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CHAPITRE III
ОглавлениеSaint Pierre de Tarentaise, premier abbé de Tamié ; saint Guérin, premier abbé d’Aulps; saint Amédée d’Hauterive, premier abbé d’Hautecombe. — Le monastère du Beton et celui des Hayes. — Bonlieu et Sainte-Catherine. — Pierre est nommé archevêque de Tarentaise. — Les moines de Tamié, leurs occupations: agriculture, bétail et hauts-fourneaux. — Mort de leur premier abbé, sa sainteté, division de ses restes.
Les trois monastères de la filiation de Clairvaux, qui s’étaient élevés en Savoie à peu d’années d’intervalle, avaient pour chefs des personnages d’une éminente piété et d’une intelligence égale à leur vertu; jamais ordre religieux ne débuta sous d’aussi brillants auspices.
Pierre, moine à Bellevaux, avait déjà donné des preuves de cet esprit supérieur qu’il déploya dès l’abord dans la direction de la nouvelle abbaye. Il ne fit paraître sa dignité que pour prêcher par l’exemple. Au chœur ou au travail il était toujours le premier, se chargeant des corvées les plus rebutantes et vaquant avec amour aux œuvres de charité. Dans la contrée, on l’invoquait comme un saint; plus d’une faveur obtenue du ciel fut attribuée à son intercession. Amédée III, comte de Savoie, en fit son conseiller intime. Quand il avait à statuer sur quelque affaire importante, il se rendait à Tamié ou priait l’abbé de venir auprès de lui pour l’éclairer de ses lumières.
Le monastère d’Aulps suivait la même voie, sous l’impulsion du religieux qui l’avait affilié à l’ordre de Cîteaux, de saint Guérin, disciple de saint Bernard. L’âge ne lui avait rien ôté de son ardeur pour la vie religieuse. Sa fermeté, sa science et surtout l’amitié dont l’honorait l’illustre abbé de Clairvaux lui acquirent une telle réputation, que le peuple et le clergé du Valais le choisirent pour leur évêque. Malgré sa profonde humilité, Guérin fut obligé d’accepter cet honneur, car le pape Innocent II lui même intervint pour l’y déterminer. Saint Bernard écrivit une lettre chaleureuse aux moines d’Aulps. Après les avoir félicités en termes affectueux, il s’excusait de ne pouvoir les rejoindre immédiatement; il leur conseillait d’appeler auprès d’eux Godefroi, prieur de Clairvaux, qui les guiderait dans le choix qu’ils avaient à faire d’un abbé à la place de Guérin . Cet homme de Dieu quittait souvent Sion, sa ville épiscopale, et venait à Aulps reprendre au milieu de ses frères les exercices de la pénitence. Il mourut vers 1150. L’abbaye qu’il avait si longtemps édifiée garda son corps mais ne profita pas longtemps de ses exemples .
Hautecombe, le séjour de prédilection de nos anciens comtes et le lieu de leur sépulture, ne le cédait en rien aux monastères de Tamié et d’Aulps; saint Amédée d’Hauterive faisait fleurir aux bords du plus poétique de nos lacs l’austère discipline de Cîteaux et une multitude de jeunes hommes de toutes les conditions accourait au nouveau cloître . Ce personnage, originaire du Dauphiné et né d’une famille princière, reçut sa première éducation à la cour de l’empereur Henri V. Il embrassa la vie religieuse sous la direction de saint Bernard, qui le fit abbé d’Hautecombe lorsque Amédée III fonda cette abbaye. Dix-neuf ans après, d’Hauterive était élu évêque de Lausanne par le clergé et le peuple de cette ville. Attaqué dans sa puissance temporelle par le comte de Genevois, il eut raison des tentatives de ce prince et le contraignit à lever le siége de Lausanne. La fermeté et la prudence dont Amédée d’Hauterive avait fait preuve en cette circonstance difficile le mirent en haute estime auprès des empereurs Conrad II et Frédéric Ier, qui le choisirent pour leur conseiller d’Etat; il fut même nommé grand-chancelier par Frédéric. Avant de mourir à Nicosie en Chypre, Amédée III de Savoie voulut que l’évèque de Lausanne servît de tuteur à son fils Humbert et il lui confia l’administration de ses Etats. D’Hauterive était un prélat du plus grand savoir et d’une éminente sainteté ; c’est là le témoignage que rendent de lui les écrivains protestants eux-mêmes . On peut le considérer comme le vrai fondateur d’Hautecombe, où ses successeurs ne tardèrent pas à tomber dans le relâchement. Il mourut à Lausanne le 26 août 1158 .
