Читать книгу Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc - Страница 10
RUINES DE MITLA
ОглавлениеNous traversons l'État de Chiapas, nous dirigeant vers l'ouest, nous abandonnons les montagnes qui ferment la presqu'île yucatèque et nous trouvons dans l'État d'Oaxaca une autre contrée montagneuse, au milieu de laquelle sont construits les vastes monuments de Mitla, non loin de la ville d'Oaxaca. Les ruines de ces immenses édifices sont peut-être les plus imposantes du Mexique; elles font reconnaître encore l'existence de quatre grands palais et d'un téocalli ou colline artificielle, dont la plate-forme supérieure est occupée par une chapelle espagnole qui a remplacé le temple antique.
La pl. XVII donne une vue générale de ces ruines assises à mi-côte, le long de montagnes peu élevées, mais dont les lignes rappellent celles des horizons de la Grèce. Le plus grand de ces palais et le mieux conservé, celui que l'on voit à gauche sur la photographie, présente en plan des dispositions générales analogues à celles des palais d'Uxmal, fig. 11, mais dont les détails diffèrent sensiblement de ceux-ci.
Comme à Uxmal, la cour est bornée, mais non fermée, par quatre bâtiments indépendants les uns des autres; celui du fond consiste en une grande salle avec une épine de colonnes au milieu, puis en une annexe contenant une petite cour intérieure entourée de salles étroites. De la grande salle à colonnes, on ne communique à cette cour intérieure que par un passage détourné. Le bâtiment de droite ne renferme qu'une seule salle, de même avec une épine de colonnes; celui antérieur et celui de gauche ne laissent plus voir qu'un amas de ruines; tout indique qu'ils étaient disposés comme l'édifice de droite.
La magnifique vue photographique, pl. V et VI, donne la façade du bâtiment principal du côté de la cour. On distingue parfaitement les trois portes, en partie murées postérieurement à la construction, qui donnent entrée dans la grande salle à colonnes. Au sommet des piles qui forment les pieds-droits de ces
Fig 11.
portes, on remarquera quatre trous ronds, destinés très-vraisemblablement à recevoir quatre boulins supportant une banne en étoffe.
Les monuments de la Grèce et ceux de Rome, de la meilleure époque, égalent seuls la beauté de l'appareil de ce grand édifice. Les parements dressés avec une régularité parfaite, les joints bien coupés, les lits irréprochables, les arêtes d'une pureté sans égale indiquent, de la part des constructeurs, du savoir et une longue expérience. Dans ce monument, les linteaux ne sont plus en bois, mais en grandes pierres, comme ceux des édifices de l'Égypte et de la Grèce. Le grand appareil forme une suite d'encadrements alternés, sertissant un appareil très-délié, composé de petites pierres parfaitement taillées et de la dimension d'une brique, formant par leur assemblage des méandres, des treillis d'un bon goût et tous variés dans leurs combinaisons. Comme dans les autres monuments que nous avons déjà examinés, ces parements masquent un blocage en mortier et moellons.
Les pl. VI, VII et VIII donnent l'aspect extérieur de ce palais, du côté occidental, avec l'angle rentrant que forme l'annexe accolée à la grande salle.
Si nous franchissons les portes ouvertes sur la façade principale, nous entrons dans la grande salle à colonnes, pl. X. Les murs de cette salle sont revêtus d'un enduit fort dur, ainsi que le pavé; les colonnes, taillées dans un calcaire poreux, sont monolithes et dépourvues de chapiteaux; leurs fûts, légèrement fuselés, sont terminés à la partie supérieure par des cônes tronqués (voir la coupe A de la fig. 11, faite sur la ligne ba du plan). Ces formes rappellent certaines colonnes de réserve des hypogées de l'Inde. À Mitla, les colonnes, disposées en épine, étaient destinées à diminuer la portée des poutres soutenant la couverture de la salle; car ici les parois verticales laissaient à ces poutres une portée considérable, eu égard à la charge qu'elles étaient destinées à soutenir. La fig. 12, donnant la coupe restaurée de la salle principale, fera comprendre l'utilité des colonnes.
