveaux frères le véritable esprit de la règle et leur traçant des devoirs si rigoureux qu’ils épouvantent la faiblesse humaine.

«Notre ordre, leur dit-il, c’est l’abjection, l’humilité, la

«pauvreté volontaire, l’obéissance, la paix, la joie dans

«l’Esprit-Saint. Notre ordre consiste à vivre sous un

«maître, sous un abbé, sous la règle, sous la discipline.

«Dans notre ordre, on s’étudie à garder le silence, on

«s’exerce à la pratique des jeûnes, des veilles, des

«oraisons, du travail des mains, et par dessus tout on

«suit la voie par excellence, qui est la charité .» Bernard porte le plus tendre intérêt aux abbayes cisterciennes qui s’élèvent déjà en Savoie. Hautecombe a été fondé en 1125 par les libéralités du comte Amédée III; Bonmont apparaît en Chablais six ans plus tard. Le saint abbé de Clairvaux recommande vivement ces monastères à son ami d’enfance Ardution, évêque élu de Genève. «Je connaîtrai, lui écrit-il, par votre conduite à

«leur égard, quelle est la mesure de l’affection que vous

«avez pour nous .».

C’est ainsi que l’ordre de Cîteaux jette en Savoie ses premiers fondements, sous les auspices du plus grand homme qu’ait vu naître le XIme siècle. La féodalité n’a pas dans nos provinces cette attitude provocatrice et insolente qui forme son caractère principal dans les Etats environnants. La distance est grande, sans doute, entre les paysans qui cultivent nos montagnes et les seigneurs hauts-justiciers dont ils dépendent; mais la tradition des mœurs patriarcales n’est point perdue; la pauvreté du sol et les dangers communs ont rapproché des hommes que divisaient d’anciens préjugés. Cependant le goût des aventures lointaines et la gloire des armes ont mis en discrédit l’agriculture, cette noble occupation des anciens peuples de la Savoie. Il faut rendre notre pays à ses habitudes séculaires; il faut faire germer le froment et fleurir la vigne sur ces landes incultes où végètent des arbustes parasites. L’arrivée des travailleurs de Cîteaux répond dans nos contrées à un besoin urgent et général; elle est saluée par le cri d’espérance des pauvres. C’est au milieu d’un tel concours de circonstances que s’élève l’abbaye dont nous écrivons l’histoire.

Tamié, Stamedium , est le nom donné depuis une époque très reculée à une gorge étroite située sur la chaîne secondaire des Alpes pennines, entre Faverges, Albertville et Grésy. Ce défilé, qui s’étend sur une lieue de longueur, était couvert au moyen âge de forêts épaisses, au milieu desquelles serpentait un chemin presque impraticable. Les neiges s’y amoncelaient pendant l’hiver; la tourmente y régnait une partie de l’année, et il fallait un courage stimulé par une nécessité absolue pour que les voyageurs osassent s’aventurer dans cette effrayante solitude. Le col de Tamié était très fréquenté à cause du commerce qui existait entre Genève et le Piémont’et du mauvais état des routes qui se dirigeaient sur la ville de l’Hôpital. Cette dernière voie n’arrivait à la commune de Palud que par une montée très escarpée; elle aboutissait à Ugine après avoir traversé les villages de Thénésol et de Marthod. On avait abandonné cette route pour suivre la vallée de Tamié ou du Coupe-Gorge, car tel était le nom populaire de cet étroit passage. Durant la belle saison, ce lieu sauvage devenait un repaire de voleurs qu’attirait l’espoir de riches aubaines. Le comte Amédée III fit pratiquer des éclaircies dans l’épaisseur de la forêt; la route fut rendue praticable et on pendit quelques brigands aux arbres qui la bordaient. La vallée perdit son nom de Coupe-Gorge et reçut celui de Tamié qu’on employait parfois pour la désigner.

Vers 1132, le siége métropolitain de Tarentaise était occupé par l’ancien abbé de la Ferté, le premier évêque que l’ordre de Citeaux eût donné à l’Eglise. Ce prélat, connu dans le martyrologe savoisien sous le nom de saint Pierre Ier, avait compris que les mesures de rigueur seraient impuissantes à purger son diocèse des malfaiteurs qui l’infestaient et à défendre les voyageurs contre leurs entreprises, si la religion ne venait en aide au comte de Savoie. Il songea à établir un monastère de l’ordre de Cîteaux dans l’endroit le plus périlleux, c’est-à-dire auprès du col de Tamié. Le but principal de cette création était de fournir des secours aux passants et d’offrir aux malades les ressources d’un hôpital gratuit. Par le défrichement des terres incultes et d’une partie des forêts, les religieux devaient donner à l’agriculture une féconde impulsion; ils fourniraient aux cultivateurs, à de bonnes conditions, des semences et des bestiaux, et détourneraient du brigandage quelques-uns des malheureux que la misère y avait entraînés. Les vues bienfaisantes du prélat furent comprises par les frères de Chevron-Villette , qui mirent tout leur zèle à seconder son entreprise. Voici la charte de fondation du monastère; on verra ce que devient la légende en face de ce document irréfragable :