Quelque temps après la création de Tamié, la mère du jeune religieux qui dirigeait cette abbaye se décida à entrer au cloître; elle suivait en cela l’exemple de son mari et de tous ses enfants. Une communauté s’organisa par ses soins; elle en devint la supérieure et obtint la terre du Beton en Maurienne, qui appartenait à une ancienne abbaye bénédictine. Cet établissement avait lieu vers 1150. Le monastère du Beton prit bientôt un tel développement, qu’en 1160 il put envoyer une colonie pour fonder l’abbaye des Hayes près de Crolles, dans la vallée du Graisivaudan. L’initiative de cet acte était due à Marguerite de Bourg, femme de Guigues VIII, dauphin de Viennois. Le Beton et les Hayes furent placés sous la direction immédiate des religieux de Tamié.
Les comtes de Genevois, qui avaient comblé de faveurs les couvents cisterciens d’Aulps, d’Hautecombe et de Tamié, accueillirent par d’abondantes libéralités la fondation d’un monastère de femmes de la filiation de Clairvaux au territoire de Bonlieu . Les mêmes princes élevèrent une abbaye de religieuses du même ordre à Sainte-Catherine près d’Annecy et choisirent l’église de cette maison pour y placer leur sépulture. Revenons à Tamié, centre naturel de tous ces monastères.
L’archevêque de Tarentaise, Pierre Ier, était mort peu de temps après la fondation de notre abbaye. Un intrus nommé Isdraël occupa son siége jusqu’en 1138, où il fut déposé solennellement par le pape. Le clergé et le peuple de Moûtiers tournèrent alors leurs regards vers Tamié, qu’habitait le seul homme qui pût relever leur église de ses ruines. Pierre décline l’honneur d’un emploi qu’il croit au-dessus de ses forces; rien ne peut vaincre sa résistance. Le clergé de Tarentaise s’adresse alors au chapitre général de l’ordre réuni à Cîteaux et présidé par l’illustre moine qui dirige l’Europe du fond de sa cellule. Après avoir entendu les motifs de cette demande, saint Bernard et le chapitre ratifient le choix qui élève l’abbé de Tamié au siége métropolitain. Pierre n’hésite plus; il retourne à son abbaye et prend congé en pleurant de la communauté qu’il a formée à la vie cénobitique.
Six années se sont écoulées à peine depuis que la colonie de Bonnevaux a pris possession du vallon de Tamié, et cette gorge stérile s’est transformée sous la main des moines. On voit se perpétuer pendant plusieurs siècles les traditions de ces ouvriers infatigables. Essayons de nous rendre compte de leurs travaux agricoles et industriels. Pour leurs œuvres religieuses, elles peuvent se résumer en quelques mots: prières, mortifications et aumônes.
La culture de la terre a toujours été pour les Savoisiens la principale source de richesses; les produits des troupeaux et l’industrie ne viennent qu’au Second rang. Au moyen âge, comme de nos jours, la science agricole avait pour ennemie dans nos contrées cette aveugle routine qui s’oppose par principe à tout progrès, en dépit des avantages les mieux constatés. Les humbles religieux qui étaient descendus dans le sillon, la bêche à la main, pour relever la profession la plus dédaignée, voulaient faire profiter les cultivateurs des leçons de leur expérience. Cîteaux s’élevait au milieu de la fertile Bourgogne comme un institut agronomique où quinze cents monastères, centres particuliers d’exploitation et fermes-modèles, venaient puiser leur direction. Et que demandaient les fils de saint Benoît pour prix de leur dévouement? Un marécage improductif, quelques arpents de forêts, une lande inhabitée.