Aujourd'hui, la construction, dérasée au niveau A, ne laisse plus voir que les portions des blocages qui étaient comprises entre les solives. Il y a tout lieu de croire que les colonnes portaient deux chapeaux en bois (B dans la coupe transversale et B´ dans la portion de coupe longitudinale), lesquels recevaient les deux autres chapeaux (C dans la coupe transversale, C´ dans la coupe longitudinale), soulageant les portées des deux filières (D dans la coupe transversale, D´ dans la coupe longitudinale). Sur ces filières passaient les solives E, engagées, à leurs extrémités, dans les murs, et soulagées encore par les corbelets en bois F. Un épais plancher de solives jointives fermait le tout et recevait un bétonnage couvert d'un enduit. La petitesse des matériaux de pierre accumulés à l'intérieur ou à l'extérieur du palais de Mitla ne peut faire supposer que ces colonnes aient jamais supporté des linteaux de pierre.
Fig 12.
D'ailleurs ce genre de construction a beaucoup d'analogie avec certains monuments du nord de l'Inde et du Japon. Trois petites niches carrées s'ouvrent dans le mur du fond, en face des trois portes, et une porte étroite et basse donne entrée dans le couloir qui communique de cette salle à la cour intérieure, dont la pl. XI nous présente une vue. C'est le même système d'appareil que celui des dehors: grands linteaux au-dessus de la porte[46], fortement accusés par un large encadrement.
Mais la partie la plus curieuse de cet édifice est peut-être la salle donnant sur cette cour et dont M. Charnay a pu faire la photographie, pl. IX. Cette salle est entièrement tapissée au moyen de cet appareil de petites pierres en forme de briques composant des dessins de méandres très-variés. Comme la grande salle, cette pièce était couverte par un solivage en bois et ne recevait de jour que par la porte. C'était là, il faut en convenir, un singulier intérieur, surtout si l'on se figure ces mosaïques saillantes, revêtues de peintures; mais les salles des palais égyptiens n'étaient ni plus ouvertes ni d'un aspect moins sévère.
Du bâtiment situé du côté oriental de la grande cour du palais, il ne reste plus, pl. XII, qu'une porte et deux colonnes. Cette construction rappelle exactement celle du grand bâtiment. Il faut dire que l'aire de la grande cour est entièrement revêtue d'un ciment très-résistant.
La pl. XIII donne la vue d'un des autres palais ruinés de Mitla et dont la construction ne diffère du précédent qu'en ce qu'un vaste souterrain est réservé sous la salle. Là encore, les trois portes avec les trous dans les pieds-droits, les trois niches dans le mur du fond, le grand et bel appareil.
Les autres planches reproduisent certains aspects des palais plus ou moins ruinés de Mitla, mais qui présentent tous les mêmes caractères que nous observons dans le premier décrit. Les deux colonnes qui sont posées devant une porte ouverte depuis peu dans le mur du palais, pl. III, proviennent d'ailleurs et ne sont point là à leur place. Ces colonnes étaient toujours posées en épine dans les intérieurs des grandes salles.
Le téocalli de Mitla, dépouillé malheureusement de son temple antique, est représenté dans la pl. II. Son large emmarchement est encore conservé.
La photographie du célèbre calendrier mexicain conservé à Mexico, pl. I, commence la série des planches qui composent la collection des monuments recueillis par M. Charnay. Nous retrouvons dans cette sculpture le faire de celle de Palenqué.
Il y a certainement une analogie de style entre tous les monuments que nous venons de décrire, et cependant on ne peut les considérer comme appartenant les uns et les autres aux mêmes écoles d'art, partant aux mêmes races et aux mêmes traditions.