«L’an de l’incarnation du Seigneur onze cent trente-

«deux, par la grâce de Dieu et par son immense bonté,

«dom Pierre, archevêque de Tarentaise, fixa son atten-

«tion sur un lieu appelé Tamié et situé dans son

«diocèse, qui lui parut propre à un établissement de

«l’ordre de Cîteaux; il demanda cette localité à ses

«possesseurs, c’est-à-dire aux frères Pierre, Guillaume

«et Aynard de Chevron. Il plut ensuite à ce vénérable

«prélat de convoquer à Tamié dom Jean, de pieuse

«mémoire, abbé de Bonnevaux, les frères de Chevron

«et un grand nombre d’autres personnes. Tous étant

«réunis, Pierre avec sa femme, Guillaume avec sa

«femme et son fils, ce dernier excusant Aynard alors

«absent, donnèrent le domaine de Tamié à Dieu, à la

«bienheureuse Vierge Marie, à Jean, abbé de Bonnevaux,

«et à ses frères qui devaient s’y vouer au service de

«Dieu. Ils firent cette donation pour le salut de leurs

«âmes et de celles de leurs parents, sur la prière du

«susdit archevêque et en présence de tous les témoins;

«ils cédèrent tout ce qu’ils possédaient au mont de

«Tamié, suivant la. direction de l’eau qui tombe du

«sommet des montagnes et des deux côtés, jusqu’au

«ruisseau qui court au milieu de la vallée, à l’exception

«toutefois de certains fiefs, domaines et fermes qu’ils

«occupaient; si toutefois les religieux parvenaient à

«acquérir quelques-uns de ces lieux réservés, les dona-

«teurs les leur cédaient, à condition qu’ils ne perdraient

«pas leur servis; dans tous les cas, ils ne rendraient pas

«la communauté des frères responsable de cette perte.

«Les témoins de cette donation sont dom Pierre,

«archevêque de Tarentaise, dom Jean, abbé de Bonne-

«vaux, frère Jean, prieur du même lieu, frère Amédée

«d’Hauterive, frère Audemar, frère Pierre, frère Guitfred,

«qui tous ont reçu la donation, Ulbold de Cléry, etc.»

Il ressort de cet acte, dont nous avons cherché à rendre le sens littéral, que l’archevêque Pierre eut seul l’idée première de la fondation de Tamié et que les frères de Chevron lui facilitèrent l’accomplissement de ce pieux désir. Les courtisans (on en trouve partout, même aux époques qu’il nous plaît d’appeler barbares), les courtisans des premiers comtes de Savoie se plurent à leur attribuer une part considérable dans l’établissement de notre monastère. Ils supposèrent qu’une bataille sanglante s’était livrée vers l’an 1129, dans le défilé de Tamié, entre Amédée III et le comte de Genève; que pour conserver à jamais le souvenir des braves qui étaient tombés pour défendre sa cause, Amédée aurait élevé un oratoire sur le lieu où reposaient leurs corps, et que Pierre de Tarentaise aurait amené des moines de Bonnevaux pour le desservir. Cette donnée ne supporte pas l’examen. Ni l’histoire ni la tradition n’ont conservé le souvenir de la lutte du col de Tamié, quoique un événement de ce genre eût dû laisser des traces profondes dans les souvenirs populaires. On ne s’explique pas, d’un autre côté, que la charte. de fondation de l’abbaye ne mentionne pas le prince qui est censé l’avoir créée. Il faut en conclure qu’Amédée n’était pour rien dans cet acte; l’oubli qu’on aurait commis en le passant sous silence eût été contraire à toutes les règles établies. Et pourtant la légende d’Amédée III à Tamié a été consignée dans quelques-unes de nos vieilles chroniques; nous citerons les deux plus anciennes: la chronique latine de Savoie et celle d’Hautecombe . Dans la première on trouve le récit de la fabuleuse bataille après laquelle le comte Amédée III aurait fondé un monastère en l’honneur de Dieu et du bienheureux Bernard, abbé de Clairvaux. Comme si toutes les maisons cisterciennes n’étaient pas nécessairement dédiées à la Vierge Marie! Comme si l’on pouvait croire que le comte de Savoie eût décerné le titre de bienheureux à un homme vivant, à Bernard, abbé de Clairvaux, et eût placé le nouveau monastère sous son invocation! La chronique d’Hautecombe, plus récente que la précédente de quelques années, reproduit les mêmes erreurs.