Le vallon de Tamié, lors de l’arrivée des moines, était couvert de bois dans sa plus grande étendue. Un torrent en traversait la partie inférieure; mais les eaux, n’ayant pas un libre cours, avaient transformé en marais la moitié de ce bassin et produisaient des éboulements aux endroits où la pente était trop rapide. Les Cisterciens achevèrent l’œuvre commencée par Amédée III. Ils abattirent les bois inutiles, tracèrent des routes et pratiquèrent des canaux dans les bas-fonds. Les sources découlant des forêts et les eaux pluviales se concentrèrent dans des étangs dont un seul subsiste encore. Ces vastes réservoirs avaient un triple but: assainir les terres environnantes, nourrir des poissons de plusieurs espèces dont les religieux faisaient le commerce, et, enfin, fournir de l’eau dans les temps de sécheresse. Le défrichement des terrains devint l’occupation principale des premiers moines de Tamié , quand le sol de la vallée fut assaini par leurs soins. Ils comptaient dans leurs rangs quelques membres des plus illustres familles de la contrée; Louis et Godefroi de Mercury, Amédée de Gémilly et Hugues de Montmélian avaient échangé la cotte de mailles contre la bure grossière de Cîteaux et l’épée contre la bêche. Ces jeunes seigneurs, dont les mains délicates étaient souvent déchirées par les instruments du travail, fendaient du bois, transportaient de la terre sur les rochers stériles, creusaient des tranchées ou élevaient des constructions au milieu du plus rigoureux silence. Quand le temps de la moisson arrivait, ils sciaient eux-mêmes leurs blés. On les voyait transporter les gerbes sur leurs épaules, ruisselants de sueur sous leurs frocs de laine, et descendre en files de la montagne pour venir chanter les louanges de Dieu après une journée du plus rude labeur.
Calculant l’étendue des forêts sur les besoins du pays, les religieux laissèrent à toutes les sommités leurs couronnes de bois. Les parties dénudées, et qui ne devaient point être mises en culture, se couvraient d’arbres d’essences différentes dont l’exploitation fut plus tard une précieuse ressource pour alimenter les hauts-fourneaux ou pour les besoins de l’étranger.
A quelle époque remonte la création de ces hauts-fourneaux? Un savant distingué, M. Lelivec , croit pouvoir la déterminer d’une manière précise: «Ce ne fut que longtemps après 1560 et successivement, nous dit-il, que les religieux de Saint-Hugon, d’Aillon, de Bellevaux et de Tamié établirent, au sein des forêts antiques qui entouraient leurs monastères, des usines encore existantes et qui ont fleuri longtemps sous leur administration paternelle.» M. Despine, ingénieur des mines, dit, dans un rapport dressé en 1827, que, selon l’opinion générale, les usines de Tamié existent de temps immémorial . Elles avaient pour objet le traitement des minerais de fer spathique provenant de Saint-Georges d’Hurtières (Maurienne) et de fer hydraté extrait de la Bouchasse, la Sambuy et autres lieux voisins de l’abbaye. Elles se composaient:
1° D’un haut-fourneau pour obtenir la gueuse;
2° De deux grosses forges pour réduire la gueuse en fer;
3° De deux feux de martinet pour mettre le fer en petits échantillons.
Le haut-fourneau ne roulait que de deux en deux ans pendant six à sept mois. La grosse forge inférieure était constamment en activité ; celle de dessus ne l’était qu’aux époques où on n’allumait pas le haut-fourneau.