Ainsi, habituellement, dans la péninsule yucatèque, la tradition de la structure en bois est visible, le goût exagéré de l'ornementation se fait sentir, les constructions à parois inclinées pour les intérieurs sont générales, la sculpture est abondante, et la reproduction de la figure humaine très-fréquente; tandis qu'à Mitla, pas de sculpture, aucune ornementation autre que celle donnée par l'assemblage de l'appareil, les parois intérieures des salles sont verticales, les colonnes sont employées, la construction est parfaite, et le bois n'apparaît dans ces bâtisses que pour la couverture, sans que rien fasse apercevoir, dans les formes de la maçonnerie, une imitation d'une structure primitive en bois. Si les Yucatèques cherchent la variété en élevant les divers bâtiments d'un même palais, les Zapotèques de Mitla semblent au contraire avoir adopté un type, une forme première dont il leur est interdit de s'écarter. D'ailleurs, dans tous ces monuments, temples ou palais, qu'ils s'élèvent sur le sol mexicain ou sur le plateau de l'Yucatan, il est impossible de ne pas reconnaître l'influence d'un art hiératique, rivé à certaines formes consacrées par une civilisation essentiellement théocratique; or, les arts hiératiques ne se développent jamais que dans certaines conditions sociales, comme les institutions théocratiques elles-mêmes. Les civilisations fondées sur une théocratie n'ont jamais pu s'établir que là où se manifestait la présence d'une race supérieure au milieu d'une race inférieure, et où cette dernière était assez nombreuse et assez forte pour ne pas être anéantie. La théocratie n'existe qu'avec le principe des castes, et les castes ne se sont instituées à l'état d'ordre social que dans les contrées où une invasion aryane avait été assez puissante pour soumettre par la force des populations finniques, touraniennes, ou noires, ou métisses. Mais les Aryans, ou si l'on aime mieux, les hommes blancs sortis des vastes contrées septentrionales de l'Inde, n'ont d'aptitude pour les arts plastiques qu'à l'état latent, dirai-je; pour que cette aptitude arrive à se développer au point de produire, il faut qu'il se fasse un mélange entre le sang blanc et le sang noir ou jaune. Cette sorte de fermentation nécessaire à la production des œuvres d'art se manifeste différemment si le mélange se fait à doses inégales, et surtout s'il se fait entre l'aryan et le touranien, ou entre l'aryan et le mélanien. Là, par exemple, où le mélange se fait entre l'aryan et le noir, apparaissent les constructions en grand appareil sans l'aide du ciment ou du mortier, les monolithes. Là les lois les plus simples de la statique sont seules admises, comme dans l'architecture égyptienne, et même plus tard dans l'architecture de l'Ionie et de l'Hellade. Mais si l'on trouve dans un monument des traces de mortier, de blocages, de pierres agglutinées par une pâte, on peut être assuré que le sang touranien ou finnois s'est mêlé au sang aryan. Alors la population conquise laisse, jusqu'aux époques les plus éloignées de la conquête, la trace de sa présence, car c'est elle qui construit, c'est elle qui taille la pierre et qui la pose, c'est elle qui emploie les méthodes propres à sa race. Cependant l'aryan, pour qui la structure de bois est un souvenir, une tradition des premiers temps, un signe de la supériorité de caste; l'aryan, dis-je, entend que, quelle que soit la méthode de bâtir admise par la race asservie, elle laisse subsister la trace de cette sculpture sacrée de bois, considérée comme ayant servi de demeure aux héros primitifs.
Aussi, dans l'Inde, en Asie Mineure, en Égypte même, comme dans l'Yucatan, retrouve-t-on partout, dans l'architecture de pierre, et quelle que soit la méthode employée par les constructeurs, la tradition de la structure de bois, comme étant celle qui rappelle l'origine noble de la race supérieure et conquérante. À cette règle, les tumuli, pyramides, téocalli font seuls exception; mais c'est que ces amas de terre ou de pierre, ces montagnes factices que l'on rencontre dans la Sibérie méridionale, dans l'Inde, en Asie Mineure, en Égypte, en Amérique, depuis les contrées septentrionales jusqu'au Pérou, en Europe, et particulièrement là où les invasions venues de l'Orient ont pénétré, sont partout des monuments funéraires dans l'origine, élevés sur la dépouille des héros, des demi-dieux, et sur lesquels plus tard, comme en Amérique, on bâtit le temple.