La lettre écrite en 1593 par Alphonse Delbene à Edme de la Croix, abbé de Cîteaux, nous montre quel était le sentiment du supérieur d’Hautecombe sur les origines de Tamié . Il traite de fable la création de cette abbaye par Amédée III après une bataille rangée: «Ce prince, dit-il, fut le bienfaiteur de Tamié ; il le fut aussi de tous les autres monastères de Citeaux, auxquels il portait le plus vif intérêt.» Mais c’est assez s’occuper d’une question qui nous paraît parfaitement élucidée. Revenons aux fondateurs de notre abbaye.

C’était un véritable congrès de saints que l’assemblée des personnages qui intervinrent à l’acte de 1132. On y voyait figurer l’abbé de Bonnevaux, Jean le Bienheureux; saint Amédée d’Hauterive, abbé d’Hautecombe, dont nous parlerons plus loin; saint Pierre, premier abbé de Tamié, et saint Pierre Ier, qui occupait alors le siége de Tarentaise. Notre monastère fut donc placé, dès son origine, sous les auspices de personnages aussi éminents par leurs vertus que par leur position sociale.

Lithographie par un religieux

Imp Lemercier, de Seine 57 Paris

SAINT PIERRE, ARCHEVÊQUE DE TARENTAISE

1er abbé et Fondateur de Tamié


Les frères de Chevron n’avaient cédé qu’un désert à l’abbé de Bonnevaux et à ses moines; il fallait tout créer dans ce vallon resserré et sauvage où l’on ne trouvait pas même un abri contre l’inclémence des saisons. La colonie se composa d’abord d’un petit nombre de religieux placés sous la direction d’un jeune homme nommé Pierre, qui avait fait à Bonnevaux l’apprentissage de la vie monastique ; d’autres frères vinrent se joindre à eux et complétèrent le nombre de douze fixé par saint Benoît pour la fondation d’une abbaye . Lorsque un essaim quittait la maison-mère, la communauté entière se réunissait dans l’église; après quelques prières analogues à la circonstance, l’abbé désignait les émigrants et leur chef. Puis on faisait le tour des cloîtres au chant des psaumes; quand on arrivait à la porte du monastère, le nouvel abbé et ses compagnons recevaient un psautier, le livre de la règle, quelques vases sacrés et une croix de bois; on s’embrassait et la colonie se mettait en route. Arrivés au terme de leur voyage, les religieux cisterciens débutaient toujours par les tombeaux, afin de ne pas oublier que l’idée de la mort devait occuper la première place dans leur esprit; ils désignaient l’emplacement du cimetière par des croix de bois plantées dans le sol, puis ils traçaient l’enceinte de l’oratoire et des autres bâtiments.

Les premières constructions de Tamié durent être fort misérables. Elles furent sans doute formées de branches d’arbres, comme ces cabanes de bûcherons que l’on rencontre dans l’épaisseur des forêts. Les Cisterciens n’avaient pour vaisselle que des vases en terre cuite et des tasses de bois. Leurs ornements sacerdotaux étaient de lin ou de futaine; ils creusaient leurs stalles dans des troncs d’arbres. Tout respirait chez ces religieux la pauvreté la plus absolue. Ils portaient une tunique de grosse laine blanche recouverte d’un long scapulaire noir et serrée d’une ceinture de cuir; les vêtements des frères convers étaient de couleur brune. Au chœur, tous les moines se revêtaient d’un ample manteau blanc à capuchon qui portait le nom de coule. Chez eux, l’abstinence d’aliment gras était perpétuelle; ils ne vivaient que de racines et de légumes cuits à l’eau et au sel. Leur couche consistait en un grabat où ils se jetaient tout habillés; ils observaient rigoureusement le silence et partageaient leur temps entre la prière et le travail des mains. En un mot, ils réalisaient dans toute la pureté le type monastique dont saint Benoit a tracé les caractères dans ses Constitutions.

Malgré l’austère simplicité de leur vie, les moines envoyés à Tamié eurent à lutter contre des obstacles de tout genre pour asseoir leur établissement. Le courage de ces rudes travailleurs n’était abattu ni par les intempéries, ni par l’âpreté du sol; ils se rappelaient l’entrée de leurs Pères au désert de Cîteaux et leurs forces étaient doublées. Le vallon retentissait du bruit de la hache mêlé au chant des cantiques sacrés. Les voyageurs accouraient en foule pour être témoins du bonheur calme dont jouissaient les cénobites malgré leurs pénibles travaux et les mortifications qu’ils imposaient à leurs corps accablés par le poids du jour. Ils partageaient avec les pauvres le pain noir gagné à la sueur de leurs fronts, l’aumône étant une des plus anciennes traditions de l’ordre. Le pays environnant se transformait déjà par leurs exemples et surtout par leurs bienfaits, car ils exerçaient largement la charité, quoique à peine pourvus du nécessaire. Mais l’heure arrivait où les puissants seigneurs de la contrée devaient reconnaître par de généreuses concessions les vertus et les services des moines de Tamié.