Dans une lettre de service datée de 1825, M. Despine fait connaître les sources principales d’où les religieux de notre abbaye tiraient leurs minerais. «Les montagnes de Tamié, dit-il, dépendent du massif des Bauges, lequel se lie avec le mont de Semenoz où se trouvent les mines de Saint-Jorioz et celle de Cuvaz. Elles appartiennent comme elles à la formation de calcaire secondaire que l’Isère et l’Arly séparent de la formation du terrain de transition de la Tarentaise. On a rencontré dans plusieurs points de cette chaîne des dépôts de fer hydraté analogues à ceux de Cuvaz et de Saint-Jorioz que je viens de citer. — Le dépôt de la Bouchasse en est un. Il fut découvert par les Pères de Tamié à deux heures de la commune de Seytenex, au sommet de la montagne. On voit que c’est une fente remplie par le haut. Après en avoir extrait le minerai, les religieux ont poursuivi une galerie de près de 40 mètres de longueur dans le roc vif; mais ils l’ont abandonnée parce qu’ils n’y trouvaient plus rien. Dès lors, on n’y a fait aucun travail. — La Sambuy. A l’extrémité de la même montagne, distante environ d’une heure et demie de la Bouchasse, et dans une position beaucoup plus élevée, on trouve la mine de la Sambuy. Elle fut découverte par M. Clet, acquéreur des forges de Tamié sous le gouvernement français, qui en a extrait une quantité de minerai assez considérable. »
Les établissements métallurgiques de Tamié s’approvisionnaient de combustible dans les vastes forêts appartenant à l’abbaye, situées sur les communes de Seytenex, Plancherine, Chevron, Verrens et Jarsy; elles paraissent comprendre plus de mille hectares, essence hêtre et sapin, dont la croissance se renouvelle tous les cinquante ou soixante ans. Ils achetaient aussi des communes voisines et des particuliers les coupes de bois qui se trouvaient à leur convenance.
On trouve aux archives de l’intendance de Maurienne un mémoire dressé en 1779 pour la bonne administration des mines de Saint-Georges d’Hurtières. Aux termes de ce document, «il a été unanimement convenu entre les Chartreux d’Aillon, les Bénédictins de Bellevaux et les religieux de Tamié (qui font la consommation principale du minerai de fer), d’établir à frais communs une personne chargée d’examiner le minerai tiré des fosses par les paysans, avant qu’ils le fassent passer au grillage, afin de s’assurer de leur bon choix.»
A l’époque de l’occupation française de 1792, les usines de l’abbaye et environ 200 journaux de bois devinrent la propriété du sieur Clet. Cet industriel continua l’exploitation des hauts-fourneaux; il y fondit, outre le minerai de Saint-Georges d’Hurtières, un peu de mine hydratée qu’il avait fait exploiter à la Sambuy et sur les montagnes de Saint-Jorioz et de Cuvaz. MM. Frère-Jean, successeurs de M. Clet, obtinrent en 1838 l’autorisation de transporter à Cran (Haute-Savoie) le haut-fourneau dépendant de l’abbaye, à condition que des deux forges d’affinerie qui y existent il n’y en aurait qu’une en roulement à Tamié. Depuis la suppression du haut-fourneau, la grosse forge, seule autorisée, n’a pas été mise en activité.
Parmi les différentes branches de la science agricole, la viticulture tient en Savoie le premier rang. Ce genre d’exploitation n’était point en faveur au début de l’ordre de Cîteaux. Certains cénobites voulaient proscrire le vin comme une liqueur trop sensuelle; l’eau pure, à les entendre, devait être la seule boisson des moines. On leur objecta que les religieux Cisterciens ne pouvaient se passer de vin au milieu de leurs pénibles travaux; qu’il en fallait pour le sacrifice de la messe, et qu’à supposer qu’on n’en fît pas habituellement usage dans les monastères, on pourrait du moins l’échanger contre des denrées d’une autre espèce. Cet avis prévalut. Les moines de Clairvaux s’adonnèrent avec ardeur à la viticulture, et ceux de Tamié ne restèrent pas en arrière. Les vignobles renommés de Montmeillerat , de Lourdin et de Montailleur furent créés ou replantés par leurs soins. Leurs procédés pour la fabrication du vin ont été conservés dans le pays.
Il nous reste à dire quelques mots des granges de Tamié et de leur organisation.