L'idée de la divinité résidant sur les montagnes appartient particulièrement à la race aryane, qui place toujours ses monuments sacrés sur des hauteurs naturelles, et, à leur défaut, sur des hauteurs factices. La montagne et la forêt sont les conditions essentielles au culte des races aryanes, et c'est, encore une fois, un souvenir des origines divines que se donne cette race sortie des montagnes et des forêts septentrionales du continent asiatique. Quelques savants de notre temps[47] pensent, non sans de fortes raisons, que la race jaune, originaire du vaste continent américain, se serait répandue au nord de l'Asie, chassant devant elle, vers le sud-est et l'ouest, des races mélaniennes qui alors occupaient ces immenses contrées. Mêlée à cette race noire, elle aurait formé la grande famille malaye le long des côtes orientales de l'Asie, et se serait étendue par la Sibérie jusque vers l'Europe, alors déserte. Que cette bifurcation de la race jaune ait eu lieu en effet, l'histoire ne remonte pas si haut; elle ne commence à poindre qu'avec les races civilisatrices, et la civilisation ne pouvait procéder de ce mélange des deux races inférieures. Plus de cinq mille ans avant notre ère, des plateaux septentrionaux de l'Inde descendent, au milieu de cet amas de peuplades grossières, les hommes blancs, possédant une cosmogonie savante, puisque toutes les religions n'ont fait depuis qu'en recueillir les débris. Forts, se considérant comme supérieurs aux autres humains, entreprenants, particulièrement aptes à gouverner, ils poussent devant eux, descendant vers le sud-ouest, ces flots de noirs et de métis, à travers les plaines du Tourân, et s'établissent dans l'Asie Mineure[48]. Depuis lors, le courant ne s'arrête plus jusque vers les premiers siècles du christianisme. Ce grand réservoir de la race blanche s'épanche, à plusieurs reprises, par le Tourân et le Caucase, sur l'Asie Mineure et jusqu'en Égypte, dans la péninsule indienne, en Perse, le long de la mer Caspienne, du Bosphore, jusqu'à la Grèce et sur toute l'Europe occidentale. Il jette des dominateurs civilisateurs sur la Chine et sur le Japon. Seul, le continent américain serait-il resté en dehors de l'influence de ces incessantes émigrations? Est-il possible d'admettre cet isolement, lorsque sur le continent américain nous retrouvons des monuments qui indiquent la trace de ces peuplades indo-septentrionales? lorsque nous retrouvons dans le Mexique des armes et des ustensiles qui rappellent par leur forme et leur matière ceux que l'on découvre en Asie Mineure, tels, par exemple, que ces flèches en obsidienne, ces vases en terre revêtus de peintures[49], et mieux que tout cela, sur les monuments existants, des figures qui conservent le type des peuplades blanches indo-septentrionales? lorsque tous les monuments bâtis, figurés ou écrits, nous laissent entrevoir les enseignements, altérés il est vrai, d'une même cosmogonie? Il s'élève cependant contre l'hypothèse d'une émigration blanche indo-septentrionale en Amérique, soit par le détroit de Behring, soit par le Groenland, de graves objections. Nulle part on ne constate, dans l'Amérique centrale, avant l'arrivée des Espagnols, la trace de chevaux, par exemple. Or le cheval est le compagnon inséparable de l'Aryan.
Les peuples blancs, là où ils pénètrent, combattent sur des chars, chez les Hindous, chez les Assyriens, les Perses et les Mèdes, en Égypte, en Grèce, en Italie, dans le nord de la Gaule, en Bretagne, en Germanie et en Scandinavie. Or, au Mexique, le cheval n'est représenté nulle part sur les monuments. Les bas-reliefs si curieux de Chichen-Itza nous montrent les guerriers combattant à pied des serpents et des tigres. Nous ne trouvons sur ces monuments figurés, pas plus que dans les textes, la trace de pasteurs. Dans le Popol-Vuh, l'animal domestique n'existe pas, les habitudes des pasteurs ne laissent aucune trace; le principe de la famille, si puissant chez tous les peuples aryans ou issus d'aryans, le patriarcat est confus; toutefois la caste existe, ainsi que la noblesse du sang.
Si, dans la Floride, les Espagnols ont vu des troupeaux de bestiaux domestiques, il ne paraît pas que les Mexicains en aient jamais possédés; or l'aryan est pasteur. On ne conçoit guère même comment des édifices aussi considérables que ceux du Mexique ont pu être construits sans le concours de bêtes de somme. Quant à ce dernier point, n'oublions pas que, dans l'empire de Montézuma, des hommes, considérés comme appartenant à une race inférieure, étaient soumis aux travaux imposés aux brutes, et que l'idée de la supériorité de caste est tellement évidente dans le Popol-Vuh, par exemple, que le peuple, c'est-à-dire la masse étrangère aux tribus quichées, n'est jamais désigné que sous des noms d'animaux; ce sont les fourmis, les rats, les singes, les oiseaux, les tortues, les abeilles, etc. À chaque instant, dans ce livre, ces bêtes sont chargées, par les nobles quichés, de messages, d'entreprises; c'est avec leur aide que les Xibalbaïdes sont détruits, et ce sont même les animaux alliés qui sont chargés d'assurer les suites de la conquête.