En 1132, l’année même de la fondation de l’abbaye, l’archevêque de Tarentaise remontre au comte Amédée de Genevois que le vallon où les frères se sont établis, à la limite de son diocèse, est loin de suffire à leurs besoins. Il lui demande pour ses moines la concession d’une forêt et d’une portion de territoire situés à Bellocey . Quoique le comte tienne beaucoup à ce domaine, il en donne de grand cœur la propriété aux religieux. Quelques mois après, il leur accorde le revenu annuel de vingt sous d’or et leur fait remise du droit appelé la leyde que l’on perçoit sur tous les marchés du Genevois .

Au comte Amédée succède son fils Humbert III, dit le Saint, qui fonde quatre chartreuses en Savoie et dote tous les monastères déjà existants. Vers 1148, il écrit de Turin à tous ses châtelains et à ses sujets qui exercent des fonctions au delà du Mont-Cenis. Il leur rappelle que Dieu accepte avec faveur les dons que les princes font aux églises et aux maisons religieuses, pourvu que ces largesses n’aient point pour but un intérêt temporel, autrement on pourrait leur dire qu’ils ont déjà reçu leur récompense. C’est pourquoi il confirme tous les priviléges accordés par son père aux moines de Tamié, les exempte du péage et de la leyde, et ordonne de veiller à ce que personne ne les maltraite . En 1189, Thomas, fils d’Humbert III, fait un acte semblable, et la charte qui contient sa déclaration nous apprend qu’Amédée son grand-père avait accordé certains priviléges à Tamié au moment de partir pour la croisade . Le même prince donne à l’abbaye tout ce qu’il avait acquis, au territoire de Saint-Franc, de Burnon, des Echelles et de son frère; il place cette libéralité sous sa sauvegarde personnelle .

Guillaume, comte de Genevois, Hubert son fils aîné et Aimon son frère, pleins de bienveillance pour l’ordre de Cîteaux et désireux d’obtenir ses prières, font savoir que dans la province qui leur obéit la maison de Tamié sera libre de toute redevance, à l’exception des libéralités que les religieux ne refusent jamais aux voyageurs. L’acte est de 1191 . Quatre ans après, à son lit de mort, le même Guillaume donne à notre abbaye le tiers des dîmes à percevoir sur le territoire de Long-Champ et le dixième des poulains que ses juments produiront chaque année . Un autre prince nommé aussi Guillaume, et comte de Genevois, accorde aux religieux de Tamié le droit de faire pâturer librement leurs bestiaux dans les mandements de Cruseille, de la Roche et d’Annecy; il étend même cette permission à tout le comté .

Quelques mois après la création du monastère qui nous occupe, le modeste patrimoine des religieux s’était considérablement augmenté. Les raisons que nous avons exposées dans l’introduction de ce livre expliquent pourquoi nous n’avons plus les chartes où étaient consignées les donations faites à Tamié de 1132 à la fin du XIIe siècle par Guigues, comte d’Albon, prince de Graisivaudan, Othomar et Romestang, fils de Guillaume de la Poëpe, Didier de la Poëpe, leur oncle, et Bosson de la Poëpe, par les Dauphins de Viennois et les évêques des diocèses voisins. Il est fort difficile de se faire une idée exacte des possessions de l’abbaye un siècle après son établissement. Cependant, on peut en juger par une patente de sauvegarde que le comte Amédée IV lui accorda en 1249 . Il prit sous sa haute protection, non-seulement les personnes, mais encore les propriétés des religieux, qui s’étendaient jusque dans le diocèse de Vienne et qui étaient nombreuses. Il fut le premier à déclarer que l’abbaye de Tamié était sous son patronage. Cette prétention était mal fondée, car, suivant les principes du droit canonique, le droit de patronage sur un établissement religieux n’est acquis qu’à celui qui l’a fondé ou doté convenablement. Or, on a vu que les princes de Savoie, moins généreux que leurs voisins, avaient borné leurs libéralités envers Tamié à quelques priviléges. Ils n’étaient donc que de simples bienfaiteurs de l’abbaye; mais leurs vues s’élevèrent plus haut, surtout après l’indult de Nicolas V qui concernait le droit de nomination aux évêchés et aux monastères. Victor-Amédée II voulut tirer la conséquence des principes posés par ses prédécesseurs; il en résulta une lutte animée que nous raconterons au livre suivant.

Histoire de l'abbaye de Tamié en Savoie

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