La plupart des abbayes cisterciennes avaient dans leurs dépendances un certain nombre de granges, sortes de métairies exploitées par des serviteurs laïques, sous la direction des frères convers. Ces religieux ne faisaient pas de vœux solennels et n’avaient pas droit de suffrage pour l’élection de l’abbé ; ils portaient la barbe entière et leurs habits étaient de couleur brune. Chacun d’eux suivait ses inclinations dans le choix du métier qui devait l’occuper. Les uns travaillaient dans les ateliers; d’autres préféraient le service intérieur du cloître; d’autres, enfin, cultivaient la terre ou gardaient les troupeaux. Ils vivaient sur un pied d’égalité parfaite avec les religieux de chœur; comme eux, ils pouvaient suivre tous les exercices claustraux et s’asseoir à la table commune. A Tamié, ils étaient toujours très affairés, vu leur petit nombre. L’abbaye possédait en 1701 dix-neuf granges et trois moulins . Elle en exploitait une partie par le moyen de domestiques qui habitaient le corps-de-logis principal; le reste était acensé à d’honnêtes paysans de la contrée. Les frères convers, dont le nombre ne dépassa jamais sept ou huit, exerçaient partout une surveillance active; mais la fabrication du fer, quand le haut-fourneau était en activité, les occupait plus particulièrement. Grâce au droit de pâturage accordé à l’abbaye dès sa fondation et qui s’étendait sur une grande partie de la Savoie, on élevait à Tamié une quantité considérable de bêtes à cornes, de mulets et de pourceaux. Pendant la belle saison, ces animaux étaient parqués sur les hautes montagnes et on les vendait à l’automne. Les produits des porcheries de Tamié avaient surtout acquis en Savoie et en France une grande réputation. L’élève du bétail n’avait pas la spéculation pour but unique; les moines visaient principalement à améliorer les espèces par des croisements bien entendus. Ils y arrivaient plus aisément que ne l’eussent fait des cultivateurs ordinaires, au moyen des échanges que les monastères de l’Ordre faisaient de leurs produits de tout genre. C’est ainsi que les religieux de Tamié s’étaient attachés par la confraternité du travail le peuple de colons qui environnait leur monastère et qu’ils lui avaient fait aimer une condition si longtemps méprisée.
Notre abbaye n’avait pas acquis sous la prélature de Pierre Ier et sous celle de son successeur Rothbert le degré de prospérité matérielle où elle s’éleva plus tard; mais elle comptait alors près de trente religieux profès, chiffre qu’elle n’atteignit jamais dans la suite. Pierre de Tarentaise rendait à ses anciens disciples de fréquentes visites; la pratique des rigoureux exercices de saint Benoît était pour lui un délassement des fatigues de son ministère. Sa sainteté et sa prudence le faisaient rechercher pour terminer les différends qui s’élevaient entre les personnages les plus considérables de la contrée; c’était là un nouveau trait de ressemblance entre le pieux archevêque et saint Bernard, son maître et son ami. Tant d’honneurs semblaient lui peser; il regrettait sa solitude de Tamié et redoutait les dangers du monde. Un jour, il quitte sa ville métropolitaine et se réfugie dans un monastère d’Allemagne; on l’arrache à sa retraite et les intérêts de ses diocésains le rappellent à Moûtiers. Nous n’avons pas l’intention de raconter ici, même en abrégé, cette vie si pleine d’actions éclatantes qui ont placé le premier abbé de Tamié presque au même rang que saint Bernard. On a vu ce que fut saint Pierre de Tarentaise dans la solitude qu’il affectionnait. Ses biographes nous le montrent résistant à Frédéric Barberousse lors du schisme qui désolait l’Eglise au XIIe siècle, faisant triompher par sa fermeté le pape légitime, conciliant les rois et opérant partout des prodiges. Enfin, il meurt à Bellevaux, le 8 mai 1174, après avoir vécu seize ans dans le cloître et trente-six ans sur le siége métropolitain de Tarentaise .
Le 6 des ides de mai 1191, Célestin III accorda la bulle qui mettait l’abbé de Tamié au rang des saints, et fixa sa fête au 14 septembre. Les reliques de saint Pierre furent divisées en plusieurs fractions. On adjugea le chef et la partie supérieure du corps à la cathédrale de Moûtiers, le bras gauche à l’abbaye de Tamié, le bras droit à celle de Cîteaux et tout le reste au monastère de Bellevaux. Les Trappistes du val Sainte-Marie (aujourd’hui la Grâce-Dieu) possèdent les reliques de Bellevaux, qui étaient les plus considérables. Quant aux autres portions du corps de saint Pierre, elles ont été dispersées à la révolution.