N'y a-t-il pas là un signe évident de la race blanche au milieu de populations regardées par elle comme très-inférieures? Quant aux chevaux, si les tribus blanches qui ont envahi le Mexique ne sont arrivées du nord, comme tout porte à le croire, qu'après une suite d'étapes prolongées peut-être pendant plusieurs siècles, et après un ou plusieurs voyages à travers l'Océan, il ne serait pas surprenant, qu'arrivés sous le 20e degré de latitude, ils n'eussent plus possédé un seul cheval, qu'ils eussent perdu même le souvenir de ces compagnons de leurs expéditions. D'ailleurs, il paraît évident que ces émigrations blanches étaient, relativement à ce qu'elles furent en Asie et en Europe, peu nombreuses. Leur disparition presque totale et le peu de fixité de leurs établissements en Amérique en serait une preuve.
Doit-on conclure de l'état sauvage actuel d'une grande partie des populations de l'Amérique que ces peuples ne sont pas encore civilisés ou qu'ils nous laissent voir les restes de civilisations depuis longtemps étouffées? Cette dernière hypothèse est adoptée par Guillaume de Humboldt, et elle paraît très-voisine de la vérité, si l'on considère qu'à l'époque de la conquête des Espagnols, Fernand Cortez trouva en Amérique des États policés là où l'on ne rencontre plus que des populations misérables, clair-semées au milieu des déserts, et que ces États avaient atteint déjà l'ère de leur décadence.
Mais telle est la puissance de la race blanche que, si faible qu'elle soit numériquement parlant, elle laisse des traces indélébiles, et que seule elle possède ce privilège d'inaugurer les civilisations. En l'état de mélange où se rencontrent les grandes races humaines sur la surface du globe aujourd'hui, il est assez difficile de distinguer les aptitudes premières de chacune d'elles; cependant, là où le noir est sans mélange, il n'existe pas, à proprement parler, une civilisation; il n'y a ni progrès ni décadence: c'est un état normal barbare où la force matérielle et la ruse gouvernent seules; là où la race touranienne ou finnique est restée pure, si les mœurs sont moins grossières, si l'on trouve une apparence d'autorité morale, il n'y a point cependant de progrès et de variations sensibles dans l'état social. L'industrie, le commerce se développent jusqu'à un certain point; le bien-être matériel et la discipline peuvent régner, mais jamais l'amour du beau, le dévouement raisonné, l'attrait de la gloire ne remuent ces populations paisibles, attachées à la satisfaction des besoins matériels de chaque jour. L'élément blanc seul donne la vie à ces masses inertes et obscures; il apporte sa cosmogonie, l'observation des temps, sa passion pour la renommée, son besoin incessant d'activité; il veut vivre dans l'avenir et écrit l'histoire. Les traditions ou souvenirs écrits de ce monde datent de l'invasion de l'élément aryan; or, les Mexicains avaient une histoire, tous les auteurs espagnols l'ont reconnu, et Las Casas[50], entre autres, le dit de la manière la plus formelle.
«Dans les républiques de ces contrées, dans les royaumes de la Nouvelle-Espagne et ailleurs, entre autres professions et gens qui en avaient la charge étaient ceux qui faisaient les fonctions de chroniqueurs ou d'historiens. Ils avaient la connaissance des origines et de toutes les choses touchant à la religion, aux dieux et à leur culte, comme aussi des fondateurs des villes et des cités. Ils savaient comment avaient commencé les rois et les seigneurs, ainsi que leurs royaumes, leurs modes d'élection et de succession; le nombre et la qualité des princes qui avaient passé; leurs travaux, leurs actions et faits mémorables, bons et mauvais; s'ils avaient gouverné bien ou mal; quels étaient les hommes vertueux ou les héros qui avaient existé; quelles guerres ils avaient eu à soutenir et comment ils s'y étaient signalés; quelles avaient été leurs coutumes antiques et les premières populations; les changements heureux ou les désastres qu'ils avaient subis; enfin tout ce qui appartient à l'histoire, afin qu'il y eût raison et mémoire des choses passées.
«Ces chroniqueurs tenaient le comput des jours, des mois et des années. Quoiqu'ils n'eussent point une écriture comme nous, ils avaient, toutefois, leurs figures et caractères, à l'aide desquels ils entendaient tout ce qu'ils voulaient, et de cette manière ils avaient leurs grands livres composés avec un artifice si ingénieux et si habile, que nous pourrions dire que nos lettres ne leur furent pas d'une bien grande utilité... Il ne manquait jamais de ces chroniqueurs; car, outre que c'était une profession qui passait de père en fils et fort considérée dans la république, toujours il arrivait que celui qui en était chargé instruisait deux ou trois frères ou parents de la même famille en tout ce qui concernait ces histoires; il les y exerçait continuellement durant sa vie, et c'était à lui qu'ils avaient recours lorsqu'il y avait du doute sur quelque point de l'histoire. Mais ce n'était pas seulement ces nouveaux chroniqueurs qui lui demandaient conseil, c'étaient les rois, les princes, les prêtres eux-mêmes...»
Ces chroniqueurs, ces juges, consultés par les princes, avaient plus d'un rapport avec les mages; ce texte ne laisse à cet égard aucun doute, et il est difficile de leur chercher une autre souche que celle d'où sortaient ces personnages essentiels de la société antique de l'Asie. Les traditions mexicaines donnent aux populations de ces contrées trois origines. Elles prétendent que toutes vinrent du nord et de l'orient; les premières, les Chichimèques, étaient des sauvages vivant de chasse et n'ayant ni villes ni cultures; les secondes, les Colhuas, qui enseignèrent à cultiver la terre et donnèrent les premières notions de la vie civilisée; les dernières, venues longtemps après, furent les Nahuas, qui instituèrent un gouvernement, apportèrent une religion et un culte. Les Colhuas seraient arrivés, à travers l'Océan, de l'orient, neuf ou dix siècles avant l'ère chrétienne, et leurs descendants seraient les fondateurs de ces monuments merveilleux de Palenqué et de Mayapan. Quant aux Nahuas, descendus par le nord-est, ils se seraient, après des luttes acharnées, emparés du Mexique. Nation guerrière, important avec elle un culte farouche, mais intelligente et superbe, elle aurait imposé un joug théocratique aux habitants de ces contrées. Ces immigrations du nord-est paraissent n'avoir pas cessé jusqu'au xiie siècle de notre ère. Ces Nahuas procèdent vis-à-vis les possesseurs du pays comme le faisaient les nations belliqueuses du nord en face du vieil empire romain. Ils demandent d'abord un territoire pour établir une colonie et pour vivre; ils acceptent l'état de vassaux et de tributaires; puis, quand ils se sentent assez forts, ils attaquent la puissance suzeraine.
L'État de Guatémala et de Chiapas, de Xibalba dans le Popol-Vuh, était le centre de la domination des Quinamés ou Colhuas[51]. Le Livre sacré représente le roi de ces contrées et ses fils comme des géants; l'un se dit l'égal du soleil et de la lune, ses enfants roulent des montagnes. C'est contre cette race orgueilleuse que les Nahuas ouvrent la lutte, personnifiés en deux frères, Zaki-Nim-Ak (le grand Sanglier blanc), et Zaki-Nima-Tzyiz (le grand-blanc-piqueur d'épines)[52]. Les géants sont vaincus et écrasés. Cependant (toujours d'après le Popol-Vuh) la guerre continue et se termine à l'avantage des Nahuas. L'auteur du Livre sacré, après une sorte d'anathème jeté aux gens de Xibalba, porte sur eux ce jugement suprême... «Mais leur éclat ne fut jamais bien grand auparavant; seulement ils aimaient à faire la guerre aux hommes; et véritablement on ne les nommait pas non plus des dieux anciennement; mais leur aspect inspirait l'effroi; ils étaient méchants hiboux, inspirant le mal et la discorde.—Ils étaient également de mauvaise foi, en même temps blancs et noirs, hypocrites et tyranniques, disait-on. En outre, ils se peignaient le visage et s'oignaient avec de la couleur[53]...»
Les traditions toltèques, conservées par Ixtlilxochitl[54], présentent les princes nahuas comme souverains de villes riches, puissantes et à peu près indépendantes des rois chichimèques. Leur cité principale, Tlachiatzin, avait été fondée par des hommes sages et d'une grande habileté dans les arts, ce qui avait fait donner à cette ville le surnom de Toltecatl, qui, dans la langue nahuatl, signifie ouvrier ou artiste[55].»